Texte intégral
Europe 1 : Mardi 4 juillet 1995
F.-O. Giesbert : Dans Le Monde d'hier, J.-C. Trichet gouverneur de la Banque de France vous a bien secoué les puces en déclarant que « le gouvernement aurait pu réduire davantage ses dépenses ». C'est vrai ?
F. d'Aubert : Demandez à mes collègues du gouvernement ce qu'ils pensent de la façon dont ils ont été torturés et pour certains « plumés » dans la préparation du collectif budgétaire. On a fait un énorme effort d'économies budgétaires, + de 20 milliards de francs, à mi-année, c'est très difficile de réduire les dépenses et on a vraiment fait un effort extraordinaire. En dépenses militaires notamment avec 8,3 milliards en moins. Le reste ce sont des dépenses civiles en moins tout en préservant deux priorités essentielles : la Culture et la Justice. Tout le monde a été passé au tamis.
F.-O. Giesbert : Le gouverneur de la BDF s'est donc trompé ?
F. d'Aubert : On peut toujours faire mieux en matière de réduction des dépenses, c'est cela la politique du gouvernement et on va le voir pour la loi de finances 96 car on va aller plus loin dans l'effort de réduction des dépenses.
F.-O. Giesbert : Il a donc un peu raison quand même ?
F. d'Aubert : Non car là on fait une chose à mi-saison, on est en juin. Quand vous avez des dépenses qui sont engagées depuis le début de l'année il y en a qu'on ne peut pas arrêter. Un État c'est un peu pareil. Quand on prépare la loi de finances suivante, le budget d'après, effectivement on peut faire mieux et surtout l'accompagner de réformes de structures car c'est de là que viennent souvent les excès de dépenses.
F.-O. Giesbert : À Bercy vous pouvez voir les choses de très près et notamment le bilan de Balladur en matière de finances publiques. Est-il vraiment « calamiteux » comme le disait Juppé ?
F. d'Aubert : On a un mélange de malchance fiscale et de malchance en matière de dépenses. En matière fiscale : les impôts rentrent beaucoup moins bien qu'on ne le pensait et en matière de dépenses on a des dérapages. Dire qu'il y avait des choses qui avaient été « sous budgétisées » en 94, sincèrement je crois qu'il ne faut pas faire de mauvais procès à nos prédécesseurs et je me garderais bien de le faire. Si on était resté sur la pente qu'on a depuis quelques mois et qu'il n'y ait pas d'assainissement par le collectif budgétaire, on aurait eu, probablement à la fin de l'année, un bilan financier encore plus difficile qu'aujourd'hui.
F.-O. Giesbert : Heureusement vous êtes arrivé pour remplacer Sarkozy…
F. d'Aubert : Je suis quelqu'un de modeste, N. Sarkozy a fait du très bon travail et il y a une continuité sur ce plan dans l'équipe du gouvernement.
F.-O. Giesbert : Êtes-vous sûr que vous ne pouviez pas faire plus d'économies, 19 milliards de coupes claires dans le train de vie de l'État, est-ce vraiment assez ?
F. d'Aubert : On peut toujours faire mieux, on peut le faire dans certains secteurs, chez les gros consommateurs de crédit. Les gros budgets ce sont les Armées, l'Éducation nationale. Mais il y a un secteur qui est inconnu c'est celui de la dette. Le budget de la dette est le deuxième budget civil de France.
F.-O. Giesbert : 3 000 milliards !
F. d'Aubert : Oui et surtout les intérêts qui sont de 200 milliards chaque année qui sont payés. Quand on dépend les taux d'intérêt européens ou mondiaux et que la masse de ces taux augmente de près de 17 % par an en ce moment, on est très dépendant et on n'a pas beaucoup de marge de manœuvre. C'est pour cela qu'on a essayé de s'en redonner avec le nouveau budget.
F.-O. Giesbert : Avec l'augmentation du SMIC et toutes ces mesures sociales, n'avez-vous pas le sentiment que la voiture France risques de faire des embardées ?
F. d'Aubert : Il est indispensable d'augmenter le SMIC pour des raisons sociales, ça va donner aussi un peu de pouvoir d'achat. Le comportement de quelqu'un en CIE est un comportement très différent de quelqu'un qui a une allocation chômage car ça devient un agent économique plus dynamique. On est un des pays les moins inflationnistes au monde et d'Europe et de ce côté-là il n'y a franchement pas de risques.
F.-O. Giesbert : Quand la France sera-t-elle capable de remplir les critères de Maastricht en matière budgétaire ?
F. d'Aubert : À temps ; la monnaie unique est prévue pour 1999, ça veut dire qu'il faut que nous soyons prêts pour le 31 décembre 98. Il faut que le dernier budget à être en bon état, avant la monnaie unique, soit celui de 97. La ligne c'est 5, 4, 3 : 5 % de déficit par rapport au PIB cette année, 4 %, en 96 et 3 % pour la monnaie unique.
F.-O. Giesbert : Certains en auraient bien besoin de cette monnaie unique car il y a un drame en ce moment dans les campagnes : la chute des cours de la viande bovine provoquée notamment par les dévaluations des monnaies d'un certain nombre de nos partenaires européens comme l'Italie. Que pouvez-vous dire il ces agriculteurs désespérés ?
F. d'Aubert : Dans ma Mayenne on connaît bien ça. Le problème ce sont les désordres monétaires européens et la parade à cela c'est la monnaie unique. La lire, la peseta et un peu la livre, ce sont des dévaluations sauvages. Il faut donc contrer cela. Un très bon accord a été passé par P. Vasseur l'autre jour à Bruxelles et qui va permettre des aides nationales. La deuxième chose c'est qu'il faut que nous récupérions plus d'argent de l'Europe et la troisième chose c'est la monnaie unique.
F.-O. Giesbert : Est-il vrai que la nouvelle fiscalité tournera autour de la CSG ?
F. d'Aubert : Tournera je n'en sais rien mais il y a sûrement un rapprochement à faire entre la CSG et l'impôt sur le revenu. Ce dernier est un peu usé, l'assiette est étroite, les taux sont élevés, la CSG est un impôt plus large, qui concerne tous les revenus et c'est très important. Le taux actuellement est bas. Il faut simplement que l'État n'y perde pas trop dans une réforme fiscale.
F.-O. Giesbert : Mais je croyais que vous deviez baisser les impôts…
F. d'Aubert : Les baisses d'impôts vont venir quand on aura rétabli l'équilibre financier de l'État. En Allemagne, en 91-92, pour réussir la réunification allemande, les Allemands ont aussi augmenté les impôts et ensuite ils les ont baissés. C'est donc un cycle vertueux que nous enclenchons. Les hausses d'impôts qui ont été annoncées sont des hausses qui sont temporaires et qui dureront jusqu'à l'instauration de la monnaie unique.
F.-O. Giesbert : Beaucoup de Français sont exemptés de l'impôt aujourd'hui dans des proportions bien plus grandes qu'à l'étranger, c'est une bonne chose ?
F. d'Aubert : Je vous disais que l'impôt sur le revenu était usé. Dans l'usure il y a précisément le fait que l'assiette de l'impôt, le nombre de gens qui payent l'impôt, n'est pas assez élevé c'est certain. En même temps on a des taux qui sont trop élevés au sommet et le dernier est très dur pour les contribuables c'est vrai.
F.-O. Giesbert : On sait que vous vous êtes présenté longtemps comme « le Mr Propre de la majorité » et vous vous êtes toujours prononcé pour une moralisation et un contrôle accru du système des subventions dans l'Europe communautaire. Maintenant que vous êtes ministre où cela en est-il ?
F. d'Aubert : Je m'en occupe, j'ai sous mon autorité la Direction des Douanes qui a reçu des instructions très précises et déjà une partie du travail était bien faite.
Paris Match : 6 juillet 1995
Paris Match : Vous venez d'annoncer un plan musclé d'annulation de dépenses budgétaires de 19 milliards de francs. Allez-vous en priorité vous attaquer aux abus, touchant notamment le PMI, dont les crédits explosent ?
F. d'Aubert : En effet, nous avons constaté sur les six premiers mois de l'année une forte progression du RMI et un dérapage de 3 milliards de francs
Paris Match : Quelle est la part de l'abus ? Je ne le sais pas mais je crois que sur ce type de dépenses, comme sur beaucoup d'autres, nous devons mieux vérifier que ceux qui bénéficient sont bien ceux qui ont des droits. Je crois aussi que la lutte contre les abus, la lutte contre la fraude sont des moyens forts de faire des économies budgétaires. J'ajoute qu'avec le contrat initiative-emploi nous espérons proposer à beaucoup de Rmistes un statut de salarié et une véritable réinsertion.
Paris Match : N'estimez-vous pas plus judicieux de s'attaquer à ce style d'abus plutôt qu''aux crédits militaires, dont l'amputation a deux conséquences : le chômage dans les industries d'armement et la victoire du Front national dans les villes touchées ?
F. d'Aubert : Vous établissez un lien un peu facile entre le vote aux municipales et les crédits budgétaires de la Défense. L'armée n'est pas d'extrême droite, elle st républicaine. On ne va pas faire dépendre notre politique militaire des scores du FN aux élections. Le parti de M. Le Pen a trouvé une atmosphère favorable dans les villes où il y a des affaires de corruption, de mauvaise gestion et d'insécurité.
Paris Match : Plus généralement, la hausse continue des prélèvements obligatoires pour subventionner les exclus, les sans-abri, etc., ne fait-elle pas le lit du Front national ?
F. d'Aubert : La fracture sociale est réelle en France. Nous avons à mener une politique de réunification des Français. Elle a un coût. Nous augmentons les prélèvements de moins de 0,5 %. C'est nettement inférieur à ce qu'ont payé les Allemands pour réussir leur réunification. Enfin, cette hausse est saine parce qu'elle n'est pas passagère. Quand nous constaterons que nous avons ramené le déficit public à 3 % du PIB, nous pourrons diminuer les prélèvements.
Paris Match : Jacques Chirac a expliqué pendant sa campagne que le travail doit être récompensé. Alors, à quand les allègements d'impôt pour ceux qui bossent ?
F. d'Aubert : Alléger les impôts, cela veut dire aussi, pour être crédibles, diminuer les dépenses de l'État. Mais nous allons sans attendre engager la réforme fiscale dès le prochain budget avec plusieurs priorités, dont la réforme de la taxe professionnelle, qui brime l'emploi. Autre chantier : celui de la CSG et de l'impôt sur le revenu. Cette réforme est liée à celle du financement de la protection sociale pour mieux distinguer ce qui relève de l'assurance et de la solidarité. Nous en profiterons pour rapprocher l'impôt sur le revenu et la CSG et pour les modernise. Aujourd'hui, l'impôt sur le revenu est trop complexe, à bout de souffle. Les exonérations et les réductions en tout genre se multipliant. En profitant surtout les riches qui peuvent s'offrir un conseiller fiscal.
Paris Match : Le plan Juppé est critiqué par certains comme un énième plan d'énarque. Que répondez-vous ?
F. d'Aubert : Ce plan, ce n'est pas la pensée unique, comme l'a dit Alain Juppé. Il est d'une ampleur inégalée et chacun y prend sa part, l'État au premier rang plus de 20 milliards d'économies. C'est un plan de solidarité partagée. Il contient des charges sociales. Les patrons expliquent depuis des années que le coût du travail est le principal obstacle à l'embauche. Alors, soit ils ont raconté des balivernes, soit ils jouent le jeu. Je suis convaincu qu'ils le feront.
F. d'Aubert : Depuis l'annonce du collectif, les taux d'intérêt français à long terme ont légèrement remonté. Cela semble indiquer que les gourous des marchés ne croient pas entièrement à votre capacité de réduire les déficits publics…
Paris Match : Je crois que nous avons donné un signal fort au marché, en multipliant par quatre la vitesse de réduction des déficits. Le gouvernement précédent avait prévu 25 milliards sur un an, nous allons faire 50 milliards sur six mois. Nous affichons clairement la règle : un déficit à hauteur de 5 % du PIB en 1995, de 4 % en 1996 et de 3 % en 1997. Je suis convaincu que le signal sera apprécié. Quant aux gourous, quand ils sont tissus de ces mêmes banques publiques, qui n'arrêtent pas de demander de l'argent à l'État, ils ne sont pas les plus qualifiés pour parler de nos déficits.
Paris Match : Le PR, auquel vous appartenez, va-t-il oui ou non éclater ?
F. d'Aubert : Je me demande à son propos si nous sommes à l'époque du Moyen Âge avec ses grandes compagnies ou de la Renaissance avec ses condottières et ses armées privées. Je considère incorrect que le conseil national du PR ait été fixé le jour où nous présentons le collectif budgétaire à l'Assemblée et au Sénat. Personnellement, je ne suis pas un sécessionniste. Je souhaite un Parti républicain renouvelé porteur d'idées nouvelles véhiculées par des hommes de conviction.