Interview de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, dans "La Provence" du 16 novembre 1998, sur le rétablissement de l'état de droit en Corse neuf mois après l'assassinat du préfet Claude Erignac.

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La Provence : La Corse connaît, depuis l’assassinat de Claude Erignac, les prémices d’une restauration de l’État de droit dans tous les domaines. Quel est le sentiment des Corses devant cette opération sans précédent ?

Emile Zuccarelli : « Les Corses soutiennent très majoritairement l’instauration de l’État de droit dans notre région. Je crois que cette politique correspond d’ailleurs à une aspiration de longue date de la population. Celle-ci souhaite, à l’évidence, vivre normalement et que l’île revienne sur les chemins de la légalité républicaine, condition première de la relance d’un développement économique, social et culturel. »

La Provence : Avant tout, les Corses n’attendent-ils pas qu’on démasque les assassins du préfet de région ? Or, l’enquête semble s’enliser, malgré les déclarations multiples de l’autorité judiciaire…

Emile Zuccarelli : « Je viens de vous le dire, les Corses veulent le rétablissement de l’État de droit. Parvenir à démasquer les assassins de Claude Erignac en serait un signal fort. Il ne m’appartient pas de faire des commentaires sur l’enquête en cours. Mais je peux vous assurer que le gouvernement est déterminé à mettre en œuvre tous les moyens pour que l’enquête aboutisse rapidement ».

La Provence : Les parlementaires qui ont enquêté sur l’île ont intitulé leur rapport : « L’indispensable sursaut ? » Comment un élu corse comme vous réagit-il à ce cinglant réquisitoire ?

Emile Zuccarelli : « Non, la commission d’enquête parlementaire sur l’utilisation des fonds publics en Corse n’a pas dressé un réquisitoire contre notre région. Au contraire, elle a refusé le procès collectif d’une population.
« Vous le savez, je réclamais, depuis près de dix ans, la constitution de cette commission. Non pas justement pour dresser un procès de la Corse et des Corses, mais, au contraire, pour tenter d’identifier les problèmes et d’aider à les résoudre. Elle a identifié des dysfonctionnements, parfois graves, mais aussi proposé des solutions.
« C’est bien le sens de ces travaux parlementaires et je me réjouis du sérieux avec lequel ils ont été conduits et de la qualité du rapport adopté, je le rappelle, à l’unanimité par cette commission. »

La Provence : Les affaires judiciaires en cours pourraient, à un moment ou à un autre, mettre en cause de hauts fonctionnaires, à l’époque peu sourcilleux sur le contrôle de l’égalité. N’y a-t-il pas un risque de mise en cause des anciennes politiques gouvernementales de compromission avec certaines branches du nationalisme ?

Emile Zuccarelli : « J’ai toujours soutenu que le salut pour la Corse passait par l’application de la loi républicaine, dans l’utilisation sereine mais ferme des moyens ordinaires de la justice et de la police. J’ai donc regretté la faiblesse passée de certains gouvernements et je participe pleinement à l’action de l’actuel.
« Quand le gouvernement applique l’État de droit, cela se traduit par des investigations qui n’épargnent personne. C’est normal et sain. Pour autant, si personne, n’est au-dessus les lois, l’appel, que j’entends trop fréquemment, à la mise en cause de certains hauts fonctionnaires, me paraît relever de la recherche d’alibis ou de boucs-émissaires ».

La Provence : Certains avantages fiscaux ne sont plus défendables, comme la détaxe des cigarettes, la non-déclaration des successions… La note de restauration de l’État de droit ne sera-t-elle pas lourde à payer pour les Corses ?

Emile Zuccarelli : « Evitons de confondre vitesse et précipitation et, surtout, de tout mélanger. Une disposition fiscale dérogatoire, comme la détaxe des cigarettes, n’est pas contraire à l’État de droit, elle est même un élément du droit. En revanche, l’amendement de Courson, dans une présentation certes hâtive et, par là, désagréable, pointe une vraie question : le fait que, dans une région, la propriété ne se transmette pas de manière claire, est un handicap pour cette région. Revenir à l’obligation de déclaration des successions est bon pour la Corse. Dans la durée du débat parlementaire, il y a place pour expliquer ceci sans remettre a priori en cause les spécificités de la fiscalité des biens immobiliers sis en Corse ».

La Provence : Dans un discours très politique, devant l’Assemblée territoriale, c’est un préfet pourtant tenu au devoir de réserve qui a pris de front les nationalistes, les accusant de racket, d’assassinats… Ce qu’on n’a jamais entendu dans la bouche d’un élu, d’un membre du gouvernement…

Emile Zuccarelli : « Le préfet Bonnet a rappelé, opportunément, à ceux qui l’interpellaient avec arrogance et cynisme, qu’ils ne peuvent soutenir, comme ils le font par le discours, des menées criminelles et ne pas en porter une part de responsabilité. Vous croyez cependant devoir ajouter qu’on n’a jamais entendu un élu ou un membre du gouvernement parler comme le préfet. Je m’inscris en faux. Nous avons été quelques-uns, depuis bien longtemps, à dénoncer la dérive mafieuse dans l’île, les attentats, les assassinats et, plus généralement, la collusion entre certains nationalistes, les auteurs de violences et des intérêts économiques. Je le reconnais bien volontiers, nous n’étions sûrement pas assez nombreux et, longtemps, nous n’avons pas été très écoutés… »

La Provence : Ne peut-on pas rapidement et simplement satisfaire une revendication largement partagée sur l’enseignement obligatoire de la langue corse ?

Emile Zuccarelli : « La France va signer la charte européenne des langues minoritaires, moyennant quelques précautions, et c’est très bien. A présent, on va pouvoir distinguer ceux qui veulent réellement la promotion des langues régionales et ceux qui veulent en faire une arme politique de division ou d’exclusion. Pour ma part, je l’ai dit déjà, je suis favorable à l’obligation de dispenser l’enseignement du Corse. En revanche, son étude doit rester optionnelle. Je crois qu’il faut surtout promouvoir concrètement, par une action suivie sur le terrain, la langue corse, plutôt que de l’enfermer dans un débat théorique sur le caractère obligatoire de son enseignement ».