Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Je vous remercie d'avoir répondu nombreux à mon invitation.
Je suis très heureux de vous retrouver en ce tout début d'année et d'avoir ainsi la possibilité de vous souhaiter, le plus loin possible de la solennité de ces lieux, une très belle année 1994, en espérant qu'elle exaucera sur le plan personnel vos vœux les plus chers et les plus secrets, et qu'elle vous apportera, sur le plan professionnel, de nombreuses satisfactions, en vous permettant de multiplier les analyses pertinentes, les scoops en « béton », les interviews qui font du bruit et les dossiers qui feront date.
Les neufs mois écoulés pour ce que j'ai pu en vivre, et parfois en subir, m'ont prouvé que vous ne manquiez ni d'initiative ni de ténacité.
Dans les bonnes résolutions que je me suis faite à moi-même dans les derniers jours de décembre, alors que le secteur de la communication sortait presque miraculeusement de l'œil du cyclone et que les vents se faisaient moins violents, il y a au moins une chose que je ne me suis pas promis : celle d'une année paisible.
Cela ne se peut pas car le secteur d'activités que vous avez la charge d'expliquer à vos lecteurs, à vos auditeurs et à vos téléspectateurs, est un de ceux dans lequel il y a le plus d'espace pour les passions, les instituions, les gourmandises, les pronostics et les coups de gueule.
Cela ne se peut pas car les résolutions technologiques et culturelles maintes fois décrites, avec leurs scénarios les plus fous ou les plus prudents, sont cette fois-ci à notre porte et qu'elles vont entrer en force dans la vie des pays, dans la vie des entreprises, dans la vie des citoyens et dans la vie, tout court.
À bien des égards, je formule pour ma part le vœu que l'année 1994 soit, dans cette perspective, celle de l'Europe.
Parce que le principal espace à conquérir et à organiser est inévitablement là, alors qu'au niveau mondial une économie fondée sur le savoir et l'échange généralisé des informations et des connaissances est en train de chercher ses marques.
Les négociations du cycle de l'Uruguay auront, de ce point de vue, accéléré la prise de conscience.
Je veux dire la nôtre, celle des pouvoirs publics, celle des professions concernées que la défense de l'exception culturelle a su trouver unanimement mobilisées autour du Premier ministre et du gouvernement, et avec votre aide, celle d'une opinion qui, si elle n'en maîtrise pas encore correctement tous les enjeux, a cependant l'intuition que les nouvelles technologies de l'image, du son et des données, mettront bel et bien, et très vite, du désordre dans les habitudes de consommation et les modes de communication.
Les négociations du GATT, ce n'était pas seulement une épreuve de vérité – une de plus – pour la solidarité européenne.
L'audiovisuel dans le GATT, ce n'était pas seulement, comme certains ont pu l'avancer, « l'âme et les larmes » tactiques du bras de fer marchant entre l'Europe et les Etats-Unis. Ce n'était même pas seulement l'inquiétante constatation d'un déséquilibre grandissant de la balance des échanges de programmes audiovisuels entre l'Europe et les États-Unis, 1 milliards de francs pour la seule année écoulée.
C'était, et cela reste, la mise à nu d'une évidence, celle de la remise en cause programmée des équilibres économiques actuels, avec l'arrivée du numérique, le développement du câble et du satellite et une bataille mondiale qui impliquera à la fois l'univers des cultures, des identités nationales, des flux d'échanges internationaux, des transferts massifs de technologies et, en fin de compte, des modes de vie
Dans 3 ans, lorsque la prolifération des réseaux de diffusion, combinée à l'écrasement des coûts de transmission, à la compatibilité générale des outils et à l'interactivité des services, aura défini de nouveaux modes de consommation télévisuelle et électronique, on reparlera sûrement de l'exclusion culturelle obtenue fin 1993.
Mais on en reparlera comme d'un succès si et seulement si, d'ici à là, toutes les conditions auront pu être réunies pour que la France et l'Europe deviennent des acteurs importants de ce marché, et pas seulement des consommateurs passifs.
Et pour que ces évolutions jouent en faveur du téléspectateur au travers d'un enrichissement des choix qui lui seront proposés.
C'est pourquoi je fixe à l'action du ministère de la Communication 4 objectifs pour 1994 :
En premier lieu, une participation décisive de la France dans la mise en place d'une politique européenne de l'audiovisuel.
La France, comme ce fut le cas pendant la discussion du GATT, va avoir un rôle moteur à jouer pour orienter la réflexion européenne, en matière de réglementation des nouveaux moyens de diffusion et de renforcement des secteurs de la distribution et de la production.
Projet de création d'une Agence européenne pour la Communication, mise ne place du Conseil européen des ministres de l'Audiovisuel, rédaction du Livre vert de l'audiovisuel européen, préparation et tenue des secondes Assises européennes de l'audiovisuel en avril, rédaction d'une nouvelle directive au second semestre, sont autant d'étapes auxquelles nous ferons en sorte que notre pays soit étroitement associé et puisse faire valoir en permanence et fortement ses positions auprès des instances communautaires.
C'est ainsi que je remettrai au Commissaire Pinheiro une contribution française pour le Livre vert dès les premiers jours de février, détaillant en particulier nos souhaits d'orientation pour la future directive, et je me rendrai en Grèce à la même période pour assurer Madame Mélina Mercouri du soutien de la France en vue de l'organisation de la première réunion du Conseil européen des ministres de l'audiovisuel.
En second lieu, l'affirmation d'une politique volontaire en faveur de la relance et du développement du câble.
La stratégie des groupes extra-européens de communication, visant à étendre la diffusion par satellite de chaînes de films en clair et financées uniquement par la publicité ainsi que la perspective de cohabitation « câble-téléphone », – même si elle n'est pas tout à fait pour demain –, donne à ce second objectif un caractère de priorité nationale.
Comme je l'ai indiqué en décembre au Parlement, la conclusion des discussions entre l'équipe dirigeante de Canal Plus et le gouvernement quant à l'aide que la chaîne cryptée apportera au développement du câble est un préalable à la mise en œuvre de mesures législatives visant à compléter de manière adéquate la dynamique industrielle qui est en train de se mettre en place, dans la foulée notamment de la redistribution des actifs de la Caisse des Dépôts.
À ce sujet, connaissant votre intérêt pour le devenir de ces réseaux qui représentent tout de même 25 % du parc des prises français, et qui est donc un élément très important de l'organisation économique du secteur, je vous confirme que plusieurs propositions ont été faites au gouvernement par deux des opérateurs actuels.
Le Premier ministre et le gouvernement les examinent actuellement.
Soyez-en certain : nous sommes soucieux de préserver les équilibres entre les différents opérateurs du câble en particulier, et les différents acteurs de l'audiovisuel en général, qu'ils soient publics ou privés et il est donc hors de question de chercher à marginaliser tel ou tel.
En tout état de cause, je souhaite que le ou les repreneurs s'engagent clairement à réinvestir dans la construction de nouveaux réseaux.
Il nous faut viser l'objectif d'un doublement du parc dans les cinq ans qui viennent, afin d'atteindre 12 à 13 millions de prises, ce qui n'est pas un projet déraisonnable lorsque l'on sait que ce chiffre correspond au nombre de foyers raccordés en Allemagne !
Mais je vous disais à l'instant que l'issue de la négociation avec Canal Plus conditionne l'examen de mesures législatives.
L'objet de la négociation consiste à étudier comment le savoir-faire de Canal Plus en manière d'actions marketing peut contribuer à une augmentation sensible et rapide du taux d'abonnement aux services payants du câble.
Partenaire du câble, la chaîne cryptée l'est déjà. Peut-elle demain devenir le produit d'appel du câble, comme HBO aux États-Unis qui permit le décollage de la télévision par câble dès la fin des années 70 ? Pourquoi pas.
Mais nous sommes là dans le pur domaine contractuel.
Canal Plus est une chance pour le câble comme le câble est une chance pour Canal Plus au moment où, comme je le rappelais à l'instant, de nombreuses chaînes de films américains doublés et ne respectant pas la directive Télévision sans Frontière sont sur le point d'être diffusées par satellite sur le territoire européen.
Les dirigeants de ces chaînes américaines ne se cachent d'ailleurs absolument pas que, dans la stratégie pan-européenne qui est la leur, les pays faiblement câblés et en particulier la France sont des proies idéales.
Pour ce qui concerne les mesures législatives d'accompagnement actuellement à l'étude, la plus grande urgence réside dans l'augmentation du taux de raccordement aux réseaux existants, grâce à une généralisation voire à une systématisation, sur tous les réseaux français, de la distribution d'un bouquet minimum et au raccordement physique de tous les immeubles collectifs au réseau câblé urbain, avec un cadre juridique mis à la disposition des communes et une politique fiscale incitative.
Je n'oublie pas non plus qu'à la suite des avis tous récents du Conseil d'État et de la Commission européenne, un nouveau décret câble va voir le jour dans les toutes prochaines semaines, visant à un assouplissement de la réglementation applicable aux chaînes câblées, en particulier celles consacrées au cinéma.
Troisième objectif que je fixe à l'action ministérielle en 1994, le développement d'une véritable industrie compétitive des programmes audiovisuels.
L'objectif commun au gouvernement, aux diffuseurs et aux producteurs devrait être de rééquilibre, sous 5 ans, la balance des échanges de programmes audiovisuels, actuellement, comme je viens de le rappeler à l'instant, déficitaire de 1 milliard de francs par an.
Se préparer à la multiplication prochaine dès 1995, des capacités de diffusion et ne pas laisser les producteurs américains seuls fournisseurs des futurs services audiovisuels, nécessite la mise en œuvre de trois séries de mesures :
1. L'optimisation des aides financières, fiscales et sociales de l'État, notamment en modernisant la gestion du compte de soutien, en mettant en place des incitations aux investissements et en consolidant le statut des personnels de la production.
2. La simplification de la réglementation concernant les obligations de production, afin de rendre effectif le principe d'autonomie des producteurs par rapport aux diffuseurs, et d'adapter, grâce à des coproductions, les productions françaises aux réalités du marché européen.
3. L'accroissement des débouchés commerciaux des productions françaises, sur le marché français, grâce à des objectifs ambitieux donnés aux chaînes publiques, tant en termes quantitatif (volumes d'investissement) que qualitatif (création de fictions de deuxième partie de soirée et de nouveaux produits tels que les jeux scénarisés et les émissions jeunesse), et à l'exportation grâce à la création d'un organisme de promotion, des incitations financières ou fiscales à l'action commerciale et à la constitution de catalogues de droits.
J'avais annoncé avant la discussion de la loi au Parlement et je m'y suis à nouveau engagé devant la représentation nationale, la mise en œuvre d'une concertation avec les producteurs afin de préciser ces différentes mesures. J'y associerai également les diffuseurs. Il ne peut s'agir en effet d'élaborer des mesures anti-diffuseurs, mais au contraire d'aider à mettre sur pied une production audiovisuelle indépendante et forte, en relation avec des diffuseurs puissants.
Les réunions de concertation devraient commencer dans le courant du mois de février. Je formule le vœu d'une approche réaliste de part et d'autre pour permettre au gouvernement d'asseoir de façon durable la production française et son inséparable diffusion.
Quatrième objectif enfin, le maintien et le renforcement d'un service public fort dans une offre de plus en plus concurrentielle :
Nous reparlerons d'ici un mois des nouveaux cahiers des missions de France 2 et de France 3. Plus ramassés et plus précis, ils constitueront la charte de la télévision publique pour les trois années à venir.
Ils seront complétés par des contrats d'objectifs fixant, en termes quantitatifs, la contribution attendue du secteur public à une création audiovisuelle de qualité.
Le nouveau Président de France télévision sait également qu'il pourra compter sur l'entier soutien du gouvernement pour mettre en œuvre une stratégie de développement et de diversification du pôle de télévision publique.
Avant l'été, sera également présentée la nouvelle chaîne du savoir, de la formation et de l'emploi, une fois arrêtés son organisation, son financement et sa grille de programmes en vue d'une ouverture de son antenne au dernier trimestre 1994.
L'expérience de la diffusion du 28 mars au 17 avril d'émissions de télévision pour l'emploi devra être mise à profit pour le traitement audiovisuel des questions relatives à l'emploi dans la nouvelle chaîne. En compagnie de Michel Giraud, je reçois d'ailleurs demain matin le comité de sélection présidé par Jean Boissonnat et mis en place pour juger de la qualité des projets d'émissions réceptionnés jusqu'à vendredi dernier.
La nouvelle chaîne du savoir, de la formation et de l'emploi constitue un premier pas vers la télévision du futur telle que nous pouvons la deviner : une télévision qui fera une plus large place aux services, à la proximité et à l'interactivité : une télévision qui générera, également, une évolution de l'industrie des programmes vers la diffusion des connaissances, un des éléments moteurs de l'expansion économique de la fin du siècle.
Vous penserez sans doute que ces quatre objectifs sont ambitieux, trop ambitieux.
Mais si nous nous étions retrouvés au début de l'année 93, et que je vous avais assuré de la volonté du gouvernement de mettre en œuvre un plan de modernisation de la fabrication et de la distribution de la presse, de défendre dans les négociations du GATT l'exception culturelle contre les projets anglo-saxons de libéralisation et de démantèlement des garanties nationales, de mener à bien en moins d'une année la privatisation de RMC annoncée depuis 1986, de faire adopter un nouveau projet de loi sur l'audiovisuel dans une session parlementaire très chargée, et de lancer une nouvelle télévision publique sur le 5ème réseau, qu'auriez-vous pensé, qu'auriez-vous dit, qu'en auriez-vous conclu ?
Je vous souhaite à tous une excellente année.