Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur la coopération internationale pour lutter contre les violences envers les enfants, notamment la création d'un service téléphonique au niveau européen et du programme DAPHNE d'actions pour la prévention et la prise en charge de la maltraitance des enfants, Paris le 15 octobre 1998.

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Circonstance : Séminaire européen organisé par le SNATEM (Service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée) sur l'environnement juridique des services téléphoniques de protection de l'enfance, à l'Assemblée nationale le 15 octobre 1998

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir ici, à l’Assemblée nationale, pour ce séminaire européen consacré à l’environnement juridique des services téléphoniques de protection de l’enfance en Europe. Cette rencontre s’inscrit dans un cycle européen de conférences destiné, dans le cadre du programme DAPHNE, à créer une coopération internationale pour lutter contre les violences envers les enfants, les adolescents et les femmes.
Parce que ce sens de l’altruisme et de la solidarité, dans une société où ils ont de plus en plus de mal à naturellement se développer, doit être salué, cette maison est la vôtre. Vous y êtes d’autant plus les bienvenus que le Premier questeur, mon ami Bernard Derosier, est le président du SNATEM et que j’ai personnellement animé au cours de la dernière session une commission d’enquête sur les droits de l’enfant qui a transmis au début de l’été ses recommandations au Gouvernement. Je veux également remercier de leur présence Monsieur Simpson représentant de la commission européenne et Madame Anne-Aymone Giscard d’Estaing qui nous fait l’amitié et l’honneur d’être des nôtres.
Ce rendez-vous est aussi l’occasion pour moi de vous donner des nouvelles de notre travail commun puisque, parmi les dizaines de responsables que nous avons auditionnées, figurait bien entendu le Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée. J’ai demandé à tous les présidents de l’audiovisuel public de réfléchir à la création systématique, à l’image de ce que fait remarquablement Canal Jimmy, d’un journal réservé aux enfants et qui leur permettrait l’apprentissage d’un sens critique, d’un meilleur discernement et d’un jugement objectif sur l’image et l’information.
J’espère également voir aboutir la première traduction législative, c'est-à-dire la création d’un médiateur (ou d’une médiatrice) national des enfants, clef de voûte aujourd’hui manquante de l’édifice complexe de la protection de l’enfance et début d’une série d’améliorations de la condition enfantine et juvénile. L’espoir qu’a soulevé notre démarche auprès de tous les partenaires concernés, l’engagement pris envers les centaines d’enfants qui nous ont écrit, sont une puissante motivation.
La question des droits de l’enfant est en effet une question qui me tient, qui nous tient particulièrement à cœur. Comme vous je suis convaincu qu’une société se juge par le sort qu’elle réserve à ses enfants. Le tort fait un mineur est doublement haïssable dans la mesure où c’est un crime ou un délit fait contre sa personne, mais aussi contre la société toute entière dont il représente l’avenir et dont il est un des éléments les plus faibles, les plus vulnérables.
Si les conditions de vie des enfants ont beaucoup changé depuis le XIXe siècle, on ne peut passer sous silence le fait que des milliers de fille et de garçons sont encore aujourd’hui victimes d’une maltraitance dont leurs familles sont malheureusement pour 80 % à l’origine. On ne peut oublier que la France détient le triste record des suicides d’enfants. On ne peut accepter que la déscolarisation, la violence, le travail ou la mendicité forcée soient dans notre pays développé une réalité quotidienne. On voudrait croire à l’exagération, au catastrophisme. Non, ce n’est hélas que la partie émergée d’un sinistre iceberg. Les 6 000 appels quotidiens que reçoit le numéro vert d’enfance maltraitée sont une illustration de cette situation d’autant plus douloureuse que, dans près de la moitié des cas, ce sont des enfants âgés de moins de six ans qui appellent.
Pour eux que vous aidez et soulagez, en tant que Président de l’Assemblée nationale, je tiens à saluer le travail effectué par votre organisme mis en place, il y a dix ans, par la loi du 10 juillet 1989 qui établissait dans le même temps le rôle essentiel des conseils généraux dans la prise en charge des mineurs maltraités. Une des originalités du numéro vert français, réside dans son financement public et dans l’implication de l’ensemble des structures, Ministères, Départements, et Associations, dans son conseil d’administration. Unir tous ceux qui interviennent pour prévenir l’enfance maltraitée, aider les victimes et lutter contre ceux qui en sont les bourreaux, nous n’avons pas à rougir d’avoir su faire face à cette priorité à l’échelle du pays. Je sais que, parmi les quinze de l’union européenne, beaucoup ont su réagir avec la même efficacité et la même rapidité.
Mais sans doute pouvons-nous faire encore un peu mieux. Les services d’aides des communes, les structures des différentes collectivités territoriales, les associations sont encore trop dispersées. Si beaucoup travaillent en étroite collaboration avec les conseils généraux qui prennent en charge les enfants et les familles, avec leurs services d’assistance sociale ou de protection maternelle et infantile, il en existe sans réelle coordination. Il faut rapprocher les acteurs et encourager leur coopération. Pour cela, dans le maximum de villes et d’agglomérations, je souhaite que se crée autour des maires un comité communal ou intercommunal de l’enfance comme il existe, dans un autre domaine, des conseils communaux de prévention et de lutte contre la délinquance, des comités communaux et intercommunaux pour coordonner, rationaliser, produire des synergies, de l’efficacité.
Il faut aussi donner une meilleure publicité à votre action. Le premier droit des enfants c’est d’être informé sur leurs droits. Les services téléphoniques offrent aux familles et aux enfants un accueil et une écoute d’une exceptionnelle qualité. C’est aussi un accueil, une écoute que ne peuvent offrir les autres intervenants. C’est pourquoi l’obligation d’affichage de ce numéro vert devrait être étendue aux cabines téléphoniques ainsi que dans chaque classe des écoles.
Cette publicité doit s’accompagner d’une action particulière de sensibilisation de l’ensemble des acteurs sociaux, médicaux ou associatifs dont le champ de compétence n’est pas directement celui de l’enfance, qui interviennent auprès d’adultes confrontés à des difficultés particulières, l’alcoolisme, l’éclatement de leur structure familiale ou des situations d’exclusion. Leur détresse peut les conduire à un comportement violent vis-à-vis des enfants, les leurs, ceux des autres.
C’est aussi sur une prise de conscience individuelle qu’il faut compter. De ceux qui sont à l’origine de ces mauvais traitements bien sûr. Certains, même si ces phénomènes concernent toutes les couches de la société, vivent des situations de pauvreté économique, éducative et sociale, qui ne peuvent constituer une excuse, mais contre lesquelles, pour prendre le mal à sa source, par la croissance, l’éducation et l’emploi, il faut lutter. Il y a des milliers de personnes qui restent témoins muets, voisins silencieux, parents involontairement complices, de ces mauvais traitements. C’est eux qu’il faudrait sensibiliser. Vous le faites. Combien vous suivront ? Pas toujours assez.
De même, je suis convaincu que la coopération européenne, dans ce domaine, et la création de services téléphoniques dans toute l’Union Européenne ce dont témoigne la présence aujourd’hui parmi nous de M. Ernesto CAFFO, Président de « Telefono Azzurro », seront positives pour la prévention et la prise en charge de la maltraitance des enfants. Le programme européen DAPHNE qui établit un calendrier d’actions pluriannuel de lutte contre la violence envers les enfants, les adolescents et les femmes et dans lequel s’inscrit votre action sera bientôt présenté au Parlement. Il illustre l’action positive de l’Europe lorsqu’elle encourage l’établissement et le renforcement de réseaux européens et accompagne l’action des associations. Il a bien sûr mon soutien.
Mesdames, Messieurs, nos enfants sont notre avenir, il est de notre responsabilité de le construire. Dans cette période où l’on parle souvent de la famille, il nous appartient de reconnaître les droits et les devoirs des enfants. Il faut écouter leur détresse lorsqu’elle s’exprime mais aussi celle de leurs proches. Par votre engagement et votre action auprès des enfants victimes de violences et auprès de leurs familles, vous faites de notre univers un monde plus ouvert, un monde plus chaleureux. Merci.