Interview de M. Jack Lang, président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et membre du bureau national du PS, à France-Inter le 12 octobre 1998, sur le faux pas de la majorité plurielle et la préparation d'une nouvelle proposition de loi étendant aux fratries le bénéfice du Pacs et sur les délibérations de l'Otan relatives à d'éventuelles frappes aériennes contre les Serbes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jack Lang - président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et membre du bureau nati ;
  • Stéphane Paoli - Journaliste

Média : France Inter

Texte intégral

Q - Même vous, vous n'y étiez pas ?

- « Si, j'étais là. »

Q - Vous êtes arrivé en retard, après le vote ?

- « Non, excusez-moi, j'étais dès dix heures du matin, et tout au long de la journée. Simplement, il se fait... »

Q - Vous avez voté ?

- « Non, je n'ai pas pu voter, parce qu'au moment même à 15 h 15, où on votait... j'attendais depuis le matin un coup de fil important à propos du Kosovo - je suis président de la commission des Affaires étrangères - et je ne pouvais pas ne pas répondre à cet appel. Voilà. Simplement il eût fallu que nous soyons une vingtaine de députés de plus. Mais personnellement, j'étais, là, depuis le matin. Et c'était d'ailleurs naturel pour un texte pour lequel je me bats depuis des années. »

Q - Mais quelle inconséquence, quand même, de la part de la gauche ?

- « Personnellement, j'étais très triste l'autre jour et je balançais entre colère et tristesse. Et c'est regrettable, en effet, qu'un texte de cette importance... »

Q - C'est plus : c'est grave, et pas regrettable...

- « ...c'est votre appréciation. Vous me demandez la mienne, je vous la donne, si vous le permettez ! Et je déplore, en effet, que pour une raison, je pense, de mauvaise organisation, une défaillance technique dans l'organisation de ce système, il n'y ait pas eu le nombre de députés suffisant. Mais je ne crois pas que l'on puisse interpréter - comme on l'a fait, ici ou là - l'absence de députés socialistes comme une sorte de refus de se prononcer. Il y avait, il y a dans le groupe une adhésion générale à ce texte. Certes, au début, comme c'est normal, il y a eu quelques réticences, il y a quelques mois. Il y a parfois aussi un certain conformisme de gauche. Mais finalement il y a eu une adhésion générale. Et, de bonne foi, toute une série de parlementaires ont pensé que les dispositions avaient été prises techniquement à Paris pour que les permanents comme on dit, chargés d'être présents, soient tous présents. »

Q - Mais, c'est encore plus grave, pardonnez-moi ! Ce n'est pas une affaire de gauche ou de droite. On ne peut pas, quand on est un responsable politique où qu'on se situe, dire d'un texte qu'il engage une révolution de société, et assister à ce à quoi on a assisté vendredi ! C'est grave pour la politique en général ?

- « Naturellement que c'est triste comme spectacle, celui qui a été offert l'autre jour. D'un côté une droite vociférante et de l'autre des députés absents. Et, je le répète, cette absence est liée à une erreur technique d'organisation dont je ne sais rien moi-même - je ne suis pas l'organisateur des choses. C'est regrettable. Mais en même temps, comme vous le savez, je suis un optimiste inoxydable, et je pense que nous devons transformer cette péripétie en tremplin. D'abord, c'est un électrochoc salutaire pour la majorité : la majorité doit se dire qu'on ne peut pas s'enivrer de l'encens des sondages, s'assouplir dans une douce quiétude. »

Q - Trop sûre d'elle-même ?

- « Une majorité doit être une majorité vivante, ouverte, combative, et c'est tous les jours qu'il faut, en effet, combattre pour les valeurs de progrès et de justice. Et par ailleurs, l'histoire enseigne - et vous avez raison de le rappeler à propos d'un texte de société - que les libertés nouvelles, la liberté par exemple sur l'IVG ou d'autres libertés, ne s'arrachent qu'au prix de bagarres; et l'ordre établi n'accepte jamais de céder facilement une liberté. Et traditionnellement la gauche a toujours été à l'avant garde pour ce type de réformes de société. Deuxièmement, je dirais - là encore, transformant une péripétie en vertu pour le futur - : ce sera une bonne chose pour le Pacs, plutôt qu'il soit voté à la sauvette, à la va-vite, un vendredi après-midi. »

Q - Mais est-ce que ce sera le même texte ?

- « Je pense qu'il y aura, en raison précisément d'une telle péripétie, un grand et beau débat. Et ce sera un moment fort et emblématique lorsque ce texte viendra à nouveau devant nous. »

Q - Je lis dans la presse, ce matin, qu'il est question de modifier le texte, et par exemple d'inclure dans le texte le cas des fratries. Ce qui en modifie complètement la philosophie ! Est-ce qu'au fond, dans ce cas, ce ne serait pas la démonstration qu'il y avait, en effet, décidément plus de lâcheté que d'absentéisme vendredi ?

- « Il y a des interprétations absolument multiples. Personnellement, je m'excuse de vous le dire, cela fait dix ans que je me bats pour cela! Personnellement, je crois que cette loi est une loi de liberté, de tolérance et d'ouverture qui épouse le mouvement de la vie et qui consacre les valeurs de fidélité, les valeurs d'affection, d'amitié, dans notre société. Je ne vois pas pour quelle raison - et personnellement, je me suis battu à visage découvert depuis des années pour ce texte - est-ce qu'on ne reconnaîtrait pas le droit à s'unir pour des frères, des soeurs, des personnes qui vivent ensemble. Au nom de quoi, va-t-on proscrire une telle possibilité ? Non ! Personnellement, plus le texte inclura des situations multiples, plus je suis heureux. »

Q - Même les fratries ?

- « Bien sûr. »

Q - Et quand vous lirez, écrit partout dans la presse, que cette loi devient un fourre-tout, vous direz quoi ?

- « Ce sont des visions extérieures, et ce sont des interrogations de mauvaise foi. Disons que pour moi, ce texte sera un bon texte dans la mesure où il inclura le maximum de situations concrètes. La plus importante naturellement étant le droit pour deux personnes qui s'aiment d'amour, qui s'aiment de tendresse, qui s'aiment d'affection, de pouvoir vivre sous le même toit avec les mêmes devoirs et les mêmes droits. »

Q - J. Lang, plus personne n'est dupe aujourd'hui en politique ! Vous le savez bien ?

- « Oui, et alors ?! »

Q - Croyez-vous vraiment que l'on pourra présenter un texte modifié dans son esprit et sa philosophie ?

- « Pas fondamentalement ! Moi-même, depuis l'origine, je suis favorable à un texte élargi alors que je suis - je m'excuse de vous le dire - avec quelques autres, depuis dix ans, à la tête du combat pour que l'on change cette situation et pour que l'on crée un contrat d'union sociale. D'ailleurs, dans le document qu'à la demande du premier secrétaire, L. Jospin, j'avais établi sur la démocratie, nous avions prévu que ce que nous appelions à l'époque le Contrat d'union sociale s'applique à diverses situations, notamment et principalement naturellement celle du couple. »

Q - Le Kosovo : que vont décider les Occidentaux. Quel corps expéditionnaire ?

- « A l'heure où nous parlons, je ne peux pas vous le dire. Je ne suis pas dans le secret des délibérations, de l'Otan en particulier. J'ai entendu avec attention ce qu'a dit D. Bromberger. Alors, personnellement, je pense qu'on ne peut pas, en effet, là encore, parler, parler... et puis le moment venu, buter sur l'obstacle et ne pas agir. Je crois qu'il est temps, il est grand temps d'agir en en mesurant toutes les conséquences, y compris pour des vies humaines. On ne peut pas, comme cela, à longueur de colonnes, ou d'éditoriaux, ou de prises de position publiques dire « il faut frapper », sans se rendre compte qu'en même temps, il faudra, sur le terrain, prendre des initiatives, qui, éventuellement, seront coûteuses en vies humaines. Mais en même temps, on ne peut plus rester passif, face à une situation qui va se traduire par une catastrophe humanitaire avant un mois, parce que l'hiver arrive et 100 000, ou 200 000 personnes risquent d'être complètement décimées par le froid et par la faim. »

Q - Vous craignez une internationalisation de cette affaire, quand vous entendez les Russes dire : attention, si les Occidentaux interviennent, cela peut recréer la configuration de la guerre froide ?

- « Je ne le pense pas, je ne le pense pas. Qu'il y ait, naturellement, des contradictions, c'est visible. Mais que cela se traduise par je-ne-sais quel conflit, affrontement entre la Russie d'un côté, qui à beaucoup d'autres problèmes... »

Q - En aurait-elle, d'ailleurs, les moyens ?

- « …et les alliés occidentaux, qui se trouveraient à l'Otan. Je ne le pense pas. Mais maintenant, je crois, en effet, qu'il est bon - comme pour le Pacs - de mettre en accord ses paroles et ses actes. »