Texte intégral
Nice-Matin : mercredi 9 septembre 1998
Nice-Matin. - Candidat à la présidence de l'UDF, comment envisagez-vous, au sein de l'Alliance, l'avenir de l'UDF, en l'absence de ce qui fut sa première composante, Démocratie libérale ?
François Bayrou. - Les français ne veulent pas des extrêmes. L'UDF est le parti qui défend l'équilibre entre l'exigence sociale et la réalité libérale. C'est la seule ligne d'alternance possible. J'ai regretté le départ d'Alain Madelin.
Il reste que toutes les sensibilités qui étaient présentes dans l'ancienne confédération se retrouvent dans la nouvelle UDF. Par exemple dans le département des Alpes-Maritimes, avec Rudy Salles qui a été l'un des porte-paroles les plus actifs de la reconstruction du mouvement, mais également avec Louise Moreau, Jean Leonetti et nos amis sénateurs, nous défendons nos idées avec vigueur et tolérance, convaincus qu'elles sont partagées par une majorité de Français.
N.-M. - Charles Millon et Jean-Pierre Soisson ont été exclus du groupe UDF à l'Assemblée nationale. Alain Madelin a obtenu de l'UDF et du RPR que Jacques Blanc puisse continuer à siéger dans les rangs de Démocratie libérale. Pourquoi cette différence de traitement ?
F. B. - Personne n'échappera à la nécessaire clarification. L'Alliance avait fixé une ligne claire : pas de compromission avec l'extrême droite. Elle a maintenu cette ligne et elle la fera respecter. Sans clarté, il ne peut y avoir ni confiance, ni crédibilité.
N.-M. - Le RPR Christian Poncelet se présente comme le challenger de René Monory (UDF-FD) à la présidence du Sénat. Quelle sera votre attitude dans cette bataille pour le perchoir du Luxembourg ?
F. B. - René Monory a déjà accompli beaucoup de choses pour le Sénat. Il sait qu'il dispose de mon soutien total pour mener à leur terme les réformes qu'il a déjà engagées. La nécessité d'une Chambre haute puissante n'est plus à démontrer. Elle seule peut modérer le tempérament souvent bouillonnant de l'Assemblée nationale.
René Monory incarne cette sagesse sénatoriale, tout est en restant pétri de modernisme et de volonté réformatrice. Je souhaite naturellement qu'il préside à nouveau le Sénat. J'ai bon espoir que la raison l'emporte et qu'il soit le candidat de l'ensemble de la majorité sénatoriale.
N.-M. - Pour les élections européennes de l'an prochain, êtes-vous partisan d'une liste unique de l'opposition ou souhaitez-vous que l'UDF se démarque du RPR ?
F. B. - Aujourd'hui, seules les idées comptent. Il est prématuré d'évoquer des noms ou des stratégies. Ce qui importe, c'est de porter au plus haut l'idéal européen. L'Europe est la chance de la France. C'est le sens de la campagne que la nouvelle UDF mènera tout au long des mois à venir. Je souhaite que la liste pour les élections européennes rassemble tous les courants et toutes les personnalités qui se reconnaissent dans ce message.
(1) Les militants voteront le 16 septembre prochain.
La Provence : mercredi 9 septembre 1998
La Provence. - Vous faites actuellement campagne pour succéder à François Léotard à la tête de l'UDF et ne cessez de marquer vos différences avec Alain Madelin et sa stratégie vis-à-vis du FN…
François Bayrou. - Si tous les électeurs sont respectables, tous les comportements et tous les messages ne le sont pas. C'est affaire de convictions et non de stratégie. Le problème ne concerne pas les électeurs qui sont souvent abusés et désorientés. Il porte sur les accords électoraux avec les élus. Comment ne pas voir qu'une immense majorité de nos concitoyens, et plus particulièrement les jeunes, condamne sans réserve tout rapprochement avec les extrêmes ? Je ne crois pas que l'on regagnera le coeur des Français en se laissant dériver vers sa droite ou vers sa gauche, mais plutôt en affirmant avec force nos valeurs et en expliquant sans pusillanimité notre projet.
L. P. - Depuis les élections législatives anticipées, la droite libérale et modérée n'en finit pas de se décomposer. Ne craignez-vous pas, dans ces conditions, de rester longtemps dans l'opposition ?
F. B. - Je crois au contraire que les querelles de chapelles sont enfin terminées, contrairement aux apparences. La nouvelle UDF veut inventer de nouvelles pratiques politiques fondées sur l'écoute, le dialogue et la participation. Le temps est aujourd'hui venu, après les secousses de ces derniers mois, de se mettre à l'écoute des Français, de comprendre leurs attentes, de saisir leurs aspirations afin de renouer avec cette confiance qui nous fait encore tant défaut.
Puis seulement, viendra le temps du projet politique, au travers duquel nous pourrons affirmer nos convictions libérales fondées sur la responsabilité et l'initiative individuelles.
L'UDF de demain doit réconcilier réalité libérale et ambition sociale. Une fois que nous aurons fait cette démonstration, nous serons prêts pour l'alternance.
L. P. - Certains au RPR et même à l'UDF semblent refuser l'idée d'une liste européenne commune de la droite sur laquelle figureraient des représentants de Démocratie libérale. Croyez-vous parvenir, d'ici le printemps prochain, à une réelle unité ?
F. B. - L'UDF que j'incarnerai portera haut et fort le drapeau de l'Europe, chance de la France dans un monde de superpuissances et de guerre économique. Le message que défendra notre liste, à l'occasion des européennes, devra être celui de l'enthousiasme et de la foi dans la construction de l'Europe. Je souhaite que cette liste soit la plus large possible. Et je sais que beaucoup au sein de la droite libérale et modérée partagent mes convictions.
Les Echos : 10 septembre 1998
Q - Un peu plus de dépenses mais en même temps un peu moins de déficit et un peu moins d'impôts. Le projet de budget pour 1999 n'est-il pas finalement très centriste ?
F. B. - La démarche du Centre ce n'est ni la tiédeur ni l'évitement des réformes nécessaires. Au contraire. J'ai fixé comme ligne à la nouvelle UDF d'assumer le rôle de grand mouvement réformateur. En matière budgétaire, cette démarche aurait d'abord consisté à caler le budget sur une hypothèse prudente de croissance. Le gouvernement a eu la chance de bénéficier cette année d'une très bonne activité mais il a eu l'imprudence de croire que cela durerait. Tous les observateurs, même s'il faut, bien sûr, prendre leurs déclarations avec précaution, s'accordent à dire qu'une croissance de 2,7 % l'an prochain c'est trop incertain et que l'hypothèse réaliste pourrait se situer autour ou même en dessous de 2,5 %. Si leurs prévisions à la baisse se vérifient, on s'apercevra alors de la réalité de ce budget : des dépenses en hausse, des recettes décevantes, une aggravation des déficits, le retour à un certain laxisme budgétaire.
Q - Le gouvernement explique que la hausse des dépenses contribuera à soutenir la demande interne, qui est actuellement le principal moteur de la croissance.
F. B. - Je connais la ligne de défense du gouvernement mais il y a deux réalités qui sont, aujourd'hui, incontournables : nous ne pouvons pas continuer à être surimpôsés par rapport à nos principaux concurrents. Et nous ne pouvons pas vivre avec le niveau d'endettement qui est le nôtre et qui, je vous le rappelle, tangente le plafond des 60 % du PIB. Les dettes d'aujourd'hui sont les impôts de demain. Pour mettre un terme à cette spirale, le gouvernement Juppé avait imposé une règle que nous avions respectée et qui consistait à dire que les dépenses publiques ne doivent pas augmenter plus vite que l'inflation. C'est ce cheminement qu'il aurait fallu conserver. Au lieu de quoi les dépenses publiques augmenteront l'an prochain deux fois plus vite que l'inflation. C'est sans issue. Tout le monde sait que pour diminuer la charge de la dette qui pèse sur le budget il faudrait ramener le déficit budgétaire nettement en dessous de 2 %. Or il sera encore de 2,7 % l'an prochain. Pour nous, la réduction rapide des déficits est un impératif national. J'ajoute même qu'en période de croissance, un grand pays doit viser l'équilibre budgétaire. C'est ce que Giscard et Barre avaient parfaitement réussi en leur temps.
Q - Est-ce à dire que vous auriez affecté toutes les marges de manoeuvre disponibles à la réduction du déficit budgétaire ?
F. B. - La bonne démarche aurait consisté à s'attaquer simultanément et vigoureusement au déficit et aux impôts. Même si la croissance s'annonce plus faible l'an prochain, la marge de manoeuvre dégagée par la maîtrise des dépenses aurait permis de faire les deux et surtout de programmer l'effort dans le temps. Faute d'avoir suivi cette voie, le gouvernement va se retrouver devant des rendez-vous extrêmement difficiles. Car, à côté du budget, il y a la Sécurité sociale. En critiquant systématiquement le plan Juppé, le gouvernement a incité le monde de la santé au relâchement. Les objectifs sont désormais complètement dépassés, ce qui va entraîner une nouvelle crise d'angoisse à propos de la Sécurité sociale, le sentiment qu'il est impossible de porter remède à ses faiblesses et à ses handicaps. C'est complètement irresponsable. J'ajoute enfin que les menaces à long terme ne sont pas traitées. Quand on pense qu'on demande un énième rapport sur les retraites alors que tout était dans le Livre blanc de Rocard en 1990…
Q - L'antienne de l'opposition, c'est la réduction des dépenses publiques. Mais se pose toujours la même question : où tailler ?
F. B. - L'exercice restera un peu vain tant que l'on n'aura pas posé ouvertement le problème politique : celui d'une société française « shootée » à la dépense publique. Chaque fois que l'on rencontre une difficulté ou un succès, on ne connaît qu'une seule réponse : la hausse de la dépense. Alors que la crise de la société exige aujourd'hui des efforts particuliers dans des domaines nouveaux, comme l'intégration, la sécurité, l'enseignement, on se refuse à tailler ailleurs et à réduire les structures administratives devenues obsolètes. Il en résulte une accumulation de dépenses véritablement asphyxiante. La pédagogie du recul de la dépense publique n'a en réalité jamais été faite. D'abord parce que c'est politiquement difficile. Ensuite parce que les structures actuelles de prises de décision fonctionnent mal. Je m'explique : chaque fois que l'on envisage d'adapter à la baisse les effectifs de la fonction publique, on propose toujours de le faire de façon uniforme et indifférenciée. C'est une démarche inadaptée, elle ne tient compte ni des priorités sociales ni des besoins d'une gestion moderne car l'éducation, la sécurité comme la solidarité ne peuvent être traités sur le même plan que d'autres secteurs sur-administrés. C'est ce qui paralyse l'effort.
De la même manière, le fait que les ministres n'aient pas la liberté d'aménager leur budget, de faire de vrais redéploiements internes dans une perspective pluriannuelle et que les fonctionnaires très brillants du ministère des Finances se voient toujours en arbitres suprêmes, entraîne une gestion budgétaire déresponsabilisante. Comment se passe en réalité la préparation du budget ? Les directeurs du ministère vont à Bercy « en première phase » et c'est le marché aux cochons. Sachant qu'on leur donnera toujours moins que ce qu'ils demandent, ils réclament davantage que ce dont ils ont besoin. C'est une méthode totalement déresponsabilisante. Si on réussissait à mettre en place, d'abord une perspective budgétaire pluriannuelle et ensuite une autonomie réelle des ministères, on aurait une démarche complètement différente. Ce serait aux ministères dépensiers d'équilibrer eux-mêmes leurs propres dépenses.
Q - Sur les 35 milliards de crédits supplémentaires prévus l'an prochain, les deux tiers environ correspondent à des dépenses de solidarité (lutte contre l'exclusion) ou à des dépenses pour l'emploi (35 heures, emplois-jeunes). Les contestez-vous ?
F. B. - Nous avons exprimé notre total scepticisme sur la politique des 35 heures et notre inquiétude sur la politique des emplois-jeunes. Je ne veux pas polémiquer pour le plaisir mais je fais une observation : on nous dit que le chômage des jeunes a baissé de 150 000. La vérité, c'est qu'on a créé 100 000 emplois-jeunes dans le secteur public. Pendant ce temps, l'objectif des 350 000 emplois-jeunes dans les entreprises a été complètement passé à la trappe. Notre conviction, c'est que le véritable obstacle à la création des emplois qui nous manquent et qui sont ce que j'appelle des emplois de débutants, des emplois non qualifiés, c'est leur coût. Or la politique du gouvernement, au travers des emplois-jeunes et des 35 heures, tant précisément à renchérir ce coût par une augmentation programmée de la charge publique. Vous me direz que le gouvernement a simultanément fait un geste en supprimant progressivement la base salaires de l'assiette de la taxe professionnelle. Mais il apparaît clairement que cette politique est un leurre : l'État reprend d'une main ce qu'il accorde de l'autre. En outre l'allégement n'est pas ciblé sur les emplois non qualifiés si bien qu'il n'aura aucun effet.
Q - Justement, sur l'emploi non qualifié, le gouvernement réfléchit actuellement à un allégement des charges sociales patronales qui pourrait être compensé par une augmentation sur les hauts salaires. Qu'en pensez-vous ?
F. B. - C'est une politique folle. On ne peut pas continuer à surcharger les cadres, qui sont à l'évidence la cible du gouvernement. Prenez la limitation du quotient familial. Sur qui pèse-t-elle ? Les classes moyennes et les cadres !
Q - Pour en revenir au budget, quels sont les impôts qu'il faut, selon vous, toucher en priorité ?
F. B. - Pour moi, mais je reconnais que je suis un peu isolé, il faut alléger en priorité l'impôt sur le revenu et respecter au minimum le plan de marche qu'avait fixé Alain Juppé à hauteur d'environ 20 milliards de francs par an. Ce plan consistait non seulement à abaisser ce prélèvement, mais aussi à élargir sa base et à modifier les taux afin de parvenir à un taux marginal qui soit compatible avec les taux européens. Il y a une vraie urgence dans notre pays à encourager le travail, l'esprit d'initiative, la création de richesse. Certains, parmi mes amis, voudraient consacrer la totalité des marges de manoeuvre à la baisse des charges sociales. D'autres, au sein de l'opposition, plaident pour une baisse du taux normal de la TVA. Ma conviction est qu'il faut vraiment privilégier l'impôt sur le revenu parce que toute baisse a, dans ce domaine, un effet psychologique important.
Q - Compte tenu des divergences que vous évoquez, l'opposition va-t-elle parvenir à parler d'une même voix lors de la discussion budgétaire ?
F. B. - Avoir un débat sur l'utilisation des marges de manoeuvre que nous rendrions disponibles n'est pas un débat honteux, c'est une réflexion économique. Si nous voulons émettre des idées, il faut confronter nos points de vue. Ce n'est pas pour autant que nous ne parlerons pas d'une même voix. Une journée de réflexion de l'intergroupe parlementaire est prévue sur le sujet à la rentrée. En outre l'opposition partage les deux mêmes critiques fondamentales : d'une part, il apparaîtra dans quelques mois qu'on aura gaspillé la période faste et qu'aucune des grandes réformes nécessaires n'aura même été esquissée. D'autre part, il y a une politique d'injustice qui est conduite envers les cadres et les familles avec enfants.
Ouest France : samedi 12 septembre 1998
Q - La nouvelle UDF sera plus étroite que la précédente. N'êtes-vous pas déçu ?
F. B. - La nouvelle UDF (1) sera plus cohérente. Notre message est clair : il est libéral, social et européen. Il s'adresse à ceux qui pensent que l'économie de marché n'est pas séparable d'un ambitieux projet social et que l'Europe est une chance pour la France. Ce que nous voulons, c'est rassembler les Français qui se reconnaissent dans ces valeurs.
Q - L'ambiguïté d'Alain Madelin à propos du Front national conduit-elle à son exclusion de l'Alliance ?
F. B. - Les divisions de la droite et ses ambiguïtés ne servent que la majorité en place et l'extrême droite. Il appartient à chaque formation de l'Alliance de clarifier ses positions et de se conformer à ses principes qui excluent tout accord et toute compromission avec le Front national. Sur cette base, nous devons maintenant partir à la reconquête de l'opinion et travailler ensemble à l'élaboration d'un projet de gouvernement.
Q - Avez-vous renoncé à fusionner l'UDF ?
F. B. - Bien sûr que non. Avant d'aller à la rencontre des Français, il est nécessaire que nous puissions montrer l'exemple d'une formation politique unifiée, ouverte et démocratique. Un mouvement dans lequel le débat serait permanent, dans lequel le militant serait écouté, dans lequel le vote serait la procédure normale de décision. Un parti jouant la carte de la décentralisation en donnant, comme le souhaite Pierre Méhaignerie, de vrais pouvoirs aux équipes régionales et locales. L'unification se fera ensuite, naturellement et sans retard.
Q - L'avènement de La Droite de Charles Millon est-il un danger, un défi ou une péripétie ?
F. B. - Charles Millon a commis une faute en acceptant de se compromettre avec le Front national. Toute dérive droitière de l'opposition la condamnera à regarder longtemps la majorité actuelle gouverner le pays. Une partie des Français, spécialement parmi les jeunes, n'acceptera jamais que nous transigions sur les principes du pacte républicain. Reconstruire une vraie espérance, cela ne peut se faire que sur nos idées, nos convictions. Pas celles des autres.
Q - Aux européennes, le choix de l'UDF n'est-il pas de se présenter seule avec un fort message européen où de le diluer dans une liste unique de l'opposition ?
F. B. - Il y a ceux qui voient l'Europe comme la fin des nations, comme la fin de la France. Notre vision, au contraire, c'est que l'Europe est la seule chance des nations. C'est parce que j'aime la France, son histoire, sa singularité, que je connais sa vocation universaliste, que je crois à l'Europe. Notre destin passe par l'édification d'une Europe politique et économique forte qui sache en même temps se faire proche des citoyens et respectueuse des identités nationales. Aujourd'hui, le débat doit porter sur l'idée que l'on se fait de l'Europe et non sur le fait de savoir si tel ou tel conduira la liste aux élections européennes.
Q - La politique de Lionel Jospin plaît, y compris à une partie de votre électorat. Comment la droite peut-elle la combattre ?
F. B. - L'habileté de Lionel Jospin à présenter les choses sous leur meilleure face ne saurait faire illusion longtemps. Car, pendant ce temps, rien n'avance. Les dossiers les plus importants sont laissés dans les tiroirs : les retraites, la réforme de l'État… La majorité plurielle gère quand il faudrait réformer, comme le montre son budget pour 1999. C'est une faute très lourde que nous paierons dans quelques mois. Pierre Méhaignerie vient de livrer les contre-propositions de l'UDF : geler la dépense publique, affecter les recettes nées de la croissance à la réduction de la dette et des impôts, poursuivre la politique d'allégement des charges sur les salaires modestes et, enfin, rééquilibrer les régimes de retraite pour sécuriser le pouvoir d'achat des retraites et des actifs.
Q - Finalement, un libéral social n'est-il pas plus proche des sociaux-démocrates que des ultra-libéraux ?
F. B. - Là encore, sachons nous définir en fonction de nos idées. La société que nous appelons de nos voeux serait sans doute libérale. Elle laisserait toute sa place aux libertés individuelles, à la conviction que l'homme est capable du meilleur, et que l'État n'a pas à brider son action. Elle serait également sociale. Elle refuserait de laisser quiconque sur le bord du chemin et s'en remettrait à l'État pour assurer cette solidarité. Dans cette société, la responsabilité, individuelle et collective, serait toujours engagée. Une vraie place serait enfin laissée à l'expérimentation et au contrat. L'important aujourd'hui, c'est la réalité locale, la proximité, la prise en compte des préoccupations quotidiennes des Français.
(1) Candidat à la présidence de l'UDF, François Bayrou aura deux concurrents : Hervé Mariton, délégué général des adhérents directs de l'UDF et vice-président de la région Rhône-Alpes et Philippe de Longevialle, ancien conseiller national de Démocratie libérale.
La Nouvelle République du Centre-Ouest : samedi 12 septembre 1998
NR. - Vous souhaitez effacer la page sombre des élections régionales. Mais pour les futures européennes, ne risquez-vous pas un nouveau résultat fâcheux avec des listes RPR-UDF différentes, reflétant vos divergences sur l'Europe ?
François Bayrou. - La nouvelle UDF sera le parti de l'ambition et de la volonté européenne. Parce que nous aimons la France, nous croyons à l'Europe. Dans un monde de superpuissance, où la compétition économique fait rage, seule l'Europe peut nous permettre d'assurer la stabilité et le dynamisme nécessaire à la croissance. En 1997, la France a réalisé près de 63 % de ses exportations dans la seule Union européenne, contre un peu moins de 6 % aux Etats-Unis et moins de 2 % au Japon. On voit à ces seuls chiffres l'intérêt d'une intégration forte.
Au-delà de l'économie, c'est l'Europe politique et démocratique que nous défendons. Nous sommes de ceux qui croient que l'Europe est la chance des nations. Cette conviction, nous souhaitons la faire partager le plus largement possible.
NR. - Quel cheval de bataille souhaitez-vous enfourcher en cette rentrée contre le pouvoir de la gauche plurielle ?
F. B. - La nouvelle UDF à clarifier sa position vis-à-vis des extrêmes. Dans ces conditions, notre devoir est désormais de proposer aux Français nos solutions. Aujourd'hui, le gouvernement se laisse porter par le cours encore tranquille de la croissance, sans penser à l'orage menaçant qui risque d'éclater. La critique majeure que l'on peut faire sur l'action de Lionel Jospin porte sur son absence de volonté à s'attaquer aux réformes difficiles dont dépend l'avenir des Français.
NR. - Comment définissez-vous l'UDF au sein de l'Alliance et quels sont ses grands projets pour l'an 2000 ?
F. B. - Il existe une troisième voie entre le tout libéral et le tout social. La réalité du monde, c'est le libéralisme économique et les lois du marché. Elles stimulent l'initiative et l'innovation individuelles. Mais elles ne suffisent pas à elles-mêmes. Elles doivent être accompagnées d'une forte exigence solidaire, d'un État capable et soucieux de protéger les plus faibles. La nouvelle UDF veut assurer la conciliation de ces deux exigences. Nous serons les aiguillons libéraux et sociaux de l'Alliance. C'est à nouveau qu'il appartient d'ouvrir les chantiers de l'an 2000 : la réforme de l'État, des retraites, de la participation.
Une vraie réflexion sera également menée sur la place des corps intermédiaires dans la société : les syndicats, les associations. Il faut donner une nouvelle place à l'expérience locale et à la contractualisation. Paris doit arrêter de tout décider tout seul. L'expérience doit venir compléter l'expertise.
Le Figaro : 14 septembre 1998
Le Figaro. - Peut-on parler d'une « nouvelle UDF » simplement parce qu'elle change de président et qu'elle est amputée d'une de ses anciennes composantes, le PR devenu DL ?
François Bayrou. - Il y a un paradoxe de l'UDF. Les idées sont justes, les dirigeants se sont donnés beaucoup de mal, et pourtant le bilan est décevant. Et cela, à mon avis, pour deux raisons principales : l'impossibilité de clarifier sa ligne politique, et l'organisation de la division en son sein. Chacun des adhérents considérait qu'il était d'abord un militant de son parti et accessoirement rattaché à l'UDF, et que la logique du parti primait la logique de l'UDF, secrétaire général de l'UDF auprès de Valérie Giscard d'Estaing pendant six ans, puis président de Force démocrate, j'ai vu de près ces tensions, ces compétitions internes, ce flou, qui empêchaient notre famille politique d'avancer. Aujourd'hui, c'est devenu une question de vie ou de mort. Il faut en finir avec ces blocages. C'est mon projet : l'UDF sera « nouvelle » parce qu'elle aura intégré ses composantes et clarifié sa ligne politique.
Le Figaro. - Les dirigeants de deux des composantes de l'UDF se montrent très attachés au maintien de leur structure partisane. Comment allez vous les convaincre de « s'intégrer » ?
F. B. - Tout le monde accepte l'intégration. Dans les semaines qui viennent, tous les réseaux militants seront intégrés sur le terrain, et nous constituerons des services nationaux communs. Restera le seul problème du statut juridique des anciennes composantes. Nous avons un accord que je peux résumer ainsi : en direction de l'unité, personne ne force personne, mais personne ne freine personne. D'ici quelques semaines, ceux qui auront voulu aller de l'avant auront intégré le mouvement. L'UDF d'hier, c'était 90 % séparés et 10 % communs ; la « nouvelle UDF », ce sera 90 % d'intégration et 10 % d'autonomie.
Le Figaro. - Depuis plus d'un an, l'opposition se consacre à ses structures. Les idées seraient-elles secondaires ?
F. B. - Il n'y a pas d'idées plus fausses en politique que celle qui consiste à dire : seules les idées comptent, l'organisation est secondaire. Les deux vont ensemble. S'il n'y a pas d'organisation pour défendre des idées c'est vox clamans in deserto.
Le Figaro. - Mais les principales formations de l'opposition ne devraient-elles pas d'abord redevenir identifiables, avant de songer à passer des compromis, pour préserver un jour l'Alliance, un autre jour l'UDF ou encore DL ?
F. B. - Pour construire une majorité pour demain, il faut s'entendre. Il y a différentes sensibilités dans l'opposition, et c'est très bien comme cela : une sensibilité à option nationale et centralisatrice, une sensibilité libérale et sociale, et des sensibilités plus libérales encore. Cela n'empêche pas qu'il faille vivre avec les autres, essayer de trouver des rapprochements, des projets qui nous rassemblent, plutôt que des projets qui nous séparent. C'est une double exigence : il faut à la fois approfondir sa propre pensée et se regrouper.
Le Figaro. - Tout au long de votre campagne, vous avez défini vos ambitions pour la nouvelle UDF. Vous voulez qu'elle devienne la formation de la République, la formation de la réforme, la formation du rassemblement. Au-delà des mots, que souhaitez-vous ?
F. B. - Pourquoi insister sur la République ? Pendant longtemps, on a simplifié les choses en opposant les « démocrates » aux « républicains ». Or il me semble qu'aujourd'hui les deux aspirations se rejoignent. La vertu de la démocratie, c'est la responsabilité. C'est l'idée que plus le citoyen est libre, plus on le met en situation de responsabilité, plus s'élève son niveau de conscience. La vertu de la République, c'est la loi, appuyée sur un pacte de valeurs auxquelles on s'interdit de porter atteinte : liberté, égalité, fraternité et droits de l'homme. Ce qui nous donne la mesure du débat qui a eu lieu sur les alliances avec les extrêmes ! Pendant longtemps, on a cru que le sens de la responsabilité et l'autorité de la loi s'opposaient. Aujourd'hui, on découvre que la liberté et la loi son alliées, qu'il faut une loi pour que s'exercent, à plein et en confiance, la liberté et la responsabilité du citoyen. En ce moment, on le sent bien, il y a un besoin d'affirmation républicaine.
Le Figaro. - Pour combattre cette « crise morale » que connaîtrait la France ?
F. B. - Pendant des siècles, notre communauté nationale a été soudée par un système de repères et de valeurs partagées par tous. Pour simplifier, la morale de l'instituteur laïque et celle du curé étaient la même. Ce grand consensus social a explosé, et aujourd'hui, chacun, pour son propre compte, doit inventer ses propres valeurs. Beaucoup de nos concitoyens en éprouvent un grand désarroi. C'est une crise très profonde. On peut se satisfaire de cette évolution et accepté comme un fait acquis l'atomisation de la société, son individualisme croissant. C'est le débat que j'ai avec les plus libéraux : pour moi, les valeurs qui unissent un peuple ne relèvent pas du marché, de la préférence individuelle. Le devoir des responsables est de forger le lien social, d'essayer de formuler un code de valeurs morales et humanistes que l'on considère comme sacré : ce que j'appelle le « sacré républicain ».
Le Figaro. - Vous voulez aussi être le parti de la réforme. Comme tant d'autres qui ne sont jamais aussi réformistes que lorsqu'ils ne sont pas au pouvoir ?
F. B. - Cette question de la réforme sera la grande question du début du siècle prochain. Il faudrait sortir des idées reçues qui ont la vie dure, y compris dans nos rangs : nous aurions perdu, disent certains, parce que nous n'aurions pas été assez « à droite », infidèles à nos promesses. Cette affirmation me fait rire. C'est le même procès qui a été fait, avec une violence extraordinaire, aux deux gouvernements auxquels j'ai participé, le gouvernement Balladur et le gouvernement Juppé. Or ce n'est pas la vérité. Nous n'avons pas été infidèles à nos promesses, mais nous avons été paralysés, incapables de convaincre et d'entraîner le peuple français sur la voie des engagements qui avaient été pris. Quoi qu'on dise avec des airs martiaux au moment des élections, on ne conduit pas durablement une politique contre le sentiment du peuple. En réalité, nous n'avons pas pu réformer parce que nous n'avons pas su le faire. L'échec a largement été une question de méthode, un défaut d'approche, de prise en compte des citoyens, de leurs émotions et de leurs incompréhensions, dans le processus de réforme que nous conduisions. C'était valable pour nous, c'est valable pour la gauche.
Tout le monde voit bien que la gauche ne fait pas la politique qu'elle avait dit qu'elle ferait. Parce qu'il y a les données intangibles, le sentiment populaire et la situation internationale, qui s'imposent à tout le monde. Jospin, le lendemain de la dissolution, à « Sept sur sept », déclare qu'il ne ferait pas l'euro dans les conditions fixées. Quinze jours après son entrée au gouvernement, il change d'avis et devient un exécutant fidèle du traité !
C'est que les gouvernants n'ont plus de chèque en blanc, même pour mener la politique de leurs promesses abusives. Saurons-nous nous en souvenir ?
Le Figaro. - Vous voilà converti au principe de réalisme si cher à Lionel Jospin…
F. B. - On emploie généralement le mot « réalisme » pour dire « résignation ». Je me sens réaliste, mais nullement résigné. Je dis seulement que l'opposition devrait profiter de son expérience et de son éloignement du pouvoir pour mettre au premier plan de sa réflexion la question de la méthode de la réforme. J'ai réécouté pendant l'été une longue émission de France Culture consacrée au référendum de 1969. C'est pour moi frappant de voir la modernité de pensée du général De Gaulle. En dehors de la polémique sur le Sénat, que proposait-il en 1969 ? Lui, dont on présente l'héritage comme jacobin, proposait la régionalisation - « Faisons renaître les provinces françaises » pour qu'elles puissent s'occuper de leurs affaires -, et il proposait des institutions pour que les citoyens puissent intervenir sur la réforme, non pas seulement comme électeurs, mais comme acteurs de la société, professionnels, associatifs, syndicalistes. Cette part de l'héritage gaulliste, il faut la ressaisir et le faire nôtre.
Le Figaro. - Vous voulez en quelque sorte réussir là où de Gaulle a échoué…
F. B. - 1969, c'est une grande chance manquée. La problématique demeure. Je prends un exemple. La réforme de la sécurité sociale. C'était une réforme nécessaire, absolument inévitable. On le verra dans quelques mois. Le gouvernement actuel, après avoir ruiné la réforme précédente, va être contraint de reprendre le sujet. Or, en 1995, la réforme a été mise à mal, et peut-être mise à bas parce qu'on n'a pas réussi à associer les professionnels de la santé aux choix inévitables. Ce n'est pas une question de mauvaise volonté, c'est parce que nous n'avons aucune expérience, aucune idée de ce que pourrait être la pratique d'une réforme moderne qui associe les gens plutôt que d'imposer des choix. Cela est la démocratie de l'avenir.
Le Figaro. - Vous sortez de la querelle sur le libéralisme…
F. B. - Qui, aujourd'hui, peut mettre en question l'idée que l'économie sera libérale ? Qu'on le redoute ou qu'on le souhaite, il ne peut y avoir de différences d'appréciation sur les résultats : la liberté crée plus de richesses, favorise davantage l'inventivité que l'étatisme et la contrainte. Cela ne veut pas dire que ce libéralisme ne connaîtra pas de crise - il en connaît une aujourd'hui en Russie - et qu'il ne fallait pas penser la régulation. La nécessité d'instruments de régulation à l'échelle mondiale s'imposera. Quant à la réforme fiscale, dont dépend la reconnaissance sociale et matérielle de ceux qui travaillent, inventent, créent, font l'effort le plus important et entraînent la société, c'est une nécessité urgente et à laquelle personne n'échappera. De même, personne n'échappera au fait que les sociétés, les économiques de l'avenir seront des économies souples.
Mais il est un point sur lequel tout le monde n'est pas d'accord et qui est sous-jacent à tous nos débats, c'est le système de valeurs des sociétés dans lesquelles nous allons vivre, l'organisation de leurs priorités, l'attente inexprimée des citoyens par rapport à la justice, à la proximité du pouvoir. Tout cela forme une politique qui ne peut pas se résumer au laisser-faire. Nous aurons une économie de marché, mais je ne souhaite pas la société de marché.
Le Figaro. - Votre conception du libéralisme et celle d'Alain Madelin sont-elles conciliables ?
F. B.- J'ai beaucoup discuté du libéralisme avec Alain Madelin. Où est notre différence ? Pour moi, le principal défaut du libéralisme comme idéologie, c'est qu'il est dissolvant du lien social. Au lieu de forger les liens entre les gens, il cultive l'individualisme qui les sépare et les éloigne. Madelin qualifiait ma vision démocrate-chrétienne d'« ordo-libérale », un libéralisme qui recherche l'ordre et les solidarités. Ça ne me gêne pas.
Le Figaro. - Formation de la République, de la réforme, du rassemblement… La nouvelle UDF se voudrait-t-elle le mouvement le plus chiraquien ?
F. B. - J'ai toujours dit, quelquefois en souriant, qu'à s'en tenir aux lignes politiques, le mouvement qui devait se reconnaître le mieux dans les affirmations du Président de la République, européenne et sociale, c'est évidemment le nôtre. Pourquoi ne pas s'en réjouir ? J'ai approuvé à différentes reprises la tonalité de ses déclarations tant sur les valeurs républicaines que sur l'Europe.
Le Figaro. - Malgré tout, vous vous préparez à accepter des compromis sur le FN et sur l'Europe…
F. B. - Il n'y a pas de compromis possible sur le FN.
Le Figaro. - Vous l'avez dit, mais au sein de l'Alliance, vous acceptez des compromis avec ceux dont vous dénoncez l'attitude face au FN…
F. B. - Non. Ceux-là ne sont pas dans l'Alliance.
Le Figaro. - Présidents ou vice-présidents de région, ils appartiennent à l'un ou l'autre parti fondateur de l'Alliance…
F. B. - Ils ne peuvent pas être dans un des partis fondateurs de l'Alliance. Ils sont apparentés à un groupe parlementaire.
Le Figaro. - Subtile distinction…
F. B. - Les partis fondateurs de l'Alliance refusent tout compromis avec le FN. C'est très clair. Pour le reste, ce sont les affaires de Démocratie libérale. Pour être, dans l'Alliance, il faut refuser « toute compromission avec l'extrémisme ». Il n'y aura pas de compromis de l'Alliance sur le FN ; s'il y en avait, ce serait la mort de l'Alliance. Une ligne claire et forte a été fixée… Nous devons faire en sorte d'amener chacun à la respecter scrupuleusement. Un jour, ils nous diront : « Vous avez eu raison. »
Le Figaro. - Le succès de Charles Millon n'est-il pas dû en partie à ce nombrilisme des partis traditionnels qui lasse l'opinion ?
F. B. - Le succès de Charles Millon vient de la proposition implicite d'accords avec l'extrême droite. Ce que Millon a fait en Rhône-Alpes, un certain nombre de gens voudraient qu'on le fasse à l'échelon national. Pas nous.
Le Figaro. - Madelin est-il engagé dans la même course que Charles Millon ?
F. B. - Je ne suis pas commentateur des stratégies de mes partenaires.
Le Figaro. - Les différents partis de l'Alliance doivent-ils arriver à un compromis sur l'Europe ?
F. B. - Il y a deux sensibilités dans l'Alliance, l'une nationale et l'autre européenne. C'est deux sensibilités ont leur légitimité. Il n'y a pas atteinte au pacte républicain parce que les uns sont plus nationaux et les autres plus européens. Les deux opinions sont valides à l'intérieur de l'Alliance.
Nous, à l'UDF, nous sommes les porte-parole de ceux qui voient l'Europe comme la principale chance de la France. Une Europe qui sur un certain nombre de sujets a une perspective fédérative. Nous avons eu un débat en 1992 sur Maastricht. Ce débat, me semble-t-il, est tranché aujourd'hui par les faits. On nous disait : « L'euro, c'est un abandon de souveraineté » ; et nous, nous disions : c'est le seul moyen de récupérer la souveraineté monétaire, impossible à exercer seul ou dans la solitude, mais que l'on peut exercer ensemble. Aujourd'hui, cela crève les yeux : dans la tourmente financière mondiale, l'euro nous a protégé si efficacement qu'il nous a donné la capacité, la souveraineté que nous n'aurions jamais eues autrement. Ce n'est pas vrai seulement dans le domaine monétaire et économique, mais aussi dans le domaine de la défense, de la politique étrangère et de la sécurité. L'Europe nous rend la souveraineté que nous avions perdue. Nous n'exercerons cette souveraineté qu'ensemble. C'est cela la démarche fédérative, pour reprendre le mot de Giscard.
Le Figaro. - Ces deux sensibilités peuvent-elles trouver à se marier pour les échéances de juin 1999 ?
F. B. - C'est ce que nous verrons dans les prochains mois. Je crois que la pensée et l'action du Président de la République, qui a choisi, sur tous les grands sujets, l'axe européen, sont de nature à rapprocher ces deux sensibilités.
Le Figaro. - Si le RPR, la « nouvelle UDF » et DL ne parvenaient pas à constituer une liste commune, L'Alliance en serait-elle fragilisée ?
F.B. - Les statuts de l'Alliance précisent que nous décidons ensemble, à chaque élection, de la stratégie électorale. Si je suis élu président de l'UDF, j'inviterai notre formation à définir un programme « euro-constructeur » et à rechercher ensuite la liste la plus large possible.
Le Figaro. - Votre conception de l'Europe est-elle très éloignée de celle des socialistes ?
F. B. - Les deux visions ne sont pas incompatibles, bien sûr. Mais l'Europe socialiste telle que je la ressens, c'est une Europe étatisée, peu décentralisée, peu « subsidiaire », comme on dit. Je pense par exemple à l'idée qu'on pourrait avoir une seule politique sociale européenne… C'est une utopie. On ne peut pas avoir une seule politique sociale entre des pays à des stades de développement différents. Sinon on tue le pays le plus faible. On peut avoir des mêmes objectifs sociaux, mais ce n'est pas la même chose que des règles, des normes sociales uniques. C'est sur cet étatisme, la volonté de tout réglementer, que je ressens la principale différence.
Le Figaro. - Vos amis centristes sont régulièrement soupçonnés être prêts à former une coalition avec le PS. En finirez-vous un jour avec ce soupçon ?
F. B. - Dans le combat politique, vous le savez très bien, les rumeurs sont des armes. Il faudra pourtant que l'on s'y habitue : la vocation d'un mouvement central puissant, ce n'est pas de se rallier à d'autres, de servir d'accessoire aux uns ou de roue de secours aux autres, mais de définir et de proposer une politique originale, un chemin différent.
France 2 – 17 septembre 1998
Q - Comment allez-vous faire pour réunir ?
- « Ecoutez, on a vécu suffisamment de difficultés depuis plusieurs mois, pour que désormais, on voit bien que la volonté unanime de tous ceux qui croient à l'opposition ou qui voudraient lui apporter son soutien, ou qui espèrent en elle, c'est que désormais on se rassemble. Et c'est tout le sens de mon élection d'hier. »
Q - C'est mal parti, parce que, déjà, pour la présidence du Sénat, il y a une bagarre entre le RPR, M. Poncelet et M. Monory, que vous soutenez et que soutient M. Chirac. Alors cela ne se passe pas très bien déjà ?
- « J'ai vu le Président de la République cet après-midi et je lui ai dit, et il m'a dit, qu'il était inimaginable, en ce moment, qu'on ait, à nouveau des divisions au Sénat après en avoir eues tant et tant. »
Q - Oui mais elles existent bien. Alors faire l'alliance c'est compliqué ?
- « Je suis sûr, j'ai confiance que tout le monde va réfléchir à la responsabilité qui est la nôtre en ce moment. »
Q - Vous êtes entêté quand même, parce que vous avez été rénovateur en 1989, on vous a demandé de fédérer la nébuleuse de l'UDF pendant un moment, et puis là vous repiquez au travail. Vous croyez que c'est encore jouable, qu'on peut encore faire un parti centriste ?
- « Non seulement je le crois, mais j'en suis sûr. Comme vous le dites, je crois à cette idée depuis longtemps, et j'ai beaucoup fait pour essayer de la faire naître. Je crois que c'est le moment aujourd'hui. Mon idée, c'est l'idée de Giscard. Elle est simple depuis le début. Cette famille politique, elle peut peser de manière vraiment très importante sur le destin de la France parce que c'est là, probablement, qu'est le point d'équilibre de la vie politique française. Mais elle ne pèsera que si elle est réunie, de la même manière que l'opposition dans son ensemble. L'opposition dans une démocratie a une responsabilité très importante : c'est de porter l'espoir. »
Q - Vous êtes d'accord avec moi qu'en ce moment, on a l'impression qu'elle est un peu absente, non ?
- « Non seulement, elle est absente mais elle n'est pas à la hauteur de sa tâche. Ce qui s'est passé hier, pour nous c'est le premier pas de la reconstruction. Une reconstruction qui est simple, qui porte des noms : on rassemble, on tend la main, on regroupe tout ce qui doit l'être pour que de nouveau, les Français aient confiance. »
Q - Dans votre idée, vous pensez que vous irez un jour jusqu'à la fusion d'un seul et même grand parti comme en Allemagne où il y a les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates ? Est-ce qu'un jour la France aura ce même bipartisme ?
- « Je crois que l'opposition est plurielle, mais pour autant, elle ne doit pas être explosée. Elle est plurielle parce que vous le voyez bien, il y a des sensibilités : une plus européenne, c'est la nôtre ; l'autre plus nationale, c'est celle du RPR. Et il est légitime que ces deux sensibilités, j'allais dire ces deux manière de faire de la politique s'expriment. Elles ont toutes les deux leur place. Pour autant, elles doivent travailler ensemble. Si mon élection, c'est précisément que nous allons nous regrouper à l'intérieur pour nous rassembler avec nos alliés. »
Q - Concrètement, la liste unique pour les élections européennes l'année prochaine ? P. Séguin repousse cela au plus tard dans son interview au Figaro.
- « Il a raison de repousser à après la réflexion qui va être celle de son mouvement. Pour moi, c'est très simple. Dès l'instant, que nous aurons une plate-forme européenne commune dans ses très grandes lignes, dès cet instant-là, il faudra construire la liste la plus large possible parce que le drame, c'est que les Français ne pèsent pas assez à Strasbourg, au Parlement européen. Ils n'ont pas l'influence qu'ils devraient avoir et ils ne l'auront que s'ils sont nombreux. C'est évidemment le cas de ceux de l'opposition qui sont éclatés en des groupes multiples. »
Q - Vous avez une position très claire à l'égard du Front national. Vous êtes prêt à exclure tout ceux qui, à l'UDF, n'auront pas la même position que vous ?
- « J'ai eu une position très claire pour une raison simple. Je souhaite qu'on n'en parle plus. Je ne sais pas si vous rendez compte… »
Q - Mais concrètement, cela se pose.
- « Toutes les clarifications sont faites chez nous. »
Q - Et elles seront faites y compris au groupe parlementaire UDF ?
- « Elles sont faites au groupe parlementaire UDF. Je crois que tout le monde devra y venir. Pour autant, je ne sais pas si vous vous rendez compte du désespoir qui est celui de ceux qui croient à l'opposition, ou voudraient y croire, à n'entendre les leaders de l'opposition s'exprimer que sur ce seul sujet ! Nous, nous avons fait le choix de la clarté précisément pour que notre position soit connue, insoupçonnable et qu'on n'en parle plus. Autrement on fait de la pub à l'extrême droite. Faire de la publicité à l'extrême droite, cela la sert ou cela sert la gauche, mais cela ne nous sert pas, nous. »