Texte intégral
Après avoir senti passer le vent du boulet au référendum de Maastricht, les chefs de file du « oui » avaient promis que la leçon serait comprise et que, désormais, l'Europe ne procéderait plus jamais comme avant. Désormais, on négocierait dans la clarté, on ne chercherait plus à forcer la main des citoyens, on éclairerait chaque mesure technique par l'explication de la perspective globale. Il n'a pas fallu attendre six ans pour avoir le démenti : le traité d'Amsterdam apparaît obscur et complexe ; il transfère des pouvoirs colossaux de manière détournée ; il poursuit sans broncher dans la voie d'une Europe sans les peuples.
Et nous voyons les mêmes vieux acteurs remonter sur scène pour expliquer qu'un référendum serait contre-indiqué, car les mesure proposées s'avèrent trop techniques, ou trop secondaires ; car elles recouvrent trop de sujets différents, rendant le débat trop confus ; car on n'y trouve pas de perspective globale ; car Amsterdam était en germe dans Maastricht, lequel a déjà été approuvé ; car la parole de la France serait déjà engagée, avant même la ratification. Bref, tout continue comme avant.
Mais ces affirmations sont mensongères. Et notre espoir est que des gens honnêtes, dans le délai de trois mois qui nous reste, lisent le traité et apprécient la véritable portée de son contenu.
Ils y découvriront que le projet d'Amsterdam n'est pas du tout anodin : il poursuit la mise en place des institutions d'un super-Etat, en donnant au Parlement européen des pouvoirs de décision fondamentaux, en renforçant la Commission, et en réduisant inexorablement la marge de liberté de chaque nation ; il donne à ce super-Etat des compétences régaliennes, comme la réglementation de la circulation internationale des personnes et la politique de l'immigration : Il l'assoit enfin sur un territoire européen unifié, par l'abolition de tous les contrôles de personnes aux frontières internes, y compris pour les ressortissants de pays tiers, et sans aucune clause de sauvegarde nationale ! Quoi qu'en disent les dissimulateurs, Amsterdam offre bien une perspective globale : la subordination de la Constitution française au droit communautaire, la subordination de l'expression démocratique nationale, et donc du peuple français, aux institutions de Bruxelles.
Cette perspective contredit radicalement le principe fondateur de notre Constitution, celui de la souveraineté nationale. Mais ce n'est pas tout : concrètement, elle aboutit à transférer des pouvoirs essentiels, non pas à une démocratie européenne supérieure, qui n'existe pas, et ne peut exister aujourd'hui, mais à un entre deux de procédures artificielles, manipulées par des fonctionnaires.
Nous découvrons ainsi l'imposture fondamentale, celle qui peut détruire l'Europe : l'Etat supranational, qui reçoit ainsi des pouvoirs de plus en plus vastes, ne possède qu'une légitimité imaginaire, assise sur un peuple européen fictif, dont la seule fonction est d'éclipser les peuples réels. Tout est dans ce tour de passe-passe : les peuples réels, qui veulent coexister pacifiquement, certes, mais n'en continue pas moins de se penser différemment, se voient condamnés, dépossédés de la maîtrise de leur destin, au nom de la construction à Bruxelles d'une démocratie qui n'est que d'apparence.
Entre les deux niveaux, le national et l'européen, le transfert de pouvoirs proposé par Amsterdam s'accompagnerait donc d'une formidable régression de la participation des citoyens et du contrôle démocratique. L'analyse du texte - que nos contradicteurs se gardent bien de présenter - le prouve à l'évidence. Et comme toujours en pareil cas, l'affaiblissement du contrôle laisse les institutions dériver vers des objectifs et des intérêts qui ne sont pas ceux des citoyens.
On voit, par exemple, l'uniformisation débridée prendre le pas sur le souci de maintenir les modes de vie et les libertés de choix nationales. On voit l'ouverture systématique des frontières prendre le pas sur la sécurité. On voit le dogme de la libre circulation sans contrôle compromettre la santé publique. On voit des accords internationaux sans cesse multipliés, comme l'Uruguay Round ou, encore récemment, l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) imposer une conception réductrice des prix de vente, avant la prise en compte des coûts sociaux, environnementaux, sanitaires.
Et, comme par hasard, ces mêmes accords cherchent en retour à circonscrire le pouvoir des démocraties nationales et à renforcer l'emprise de régulations financières, d'institutions non démocratiques ou d'experts incontrôlés, commissaires, cours de justice, banquiers centraux et autres « panels ». Voilà l'édifice antidémocratique que l'Europe actuelle contribue à construire, et qu'Amsterdam viendrait couronner. Voilà ce que tous les vieux acteurs voudraient cacher quand ils refusent le référendum.
Mais rien n'est inévitable. La courbe n'est elle pas en train de s'inverser ? La dérive apparaît aujourd'hui plus clairement. L'AMI recule devant la protestation internationale. Pourquoi pas Amsterdam ?
Il nous faut d'urgence une Europe proche des peuples, qui ne peut-être qu'une Europe gouvernée par ses nations, donnant le dernier mot aux Parlements nationaux, plaçant les Constitutions nationales avant le droit communautaire, reconnaissant aux Etats le droit d'initiative, subordonnant clairement la Commission au Conseil, et imposant une régulation démocratique à la Cour de justice.
Mais nous allons entendre les vieux acteurs insister : « Adoptez Amsterdam, c'est trop important, nous corrigerons l'Europe ensuite . »
Français, ils vous ont dit cela si souvent ! Ne vous laissez pas tromper. Amsterdam contredit ouvertement les solutions nécessaires. Refusez ce traité et construisez la seule Europe qui vaille, celle qui doit rester sous le contrôle et l'autorité de ses peuples.