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"Je n'ai jamais eu la moindre volonté de remettre en cause la loi Veil"
Le Monde : Votre souhait d'être à la tête d'un ministère de la vie a laissé entendre que vous souteniez les actions illégales des "commandos pro-vie" anti-avortement. Qu'en est-il ?
Colette Codaccioni : Lors de ma première conférence de presse, je souhaitais simplement me faire connaître et expliquer mon parcours. S'agissant du ministère de la solidarité entre les générations, j'ai dit qu'il aurait pu s'appeler le ministère de la vie, car il s'agit bien de la vie quotidienne de toutes les générations. Je ne comprends pas que l'on ait rattaché cela aux mouvements commandos ou a ce qui s'en approche. Il n'y a aucune relation entre les deux. C'était une expression logique de mon engagement professionnel puisque, depuis trente ans, je suis sage-femme. C'était aussi simple que ça.
Le Monde : Pourquoi n'avez-vous pas réagi après la décision du tribunal correctionnel de Paris, prise le 4 juillet, de relaxer des membres d'un commando anti-avortement ?
Colette Codaccioni : Vous me demandez en fait ce que je pense de l'IVG ou des commandos anti-IVG. Je n'ai jamais eu la moindre volonté de remettre en cause la loi de 1975, dite loi Veil, et je ne le ferai pas. Ma position est très nette. Au sujet des commandos anti-IVG, je ne me suis pas exprimée car, pour moi, les choses étaient très claires : il n'y a aucune raison de revenir sur cette loi. La loi de janvier 1993 stipule que toute entrave à l'IVG est condamnable. Elle doit être appliquée.
En ce qui concerne la décision du tribunal de Paris, Jacques Toubon a bien fait d'interjeter appel. Chaque entrave à la loi est condamnable et, bien évidemment, les actions extrémistes le sont. De la même façon que je ne suis intervenue sur aucun des jugements rendus, je n'ai pas à commenter celui-ci.
Le Monde : Êtes-vous favorable au fait que la loi d'amnistie exclue les actions des commandos anti-avortement ?
Colette Codaccioni : Oui, tout à fait. Cela va dans le même sens.
Le Monde : Donc, vous êtes favorables au droit à l'avortement et vous ne ferez rien pour le restreindre ?
Colette Codaccioni : Non, absolument rien. C'est droit des femmes. Je ne veux pas revenir en arrière, d'autant que j'ai vécu cette période où les femmes n'avaient pas la possibilité de recours à l'IVG. Quand on a vécu cela, on ne peut pas revenir en arrière. Un certain nombre de jeunes femmes, aujourd'hui, ne peuvent même pas imaginer que des femmes mourraient le week-end parce qu'elles n'avaient pas l'argent nécessaire pour aller se faire avorter en Suisse et, plus tard, en Angleterre.
Je suis d'ailleurs d'accord avec le Planning familial, qui déclarait, il y a peu, que "pour éviter le recours à l'IVG le gouvernement ferait bien de s'attacher à développer les moyens d'information pour une meilleure contraception et une meilleure prise en charge des moyens contraceptifs".
Le Monde : Vous avez déclaré que la famille est le pivot de la société et la femme le pivot de la famille. Certains vous soupçonnent de vouloir renvoyer les femmes au foyer grâce à l'allocation parentale de libre choix…
Colette Codaccioni : C'est un raccourci trop rapide. J'ai dit que la femme était le pivot de la famille et que la famille était le pivot de la société. Mais qu'est-ce que la famille sinon un père, une mère et un enfant, quels que soient leurs liens. Les jeunes disent, à 80-90 %, que la famille est le lieu où l'on est bien, où l'on a des repères ; c'est la valeur sûre en quelque sort. Quand j'ajoute que la famille est le pivot de la société, cela correspond à une réalité.
Je n'ai pas envie de renvoyer les femmes au foyer. Cette allocation parentale de libre-choix est une des réponses à ma volonté d'harmoniser la vie professionnelle et la vie personnelle des parents. Je leur donne le choix. Celles qui souhaitent s'arrêter de travailler momentanément – avec retour à l'emploi possible grâce au congé parental, voté en 1994 – toucheront cette allocation. Celles qui souhaitent continuer à travailler ou qui ne pourront pas faire autrement auront cette même prestation pour l'utiliser à l'accueil de l'enfant, quel que soit le mode de garde choisi. Je vais au-delà de ce qui avait été fait en 1985 avec l'allocation parentale d'éducation.
Le Monde : On vous reproche, enfin, d'être intervenue pour édulcorer la dernière campagne de prévention sur le sida…
Colette Codaccioni : Ce n'est pas du tout de ma compétence. Je n'ai été ni de près ni de loin au cœur de ces décisions. Dans certains journaux satiriques, j'ai été traitée de "pudibonde". J'ai une certaine réserve, une certaine pudeur, mais pas de pudibonderie. J'ai trop vécu dans les salles de garde dans ma carrière pour me laisser mettre cette étiquette. Alain Juppé et Élisabeth Hubert ont bien fait de faire passer cette campagne sur le sida en l'état. On n'a pas le droit de choquer impunément et l'on doit aux autres un certain respect.
Le Monde : Le pape a rendu publique une lettre aux femmes dans laquelle il affirme son opposition à l'avortement, même en cas de viol. Vous n'avez cessé de rappeler vos convictions de chrétienne, vous êtes aujourd'hui à la tête d'un ministère, chargée de faire respecter la loi. Comment conciliez-vous tout cela ?
Colette Codaccioni : Je ne mélange pas mes casquettes. Je suis le ministre de toutes les femmes de France, de toutes les personnes âgées, de toutes les personnes handicapées de France. J'ai le droit d'avoir mes convictions personnelles. Le pape est le chef de l'Église à laquelle je crois, mais je ne fais aucune confusion de genre. Je ne suis pas le ministre des femmes catholiques. Les femmes juives, les femmes musulmanes, les femmes laïques seraient en droit de me dire que je n'exerce pas mon ministère.
Le Monde : Dans ces conditions, pourquoi avez-vous placé en exergue d'un rapport parlementaire sur la famille remis en 1993 à Édouard Balladur cette phrase : "Le fruit de vos entrailles est béni", qui laisse à entendre que vous pensez que l'embryon est une personne ?
Colette Codaccioni : Lorsque j'ai remis ce rapport, j'étais député ; je n'avais pas la même fonction qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, en tant que ministre, je ne m'autoriserais pas à inscrire cette phrase. Ce que je voulais dire, ce jour-là, est très simple. Mon expérience de sage-femme pendant vingt-cinq ans m'a permis de me rendre compte que, si pour un grand nombre de parents une naissance est une bénédiction, pour d'autres, cela n'en est pas une. Et j'aurais voulu que pour tous ce moment où l'enfant arrive fût une joie. Si chacun écoute mon explication avec honnête, chacun comprendra ce que j'ai voulu dire.