Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,
Le Congrès annuel de votre association me donne, pour la deuxième fois, l'occasion de rencontrer l'ensemble des juges et présidents des tribunaux de commerce.
J'avais pu, en effet, assister l'an dernier à votre Congrès de Lyon qui nous avait réuni sur le thème du « Juge et du marchand ». Je me réjouis que, cette année, encore, vos travaux, dont je tiens dès maintenant à saluer la qualité, me permettent de m'exprimer devant vous.
Je voudrais tout d'abord, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, rendre hommage à l'action que la Conférence Générale mène depuis plusieurs années tant auprès des juges consulaires que des pouvoirs publics. Améliorer le fonctionnement de la justice commerciale œuvrer pour la qualité du recrutement des juges, assurer leur formation permanente : telles sont les axes principaux autour desquels votre Conférence organise son activité.
Juges pleinement intégrés à l'ordre judiciaire, juges naturels du commerce et de l'entreprise, vous trouvez, chaque année, dans le cadre de la Conférence Générale l'occasion d'une réflexion commune sur l'évolution du droit et des pratiques commerciales, l'occasion aussi d'un échange sur vos expériences juridictionnelles.
C'est ainsi que vos travaux sont, cette année, consacrés au « Juge unique en matière commerciale ». Ce thème a donné lieu, a l'occasion de chacune de vos conférences régionales, a des études approfondies qui, comme les années précédentes, ont su conjuguer l'étude sur les règles de fond et de procédure avec les enseignements tirés de l'irremplaçable expérience pratique qui est la vôtre.
Vous avez débattu de l'origine, de la légitimité et de la compétence du juge unique dans les cas où la collégialité est écartée. Vous avez ainsi évoqué le juge des requêtes, le juge rapporteur, le juge commissaire et le juge des référés. Devant les tribunaux de commerce, les procédures de référé ont littéralement « explosé » depuis 1980, comme le soulignait le Président Grandjean dans une brillante conférence prononcée en 1993. N'est-ce pas la preuve de la vitalité des juges consulaires qui recherchent par cette voie, une réponse de la justice rapide et appropriée, chaque fois que « l'évidence » permet de trancher une difficulté. Votre Rapporteur général Monsieur Michel Armand-Prévost, vice-président honoraire de ce tribunal va, je le sais, nous donner une parfaite synthèse des possibilités d'actions du juge unique. Cette exceptionnelle qualité de M. Armand-Prévost vient de recevoir sa juste récompense. J'ai le grand plaisir, en effet, d'être en mesure de vous annoncer qu'hier soir le Président de la République a retenu sur proposition du CSM, le principe de la nomination de M. Armand-Prévost à la Cour de Cassation en qualité de conseiller en service extraordinaire pour une durée de 5 ans. La juridiction consulaire est tout entière honorée par cette nomination, la première qui soit intervenue depuis la loi du 25 février 1992 qui a créé cette nouvelle catégorie de conseillers. Je suis heureux, M. le Rapporteur, de vous adresser mes chaleureuses félicitations.
Mais je voudrais saisir l'occasion de cette rencontre pour faire le point avec vous des projets présents et à venir, tant dans le domaine de l'organisation des tribunaux, que dans le domaine du fond du droit.
S'agissant tout d'abord de l'organisation des tribunaux de commerce, je vous ai proposé, il y a quelques mois la constitution d'un groupe de travail réunissant vos représentants, ceux du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et de la Chancellerie.
Ce groupe présidé par M. Jean-François Weber, directeur des services judiciaires, a consacré ses travaux à l'examen des questions qui vous préoccupent aujourd'hui : fonctionnement des secrétariats des présidents, logement des greffes, recueil des données statistiques, amélioration de la carte judiciaire.
La différence de statuts, mais je préfère parler de complémentarité alors même que chacun œuvre pour institution judiciaire, impose aux acteurs de la justice commerciale de définir des conditions de travail harmonieuses propres à garantir l'équilibre de la juridiction.
La recherche de cet équilibre doit dès lors se traduire par une parfaite collaboration, empreinte de confiance réciproque, entre ces deux composantes.
À l'instar des autres juridictions, le rôle du greffier au sein du tribunal de commerce doit être affirmé, afin qu'il soit en mesure d'exercer, sous l'autorité effective du Président, l'ensemble des tâches administratives nécessaires au bon fonctionnement des juridictions commerciales.
En cette matière, leur responsabilité doit être pleine et entière. Le respect de l'équilibre auquel je faisais référence à l'instant ne saurait s'accommoder de l'exercice de ces attributions essentielles par d'autres personnels que ceux du greffe.
Vous avez par ailleurs appelé de vos vœux la création d'un Conseil National des juges des tribunaux de commerce. Cet organisme serait l'émanation de l'ensemble de juges consulaires dont il assurerait la représentation officielle et permanente auprès des pouvoirs publics.
Cette représentation des tribunaux de commerce doit être conforme aux règles d'organisation judiciaire, au regard notamment des responsabilités exercées par les chefs de la cour d'appel sur l'ensemble des juridictions de leur ressort.
Je souhaite, pour ma part, que ce futur organisme puisse être le moyen, par sa force de proposition, de mieux prendre en considération les difficultés rencontrées sur le terrain par les praticiens de la justice commerciale, de favoriser aussi, dans l'avenir, une meilleure connaissance du fonctionnement des juridictions consulaires. Il sera aussi un lieu privilégié de dialogue entre ceux qui sont chargés d'élaborer le droit et ceux auxquels revient la charge de l'appliquer.
La Chancellerie, pour sa part, veille à ce que les juridictions commerciales disposent des moyens que requiert leur bon fonctionnement.
Dans le cadre de cette politique, le récent décret du 12 août 1994 a eu pour objet de doter les tribunaux de commerce des effectifs suffisants, afin de leur permettre d'assurer l'écoulement normal des affaires dont le nombre s'est parfois considérablement accru au cours de ces dernières années.
C'est ainsi que 43 nouveaux emplois de juge consulaire, et 7 chambres supplémentaires ont été créés cette année au sein des tribunaux de commerce dont le niveau d'activité justifiait ces adaptations.
Bénévoles, par l'esprit de l'institution, mais aussi professionnels par l'ampleur des compétences dont ils doivent faire preuve, les juges consulaires constituent l'heureux témoignage d'une participation efficace des citoyens à l'œuvre de justice. Et vous savez combien je suis attaché à ces liens entre la société civile et la justice.
La complexité sans cesse croissante des affaires relevant des juridictions commerciales impose néanmoins aujourd'hui au juge d'acquérir une formation toujours plus poussée, afin d'être en mesure d'apporter, dans les temps les plus brefs possibles, une réponse adaptée.
Je sais que cet impératif de formation constitue l'une de vos préoccupations majeures, et je renouvelle ma satisfaction à la Conférence Générale des Tribunaux de commerce pour les efforts constants qu'elle déploie depuis plusieurs années en ce sens. Je voudrais vous dire à cet égard que le principe d'une subvention du ministère de la Justice à votre centre de formation de Tours est acquis. Je saisis cette occasion pour saluer l'action menée du Président Jacques Bon, en faveur de la formation des juges.
La justice économique doit être rendue par des juges qui doivent avant tout devenir des spécialistes du droit : la crédibilité de l'institution consulaire réside dans sa capacité sans cesse affirmée à répondre à cette double attente des justiciables.
En m'exprimant aujourd'hui devant vous, je ne saurais manquer d'évoquer les évolutions récentes du droit et des procédures que vous avez la charge d'appliquer. L'actualité législative est, a cet égard, particulièrement riche, puisque la loi du 10 juin dernier vient de rénover les mécanismes de prévention et de traitement des difficultés des entreprises mis en place par les lois du 1er mars 1984 et du 25 janvier 1985.
La prévention tout d'abord : elle est la clef de la réforme, car c'est par un renforcement des mécanismes de prévention que l'on pourra faire diminuer le nombre des défaillances d'entreprise.
Le président du tribunal, aura à sa disposition des moyens plus efficaces de détecter les difficultés naissantes de l'entreprise. Il lui appartiendra, à partir notamment des informations détenues au greffe ou par les commissaires aux comptes dans le cadre de la nouvelle procédure d'alerte, de convoquer le chef d'entreprise, d'obtenir les informations complémentaires sur la santé de l'entreprise, de désigner un mandataire ad hoc ou un conciliateur, et pour une durée maximale de quatre mois, la suspension provisoire des poursuites. Le juge de la prévention est ainsi tour à tour analyste, négociateur et décideur.
En matière de redressement ou de liquidation judiciaire, le législateur a traduit dans la loi du 10 juin dernier les aspirations générales à plus de transparences, notamment pour tout ce qui concerne les plans de cession. II s'est efforcé d'améliorer le sort des créanciers, en les associant plus étroitement à la procédure d'une part, en faisant en sorte aussi que le créancier chirographaire, qui est aussi le plus souvent une autre entreprise, ne soit plus l'éternel oublié des procédures collectives.
L'ensemble de la réforme doit, pour entrer en vigueur, être complété de mesures réglementaires d'application. Le décret qui a été préparé à cette fin vient d'être examiné par le Conseil d'État, et devrait donc pouvoir être publié dans les prochains jours au Journal Officiel. Complément indispensable de la loi nouvelle, ce texte apporte des solutions aux difficultés pratiques qui ont été révélées par près de dix années d'application des lois de 1984 et 1985. Il lève aussi des incertitudes qui ont pu donner lieu dans le passé à des contentieux. Ce travail, permettez-moi monsieur le Président de le souligner, n'aurait pas été possible sans le concours de votre Conférence. Ce décret, en effet, a fait l'objet d'une vaste concertation à l'occasion de laquelle vous avez apportée à mes services le fruit de vos réflexions et de votre irremplaçable expérience. Vos avis, vos propositions ont été infiniment précieux, et, comme vous le savez, ont été pris en compte autant qu'il était possible. Qu'il me soit permis, Monsieur le Président, de vous en remercier.
Cet effort de rénovation du droit doit, j'en suis convaincu, être poursuivi dans les autres domaines touchant à la vie de l'entreprise. C'est ainsi que notre loi sur les sociétés doit être adaptée à la réalité économique contemporaine. Certaines questions cruciales, qui sont au cœur des préoccupations des chefs d'entreprise, me semblent devoir être clarifiées : il est ainsi de la responsabilité des dirigeants de société dont les contours gagneraient à être mieux définies. J'ai demandé à mes services de poursuivre la réflexion engagée par le groupe de travail présidé par M. Bézard, Président de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation et qui a été en tous points remarquable.
D'une manière générale, je souhaite que le ministère de la Justice renforce son influence et son action dans l'élaboration du droit économique. La modernité de celui-ci, son adaptation aux besoins contemporains de la vie des affaires sont, j'en suis convaincu, un élément déterminant de la capacité de nos entreprises à se développer. C'est aussi une condition essentielle du dynamisme de l'ensemble des professionnels du droit. À cet égard, des outils juridiques nouveaux doivent être mis à la disposition des opérateurs économiques par le législateur. Tel est, d'ores et déjà, le cas de la société par actions simplifiée, structure directement adaptée aux besoins de la coopération entre grandes entreprises. Tel pourrait aussi être le cas de la fiducie, dont l'introduction prochaine dans notre Code civil donnerait lieu, sans nul doute, à de multiples applications dans le domaine des relations entre l'entreprise et ses partenaires.
Votre apport à la modernisation du droit commercial sera, j'en suis sûr, essentiel. Les travaux de votre congrès montrent combien la réflexion juridique peut se nourrir avec bonheur de vos expériences professionnelles et juridictionnelles.
Je vous remercie.