Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle de 1995, sur l'action conduite en faveur de l'outre-mer et le bilan des réformes pour les DOM TOM, Paris le 26 janvier 1995.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion avec les parlementaires et les conseillers économiques et sociaux d'outre-mer, Paris le 26 janvier 1995

Texte intégral

Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Conseillers économiques et sociaux,

Laissez-moi d'abord vous faire part du plaisir que j'ai à vous recevoir à l'Hôtel de Matignon, pour cette rencontre de travail qui sera suivie d'un déjeuner amical : elle me donne l'occasion d'exprimer à chacun d'entre vous mes vœux personnels de bonheur pour 1995.

Les charges de ma fonction, l'éloignement qu'appelle l'exercice des vôtres, rendent, j'en suis conscient, trop rares ces occasions de rencontre.

J'ai le sentiment, cependant, que j'ai respecté l'engagement que j'avais pris dès mars 1993, de donner à l'outre-mer français la place prioritaire à laquelle il a légitimement droit dans l'action du Gouvernement.

De ces deux années, je ne saurais dresser ici un bilan exhaustif, mais j'en évoquerai les grands axes qui donnent malgré la diversité des situations toute sa cohérence à l'action conduite.

Le premier de ces axes réside dans le développement du partenariat entre l'État, l'Union Européenne et les collectivités locales.

Dans les départements d'outre-mer, cette politique a exigé de lever un préalable puisque, dans trois cas sur quatre, il a fallu restaurer l'équilibre financier profondément dégradé des collectivités régionales afin de leur permettre de jouer leur rôle dans ce partenariat.

Cela a été fait avec efficacité et responsabilité. Cet assainissement a permis une relance ambitieuse de la politique contractuelle. L'État a accru de 50 % sa contribution au financement des contrats de plan des DOM. Il a aussi obtenu le doublement des fonds structurels européens.

La situation des filières agricoles traditionnelles a pu être confortée grâce à l'entrée en vigueur, à la date prévue, de l'organisation communautaire du marché de la banane dont chacun reconnaît aujourd'hui le mérite. Des succès importants ont été enregistrés également, en matière de pêche avec l'adoption du POSEIDOM-Pêche.

En ce qui concerne la Polynésie-Française et la Nouvelle-Calédonie, je me bornerai à rappeler que le Gouvernement s'est engagé résolument dans une démarche contractuelle visant à promouvoir le développement économique et social de ces deux territoires, par la conclusion du Pacte de progrès en Polynésie-Française et par la mise en œuvre scrupuleuse des engagements souscrits en 1988 à l'égard de la Nouvelle-Calédonie.

S'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, j'ai signé il y a quelques semaines un accord avec le Canada sur les questions de pêche et de coopération, à l'issue de négociations ardues, brillamment conduites par M. Dominique Perben. Les élus de Saint-Pierre-et-Miquelon ont bien voulu reconnaître qu'aucun Gouvernement n'aurait pu obtenir un meilleur accord.

Enfin, dans presque toutes les collectivités de l'outre-mer, le Gouvernement a décidé un fort renforcement de la politique de la ville : 13 contrats de ville sont négociés ou signés, des conventions de développement social urbain ont été conclues pour répondre à d'autres situations. Plus de 10 % de l'ensemble des crédits consacrés sur 5 ans à la politique de la ville sont destinés à l'outre-mer, avec un fort accent placé sur la résorption de l'habitat insalubre.

Le second axe de la politique du Gouvernement a consisté à tracer le cadre d'un développement économique durable accompagné d'un véritable progrès social pour l'outre-mer français.

La loi du 25 juillet 1994 a, comme vous le savez, pour ambition de répondre aux difficultés spécifiques de la situation économique et sociale des départements et territoires d'outre-mer. Une réflexion ambitieuse et innovante sur l'action de l'État en ce domaine préside à son élaboration dont je voudrais seulement citer quelques exemples significatifs.

Le dispositif d'exonérations sociales dont bénéficient ainsi les principaux secteurs productifs des économies des DOM constitue certainement le dispositif le plus puissant d'abaissement du coût du travail jamais adopté dans notre pays. Il en va de même, d'ailleurs, des mesures adoptées pour aider la création d'emplois dans les activités exportatrices. Associées à la relance de la défiscalisation de l'investissement, opérée dès le printemps 1993, ces mesures donnent aux départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon des armes nouvelles qui seront efficaces pour le développement de la production et de l'emploi local.

Sur le plan social, l'innovation est plus manifeste encore. La création d'une agence départementale d'insertion destinée à servir de support au partenariat de l'État et du département pour la mise en œuvre de la politique d'insertion, constitue une réponse adaptée à l'ampleur du problème dans les DOM, mais peut se révéler aussi pleine d'enseignements pour la métropole.

La possibilité ouverte d'utiliser pour le financement des contrats d'insertion par l'activité, les dépenses antérieurement consenties sous forme d'allocation RMI est une autre innovation essentielle permettant de réconcilier aide sociale, incitation à l'activité et dignité de la personne.

Enfin, l'action en faveur de l'insertion en entreprise, sera renforcée par le contrat d'accès à l'emploi.

Vous le voyez à travers ces illustrations, cette loi – qu'on appelle désormais loi Perben – ne vise pas uniquement à faire plus, même si elle traduit un renforcement considérable des moyens de la lutte pour l'emploi dans les DOM. Elle a surtout l'ambition de faire mieux en inaugurant des méthodes d'actions nouvelles et plus audacieuses que celles habituellement pratiquées.

S'agissant de la politique familiale, le Gouvernement a décidé d'étendre aux départements d'outre-mer le bénéfice de l'allocation parentale d'éducation dont ils avaient été exclus en 1985 et 1987. Après concertation avec les élus des DOM, j'ai choisi de le faire en retenant, non pas l'extension pure et simple de l'allocation, mais un mécanisme en faveur des familles les plus démunies.

Une réforme de l'allocation logement familial est, d'ores et déjà, en chantier. Elle sera connue dans son détail d'ici quelques jours. Nous pourrons y revenir lors des questions que vous ne manquerez pas de me poser.

Parmi les deux voies qui s'offraient au Gouvernement : celle de l'extension de I'APE et celle de sa compensation, il a fallu choisir sans qu'aucune d'entre elles fasse l'unanimité des élus.

Le Gouvernement a pris ses responsabilités en choisissant la voie qui lui paraissait la plus adaptée à la démographie et à la situation de l'emploi dans les DOM et surtout la plus propice à concentrer l'aide sur les familles – et les enfants – qui connaissent les plus grands besoins.

L'égalité sociale est un objectif qui nous est commun et grâce aux mesures que nous avons prises elle est presque en voie d'achèvement. En matière de salaire minimum, les DOM, après la mesure d'ajustement prise au 1er janvier 1995, sont à 92 % environ du niveau de la métropole. En matière de prestations familiales, l'écart est plus faible encore.

L'alignement d'un certain nombre de critères sociaux qui restent aujourd'hui légèrement différents se fera car il s'inscrit dans la logique d'un processus engagé depuis longtemps. La raison nous commande toutefois de maîtriser le rythme de cet alignement en tenant compte de la situation économique et des risques d'augmentation du chômage qu'implique tout alourdissement du coût du travail.

Ce bilan, rapidement résumé, n'est que provisoire. Mon Gouvernement a encore devant lui un peu plus de trois mois de travail qui seront consacrés à la poursuite des réformes engagées.

La première priorité de ce travail sera d'achever la publication des décrets d'application de la loi du 25 juillet 1994 et de mettre en place dans les DOM les agences départementales d'insertion.

À l'issue de mon voyage à la Réunion, j'ai accepté la proposition de M. Dominique Perben d'engager une concertation rapide sur la réforme du logement dans les DOM et les collectivités. Ainsi, au-delà des décisions financières que j'ai déjà prises en 1994 dont l'effet s'étalera sur 5 ans et de la réforme de l'allocation logement, une refonte de la réglementation et du financement du logement pourra être conclue dans le courant du mois de mars.

Par ailleurs, un travail interministériel important a été réalisé sur le délicat problème des « 50 pas géométriques ». M. Perben devrait être en mesure de proposer, vers la fin mars, l'inscription à l'ordre du jour du conseil des ministres du projet de loi nécessaire.

Enfin, je souhaite personnellement que soit conduite à son terme la réforme déjà bien engagée du financement de l'économie des DOM. Deux mesures devraient pouvoir être mises en œuvre rapidement :

– d'une part, l'affectation programmée sur 5 ans des produits de l'émission de l'IEDOM au développement des moyens consacrés à aider le renforcement des fonds propres des PME-PMI ;
– d'autre part, la modernisation des règles d'accès des banques locales au refinancement par l'IEDOM.

J'ai également décidé que le Gouvernement n'achèvera pas sa mission sans avoir doté Mayotte et Wallis et Futuna d'un cadre de référence, contractuel et à moyen terme, pour la conduite de leur développement.

En ce qui concerne Mayotte, il s'agit de mettre en œuvre un article de la loi du 25 juillet 1994 qui prévoit la définition d'une convention de développement économique et social pour l'archipel. Je souhaite qu'avant la fin du mois de mars, cette convention puisse être signée.

De même, pour répondre à la demande que m'ont présentée récemment les élus de Wallis et Futuna, j'ai décidé d'engager un « plan de rattrapage » du territoire. L'État est prêt à multiplier par quatre le montant des crédits contractualisés consacrés à Wallis et Futuna sur la période 1995-1999. C'est, je crois, un effort qui n'a pas de précédent mais qui corrigera une situation dans laquelle le territoire de Wallis et Futuna était un peu oublié par rapport à ses deux grands voisins.

Voilà l'essentiel de la tâche qui reste à entreprendre dans les trois mois à venir pour parachever un bilan qui sera, à mon sens, l'un des plus flatteurs qu'aura laissé un ministre des DOM-TOM. Cette tâche n'aurait pu être conduite sans le soutien que vous lui avez apporté et dont je vous remercie.

Mais l'ampleur de ce qui a déjà été réalisé ne doit pas faire oublier l'immensité de ce gui reste à accomplir. L'outre-mer représente une dimension essentielle de la Nation française. Plus encore que l'ensemble de la communauté nationale, il a besoin de réformes pour consolider sa stabilité politique, accroître son développement économique, approfondir sa cohésion sociale.

La première de ces réformes nécessaire est celle de l'éducation et de la formation à laquelle je fixerai deux objectifs essentiels :

– adapter la réflexion ouverte par le nouveau contrat pour l'école à la situation démographique de vos collectivités ;
– aller plus vite encore qu'en métropole pour développer l'enseignement professionnel et technique.

Seconde priorité : tout faire pour améliorer la cohésion sociale. La société de l'outre-mer est aujourd'hui fragmentée. Elle compte beaucoup d'exclus comme en témoigne le nombre de RMIstes. Elle compte des salariés dont le sort rejoint celui de leurs homologues de métropole. Elle compte enfin, notamment dans les fonctions publiques, une proportion importante de salariés bénéficiant d'avantages particuliers. Aucun équilibre social ne peut s'établir durablement sur de telles bases et nul doute que des réformes seront nécessaires.

Ces réformes – souvent évoquées, jamais entreprises – ne seront possibles qu'au nom d'un renforcement de la cohésion sociale. Elles devront, bien sûr, s'effectuer sans bouleverser les situations acquises. Elles devront être l'occasion de renforcer l'action de l'État dans les domaines où sa présence est insuffisante : l'éducation, la santé.

Après la cohésion sociale, l'un de nos objectifs prioritaires devra être d'obtenir la pleine reconnaissance de l'outre-mer français dans l'Union Européenne. Il faut nous efforcer d'obtenir pour les DOM une adaptation des traités européens qui consolide la possibilité d'un traitement spécifique et préférentiel dès lors qu'il peut être justifié par des critères objectivement vérifiables.

Je souhaite, enfin, vous dire un mot des problèmes institutionnels.

En ce qui concerne tout d'abord la Nouvelle-Calédonie, je suis confiant sur l'issue de la politique de dialogue et de réconciliation conduite depuis plusieurs années et encore approfondie depuis 1993.

Après les élections, nationales et locales, s'ouvrira une phase de discussions politiques sur l'avenir institutionnel et la préparation du référendum de 1998. L'État y jouera le rôle qui doit être le sien. Je pense que, dans le respect des convictions de chacun, devrait pouvoir émerger de ces discussions, une solution consensuelle fondée, d'une part, sur un nouvel équilibre institutionnel, faisant plus de place à la responsabilité locale et, d'autre part, sur l'ouverture d'une nouvelle période transitoire. Une solution de ce type, permettant d'écarter l'alternative de rupture ou de frustration d'un « référendum-couperet » est l'intérêt de tous Calédoniens comme de la Nation.

S'agissant de la Polynésie-Française, le souhait largement exprimé par les élus d'une discussion institutionnelle ne pourra être éludé. Il faudra veiller à ce que cette discussion soit conduite avec l'ensemble des interlocuteurs politiques et sociaux, en y consacrant le temps et le sérieux nécessaires. L'État devra exprimer ses propres attentes. Le sort des communes polynésiennes qui rencontrent de nombreuses difficultés devra être intégré dans la discussion.

J'ajoute que, compte tenu du degré très large de l'autonomie interne dont bénéficie la Polynésie, une telle réforme mériterait que les Polynésiens soient directement consultés.

Ainsi que je l'ai annoncé lors de ma visite, les Mahorais auront à se prononcer avant l'an 2000 sur leur statut. Ainsi, ils pourront sortir du régime provisoire auquel ils sont voués depuis vingt ans. Je suis certain, en tous cas, que, à l'occasion de cette réforme, l'exécutif de la collectivité mahoraise devra plus largement être dévolu aux élus.

J'ai, d'ailleurs, une conviction semblable s'agissant de Wallis et Futuna. Pour ce dernier territoire, j'estime utile d'envisager, en outre, la création de communes. Bien entendu, il faudra s'assurer de l'acceptation d'une telle réforme par le pouvoir coutumier et prendre le temps nécessaire pour convaincre.

Enfin, s'agissant des DOM, où la question institutionnelle se résume, plus classiquement, à des dimensions d'organisation administrative et politique, je suis résolument partisan du pragmatisme plutôt que de l'application de schémas doctrinaux. La superposition d'une région et d'un département sur un même territoire présente, à l'évidence, une combinaison d'avantages et d'inconvénients. N'en irait-il pas de même avec l'assemblée unique souvent évoquée ?

Je crois, pour ma part, que la sagesse est sans doute de tenir compte des réalités, notamment géographiques et humaines et de la perception de ces problèmes par les élus locaux et la population. Il faut donc examiner sans préjugés les différentes solutions possibles, mais je pense qu'il serait aujourd'hui déraisonnable de vouloir trancher alors qu'aucune d'entre elles n'a été sérieusement étudiée dans ses conséquences.

J'espère que vous pardonnerez la longueur de mon propos. Elle n'a pour excuses que l'intérêt du sujet.

Permettez-moi de conclure aujourd'hui, en réaffirmant ma conviction que si la France est un grand pays, elle le doit largement à sa présence partout dans le monde, grâce aux départements, territoires et collectivités d'outre-mer que vous avez l'honneur de représenter.