Texte intégral
Q - L'opposition a vécu un été tumultueux. Les relations avec le Front national reviennent au coeur des débats, après l'adhésion de Jacques Blanc au groupe Démocratie libérale. Comment, dans ces conditions, l'intergroupe parlementaire RPR-UDF-DL va-t-il pouvoir fonctionner à la rentrée parlementaire ?
Jean-Louis Debré. - L'intergroupe existe. Nous nous rencontrons régulièrement, entre présidents de groupes de l'opposition. Les députés RPR, UDF, DL se réuniront le 30 septembre prochain pour harmoniser leurs critiques et faire des suggestion à propos du budget et des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale. L'important, c'est d'abord de nous mettre d'accord sur un discours politique et sur des propositions de réforme. C'est pourquoi nous allons organiser prochainement les « mardis de l'opposition » autour d'un thème précis. Ce qui manque à l'opposition, c'est d'abord un discours, en fonction de l'analyse de la situation et de ce que nous croyons bon pour notre pays. Et c'est autour de propositions communes que l'opposition se rassemblera.
Ne faisons pas du bricolage. Ne créons pas des structures qui seraient éphémères, ou qui ne reposeraient pas sur une adhésion à un message politique. Commençons par approfondir nos convergences et élaborons des propositions concrètes. Avec Philippe Douste-Blazy et José Rossi, nous allons également nous concerter pour mieux harmoniser nos questions d'actualité et déposer des propositions conjointes.
Q - Approuvez-vous les propos de Patrick Devedjian, membre de votre groupe, lorsqu'il réclame l'interdiction pure et simple du FN ?
Jean-Louis Debré. - Vous connaissez notre position à l'égard des extrémistes. Ce qui m'importe, c'est de parler de notre action. La France a besoin de réformes, de mouvement, d'audace, de modernisation. Déterminons-nous en fonction de ce que nous voulons pour la France. Que celles et ceux qui ont le sentiment que nos propositions sont bonnes nous rejoignent. Cessons de nous déterminer en fonction du FN.
Je ne reviendrai pas sur les petites phrases des uns et des autres ces dernières semaines. Je préférerais qu'on parle des divisions de la majorité, qui sont réelles, plutôt que de celles de l'opposition. Laissons au bord du chemin ceux qui passent plus de temps à se dénigrer et à se déchirer qu'à rassembler leur camp autour d'un combat pour des idées.
Q Le 14 juillet dernier, le Président de la République Jacques Chirac a passé plus de temps à morigéner l'opposition qu'à évoquer la politique du gouvernement. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Louis Debré. - Le Président de la République a sa vision de l'avenir de la France. Il a été sévère envers celles et ceux qui étaient immobiles et semaient l'illusion. Il doit être l'instigateur des réformes et fustiger ceux qui s'y opposent.
Q Jacques Chirac sera-t-il candidat naturel de la droite RPR-UDF à la prochaine élection présidentielle ?
Jean-Louis Debré. - La question est prématurée. Il est vrai qu'il est aujourd'hui le seul qui puisse rassembler les Français qui n'acceptent pas, n'approuvent pas ou sont déçus par la politique de la gauche. Je suis persuadé que le débat ouvert par Jacques Chirac lors de l'élection présidentielle n'est pas clos. Le vrai clivage entre les Français est entre ceux qui croient que la nation française a encore un avenir et ceux qui militent ou se résignent à sa dilution dans un ensemble européen. Il oppose ceux qui prônent la fin de l'État ou son recroquevillement, et ceux qui estiment que le libéralisme, la globalisation de l'économie, la décentralisation imposent certes une évolution de l'État, non sa disparition.
Q - Et quand le chef de l'État demande à l'opposition de ne pas s'opposer à certains projets qu'il soutient lui-même…
Jean-Louis Debré. - Je n'aime pas l'opposition systématique. L'opposition agit en fonction de sa réflexion. Son rôle est double. Elle doit élaborer un discours politique, faire des propositions, et critiquer ce qui est contestable dans la politique du gouvernement actuel. C'est ainsi qu'elle rassemblera les Français.
Q - Les relations entre le Président Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin semblent moins tendues que du temps de François Mitterrand et d'Édouard Balladur. Pourquoi ?
Jean-Louis Debré. - Chaque homme a sa personnalité. François Mitterrand était un florentin machiavélique. Jacques Chirac a pour souci l'avenir de la France, et non pas les calculs politiciens. En période de cohabitation, il y a deux conceptions du rôle et de la place du chef de l'État : celle qui consiste à faire en sorte que ça ne marche pas, en menant une guerre quotidienne contre le gouvernement. Au détriment de qui ? De la France et des Français. C'était l'attitude de François Mitterrand. A l'inverse, Jacques Chirac souhaite, sans renoncer à ses idées, que le gouvernement puisse conduire sa politique. Il fait connaître sa position lorsque telle mesure lui semble mauvaise, mais il ne veut pas que la France pâtisse de la cohabitation. Son objectif, c'est l'intérêt de la nation. Le seul souci de François Mitterrand, c'était l'intérêt du parti socialiste !
Q - Dans les propositions d'Édouard Balladur, figure un accroissement des pouvoirs présidentiels ? Y êtes-vous favorable ?
Jean-Louis Debré. - N'ouvrons pas constamment les débats institutionnels. La Constitution de la Ve République est suffisamment souple pour s'adapter à toute situation. En période de cohabitation, on peut faire une lecture « parlementaire » de la Constitution. Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, et le président à un rôle d'arbitre tout à fait essentiel. Lorsqu'il y a concordance entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, on peut alors faire une lecture « présidentielle » de la Constitution : c'est le président qui détermine la politique de la nation, et le gouvernement qui la conduit.
Je ne crois pas qu'il faille modifier nos institutions. Nous devons mobiliser les Français sur d'autres sujets : les retraites, le chômage de longue durée, l'exclusion…
Q - Considérerez-vous, à l'instar d'Édouard Balladur notamment, que le gouvernement est « immobile » ?
Jean-Louis Debré. - Nous devons profiter de cette session parlementaire pour montrer qu'aujourd'hui, il faut engager les réformes de structures, dans le domaine des finances publiques, de la protection sociale, des retraites… Ces réformes sont indispensables à la modernisation de notre pays. Or, le gouvernement est immobile. C'est le mot qui caractérise le mieux l'action de ce gouvernement. Il joue sur l'apparence et sème l'illusion. Il ne prépare pas l'avenir. Rassemblons-nous autour d'un certain nombre de réformes de structures que le gouvernement ne fait pas. Disons aux Français les dangers qui les attendent : la politique de réduction des déficits est en panne. Le gouvernement prend du retard, continue à accroître la dépense publique, et ne suit pas la politique nécessaire au redressement de la France, alors que la conjoncture peut se retourner. Les crises asiatique et russe auront des conséquences sur notre économie. Nous n'avons plus le temps d'attendre, comme en témoigne le rapprochement des Bourses de Londres et de Francfort.
Le Premier ministre a expliqué, dans son discours de La Rochelle : « Il n'y aura ni pause, ni accélération, ni recentrage politique, ni dérive. Le cap sera maintenu. » On passe du « ni-ni » au double « ni-ni ». Cette politique, ou plutôt cette absence de politique, n'est pas le résultat d'une vision de l'avenir de la France. Elle est la conséquence d'un marchandage entre les partis de la gauche « plurielle » si, dont l'unité n'est qu'apparente. On est revenu à la fin de la IVe République, où ceux qui gouvernaient n'étaient obsédés que par une chose : se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir.
Q Lors de l'Université d'été de Force démocrate à La Grande-Motte, le week-end dernier, Bernard Bosson a souhaité que l'UDF constitue sa propre liste aux élections européennes, laissant entendre que Philippe Séguin n'était pas le mieux placé pour conduire une liste unique de l'opposition…
Jean-Louis Debré. - J'avoue avoir beaucoup de mal à trouver des circonstances atténuantes aux membres de l'opposition qui passent plus de temps à dénigrer leurs amis politiques et à se déchirer en public qu'à reconstruire l'opposition. Je condamne tous ces responsables qui ne peuvent pas s'empêcher, parce qu'il y a une caméra ou un micro, de dire du mal de leurs amis politiques. Le spectacle qu'ils donnent est d'une médiocrité qui n'a d'égal que le tort qu'ils causent à leur propre camp. La politique n'est pas un combat contre des hommes, mais pour des idées.
Je souhaite pour ma part qu'il y ait une liste unique de l'opposition. On ne peut pas vouloir l'unité de l'opposition, militer pour un intergroupe parlementaire et, dès qu'il y a une consultation électorale en vue, constituer des listes séparées.
Mais il est vrai que nous devons nous interroger sur l'Europe que nous voulons. Il nous importe, nous gaullistes, que l'Europe soit une ambition française, qu'elle devienne une Europe des nations, et non pas l'Europe des technocrates, une Europe qui cherche à aseptiser nos différences mais qui à l'inverse s'enrichisse de la diversité des États. Rassemblons-nous, réfléchissons ensemble, et élaborons un projet pour l'Europe.
Q - Etes-vous, comme Français Bayrou, un « europtimiste » ?
Jean-Louis Debré. – Je suis fier d'être français et heureux d'être européen.
Q - Comment allez-vous concilier, au sein du groupe RPR, les positions des pro-européens avec celles des eurosceptiques ?
Jean-Louis Debré. - Les eurosceptiques ne sont pas forcément des anti-européens. Il ne faut pas être des européens béats. Toute construction politique nécessite, non pas de l'angélisme, mais de la vigilance. L'Europe est une nécessité et une réalité. La France n'aurait pas pu seule mener à bien les grands projets que sont le TGV, Airbus ou le tunnel sous la Manche. Faisons en sorte que la réalité européenne ne se transforme pas en un rêve éphémère.
Q - Philippe Séguin est-il le mieux placé pour mener une liste unique de l'opposition aux élections européennes ?
Jean-Louis Debré. - Je ne pose pas la question en ces termes. Demandons-nous quelle doit être notre ambition européenne. Ensuite, choisissons les hommes susceptibles de la défendre avec le plus d'efficacité.
Q - Philippe de Villiers sort la semaine prochaine un livre sur la « machination d'Amsterdam ». Le président du MPF souhaite conduire une liste avec Charles Pasqua. Ne serait-ce pas un coup de canif dans le contrat d'union de l'opposition ?
Jean-Louis Debré. - Je n'ai pas le sentiment que Philippe de Villiers ait fait partie hier de la majorité et aujourd'hui de l'opposition. Il est ailleurs, et il est négatif. Il incarne pour moi la France immobile, le retour au passé. Quant à une liste avec Charles Pasqua, c'est le problème du sénateur des Hauts-de-Seine, et pas le mien…
Q - Que pensez-vous du Pacte civil de solidarité (Pacs) dont l'Assemblée va débattre le 9 octobre ?
Jean-Louis Debré. - Chacun est libre de conduire sa vie comme il l'entend. Le droit à une vie privée est une liberté fondamentale. Officiellement, cette proposition socialiste vise à octroyer des droits fiscaux et sociaux à des couples non mariés. Dans ce cas, pas besoin d'une loi particulière. Il suffit d'introduire des dispositions fiscales dans la loi de finances. En réalité, le véritable but des auteurs du texte est de légaliser l'union des couples homosexuels. On nous dit : « Il faut donner un statut juridique à l'union libre ». Mais c'est aller à l'encontre du principe même de l'union libre, qui ne repose pas sur des règles contraignantes. Georges Brassens proclamait : « Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin ». Le but avoué n'est donc pas la vraie finalité du texte. Le gouvernement porte atteinte à l'institution du mariage civil et à la famille. Certes, il chante victoire en annonçant qu'il n'y aura pas de déclaration à la mairie mais au greffe du tribunal. Ce n'est pas le problème !
J'ajoute que le gouvernement a annoncé, pour 1999, une réforme du droit de la famille. Alors pourquoi se précipiter dans l'élaboration d'un statut de l'union libre ? Pourquoi ne pas attendre le grand débat sur la famille pour évoquer cette question ? En réalité, on nous prépare un coup à deux détentes : dans un premier temps, on fait reconnaître par la société la réalité juridique des couples d'un même sexe, et dans un second temps, on officialisera le mariage homosexuel.
Je proposerai au groupe RPR de voter contre ce texte.
Q - L'ancien ministre de l'Intérieur que vous êtes va-t-il poursuivre ses attaques contre la politique de lutte contre l'immigration illégale conduite par le gouvernement ?
Jean-Louis Debré. - De loi en circulaires, de recours gracieux en réexamens bienveillants et en instructions favorables, le gouvernement, sous l'impulsion de Lionel Jospin, a renoncé à toute politique de lutte contre l'immigration illégale. Ce qui compte pour Lionel Jospin, c'est l'apparence. En réalité, la fermeté n'est que verbale, car le Premier ministre est incapable d'en faire preuve. Prenez les chiffres : en 1997, sur 40 000 décisions d'éloignement du territoire, seules un peu plus de 9 000 ont été exécutées. Et sur les 140 000 dossiers de régulation déposés dans les préfectures, de reculade en reculade, 80 % des demandes de régularisation d'immigrés clandestins ont été accordées. C'est dire que le gouvernement est incapable the faire respecter les décisions de justice et la loi républicaine.
Q - Quel jugement portez-vous sur le projet de loi de finances ?
Jean-Louis Debré. - Trois mots résument à mon avis, le budget préparé par le gouvernement : laxisme, gaspillage et irresponsabilité. Laxisme, parce que le gouvernement ne profite pas de la conjoncture exceptionnelle dont nous bénéficions pour réduire vraiment les déficits et diminuer notre endettement. Gaspillage, parce qu'il aurait été préférable de baisser fortement les impôts plutôt que de laisser filer les dépenses. Irresponsabilité, parce que ce budget fait entrer la France à reculons dans l'euro. Au total, le budget de M. Jospin apparaît pour ce qu'il est : le résultat d'un marchandage entre les partis de sa majorité. Il ne peut conduire qu'à l'immobilisme. Tel n'est-il d'ailleurs pas le but de Lionel Jospin ? Privilégier son ambition personnelle par rapport aux intérêts des Français.