Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à Europe 1 le 17 novembre 1998, sur le financement du régime des retraites, la gestion de l'UNEDIC et les relations entre la CFDT et la CGT.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - M. Seillière vient de tenir une promesse. Apparemment elle vous fait plaisir. Le Medef est prêt à des négociations pour un nouvel accord Arpe. C'est-à-dire préretraite contre embauche. Et le Medef accepte de l'étendre aux salariés qui ont commencé à travailler dès l'âge de 14-15 ans. C'est ce que vous vouliez ?

« Oui. C'est une revendication que je véhiculais depuis un bon moment ; que j'ai exprimée plusieurs fois sur les médias, à chaque fois que je le pouvais. Je suis satisfait qu'il ait pris cette décision. C'est le principe. Maintenant, on va mettre les choses, je dirais, en musique. L'important c'est qu'on maintienne le système. Je vous rappelle qu'il a donné des résultats qui sont très intéressants : 126 000 personnes sont parties ; 110 000 ont été embauchées ; et à 99 % des contrats à durée indéterminée. »

Q - En trois ans, il faut le rappeler…    

« En trois ans. Ça fait quand même presque 300 000 personnes satisfaites. »

Q - L'Arpe a coûté 26 milliards à l'Unedic en trois ans. Alors, cette fois-ci, les entreprises concernées vont-elles payer ?

« Le problème est de savoir si nous pouvons satisfaire la revendication de l'extension pour ceux qui ont commencé à travailler à 14 et 15 ans, avec les finances actuelles de l'Unedic ? Si ça n'est pas possible, il faudra effectivement que nous allions vers une cotisation supplémentaire, mais qui sera relativement minime. J'ai un petit peu peur des chiffres qu'on annonce ? 27 milliards, etc. A chaque fois que j'ai quelque chance de réaliser une revendication, on se dépêche d'avancer les coûts. »

Q - Oui, mais elles ont un coût…

« Toutes les revendications ont un coût. Et les aides à l'emploi ça n'a pas un coût ? Et les exonérations de cotisations sociales ça n'a pas un coût ? Et les milliards que donnait, de manière régulière ? rappelez-vous, les gouvernements précédents ?, pour aider les employeurs qui, eux-mêmes, disaient : ça n'aide pas l'embauche ? »

Q - Est-ce que ce n'est pas autant de moins pour indemniser le chômage, et en particulier le chômage des jeunes ?

« Attendez, pour l'instant nous sommes sur le fait de savoir si on veut essayer de provoquer des embauches chez les jeunes. Or, on n'a guère trouvé de moyen aussi efficace que l'Arpe pour l'instant. Je pense, d'ailleurs, que c'est un problème de circonstance. Je ne le cache pas, les 14 et 15 ans, il ne va plus y en avoir beaucoup maintenant, dans la mesure où, avec le temps, les embauches se faisaient plutôt à 17-18 ans, et malheureusement, même maintenant, à 24-25 ans. Mais le système sera fongible, il disparaîtra. Ça ne veut donc pas dire qu'il va coûter très cher et très longtemps. Mais il faut le faire. Je rappelle, aussi, et bien que je ne sois pas très partisan de la formule, que le 10 octobre 97, le Premier ministre, à l'occasion de la Conférence tripartite, avait annoncé que, le cas échéant, l'État mettrait au pot. Et il avait annonce 40 000 francs. »

Q - Donc vous attendez que l'État mette un peu de sous ?

« Pas du tout ! Je viens de dire… »

Q - Et les entreprises une part d'augmentation…

« Absolument »

Q - Les Verts, le Parti communiste et les associations demandent à L. Jospin de régulariser tous les sans-papiers. M. Barre trouve sage M. Jospin de ne pas le faire. Et vous ?

« Le problème de fond c'est qu'à mon avis on ne peut pas garder des gens qui sont dans une situation irrégulière. Il faut donc trouver le moyen de régulariser. Ce à quoi il faut faire attention, c'est que la France ne peut pas être, de manière régulière le réceptacle, et que demain on retrouve 50 ou 100 000 sans-papiers dans notre pays. Je crois qu'il faut une régularisation globale mais progressive. »

Q - L'entrée de D. Cohn-Bendit dans le jeu politique français européen, a apparemment mis du sel sur la gauche plurielle, ses plaies, sur le centre aussi. Que D. Cohn-Bendit décoiffe, est-ce que c'est bien ou pas ?

« De manière générale, il vaut mieux qu'il y ait des gens qui fassent poser les questions que le ronron habituel. D. Cohn-Bendit, vous savez, il a l'air d'arriver très jeune, très dynamique. Moi, je n'oublie pas qu'il était là en 68, et qu'il était déjà majeur. Ça veut dire qu'il n'est pas très jeune. II est plus proche de mon âge que des jeunes de 20 et 25 ans. Il a même une certaine tendance à vouloir, un petit peu, parler comme les jeunes de 20 et 25 ans. C'est plus sûr qu'il soit dans le ton. »

Q - Avec l'euro, la gauche plurielle au pouvoir, les secousses provoquées par la loi sur les 35 heures dès le 10 octobre 97, la planète syndicale est en train de changer. La CGT et la CFDT engagent un dialogue qu'elles veulent « normal ». N. Notat et L. Viannet vous appellent. Quelle est votre réponse ?

« Attendez, "m'appellent". Ils m'appellent peut-être sur les radios, mais pas obligatoirement dans les faits. Moi je regarde ça avec une certaine prudence. Je pense qu'il y a des circonstances ; les circonstances, c'est notamment la volonté de la Confédération générale du travail, la CGT, de rentrer à la CES. »

Q - La CES ?

« La Confédération Européenne des Syndicats. Je pense qu'il y a, aussi, le Congrès de la CFDT, et qu'il peut donner lieu à des débats internes, comme tous les conseils, et tant mieux. »

Q - M. Blondel, votre réponse !

« Mais, ma réponse… Vous croyez que je vais vous dire que je vais aller à leur invitation ? D'une part, ils ne m'invitent pas ; et d'autre part, je ne suis pas disposé à remettre en cause les revendications que j'exprime, c'est-à-dire, celles de mon organisation et celles des salariés que je représente. »

Q - Qu'est-ce que vous reprochez « au tango » comme vous dites, que dansent en flirtant, la CGT et la CFDT aujourd'hui ?

« Je dis tout simplement que c'est un problème de circonstance ; nous verrons bien si cela va durer. Je ne suis pas sûr… Et regardez bien, l'entretien qui a eu lieu pour comparer, parait-il, les rapports d'activité des uns et des autres ! Vous avez vu une conclusion, vous ? Oui, l'entretien a eu lieu, et il n'y pas eu de conclusion. »

Q - Mais, ils commencent. Dans l'hypothèse où ça dure, que ça marche, que faites-vous ?

« Nous verrons. Je ne confonds pas une unité d'action ? c'est-à-dire la possibilité que nous avons, le mouvement syndical, à nous mettre ensemble d'accord sur une revendication définie, quand on définit bien ce que nous voulons revendiquer ?, et puis une espèce de, je dirais, de liens permanents qui sembleraient dire qu'il n'y a plus de différences entre nous. C'est dire des choses qui sont fausses ! Les salariés ne l'entendent pas comme ça ! »

Q - Mais, regardez la gauche plurielle…

« Oui, attendez la gauche plurielle… »

Q - Deux partis qui ne pensent pas tout à fait la même chose, qui ont des débats entre eux, ça ne veut pas dire qu'il y en a un qui a avalé les autres !

« Mais je ne parle même pas "d'avaler". Regardons le Gouvernement ! Il y a des moments, où il y en a qui chantent d'une façon, et d'autres de l'autre. Ça veut dire qu'il y a de temps en temps des concessions. Pour marquer l'unité ils sont obligés de faire des concessions ? et pas toujours des bonnes, je suis navré ? ou il y a de l'immobilisme. Je ne suis pas sûr que ça crée une dynamique. »

Q - Les autres bougent, M. Blondel non ?

« M. Blondel il bouge comme tout le monde. Qu'est-ce que ça veut dire ? J'ai des contacts avec les uns, avec les autres ; j'ai des contacts à l'étranger ; j'ai toute une série de sources. Blondel, il n'est pas plus statique que d'autres. »

Q - Est-ce qu'à ce bal, FO ne va pas faire tapisserie ? Je sais bien que vous dites : on préfère être seuls. Mais est-ce que, aujourd'hui, vivre en solo, ce n'est pas rétro ?

« Vous savez, dans ce genre d'affaire, le problème est de savoir qui sera le chef d'orchestre. J'aurais plutôt tendance à aimer être le chef d'orchestre. »

Q - Vous ne dansez pas le tango, mais vous mettez la partition du tango ? Carlos Blondel au lieu de Carlos Gardel. Vous avez dit tout à l'heure, M. Blondel, que la CFDT allait parrainer la CGT pour son entrée dans la Confédération…

« Là, vous transformez les choses ! Le problème ce n'est pas parrainer la CGT, c'est ne pas s'opposer à l'entrée de… »

Q - D'accord, d'accord…

« Je crois quand même que la CFDT… »

Q - …elle va faciliter l'entrée ?

« Peut-être par une neutralité bienveillante. »

Q - Pourquoi vous avez dit non, vous ?

« Parce que je ne suis pas d'accord avec la CGT sur de nombreux points. Le mouvement FO a de bonnes raisons pour cela. Cela ne se sait peut-être pas, mais dans certains secteurs professionnels ou la CGT est dominante, elle n'accepte pas qu'il y ait d'autres organisations syndicales. Je peux donner des exemples très précis. Tenez aux NMPP, nous avons des délègues syndicaux Force ouvrière qui prennent des coups par des délègues CGT ! Alors on peut très bien régler le problème à coups de poing bien entendu, sauf que cela veut dire que là, où la CGT est majoritaire et contrôle la profession, elle ne veut pas d'autres organisations syndicales. »

Q - Vous pensez donc que la CGT n'a pas sa place à la Confédération européenne ?

«  Pour moi, cela suffit pour dire que je ne suis pas d'accord à une adhésion. Pourquoi voulez-vous que j'accepte une organisation syndicale qui ne me tolère pas ? Je dis bien me tolérer. »

Q - Est-ce qu'il n'est pas bon aujourd'hui que la France sociale aille désormais vers un syndicalisme certes qui conteste, qui se bat, mais qui invente, qui s'adapte et qui propose ?

« Écoutez je propose ! La réduction de la durée du travail. Redisons les choses : celui qui a demandé en février 1995 à M. Gandois, alors président du CNPF, de négocier la réduction de la durée du travail, c'est Force ouvrière. On nous a fait ensuite le procès de ne pas vouloir revendiquer la réduction de la durée du travail parce que nous ne pensions pas ? et les faits le démontrent ? que ce serait créateur d'emplois, automatiquement créateur d'emplois. »

Q - Et le rapprochement de Force ouvrière, Blondel avec Notat et Viannet ?

« Soyons gentils ! Ce n'est pas une question de rapprochement entre personnes. Cela ne veut pas dire que je contesterai des unités d'actions. Je crois savoir que, dans de nombreuses professions ? aujourd'hui les douaniers, demain la banque ? il y a toute une série de professions dans lesquelles les organisations syndicales en commun sont en train de revendiquer. »

Q - Au passage je rappelle que vous allez faire une manifestation le samedi 21.

« Le samedi 21. »

Q - FO seulement !

« Oui, peut-être. J'ai dit, non seulement les sympathisants, les adhérents, mais ceux qui soutiennent la politique de l'organisation. Et nous faisons cela ? c'est symbolique ? on part de la Bourse des valeurs. »

Q - M. Aubry a annoncé, hier, un Plan épargne retraite pour 1999. S'il est accessible à tous, géré par les partenaires sociaux, et s'il complète les systèmes de répartition, L. Viannet dit : Pourquoi pas ? On jugera sur place. F. Hollande dit la même chose. Et M. Blondel ?

« Et M. Blondel dit que l'épargne par capitalisation est obligatoirement concurrente de la répartition. C'est la raison pour laquelle je suis très prudent. Si on me présente les choses comme tant un élément complémentaire aux retraites, qu'on mette debout un système d'épargne salariale, alors tous les gens qui veulent prendre des risques alors c'est tout autre chose. Ce n'est pas du tout la même chose. C'est un problème économique. On ne réglera pas le problème des retraites par répartition par un complément par capitalisation. »

Q - Je note que ce n'est pas non à tout.

« Les retraites, ou l'épargne par capitalisation, cela donne des produits dans 30 ans. Le problème que nous avons à traiter est à 2005/2010. »