Interviews de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, à France-Inter le 15 septembre 1998 et France 2 le 23, sur le projet de réforme de l'assiette des cotisations patronales, les mesures de maîtrise des dépenses de santé, le financement de la Sécurité sociale et le projet de loi de finances pour 1999.

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Média : France Inter

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France Inter : mardi 15 septembre 1998

Q - Où se situera le bon réglage de carburation, s'agissant de la réforme des cotisations patronales sur les salaires ? Le projet de loi de finances 1999 fait le pari de l'entreprise et des investissements porteurs d'emplois à venir, disait ici, la semaine dernière, le ministre de l'Économie et des Finances, D. Strauss-Kahn. Le président du patronat français, E.A. Seillière, dit attendre avec impatience l'ouverture du dialogue avec les partenaires sociaux et le Gouvernement sur le principe de la baisse des charges sur les bas salaires, mais, d'avance, récuse toute compensation, qui consisterait à alourdir les charges sur les hauts salaires. La CGT, très critique à propos du budget 1999, vient de proposer un système qui, selon elle, permettrait d'investir dans l'emploi et les salaires.

C'est la réponse de la CGT au budget 1999, votre proposition ?

– « Non, non. Pour une raison très simple, c'est que ce sont des propositions sur lesquelles nous ferraillons depuis déjà de très nombreux mois. À l'évidence, il faut une réforme de l'assiette des cotisations. Le financement de la Sécurité sociale est aujourd'hui frappé de trois handicaps très sérieux. D'abord, le chômage ; ensuite une pression sur les salaires, qui pèse sur le niveau des cotisations et enfin, un développement extraordinaire de la précarité, des emplois à temps partiel, qui ampute, là encore, le financement de la protection sociale. Donc, à l'évidence, il faut une réforme et il faut que cette réforme, d'une part, permette d'aller vers un rééquilibrage entre ce qu'apportent, au financement de la protection sociale, les entreprises fortement utilisatrices de mains-d'oeuvre et celles qui ont cassé l'emploi pour des raisons de profits, et qui doivent participer d'une façon beaucoup plus forte. C'est la raison pour laquelle nous proposons de faire intervenir la valeur ajoutée. Et celles des entreprises, qui accumulent beaucoup de valeur ajoutée en mettant les gens à la porte, doivent être pénalisées. »

Q - Vous dites : on pénalise le profit et on essaye de favoriser l'emploi ?

– « On pénalise surtout la façon dont certaines entreprises accumulent un surprofit. »

Q - Quand vous dites que vous allez mettre en place un taux différencié, qui aurait pour objet de rétablit l'équilibre, qu'est-ce que cela veut dire ? Comment se développe ce taux différencié ?

– « Il est bien évident que si on fait intervenir la valeur ajoutée, dans la mesure où vous avez des différences très fortes entre les entreprises dans le rapport masse salariale-valeur ajoutée, forcément, objectivement, le taux sera différencié. Ce que je veux dire, en plus, c'est que le Gouvernement a, depuis de nombreuses années, fait un amalgame entre financement de la protection sociale et puis mesures d'allègement des charges au titre de l'emploi. Le constat que nous faisons, c'est que les mesures d'allègement de charges qui ont été prises par les gouvernements Balladur et Juppé, non seulement n'ont pas prouvé leur efficacité sur l'emploi, mais, aujourd'hui, jouent le rôle d'une véritable trappe à bas salaires. Je ne prends qu'un seul exemple. Lorsque les mesures Balladur d'exonération de charges, jusqu'à 1,3 fois le SMIC, ont été mises en place, cela concernait un salarié sur trois. Aujourd'hui, quatre ans après, deux salariés sur trois se retrouvent dans cette zone, ce qui veut dire qu'en définitive, ce processus tire les salaires vers le bas. Et cela, il faut y mettre un terme. »

Q - La question de la baisse des charges sur les bas salaires est ouverte désormais. Il y a une discussion qui va s'ouvrir sur ce thème-là. Qu'est-ce que vous allez dire à E.A. Seillière qui vous dit : pourquoi pas, parlons-en de cela, à condition, toutefois, que vous ne fassiez pas de compensation sur les hauts salaires ?

– « Nous ne sommes pas partisans de l'allègement des charges sur les bas salaires, parce que la preuve reste à faire qu'il a des incidences positives sur l'emploi. Mais nous sommes encore moins partisans de mesures d'allègement sur les bas salaires compensés par des mesures pénalisantes pour les hauts salaires, parce qu'alors, cela, c'est porter un coup à la reconnaissance des qualifications, au travail qualifié. Cela contribue également à tirer les salaires vers le bas. Je pense qu'il y a vraiment d'autres mesures, maintenant, à prendre. C'est d'autant plus important qu'en définitive, on voit bien arriver les menaces par les grandes compagnies d'assurance, qui lorgnent sur la protection sociale. La meilleure façon… »

Q - Vous croyez à un risque de privatisation de la protection sociale ?

– « Je crois surtout à leurs intentions. Le vouloir, c'est une chose. Mais y parvenir, c'est autre chose et nous n'allons pas rester spectateurs dans une telle situation. Ceci étant, la meilleure façon de défendre la protection sociale, c'est de mettre en place une réforme de l'assiette des cotisations qui assure une stabilité dans le financement et permette d'envisager le développement de la protection de la santé, le développement du remboursement des médicaments, sans être en permanence sous le coup des comptes, qui sont un peu plus, un peu moins en déficit. »

Q - Mais que dites-vous finalement, à D. Strauss-Kahn sur le thème de la protection sociale et celui des emplois – puisque les deux choses sont liées, ce sont des éléments qui sont… ?

– « Non, non elles ne sont pas forcément liées. C'est le Gouvernement qui les lie à travers des mesures d'allègement. »

Q - Mais oui, mais quand il vous dit, D. Strauss-Kahn : après tous, nous, on fait le pari de l'entreprise et de l'investissement, parce que c'est cela qui va créer des emplois et c'est cela qui fera tourner la machine. Que lui répondez-vous là-dessus ?

– « Mais qu'est-ce que cela veut dire : le pari de l'investissement ? Moi, je ne connais pas de gouvernement qui ait la possibilité de prendre des mesures coercitives pour obliger les entreprises à investir. Ce que je constate, c'est qu'aujourd'hui la majorité des entreprises – et en particulier, tous les grands groupes – ont des capacités d'autofinancement à un niveau qu'elles n'ont encore jamais connu. Et le résultat, c'est que l'essentiel s'en va dans la spéculation financière et pas dans des investissements. »

Q - Vous devez être heureux, là, ces jours-ci : il y a même des grands libéraux qui commencent à se poser la question – à travers la crise internationale que nous vivons – la question du libéralisme et de ses limites…

– « Oui, mais ils se posent la question sur les conséquences d'une politique qu'ils ont, non seulement encouragée, mais pratiquée. Ceci étant, ce que je constate, c'est qu'en définitive, depuis un certain nombre d'années, tous les investissements qui ont été faits dans notre pays, ont été des investissements qui avaient pour objectif essentiel de supprimer des emplois. Et dans la bouche des investisseurs, en général, on dit : cela va nous permettre de gagner des emplois. Eh bien, dans leur bouche, gagner des emplois, cela se traduit par des hommes et des femmes qui sont dans la rue et au chômage. »

Q - Mais cela va un peu mieux là, sur le front de l'emploi ? Vous avez vu les derniers chiffres publiés : cela s'améliore un petit peu, lentement, mais un peu quand même.

– « Vous savez, lorsqu'on est dans une situation aussi sérieuse que la nôtre il ne faut pas rester à un regard superficiel. C'est vrai que les statistiques de l'emploi donnent le sentiment qu'il y a effectivement, une amélioration. Mais que sont les emplois qui ont été créés sur les deux dernières années ? Pour l'essentiel, ce sont des emplois précaires, à temps partiel. C'est-à-dire des emplois dont la rémunération permet à peine à ces salariés de couvrir les besoins essentiels. Ce n'est pas comme cela qu'on va assainir la situation et mettre la France sur les rails du développement – développement de l'activité et développement de l'emploi. »

Q - Vous vous sentez un petit peu seul, aujourd'hui, à être critiqué, notamment sur le budget 1999 ? On a vu au Parti communiste on n'a pas beaucoup tiré sur le budget 1999 !

– « Laissons aux partis la responsabilité qui leur revient. Moi, je réagis en tant que syndicaliste. Et le jugement que nous avons porté sur le budget s'inspire d'une donnée très claire : nous considérons qu'en dépit de toutes les apparences, la situation économique est encore fragile ; que la situation de l'emploi est encore fragile ; et que ce budget, qui s'appuie sur les conséquences du développement de l'activité qu'on a connu à la fin de l'année 1997 et au début de l'année 1998, aurait dû être l'occasion de prendre des mesures, je dirais redistributives, beaucoup plus fortes, pour relancer la consommation, pour donner de l'air, pour relever les minima sociaux, pour faire plus que ce qui a été fait sur le SMIC, de façon à asseoir la croissance sur ce qui constitue sa donnée essentielle : c'est-à-dire la consommation intérieure. Et là, je dois dire que nous ne sommes pas les seuls à considérer cet élément. »


France 2 : mardi 23 septembre 1998

Q - Avec L. Viannet, nous allons évidemment revenir sur la loi de financement de la Sécurité sociale pour commencer. Avec cette sorte de 19e plan Sécu, au fond, qu'a présenté, hier, M. Aubry. Est-ce que vous aussi vous trouvez que ce plan Aubry ressemble furieusement au plan Juppé ?

– « Voilà, il y a deux problèmes dans les pistes sur lesquelles travaillent le Gouvernement. Il y a un certain nombre de mesures immédiates, celles qu'à présentées M. Aubry hier, et puis il y a la perspective de réforme des cotisations sociales patronales qui constitue un élément important du débat. Sur les mesures immédiates : la perspective annoncée de déficit 0 pour la Sécurité sociale repose sur deux choses. Une première qui est une hypothèse que je considère quand même assez optimiste des recettes car personnellement, j'ai quand même des doutes sur le niveau de progression de la masse salariale. Plus toutes les incertitudes liées à la crise financière et à une baisse des activités économiques, pas seulement en France et en Europe, mais y compris dans la plupart des pays industrialisés. »

Q - En gros, vous dites que si les cotisations rentrent spontanément davantage, là tout va bien ?

– « Ce qui me préoccupe le plus, c'est quand même le deuxième volet. C'est-à-dire qu'à côté de cette hypothèse optimiste, il y a le deuxième volet qui, il faut bien l'appeler par son nom, représente une pression sur les dépenses et les dépenses de santé. »

Q - Vous êtes dans le même camp que M. Maffioli qui représente les médecins libéraux et qui dit attention, il faut nous laisser faire ce qu'on veut comme on veut !

– « Moi, je suis vraiment du côté des assurés sociaux et je dis qu'à partir du moment où on a aujourd'hui, hélas, un assuré social sur quatre qui ne peut pas se soigner correctement, qui hésite justement à aller chez le médecin et à prendre des médicaments parce qu'ils n'ont pas assez d'argent pour assurer ces fondements même de la santé, là, il y a des choses qui ne vont pas. »

Q - Si tout le monde peut prendre autant de médicaments qu'il veut sans aucune limite, c'est les cotisations qui augmentent ! Il faut bien que quelqu'un paye à un moment donné !

– « Si véritablement, il y a des gâchis, si véritablement, il y a du laxisme, c'est normal qu'on y regarde de près. Mais parallèlement, il faut créer les conditions pour que la couverture sociale soit améliorée, pour que toutes les perspectives de développement de la prévention par exemple qui est un des éléments qui permet de moins dépenser en thérapeutique soient également développées. Nous sommes là sur un budget conjoncturel mais j'attache beaucoup d'importance aux états généraux de la santé qui doivent permettre de définir, ce que nous n'avons pas dans ce pays, une véritable politique de santé. »

Q - Est-ce que les syndicats n'ont pas intérêt aujourd'hui à soutenir les efforts pour équilibrer les comptes de la Sécu parce qu'on voit bien que c'est cela ou la privatisation ou une forme de privatisation de la sécurité sociale. Est-ce que ce n'est pas le risque ?

– « C'est l'argumentation développée par G. Johanet qui est le nouveau directeur général de la Caisse national d'assurance maladie. Lorsque je parle politique de santé, je parle d'une initiative qui permet par le débat de bien définir les besoins et après on parle financement. Et si on parle financement alors on parle réforme des cotisations sociales patronales. »

Q - Vous n'envisagez pas une privatisation du système de Sécu sous aucune forme ?

– « Sûrement pas ! Non seulement, je ne l'envisage pas mais je dois dire que la CGT, et je peux affirmer qu'elle ne serait pas seule, se dresserait véritablement contre toute perspective de privatisation du système de la protection sociale. C'est la raison pour laquelle nous attachons beaucoup d'importance à la réforme du financement. »

Q - Et aux états généraux de la santé ?

– « Oui ! »

Q - On a compris. Je voudrais que l'on aborde un autre thème qui est celui de la retraite. On voit qu'il y a une sorte de mise en place, si ce n'est des fonds de pension, du moins des fonds de réserve. Est-ce que oui ou non, aujourd'hui il faut réfléchir au système de retraites en France ?

– « Il faut toujours réfléchir au système de retraites. Sur la décision que vient d'annoncer le Gouvernement, moi, je suis comme tout le monde, je l'ai apprise par la presse. »

Q - On ne vous avait pas prévenu ?

– « Le Gouvernement décide de mettre en place un fonds de réserve. Bien. Si on ne veut pas que ce fonds de réserve devienne une sorte d'antichambre pour la mise en place des fonds de pension, alors il faut effectivement réfléchir comment on va le financer, ce que l'on va en faire, qui va le gérer ? Parce que si c'est un fonds de réserve qui doit s'en aller lui aussi sur les marchés financiers et alimenter la spéculation financière, je pense qu'à ce moment-là ce serait la meilleure façon d'inciter à une mise en route des fonds de pension. »

Q - Est-ce que l'évolution démographique aujourd'hui – on voit qu'il y a à peine un actif et un tiers pour un retraité – ne nous oblige pas à avoir un double système, de la répartition et aussi un peu de cagnotte, de capitalisation ?

– « Écoutez, le double système, il existe. Les retraites complémentaires, cela existe. Il y a des éléments très importants qui doivent permettre de répondre aux besoins dans la mesure où effectivement on impulse une dynamique encore beaucoup plus forte sur la politique de l'emploi. Les recettes de protection sociale, elles souffrent de quoi ? Premièrement, du niveau de chômage ; deuxièmement, d'une pression sur les salaires qui est maintenant intolérable et troisièmement, elles souffrent également du développement de la précarité, c'est-à-dire de petits emplois qui induisent des petits salaires et des petites cotisations sociales. Si on ne s'attaque pas à ce fond-là, on continuera de faire de la cavalerie à courir de réforme en réforme. »

Q - Hier A. Bocquet, président du groupe communiste à l'Assemblée, disait et souhaitait que les communistes soient le viagra du Gouvernement. Est-ce que la CGT doit être le viagra du social ?

– « Sûrement pas parce qu'on ne connaît pas les conséquences secondaires. »