Déclarations de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur les mesures prises pour la prise en charge des toxicomanes et la réduction des risques de contamination par le Sida et les hépatites (rôle des pharmaciens notamment), Paris les 4 et 5 octobre 1994.

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Circonstance : Remise du chèque des pharmaciens à "Ensemble contre le Sida" à Paris le 4 octobre 1994-conférence de presse sur la politique gouvernementale de lutte contre la drogue et la toxicomanie à Paris le 5

Texte intégral

Date : 4 octobre 1994
Remise du chèque des pharmaciens à Ensemble contre le sida 

Monsieur le président,
Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie de l’honneur que vous me faites en me chargeant de remettre ce chèque à l’association « Ensemble contre le sida ».

Votre opération, « mains ouvertes pour repousser le sida » a été, en effet exemplaire de ce qui s’est passé dans notre pays à l’occasion de l’opération « Sidaction ».

Je me souviens, et vous vous souvenez aussi, de la période où nous avons imaginé cette opération. L’incrédulité, voire la dérision la plus ouverte ont accueilli, initialement, ce projet unitaire dont nous avions rêvé.

Et pourtant, cette soirée a eu lieu, grâce à tous ceux qui, comme vous, ont forcé le destin, ont entraîné ceux qui leur étaient proches, de telle sorte qu’à la fin, l’opinion bascule, et qu’il devienne pour tout le monde évident qu’il fallait s’associer à ce grand mouvement de solidarité.

Je dois vous remercier tout particulièrement, Monsieur le président Parrot qui, depuis le début, avez été à nos côté dans l’élaboration de cette action, mais aussi toutes vos organisations professionnelles, l’Ordre des pharmaciens, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, l’Union nationale des pharmacies de France, l’Association des pharmacies rurales, la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique, le Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, le Centre national des biologistes, la Confédération française des syndicats de biologistes, l’Union des biologistes de France et l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France.

Il faut dire que cette opération a été particulièrement originale et je félicite Monsieur Gaultier Leroux pour cette excellente idée qu’il a eue de rendre concret, d’afficher de façon à la fois symbolique et tangible, le fait que les pharmaciens, oserais-je le dire, s’engagent des deux mains dans la lutte contre le sida.

Quel merveilleux geste que celui de cette main imprégnée de couleurs par laquelle vous témoignez et de votre amitié, et de votre générosité :
    – main tendue, mais aussi main ouverte ;
    – main pour repousser le sida, mais aussi main pour accueillir les personnes atteintes ;
    – main de chacun, mais aussi mur de solidarité de toutes ces mains unies dont la répétition fait la force.

Ainsi, 5 000 d’entre vous ont répondu et c’est finalement un chèque de plus d’un million de francs que vous avez collecté. Bravo !

Permettez-moi de saisir cette occasion pour vous dire, d’autre part, combien, au cours de l’année qui vient de s’écouler, j’ai apprécié la collaboration que nous avons eue, tant sur le plan industriel, par l’intermédiaire de l’Agence du médicament, que sur le plan de la santé publique, à travers les diverses opérations que nous avons menées ensemble.

Je rappellerai, dans le contexte qui nous réunit aujourd’hui, deux actions principales :

1. Tout d’abord, la campagne préservatif tarif jeune. Elle a eu un succès extraordinaire. Non seulement une partie de la population, essentiellement parmi les jeunes, a été amenée de ce fait à utiliser le préservatif qui reste notre seule arme de prévention contre le sida. Mais aussi, et simultanément, le préservatif tarif jeune s’est placé, grâce à vous, comme le premier échelon d’une gamme de qualité et non comme un succédané au rabais d’un produit déjà bien connu.

2. D’autre part, votre participation à la lutte contre la diffusion de l’infection par le VIH chez les usagers de drogues intra veineuses. Qu’il s’agisse de l’accès aux seringues, de la diffusion des kits STERIBOX, de la gestion pour certains, de distributeurs qui prennent votre relais la nuit, mais aussi des conseils de prévention, de votre insertion dans les réseaux locaux de prévention, ou de l’apposition d’affiches sur vos vitrines, ce sont autant d’actes de santé publique que vous pratiquez avec courage, car je sais aussi quelle inquiétude est la vôtre devant les risques d’agression ou de hold-up qui peuvent vous menacer.

Ainsi donc, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, c’est avec grand plaisir que je m’associe à vous pour cette remise de chèque à « Ensemble contre le sida ». Ce geste est le témoignage de notre nécessaire coopération pour le bien public et tout particulièrement, en ce qui concerne cette terrible maladie. Comme vous le savez, l’État ne peut pas tout faire, et certainement pas tout faire seul. L’initiative de chacun et la solidarité de tous seront nécessaires si nous voulons venir à bout, non seulement du sida, mais aussi de toutes les misères, de toutes les exclusions, de tous les drames sociaux dont il est, hélas, le révélateur.

Date : 5 octobre 1994
Conférence de presse - Politique gouvernementale de lutte contre la drogue et la toxicomanie

Mesdames, Messieurs,

Je souhaite, après Madame le ministre d’État, revenir brièvement sur notre dispositif sanitaire de lutte et de prise en charge de la toxicomanie.

Les toxicomanes sont pour moi, ministre de la santé et médecin, des malades ; ce sont des hommes ou des femmes qui souffrent.

Ils souffrent, bien sûr, de leur dépendance, ils souffrent de la douleur et de l’angoisse qu’ils infligent à leurs proches, ils souffrent aussi de leur situation de marginalité sociale dans la société si dure pour les faibles, dans laquelle nous vivons.

Je ne reviendrais pas sur les chiffres, désormais, bien connus qui montrent la gravité de la toxicomanie en France, mais également l’exclusion qu’elle entraîne.

3 éléments seulement :
    – il y a, en France, environ 150 000 toxicomanes dépendants de drogues injectables. Parmi eux, plus de 60 % n’ont aucune activité et leur perspectives d’insertion ou de réinsertion sociale et professionnelle sont très faibles ;
    – 30 % des héroïnomanes sont déjà infectés par le VIH, 70 % par les hépatites ;
    – enfin, un toxicomane sur deux ne fréquente pas le dispositif de soins.

De ces trois éléments découlent les grands objectifs que nous nous sommes fixés.

1. Il nous fallait, tout d’abord, conforter le dispositif « classique » de prise en charge : sevrage en médecine ambulatoire ou à l’hôpital, puis postcure si le toxicomane en a besoin.

Il y avait 640 places de postcure fin 1993. Le plan gouvernemental du 21 septembre a prévu le doublement en trois ans du dispositif ; d’ores et déjà, 400 places supplémentaires ont été agréés et financées et la plupart de ces places ouvriront avant la fin de l’année.

Même si une place dans un centre de postcure permet de soigner plusieurs malades en une année, même si tous les toxicomanes n’ont pas besoin d’un passage en postcure après un sevrage, le dispositif actuel demeure encore insuffisant ; nous le savons.

Mais reconnaissons qu’un effort considérable a été fait au cours des 18 derniers mois.

Il faut l’amplifier, notamment dans les hôpitaux.

Une circulaire a été envoyée pour que chaque hôpital des grandes agglomérations réserve 3 à 5 lits pour le sevrage des toxicomanes.

Je compte sur les hôpitaux pour avancer rapidement dans les mois qui viennent.

2. Il nous fallait, en second lieu, diversifier le dispositif de prise en charge pour l’adapter aux toxicomanes les plus désocialisés.

Nous l’avons fait en développant les boutiques, ces lieux où l’on ne demande rien d’autre aux toxicomanes que de ne pas prendre de produit dans les locaux.

Il y avait une boutique ouverte il y a un an. Huit sont agréées aujourd’hui.

Nous l’avons fait également, en multipliant les réseaux ville hôpital toxicomanie, qui doivent permettre de mieux impliquer les médecins généralistes et j’espère, demain, les pharmaciens d’officine, dans la prise en charge des toxicomanes.

Il y avait deux réseaux il y a un an, il y en aura onze à la fin de l’année.

3. La troisième priorité que nous nous étions fixée était de réduire les risques de contamination par le sida et les hépatites.

Nous avons annoncé, avec Madame Simone VEIL, une série de mesures en juillet dernier, pour rendre plus facile l’accès à du matériel stérile.

Ces mesures entrent rapidement en application. J’en veux pour preuve les premières trousses STERIBOX disponibles en pharmacie depuis le 20 septembre.

De même, les programmes d’échange et de distribution de seringues ont été multipliés.

32 sites disposeront d’un lieu d’échange ou de distribution de seringues ou de trousses de prévention à la fin de l’année ; il n’y en avait que trois il y dix-huit mois.

Il faut aller plus loin et plus vite. Nous ne pourrons le faire tous seuls et avons besoin de la collaboration de tous, et notamment les maires, qu’il faut convaincre de l’intérêt d’implanter des échangeurs/distributeurs. Je ne le dirai jamais assez : les maires sont des acteurs de santé publique ; leur rôle en ce domaine est fondamental.

Lutter contre les risques d’infection c’est, bien sûr, développer les programmes de substitution comme la méthadone.

Des mesures ont été prises, des moyens financiers dégagés. Résultat : de la situation d’exception d’il y a 18 mois (52 possibilités de prescription de méthadone), nous sommes passés à 1 645 possibilités de prescription de méthadone à la fin de cette année.

Il s’agit d’un véritable exploit, car il a fallu, dans des délais très brefs, trouver des équipes de qualité.

Il ne faut pas s’arrêter. Il faut aller plus loin, mais en travaillant avec pragmatisme et sérieux, en s’appuyant sur des acquis.

Le cadre actuel d’utilisation de la méthadone n’est pas, loin de là, définitif. Il évolue déjà dans le cadre des travaux menés par la commission des traitements de substitution que j’ai mise en place le 1er mars 1994 avec Madame Simone Veil. J’ai demandé que la commission travaille sur la possibilité de permettre aux centres de pouvoir prescrire à plus de 50 toxicomanes dans un même centre en même temps.

En outre, nous examinons la possibilité de banaliser le statut de ce médicament qui, avec une autorisi1tion de mise sur le marché, pourrait avoir des modalités de prescription et de délivrance plus souples.

Il ne s’agit pas, bien sûr, sous la pression de l’urgence, de faire n’importe quoi qui risquerait non seulement de compromettre l’avenir de ces possibilités de traitement qui continuent de ne pas faire l’unanimité, mais aussi par trop de légèreté de mettre en péril la vie de certains toxicomanes.

Il ne faut pas oublier, en effet, que la méthadone peut également, dans des conditions très particulières, bien sûr, conduire à la mort par surdose. Le cadre d’utilisation pourra donc évoluer, nous devons avancer d’un pas déterminé, mais sans course précipitée et hasardeuse.

La méthadone n’est pas le seul médicament possible dans les traitements de substitution, je pense notamment à la Buprénorphine.

Nous disposons d’une expérience que l’on peut qualifier d’anarchique pour ce qui concerne la Buprénorphine avec des prescriptions hors AMM de Temgésic.

Je souhaite qu’une Buprénorphine ayant une autorisation de mise sur le marché spécifique pour les traitements de substitution, et qui soit dosée correctement à cet effet, puisse être mise sur le marché en 1995.

Je crois que nous avons fait, au cours des derniers mois, un effort exceptionnel, au sens propre du terme, un effort comme il n’y en a pas eu aucun en tout cas depuis 20 ans.

Notre but encore une fois est de conforter le dispositif mais aussi le diversifier, afin de faire face à de nouveaux défis, pour faire face au sida, aux hépatites, à la marginalisation sociale des toxicomanes.