Déclaration de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice, sur la réforme de la Cour de cassation et de la procédure judiciaire, à l'Assemblée nationale le 22 novembre 1994.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur la réforme de la Cour de cassation, Paris, Assemblée nationale.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les Députés,

La Cour de cassation, cour régulatrice, placée au sommet de la hiérarchie judiciaire, assume une mission essentielle dans notre État de droit. Celle de veiller à la cohérence de notre système juridique, par l'unité de la jurisprudence.

Le bon accomplissement de cette mission réalise l'égalité effective des citoyens devant la loi.

L'objectif de ce projet est de rendre plus efficace le fonctionnement de la juridiction suprême.

Meilleur accès du justiciable aux juridictions, meilleur fonctionnement des cours et tribunaux, plus grande diligence de la Justice et recentrage des missions du juge sur ses missions traditionnelles constituent également les axes du projet que vous avez à examiner aujourd'hui.

La réforme proposée n'est d'ailleurs pertinente que si l'on a à l'esprit le principe selon lequel le pourvoi en cassation est une voie extraordinaire de recours.

Or, les pourvois se multiplient devant la Cour de Cassation comme devant une juridiction de troisième degré et conduisent à certains dysfonctionnements auxquels il convient de porter remède.

Le travail considérable accompli par les conseillers n'est plus suffisant pour faire face à l'attente des justiciables et la situation actuelle ne permet pas à la Cour de remplir dans de bonnes conditions sa mission normative.

Certes depuis une quinzaine d'années des réformes ont été entreprises pour améliorer la gestion des flux, comme la création d'une formation restreinte a trois magistrats, statuant selon une procédure allégée lorsque la solution du pourvoi parait s'imposer. II faut citer encore la diminution du quorum par formation de jugement et l'instauration d'une procédure de saisine pour avis.

Mais l'exigence de justice de nos concitoyens commande que cet édifice soit complété.

Le projet de loi qui est soumis à votre examen tend à créer une formation d'admission des pourvois au sein de chaque chambre civile.

Fruit de l'expérience menée au sein de la Première Chambre de la Cour de cassation depuis janvier 1991 et de la très large réflexion engagée avec les membres de la Juridiction Suprême et les avocats au Conseil d'État et à la Cour de Cassation, la formation d'admission n'est pas une restauration de la Chambre des Requêtes.

Loin de marquer un retour vers le passé, le projet de loi s'inscrit dans la volonté de faire de la Cour de cassation la sentinelle du droit pour l'An 2000 pour reprendre le vœu exprimé par son Premier Président, Monsieur Pierre Drai.

Il est communément admis que plus d'un tiers des pourvois pourraient être écartés à la suite d'un examen sommaire pour un motif ressortant de l'évidence.

Pourquoi persister à les soumettre à un traitement long et minutieux ? Face à l'exigence d'une gestion rationnelle des moyens nouveaux accordés à la Justice, rien ne justifie, en pareil cas, l'étude détaillée de ce type de pourvois par un conseiller rapporteur d'abord, puis par une formation ce jugement composée de plusieurs magistrats.

Il convient donc de mettre en place un dispositif permettant de faire un tri entre les affaires, pour que les pourvois manifestement irrecevables ou dépourvus de moyens sérieux de cassation, donc voués immanquablement à l'échec, n'encombrent pas les formations de jugement de la Cour au détriment des pourvois dignes d'intérêt.

La préservation des droits des plaideurs suppose que les formations de jugement puissent consacrer du temps à ces pourvois-là. Le système d'admission proposé favorisera le recentrage de l'activité de la Cour sur les dossiers utiles.

De ce point de vue le critère utilisé par les formations d'admission est fondamental. Il doit être clair et précis.

Votre commission des lois estime préférable de substituer à l'absence de moyen sérieux de cassation, celle de moyen arguant de la violation d'un texte précis, qui lui parait présenter plus de rigueur et d'objectivité.

J'aurai l'occasion de m'expliquer au cours des débats sur les réserves qu'appelle de ma part cette substitution.

Mais je puis d'ores et déjà indiquer qu'elle m'apparait trop réductrice et je ne crois pas qu'elle soit suffisante pour permettre un meilleur fonctionnement de la Cour.

L'objectif est en effet d'éviter que les formations de jugement n'aient à connaître des pourvois manifestement infondés tels par exemple ceux qui critiquent une appréciation de fait dépendant du pouvoir souverain des juges du fond. Ou ceux qui font dire au jugement autre chose ou davantage que ce qui s'y trouverait.

Pour être efficace, le dispositif de filtrage doit s'appliquer à de telles hypothèses.

Bien entendu la réforme que je vous propose d'adopter est une réforme de procédure. En aucun cas elle ne porte sur les règles qui président au rejet ou à l'acceptation des pourvois : admission ou rejet se feront à critères constants.

Il ne s'agit pas de porter atteinte à l'égalité des citoyens devant la justice, principe fondateur d'un État de droit.

En effet, tous les pourvois formés en matière civile seront soumis à la formation d'admission. Seuls seront rejetés, à l'issue d'une procédure allégée, ceux frappés d'un vice rédhibitoire et apparent au premier examen.

Mais une procédure allégée ne veut pas dire une procédure sans garantie des droits des plaideurs.

C'est une collégialité de trois conseillers qui par une décision juridictionnelle motivée, dira que tel pourvoi est manifestement irrecevable car formé hors des délais légaux pour agir ou sans indication de motif ou encore sans aucun moyen de cassation sérieux, se bornant par exemple à critiquer une appréciation de fait dépendant du pouvoir souverain des juges du fond.

S'agissant de la composition des formations d'admission, les magistrats qui en sont membres pourront bien évidemment siéger au sein des autres formations de la Cour y compris au sein des formations de jugement de la Chambre à laquelle ils appartiennent.

Le Sénat a souhaité que cette possibilité soit inscrite de manière explicite dans le texte et j'ai souscrit à cette volonté de clarification.

Ainsi il n'y aura pas de jurisprudence autonome et dérogatoire des formations d'admission, comme cela a pu être le cas sous le régime de la chambre des requêtes supprimée en 1947.

En outre, ce mécanisme permettra d'accélérer l'examen des pourvois puisque les magistrats de la formation d'admission qui siégeront en formation de jugement, bénéficieront déjà d'une bonne connaissance du dossier.

J'ajoute que le pouvoir reconnu au Premier Président de la Cour de Cassation, en cas d'urgence, de renvoyer directement une affaire à la formation de jugement constitue un élément de souplesse nécessaire à l'efficacité de la procédure.

Enfin le principe du contradictoire qui gouverne toute notre procédure et permet à chacun de défendre ses droits en toute connaissance de cause s'applique à la formation d'admission comme à la formation de jugement. Le Sénat a souhaité le rappeler clairement dans le texte et j'y ai bien volontiers souscrit.

La formation d'admission commencera son travail après le dépôt des mémoires. Conformément aux règles posées par le nouveau code de procédure civile, elle statuera en audience publique après avoir appelé les parties et le représentant du Procureur Général à formuler leurs observations.

Tels sont les principaux aspects du projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis.

En conclusion de mes propos, je souhaiterais rappeler l'adage selon lequel "il n'y a pas de droit sans action".

Nous partageons tous, en tant que citoyens, le souci d'effectivité du droit, garantie d'un État de droit.

Cette effectivité est conditionnée par la mise en place, dans le respect des grands principes qui fondent notre démocratie, de procédures adaptées à une justice diligente.

Le projet de loi qui vous est soumis réalise, je crois, un juste équilibre entre ces divers impératifs.

Il allie l'efficacité au respect des droits de la défense.

Votre commission l'a bien compris. Je tiens à cet égard à lui exprimer mes remerciements pour le travail d'analyse qu'elle a réalisé, et à vous demander de bien vouloir adopter le présent projet de loi.