Interviews de M. José Rossi, président du groupe parlementaire Démocratie Libérale à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 6 novembre 1998, et à RMC le 9, sur le débat sur le PACS, la mise en examen de Roland Dumas, et la préparation des élections européennes de 1999.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro - RMC

Texte intégral

Le Figaro, 6 novembre 1998

Le Figaro. - Pourquoi cherchez vous à nier la stratégie d'obstruction de l'opposition pour retarder le vote du texte ?

José Rossi. - Je conteste formellement la présentation faite par le PS de notre travail comme un acte d'obstruction. L'opposition a pris le temps d'écouter, d'auditionner de nombreux experts, alors que la majorité n'a pas pris le soin d'organiser le débat parlementaire. Je rappelle à cet égard qu'il n'y a eu aucune audition en commission des lois sur ce texte ! Par ailleurs, le gouvernement, qui a ressenti comme un échec l'adoption de l'exception d'irrecevabilité de notre collègue Jean-François Mattéi, a décidé de passer en force en bousculant à la fois le règlement de l'Assemblée et les députés eux-mêmes, ceux de l'opposition comme ceux de la majorité qui ont été rappelés à l'ordre.
Le gouvernement n'est donc pas qualifié aujourd'hui pour limiter la liberté d'expression sur la place publique, autrement dit dans l'Hémicycle. Il ne s'agit pas de faire de l'obstruction, car nous savons bien que la majorité de gauche sera en mesure de faire adopter ce texte. Mais nous voulons utiliser au bon sens du terme l'Assemblée comme une caisse de résonance pour faire entendre la voix du peuple, et aussi pour faire connaître dans le pays la détermination et la conviction qui anime l'opposition.

Le Figaro. - En déposant un millier d'amendements, l'opposition a-t-elle l'intention de tout faire pour que le vote solennel ne puisse pas avoir lieu le 10 novembre ?

José Rossi. - Notre objectif est surtout de faire passer notre message. Nous souhaitons traduire l'état de l'opinion, et ne pas nous laisser imposer à la hussarde un texte qui n'a pas été concerté. La question des délais est secondaire. Si la discussion prend quelques jours de plus, ce ne sera pas un drame pour le pays.

Le Figaro. - Envisagez-vous de l'utilisation par le gouvernement de la procédure du « vote bloqué » pour faire tomber les amendements superfétatoires ?

José Rossi. - Si, après avoir négligé la concertation en amont, le gouvernement empêchait le débat sur les différentes parties du texte, la coupe serait pleine, et la démonstration de l'opposition encore plus efficace. Je souhaite pour la dignité du Parlement que le gouvernement ne recoure pas à cette dernière astuce.

Le Figaro. - C'est un orateur DL, Jean-Claude Lenoir, qui défendra demain matin la question préalable contre le PACS. Va-t-il « tenir » plus de cinq heures à la tribune, comme l'a fait Christine Boutin.

José Rossi. - Christine Boutin a eu un discours de grande qualité, tout à fait argumenté, qui n'a pas lassé son auditoire. En ce qui concerne Jean-Claude Lenoir, il va s'exprimer sur un autre registre. Le groupe ne lui a fixé aucun délai. Il s'exprimera le temps qu'il faudra, après avoir épuisé toutes ses arguments.


RMC – 9 novembre 1998

Q- Vous avez siégé à l'Assemblée nationale avec tout le monde, pour le fameux débat sur le Pacs. La discussion a été houleuse, agitée. Est-ce que cette technique de l'obstruction est intéressante, franchement ? Cinq heures, six heures !

- « Il est anormal que la majorité de gauche évoque constamment l'obstruction de l'opposition. On utilise les procédures parlementaires prévues par notre règlement, et il est curieux que l'on parle d'obstruction quand, après avoir additionné les erreurs et les fautes, la majorité se rend compte qu'elle n'arrive pas à faire passer un texte qui ne correspond pas, contrairement à ce qui a été affirmé, à l'attente des Français. Alors l'opposition assume son rôle et exprime la voix du peuple. Elle se fait entendre par tous les moyens et elle propose. »

Q- Le peuple ne comprend pas non plus pourquoi vous avez besoin de parler cinq heures, pour répéter finalement à l'infini les mêmes choses. Franchement !

- « Le peuple sait, dans sa majorité – contrairement à ce qu'affirme la gauche – qu'il ne veut pas de la proposition de loi qui est présentée par la gauche dans les conditions où elle était présentée : sans aucune concertation et avec une confusion juridique qui générera une multitude de difficultés dans l'avenir. Donc nous avons le devoir d'éviter ces difficultés aux Français dans l'avenir. »

Q- Mais on parle de la méthode, là ! Est ce que la bonne méthode, c'est de faire ce que vous avez fait, ce week-end ?

- « Nous n'avons pas abusé de l'obstruction, c'est faux. C'est, au contraire, le président de l'Assemblée nationale, Monsieur Fabius, qui a interrompu, brutalement, les débats et à deux reprises. »

Q- Oui, mais au bout de quatre heures...

- « C'était annoncé : nous avions dit que nous utiliserions pour M. Boutin cinq heures pour présenter son projet. Elle l'a fait de manière très argumentée. Notre porte-parole à Démocratie libérale a parlé trois heures et demi. Il a été interrompu en cours de discours, et je crois que la gauche s'est un peu affolée, car elle voulait, à tout prix, passer en force. Elle a subi un échec au moment où elle a été obligé de reculer avec l'adoption d'exception d'irrecevabilité présentée par notre député de Démocratie libérale, J.-F. Mattéi. Et le gouvernement, alors, qui n'avait pas pris parti de manière lisible au départ, a été obligé de se dévoiler, de soutenir la proposition d'origine parlementaire et, en définitive, c'est un double échec. Puisque pour la première fois, il y a l'adoption de l'exception d'irrecevabilité, et on refait un texte dans l'improvisation. Puis, aujourd'hui, on n'arrive pas à faire passer le texte, comme on le souhaitait, pour mardi prochain. C'est un deuxième recul du gouvernement. »

Q- Est-ce que vous êtes d'accord, puisque vous êtes président du groupe Démocratie libérale à l'Assemblée, sur la proposition de Monsieur Fabius de changer le règlement : par exemple limiter à 45 minutes, même au Sénat, les interventions ?

- « Nous sommes prêts à discuter de tout. Nous avons un esprit d'ouverture, un esprit de réforme. Mais on n'engage pas ce type de propositions à chaud quand on vient de subir un échec. Cela est sulfureux, cela sent l'échec. Monsieur le président de l'Assemblée, Monsieur Fabius, aurait tout avantage à laisser les esprits s'apaiser. Et, dans une situation normale, nous sommes prêts, bien sûr, à discuter de réforme. On la fait déjà à plusieurs reprises, sans beaucoup de succès, il faut le dire. »

Q- Combien de temps il faut attendre ?

- « Ecoutez, laissons passer la discussion budgétaire ! Nous vous avons une conférence des présidents, mardi prochain, un bureau de l'Assemblée nationale : nous allons protester avec véhémence contre des méthodes de la majorité de gauche qui nous ont paru très autoritaires en l'occurrence, et qui ne correspondent pas à l'image que veut donner habituellement de lui Monsieur Fabius. »

Q- L'affaire R. Dumas : des voix s'élèvent pour demander sa démission. Tant qu'il est mis en examen, il est soumis à des procédures judiciaires. Monsieur Giscard d'Estaing, ancien Président de la République, a demandé, hier, au Président de la République actuel, Monsieur Chirac, de déplacer et de révoquer Monsieur Dumas en tant que président du Conseil. Est-ce que vous approuvez ses demandes ?

- « Il faut être très prudent sur les positions qu'on adopte à l'égard d'une institution comme le Conseil constitutionnel, car les conditions de nomination et de révocation de ses membres posent un problème juridique majeur. Il n'est pas question, d'ailleurs, de révoquer qui que ce soit en l'occurrence, mais de poser la question de savoir si Monsieur Dumas, compte tenu des polémiques qui se développent dans l'opinion publique à son égard, a encore l'autorité nécessaire pour présider avec efficacité le Conseil constitutionnel. »

Q- Quelle est votre réponse ?

- « Manifestement il y a un problème. Il y a un problème grave, et il est légitime de se poser la question. De là, maintenant, à dire que le Président de la République peut démissionner d'office Monsieur Dumas, les textes ne sont pas clairs, et je crois que, de ce point de vue-là, personnellement, je suis réservé. »

Q- Comment faire alors ?

- « Je crois qu'il faudrait que Monsieur Dumas tire lui même les conclusions de sa situation et qu'il se mette en vacances si j'ose dire. »

Q- Vous le demandez ?

- « C'est une analyse et une réflexion personnelle qui devraient être celle de Monsieur Dumas. »

Q- Monsieur C. Millon, qui a tenu congrès de sa formation La Droite, a parlé de vous, a parlé de l'Alliance dans des termes qui n'étaient pas très sympathiques puisqu'il a parlé de « droite d'intérêts », je le cite, et de « droite honteuse ».

- « Pour rassembler la droite – en dehors de la droite extrême et de l'extrémiste bien sûr –, la droite républicaine, je crois qu'il faut que chacun, aussi bien chez Monsieur Millon que dans nos propres rangs, nous soyons en mesure de tenir un discours de rassemblement et non pas un discours d'exclusion et d'anathèmes. Monsieur Millon s'est sans doute laissé aller à des propos excessifs qui ont généré des propos un peu durs en retour. Personnellement, nous avons, à Démocratie libérale, nous qui voulons être le fer de lance... »

Q- Vous avez une position ambiguë sur ce point-là ?

- « Non, pas ambiguë du tout. Nous voulons être le fer de lance d'une reconstruction de l'opposition dans la clarté et dans le respect de nos valeurs républicaines. Nous ne recherchons pas du tout, mais vraiment pas du tout ! Un compromis quelconque avec l'extrême droite. Par contre, nous voulons rassembler toute la droite républicaine et peut-être, pourquoi pas, aller vers un grand parti de droite réunifié. Et si, après avoir tracé des frontières très nettes avec le Front national, et donc créer une fracture avec le Front national – il n'est pas question, que nous recherchions une alliance sous quelque forme que ce soit, ni un accord sous quelque forme que ce soit –, si nous essayons de créer, si nous laissons se créer un nouveau fossé à l'intérieur même de la droite républicaine alors, là, nous irons à la catastrophe, et nous n'avons plus aucune chance de reconquérir les responsabilités d'ici trois ans et demi lorsque viendra le moment des législatives. Donc, il faut un discours de rassemblement pour la droite républicaine. Monsieur Millon avait une bonne idée au départ : ses thèmes sont ceux de la construction d'un grand parti de droite républicaine. Personnellement, je suis tout à fait ouvert à cette idée. Mais s'il se met à taper sur chacun des partis – le RPR, l'UDF, Démocratie libérale –, il commet une faute. Et, à ce moment-là, il va tuer l'idée, la bonne idée, qui est la sienne. Et tout naturellement la reconstruction, si elle se fait, va se faire bien sûr d'abord autour de l'Alliance, c'est-à-dire le RPR, l'UDF et Démocratie libérale. »

Q- Vous êtes d'accord avec Monsieur Séguin : Millon affaiblit l'opposition et veut seulement justifier l'injustifiable ?

- « Je ne veux pas être dur avec C. Millon : je suis respectueux des positions des uns et des autres si elles partent d'une bonne intention. Mais, hier, il a commis une faute en tenant ces propos excessifs. »

Q- L'Europe : apparemment des gens à l'UDF ne veulent pas que Monsieur Séguin dirige la liste unie de l'Alliance. Est-ce que vous considérez que c'est une position raisonnable ?

- « Il faut être beaucoup plus simple : lorsqu'on évoque le programme, en effet, pour présenter une liste commune – et nous voulons une liste commune à Démocratie libérale – il faut être d'accord sur le programme, sur le projet pour l'Europe : le RPR, l'UDF et Démocratie libérale doivent avoir la même vision de L'Europe. Et il est naturel que des hommes et des femmes qui ont eu d'autres positions dans le passé puissent évoluer, y compris P. Séguin. Et au centre, à Démocratie libérale, nous avons connu chez les uns et les autres des évolutions et des réflexions qui ont permis d'avancer. Si nous tombons donc d'accord sur un projet – et cela il faut le faire dans les mois qui viennent – dans ce cas-là, le problème du chef de liste, du leader qui conduira la liste devient secondaire. Il faut simplement se poser la question de savoir quel est l'homme ou la femme le mieux placé pour obtenir le meilleur résultat et le meilleur score. Nous verrons en termes d'analyse d'opinion, et ce chef de fil peut-être aussi bien au RPR, à l'UDF qu'à Démocratie libérale. Il faut choisir le meilleur pour rassembler. »

Q- Vous n'êtes pas opposé à ce que ce soit Séguin ?

- « Il n'y a d'opposition à l'égard de personne : ce que nous voulons c'est être d'accord sur un projet, car on ne peut aller sur une liste unique, si on n'est pas d'accord sur le projet. Mais nous voulons une liste et nous allons trouver le projet commun. »

Q- Corse : vous étiez présent à l'Assemblée lors de la déclaration du préfet Bonnet et son altercation avec les nationalistes. Est-ce que vous approuver à 100 % les déclarations, et ce que fait Monsieur Bonnet en Corse ?

- « Il ne faut jamais approuver quoi que ce soit à 100 %, et je ne demande pas à ce que mes déclarations soient approuvés à 100%. Je dis simplement qu'aujourd'hui l'État, le gouvernement, le Président de la République ont donné une feuille de route pour qu'en Corse, enfin, la sécurité, la justice, l'application de la loi soient garanties. Donc, de ce point de vue-là, sur la distance on va gagner, on est sur la bonne ligne. En même temps – et c'est ma préoccupation en tant que président de l'assemblée territoriale corse –, il faut éviter de créer une fracture entre la Corse et la communauté nationale, et pour cela penser aussi à la réintégration de la Corse dans la République. C'est-à-dire faire en sorte que la communauté corse se sente bien dans la République, et c'est mon rôle de président de l'assemblée de Corse, de travailler dans ce sens. »