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« La Tribune ». -A la suite d'une initiative franco-allemande, le dernier sommet européen de Cardiff avait souhaité que le principe de subsidiarité soit à l'avenir appliqué plus rigoureusement. Qu'attendre du prochain sommet informel des Quinze, à Pörtschach, sur cette question ?
Pierre Moscovici. - Compte tenu de la tendance des institutions européennes à s'éloigner des préoccupations des citoyens, je crois en effet qu'il faut corriger certains développements contestables. Mais gardons-nous d'une approche mécanique de la subsidiarité et d'établir une liste à la Prévert. Il faut d'abord que nous nous entendions sur l'essentiel : quelle Europe voulons-nous pour demain ? Si l'objectif commun est de construire une Europe politique, plus démocratique et plus sociale, il faudrait alors fixer un programme de travail qui pourrait s'articuler autour de trois axes : accompagnement de l'Union économique et monétaire, en la rééquilibrant par la promotion de l'Europe de l'emploi et de l'Europe sociale, amélioration du fonctionnement des institutions et constitution d'une identité européenne de sécurité et de défense. Nous ne sommes qu'au début d'un processus. Mais les chefs d'Etat et de gouvernement pourraient affirmer une vision commune et fixer un calendrier de travail, ce qui serait déjà important.
« La Tribune ». Peut-on commencer à procéder à une réforme des institutions sans avoir lancé au préalable un débat sur l'avenir de l'Europe politique ?
Pierre Moscovici. Il y aura d'abord la ratification du traité d'Amsterdam. Ensuite, nous entrerons dans la campagne pour les élections européennes. Les formations politiques s'exprimeront sur leur vision de l'avenir de l'Europe. Le prochain Parlement européen pourrait s'atteler à l'élaboration d'une déclaration des droits politiques et sociaux du citoyen européen qui pourrait comprendre, par exemple, le droit à la santé, à un revenu et à un logement.
« La Tribune ». Le traité d'Amsterdam fait l'impasse sur les institutions, alors qu'il existe un vrai besoin de réformes sur le fonctionnement de la Commission et du conseil des ministres.
Pierre Moscovici. Il est vrai que le traité d'Amsterdam présente cette lacune et qu'il devra donc être complété. Mais il n'est pas à rejeter car ce qu'il contient - emploi, social, services publics, environnement, politique étrangère et de sécurité commune... - mérite d'exister. Cela dit, il est possible d'apporter des améliorations aux institutions actuelles, à court terme, sans attendre de modifier à nouveau le traité. Les ministres des Affaires étrangères des Quinze ont déjà ouvert ce chantier lors de leur dernière réunion informelle, à Salzbourg.
« La Tribune ». Ils ont aussi lancé le chantier de l'élargissement...
Pierre Moscovici. Trois éléments essentiels définissent la réforme institutionnelle qui doit précéder l'élargissement : la composition de la Commission, l'extension du champ de vote à la majorité qualifiée et la repondération des voix au sein du conseil des ministres. C'est une entreprise à moyen terme, qui doit déboucher sur un traité et être menée en parallèle avec les négociations d'élargissement. En ce qui concerne la Commission, l'idée d'une Commission mieux hiérarchisée fait son chemin, avec des commissaires dotés de grands portefeuilles et des commissaires adjoints qui auraient des attributions plus circonscrites. Pour ce qui est du champ de vote à la majorité qualifiée, je crois qu'il faut l'étendre, sans tabou, à toutes les questions, aussi bien à la fiscalité qu'à l'environnement. Enfin, il faudra trouver un compromis entre les pays dits « petits » et les « grands » pour redéfinir la pondération de leur voix au sein des Conseils des ministres.
« La Tribune ». Et quel est votre objectif pour le plus long terme ?
Pierre Moscovici. Pour éviter toute paralysie, nous pourrons, si nécessaire, suivre la voie des « coopérations renforcées », dont le concept existe dans le traité d'Amsterdam. Mais, attention : le concept de « coopération renforcée », ce n'est pas l'Europe à la carte. Cela veut simplement dire qu'un petit nombre de pays ne doit pas pouvoir empêcher tous les autres d'avancer : le conseil de l'euro est une première illustration de cette méthode.