Texte intégral
Q - Encore un attentat, cette nuit, en Corse. On annonce un climat d'insécurité en Corse, est-ce que vous avez le sentiment que le terrorisme des nationalistes corses est neutralise ou peut être, un jour, neutralisé ?
– « Nous y arriverons, oui, c'est sûr. Il faut que nous arrivions en Corse à tout simplement faire appliquer la loi, et à ce que, dans ces deux départements, on ait la même situation que dans tous les autres départements français. Donc c'est aussi simple que cela : toute la loi, rien que la loi. »
Q - Est-il vrai que les assassins du préfet Erignac sont arrêtés ou repérés, mais que toutes les preuves contre eux ne sont pas encore réunies ?
– « Non, l'enquête avance et les enquêteurs ont rassemblé un certain nombre d'éléments qui sont, en effet, intéressants. »
Q - C'est-à-dire ?
– « Je ne peux pas vous en dire plus, parce que, pour l'instant, les enquêteurs n'ont pas de certitude et ils n'ont pas l'identité, en particulier, des assassins. Mais l'enquête avance. »
Q - On peut dire que cela brûle ?
– « On avance. »
Q - Des journalistes ont été interpellés à propos de la Corse. A la demande du juge antiterroriste Bruguière, la police a interpellé, gardé ou placé en garde à vue, G. Millet de L'Evénement du Jeudi, elle a entendu à Bastia le rédacteur en chef de France 3 Haute-Corse P.-J. Luccioni, qu'est-ce qu'on leur reproche ?
– « Je crois que ce qu'il faut voir, c'est que d'abord moi, je suis très attachée à la liberté de la presse. Donc il est évidemment indispensable que les journalistes puissent continuer à faire leur métier. Et les journalistes voient leurs sources protégées, c'est une loi de 1993, donc ils ont le droit de ne pas révéler leurs sources. Ceci dit, si un juge estime qu'un journaliste détient une information qu'il aurait dû donner à la justice – car les journalistes sont tenus comme n'importe quel autre citoyen de donner à la justice les informations dont ils ont connaissance – à ce moment-là, comme tout citoyen, il peut être entendu par la justice. »
Q - Mais dans ces affaires, est-ce que le droit d'informer, même s'il est reconnu, n'est pas total, mime sur le terrorisme ? Parce qu'on est allé les interpeller chez eux, en caleçon, à l'aube !
– « Oui, mais je crois qu'il y a deux choses : il y a une loi particulière pour les journalistes, qui protège leurs sources et ensuite, il y a la loi qui s'applique à tout le monde et qui dit que lorsqu'on détient des informations qui sont susceptibles de faire progresser une enquête terroriste, on est tenu de les livrer à la justice sans révéler les sources, mais on est tenu de donner ces éléments. Alors maintenant, je ne peux pas vous en dire plus parce que je ne suis pas dans le dossier, parce que je n'ai pas à intervenir dans des affaires individuelles, c'est l'appréciation des magistrats qu'il faut respecter. »
Q - On dit que les enquêteurs sentent qu'il y a des pressions, des menaces en permanence contre eux, vous en avez la confirmation ? Et par exemple, les gens qui font partie du pôle financier que vous avez installé vous-même il y a trois semaines, et qui enquêtent sur les malhonnêtetés, est-ce qu'ils travaillent, est-ce qu'ils ont des résultats et est-ce qu'ils sont menacés ?
– « C'est dangereux, le métier que font là-bas les enquêteurs et les magistrats. C'est pour cela que je suis allée les voir. D'ailleurs, je vais en profiter pour leur rendre hommage, parce que les magistrats, que ce soit les procureurs ou les juges qui travaillent là-bas, sont évidemment dans une situation extrêmement difficile. Ils sont protégés, d'ailleurs. Et je voudrais dire vraiment qu'ils font leur métier dans des conditions extrêmement difficiles, beaucoup plus difficiles qu'ailleurs, et ils le font avec beaucoup de courage. »
Q - On change de sujet. Un L. Jospin plutôt en colère, d'après ce que l'on a vu, a dit hier que le Sénat était en train de dénaturer le projet de loi sur la réforme de la Justice, que le débat allait être long. Alors une réforme voulue par MM Chirac et Jospin, défendue par vous-même avec un certain succès à l'Assemblée, est en ce moment retardée par les méchants sénateurs. Cela va durer jusqu'à quand la réforme, surtout sur le Conseil supérieur de la magistrature ?
– « Il ne faut pas être surpris du fait que le Sénat n'ait pas envie de se caler sur la position de l'Assemblée nationale... »
Q - Pourquoi, parce que le Sénat est plus à droite et classique ?
– « Parce que, traditionnellement, le Sénat aime bien dire son mot à lui. Alors, c'est vrai que donc moi, je ne suis pas surprise de cette attitude. Ce qui est vrai, c'est que le texte qui est sorti de la Commission des lois du Sénat était un texte qui aurait permis d'aller vite dans l'adoption de la réforme et que ce texte-là, il a été amendé par un amendement, déposé par un groupe de sénateurs, qui, manifestement, a suscité beaucoup de discussions, beaucoup de tiraillements au sein de la majorité sénatoriale, mais qui finalement a été adopté. C'est un amendement qui est en effet inacceptable – le Premier ministre l'a rappelé hier – par le Gouvernement. Pourquoi ? Parce que c'est une conception différente, cela vise à continuer à considérer les procureurs généraux, les 35 chefs de Cour d'appel, comme des préfets de justice... »
Q - Nommés en Conseil des ministres.
– « Et moi, c'est cela que je veux changer. Je veux que les procureurs généraux soient nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, c'est-à-dire deviennent indépendants du pouvoir politique dans leur carrière. Alors, à partir de ce moment-là, évidemment nous avons un amendement inacceptable sur lequel il faudra revenir, le texte va retourner devant l'Assemblée nationale à l'automne. »
Q - Et cela va prendre combien de temps ? Le Congrès à Versailles pour la révision, ce sera quand, au début de l'année prochaine ?
– « Cela, c'est le Président de la République qui le fixe et c'est vraiment sa prérogative. Mais je pense que le texte qui est sorti du Sénat qui est sorti du Sénat qui, encore une fois, approuve énormément de choses, des propositions... ».
Q - Mais pas l'indépendance des magistrats ?
– « Non, pas de tous. Il approuve la nomination, l'indépendance de tous les procureurs, sauf les procureurs généraux. Il approuve la procédure disciplinaire transférée au Conseil supérieur de la magistrature. Il approuve beaucoup de choses et puis cet amendement de dernière minute... Alors le texte va passer à l'Assemblée nationale à l'automne. Je pense qu'en effet, il est vraisemblable – comme ensuite la session va être très absorbée par le budget – que ce soit plutôt au début de l'année prochaine. Mais cela n'empêche pas que je fasse avancer d'autres textes. »
Q - Mais comment allez-vous débloquer ce texte ?
– « Mais il n'est pas bloqué. C'est la procédure parlementaire ordinaire. J'en profite pour faire avancer d'autres textes, en particulier des textes qui concernent la justice au quotidien, qui est le premier volet de ma réforme et à mes yeux le volet le plus important. J'ai déjà deux textes qui sont passés en première lecture, l'un au Sénat, l'autre à l'Assemblée et qui ont été approuvés et qui améliorent la justice au quotidien, qui accélèrent les procédures pour mieux traiter la petite et moyenne délinquance, qui font qu'on va développer les modes amiables pour le règlement des conflits... »
Q - Le concret pour le justiciable, pour le citoyen... mais vous n'avez pas envie de punir un peu plus les sénateurs, qui bloquent dans certains cas ?
– « Je n'ai pas à punir les sénateurs. C'est une assemblée parlementaire, elle a son opinion. Il y a manifestement au Sénat des sénateurs qui sont favorables à la réforme et qui ont envie, en effet, d'approuver la réforme voulue par le Président de la République et par le Premier ministre. Et puis, il y en a d'autres qui pensent que même si le Président de la République a donné son accord, ils n'ont pas, eux, à approuver cette réforme, dans la majorité sénatoriale. Alors, voilà l'origine des tiraillements. »
Q - L'an dernier, votre budget était bon, avec une augmentation de 4 %. L. Jospin est en train d'arbitrer la répartition des crédits pour 1999, est-ce que le prochain budget justice sera plus ou moins 4 % en 1999 ?
– « Il sera meilleur que celui de l'année dernière. »
Q - C'est-à-dire plus de 4 % ?
– « Il sera meilleur et sur tous les secteurs du ministère. C'est-à-dire aussi bien les services judiciaires, c'est-à-dire le fonctionnement des tribunaux, que l'administration pénitentiaire ou la protection judiciaire de la jeunesse, qui est chargée de lutter contre la délinquance des jeunes et de protéger les jeunes en danger. »
Q - Vous avez crée les procureurs du Mondial, qui sont en train de juger sur place et vite. Face aux hooligans, cela marche. Est-ce que cette méthode est transposable à d'autres secteurs ?
– « Non seulement elle est transposable, mais j'estime que c'est exemplaire de la réforme de la justice. Qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai réuni les procureurs, je leur ai dit : voilà les directives générales que le Gouvernement vous donne, après, c'est votre responsabilité de prendre les décisions individuelles. Ils ont été extraordinairement efficaces, vous l'avez vu. Nous avons là les deux caractéristiques principales de ma réforme : l'indépendance des procureurs, mais dans le cadre de directives générales données par le Gouvernement et deuxièmement, la transparence. Je publie tous les jours les chiffres à la fois des interpellations et des mesures qui sont prises par la justice, et d'autre part, j'ai informé le Parlement de cette instruction que j'ai envoyée début mars aux procureurs. »
Q - A quoi vous pourriez l'appliquer encore ?
– « Nous l'avons déjà appliquée au conflit des routiers, aux agressions commises par certains agriculteurs contre des camions espagnols ou italiens, et nous appliquerons cela chaque fois que nous avons des difficultés. Instruction générale : c'est exemplaire de la nouvelle politique pénale du Gouvernement. Le Gouvernement a à dire les résultats qu'il souhaite, les orientations générales, ensuite c'est la responsabilité des magistrats que de prendre des décisions individuelles. »
Q - H. Clinton vient de confier qu'elle espère l'élection d'une femme comme Présidente des Etats-Unis au 21e siècle. En France, cela sera au 22e siècle ?
– « Cela pourrait bien se produire avant. »
Q - Vous êtes candidate ?
– « Non, non. Mais je pense qu'on verra cela. »