Interview de M. Alain Madelin, ministre de l'économie et des finances, à TF1 le 25 juin 1995, sur les résultats des élections municipales, la percée du Front national, les mesures d'urgence pour l'emploi et le collectif budgétaire.

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Intervenant(s) : 

Média : TF1

Texte intégral

Mme Sinclair : Bonsoir.

Deux grands sujets ont dominé l'actualité cette semaine : le résultat des municipales, d'abord et puis la présentation par le Gouvernement de son plan pour lutter contre le chômage.

Pour commenter ces deux grands sujets, j'ai invité Alain Madelin, ministre de l'Économie et des Finances, dont c'est la première longue intervention télévisée.

Bonsoir, Alain Madelin.

M. Madelin : Bonsoir.

Mme Sinclair : Et puis tout à l'heure je recevrai une star de la Formule 1, Jean Alesi, après sa victoire au Grand Prix du Canada et 8 jours avant le Grand Prix de France à Magny-Cours où il part grand favori et grand chouchou des Français.

On va vous retrouver tout à l'heure, Jean Alesi. On va d'abord parler un peu politique et économie avec Alain Madelin. D'abord, les Municipales, avec l'entrée fracassante de maires Front national sur la scène politique française.

Zoom :
     Le Front national apparaît comme le grand bénéficiaire de ces élections.
     Reportage.

Mme Sinclair : Alain Madelin, on a dit en effet plusieurs choses :
     1. Pas d'effet Chirac.
     2. Implantation spectaculaire du Front national. On va peut-être y revenir.
     3. Peut-être volonté de la part des Français de ne pas laisser carte blanche à un nouveau Pouvoir qui arrive.

Quelle est votre leçon, à vous, de ces Municipales ? Y en a-t-il une d'abord ?

M. Madelin : Je crois que les élections municipales sont, comme leur nom indique, des élections locales et qu'il n'est pas facile de tirer une leçon nationale. Il y avait un besoin de renouveau. Il y a un comportement très indépendant des électeurs.

Moi, je trouve les électeurs de plus en plus futés. Il y a un comportement de consommateur éclairé et on sait très bien faire la différence entre une élection nationale et une élection locale.

Personnellement, je suis tout nouveau maire de Redon…

Mme Sinclair : …Vous avez été élu au premier tour…

M. Madelin : …Oui, j'ai été élu avec un peu plus de 58 % des voix là où Lionel Jospin avait fait 52 % des voix ou 53 % des voix. Cela prouve quoi ? Cela prouve que…

Mme Sinclair : …La composante locale a joué davantage…

M. Madelin : … Bien sûr ! Je crois que c'est ce qui fait la différence. C'est la composante locale et le talent des hommes qui permettent d'emporter un certain nombre de mairies ou éventuellement la composante locale qui fait que nous en perdons.

Il y a néanmoins un autre problème, mais nous allons en reparler, c'est celui qui apparait avec notamment l'émergence forte du Front national.

Mme Sinclair : On va y venir.

M. Madelin : C'est le diagnostic de fracture sociale qui a été le nôtre pendant toute la campagne présidentielle et que, je crois, confirme cette élection municipale.

Mme Sinclair : On va y venir ; Simplement, juste un mot. Quand on dit : "II n'y a pas eu d'effet Chirac", cela vous semble malvenu parce que cela ne s'applique pas à des élections municipales. C'est cela que vous voulez dire ?

M. Madelin : C'est vous qui avez dit : "il n'y a pas eu d'effet Chirac"…

Mme Sinclair : … C'est l'ensemble de la classe qui dit cela.

M. Madelin : Je pensé que l'ensemble de la Majorité s'est bien comporté. Laval, Marseille et d'autres grandes villes, ainsi reprises par l'actuelle Majorité, je pense que ce sont de belles performances à l'actif de l'actuelle Majorité.

Mme Sinclair : Je vais donc évidemment vous demander votre avis sur l'implantation spectaculaire du Front national dans trois grandes villes du sud de la France mais, d'abord, deux minutes de publicité.

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Mme Sinclair : 7 sur 7 en compagnie d'Alain Madelin.

L'implantation symbolique de certains maires Front national dans des villes importantes, notamment du sud de la France, est-ce que, à partir de là, vous faites votre autocritique ? Ou dites-vous : "Nous appartenons tous à des Partis politques qui ont fait l'essentiel de ce que nous devions faire et nous n'avons rien à nous reprocher" ?

M. Madelin : Ah non, c'est vraiment notre autocritique. Le Front national prospère sur la facture de nos échecs. Cela me paraît clair. C'est parce que depuis deux septennats socialistes, nous sommes au sortir de deux septennats socialistes avec des petites périodes de cohabitation, un certain nombre de problèmes fondamentaux du pays n'ont pas été réglés. Une crise de l'État, de notre système de fonctionnement de la plupart de nos systèmes publics. Une crise d'autorité. Le sentiment, pour des tas de gens, d'injustice. Un sentiment que l'ascenseur social est bloqué. Un sentiment d'insécurité dans les rues.

Mme Sinclair : Être revenu au Pouvoir depuis deux ans, cela ne vous a pas permis de corriger cette tendance puisque le Front national n'a pas baissé depuis deux ans. Au contraire, il a progressé.

M. Madelin : C'est pourquoi je dis : je plaide coupable. Ce ne sont pas exclusivement des votes de peur dans le Front national. Les électeurs du Front national ne sont pas des malades qu'il faudrait enfermer ou soigner…

Mme Sinclair : … Non, c'est bien souvent des votes de désespoir…

M. Madelin : … Oui, ou tout simplement des gens qui s'interrogent sur ce que c'est encore que d'être Français. Et je crois qu'il nous faut apporter des réponses. On a souvent dit que le Front national posait de bonnes questions mais apportait de mauvaises réponses…

Mme Sinclair : ... Quelles bonnes questions sont posées ?

M. Madelin : Sur l'identité française, sur la sécurité, sur la déglingue de nos grands systèmes publics. Tout ceci est vrai. Mais il faut apporter un certain nombre de réponses.

Je suis de ceux qui combattent vraiment, sans aucune complaisance, le Front national  : Le "y a qu'à …", le simplisme d'un certain nombre des ses propositions. Je n'ai pas du tout la même conception des Droits de l'Homme que le Front national, mais je pense qu'un certain nombre de méthodes du style qui consistait à s'en tenir à l'exorcisme ou à l'incantation contre lui plutôt que de répondre point par point sont des méthodes qui ont fait un peu leur temps.

Je crois qu'en s'attaquant aux vraies racines du mal, le mal de l'État, le mal de l'autorité de l'État, eh bien nous allons apporter de bonnes réponses qui nous permettront de faire en sorte que cette poussée du Front national appartiendra au passé.

Mme Sinclair : Donc on jugera en fait d'ici deux ans ou trois ans, aux prochaines législatives, si vous avez apporté les bonnes réponses. Le Front national devrait avoir reculé.

M. Madelin : Très sincèrement, c'est un travail de longue haleine qui nous attend. Moi, ce que je voudrais de faire, c'est que j'essaie de penser à la France, ce que sera la France quand nous allons franchir le troisième millénaire. C'est bientôt l'an 2000. Pour moi, c'est la frontière. C'est la frontière d'une France qui donne du travail à tous. C'est la frontière d'une économie assainie. C'est la frontière d'une France où chacun redevient fier d'être Français. Bref, je crois qu'il serait faux de dire que, en quelques semaines, en quelques mois, voire même dans les deux ans qui viennent, nous aurons résolu tous les problèmes. Voilà une tâche tout à fait exaltante.

Mme Sinclair : Il y a deux attitudes, visiblement, de la classe politique face au Front national : Ou bien il y a ceux qui le considèrent comme un Parti comme les autres et qui disent à ce moment-là : "Il n'y a pas de raison de ne pas se maintenir dans des élections, quitte à prendre le risque de voir un Front national élu". Et, à ce moment-là, cela veut dire, ne pas pleurer après coup sur l'élection. Ou bien il y a ceux qui disent : "Ce n'est pas tout à fait un Parti comme les autres. Donc, un front démocratique sinon républicain s'impose". Vous êtes de quelle école ?

M. Madelin : D'abord, le Front national, à l'évidence, n'est pas un Parti qui propose des solutions de Gouvernement. Donc, ce n'est par nature pas un Parti comme les autres. J'observe que c'est souvent le maintien du Front national qui a permis les victoires du PS et qu'à Toulon, c'est le maintien du PS qui a permis la victoire du Front national.

Mme Sinclair : Et à Orange, c'est l'inverse. À Marignane, c'est l'inverse.

M. Madelin : On a rendu un très grand service au Front national le jour où une partie de la classe politique et le Tout-Paris médiatique ont sacré Bernard Tapie comme chevalier blanc de la croisade anti-Le Pen. Je crois que ce n'était pas une bonne chose et que les vicissitudes de Bernard Tapie, ultérieurement, ont donné le sentiment aux électeurs de Le Pen que c'était Le Pen qui avait raison.

Mme Sinclair : Certaines personnalités politiques ou artistiques sont appelées à une forme des villes qui avaient voté Front national. La SOFRES a posé la question à un échantillon représentatif des Français :
    Une bonne idée : 21 %
    Une mauvaise idée : 70 %
    Sans opinion : 9 %

C'est donc un très sévère rejet de l'idée de boycott et forte condamnation de l'opinion publique sur ce sujet, de Gauche comme de Droite.

Sur le boycott, une réaction, Alain Madelin ?

M. Madelin : Chaque artiste fait réellement ce qu'il veut. Mais on ne va pas faire un blocus culturel ou un blocus alimentaire des villes qui ont voté pour le Front national. Cela ne serait pas raisonnable.

Mme Sinclair : Dans un livre qui vient de sortir et qui va sûrement vous intéresser parce qu'il s'appelle "La pensée unique", qui est publié chez Fayard et qui est de Jean-François Kahn, – c'est un livre décapant que vous apprécierez sûrement, Alain Madelin –, il parle de ce qui constitue la pensée unique et des formes de rejet que cela peut provoquer. Et il dit qu'une des bases de cette pensée unique, c'est le ralliement à l'économie de marché ou plutôt à la logique de marché, absolue, en acceptant toutes les logiques.

Est-ce que le libéral que vous êtes peut accepter cette analyse ou pas ?

M. Madelin : J'ai vraiment le sentiment plutôt que, de ce point de vue là, il y aurait encore une exception culturelle française.

Mme Sinclair : C'est-à-dire que, en fait, la France n'a pas encore accepté la logique de marché.

M. Madelin : La France n'a pas encore accepté la logique de marché. Et nous sommes tout de même un peu à part de l'évolution ou de l'évolution du Monde. Non. Si pensée unique il y a, c'est l'échange mou de la pensée des technocrates de Droite avec la pensée des technocrates de Gauche. Et cela donne…

Mme Sinclair : … Vous êtes pour un échange dur, alors ?

M. Madelin : Non, cela donne des solutions molles qui, à l'arrivée, ne marchent pas. C'est avec cela que nous avons voulu rompre pendant la campagne présidentielle.

Mme Sinclair : Jacques Peyrat, nouveau maire de Nice, élu ce matin, a quitté il y a 8 mois le Front national, non pas désaccord idéologique, il l'a dit lui-même, mais par habileté tactique, par réalisme politique, en disant : "Je ne serai jamais élu maire de Nice si je reste au Front national". On parle de plus en plus d'une entrée de Jacques Peyrat au Parti républicain. Parti républicain dont vous faites partie. Deux questions : 1. Est-ce que cela vous gênerait ? 2. Est-ce que la seule renonciation de Jacques Peyrat, son étiquette Front national, vous suffit ? Ou souhaiteriez-vous, si c'était le cas, qu'il renonce aux valeurs qu'il a défendues jusqu'à présent ?

M. Madelin : Je ne sais pas si je suis qualifié pour faire passer un examen de passage à Monsieur Peyrat pour adhérer à l'UDF ou au Parti républicain.

Mme Sinclair : Pour savoir si, dans la même famille, vous pouvez vous côtoyer ou pas ?

M. Madelin : Ce que je sais, c'est que je combats le Front national. Et donc si je combats le Front national, je souhaite qu'il y ait des tas de gens, qui sont aujourd'hui au Front national, qui, un jour, arrêtent de c'est vrai aussi pour des élus. Alors, je ne vais pas fermer la porte à ceux qui peuvent quitter le Front national demain.

J'observe aussi que Monsieur Peyrat, si ma mémoire est bonne, a eu une liste du Front national contre lui au premier tour et au deuxième tour. Donc, c'est clair que, aujourd'hui, il n'appartient pas au Front national ?

Mme Sinclair : Il a passé son examen de passage pour entrer à l'UDF.

M. Madelin : Cela étant, je ne m'occupe pas de ces problèmes de ralliement.

Mme Sinclair : À Paris, il y a eu un effet symbolique de six arrondissements passés à Gauche, est-ce que, au-delà de la déception, vous avez été surpris ?

M. Madelin : Surpris, je ne sais pas. Parce que te n'était pas facile de prendre la succession de Jacques Chirac à Paris. Les élections municipales n'arrivaient pas très bien…

Mme Sinclair : … Vous dites comme Alain Juppé : "Paris sans Chirac, ce n'est pas comme Paris avec Chirac". Ce n'est pas très gentil pour Monsieur Tibéri.

M. Madelin : Les Parisiens sont volontiers frondeurs, donc ce n'est pas simple. Et c'est le fait que Tibéri apparaisse comme prenant la succession de Chirac. Peut-être qu'on a voulu pour les Parisiens mettre une sorte de contre-pouvoir à l'intérieur de l'Hôtel de Ville. Donc, il faut prendre le fait tel qu'il est.

Mme Sinclair : "Libération", vendredi, a publié les confessions d'un employé de la Direction du logement à la Ville de Paris qui mettait un peu à nu un système fait davantage pour un certain nombre de privilégiés pour payer un loyer, à Paris, peu cher. Pour éventuellement même y faire des travaux aux frais de la Ville de Paris, donc du contribuable. Jean Tibéri, ce matin, a décidé de mettre en vente le domaine privé de la Ville de Paris. Vous trouvez que c'est la réponse qui convient.

M. Madelin : C'est très bien. C'est vraiment très bien…

Mme Sinclair : … Cela vous avait choqué ce récit dans "Libération" vendredi ?

M. Madelin : Je suis partisan des dénationalisations, que l'État ne fasse pas ce que d'autres pourraient mieux faire. Et je suis partisan aussi, au plan local, de démunicipalisation d'un certain nombre d'activités économiques qui pourraient être exercées par d'autres. Ceci est un bon exemple.

Mme Sinclair : Vous êtes partisan aussi de lutter contre des privilèges réservés à certains ?

M. Madelin : Plutôt.

Mme Sinclair : Cela a été un des thèmes de la campagne.

M. Madelin : Si j'ai bien compris, ce n'était pas un problème politique. C'était le problème d'un système. Tout le monde en bénéficiait, non.

Mme Sinclair : L'autre grand sujet de la semaine : les mesures pour l'emploi du Gouvernement. On rappelle d'abord ce que va être le collectif budgétaire et on parle tout de suite avec le ministre de l'Économie et des Finances que vous êtes.

Zoom :
    Plus d'emplois mais pas plus de déficits, Tel est le double objectif du collectif budgétaire présenté par Alain Juppé et qualifié, par lui-même, d'offensif.
       Reportage.

Mme Sinclair : Alain Madelin, toutes ces mesures sont dans le but de stimuler l'emploi mais certains s'interrogent pour savoir si c'est à la hauteur de la révolution qui était annoncée par Jacques Chirac ?

M. Madelin : Oui, ce sont des mesures fortes que celles qui ont été annoncées par Alain Juppé, que je présenterai donc dans le collectif budgétaire mercredi prochain au Conseil des ministres. Ce sont des mesures fortes autour de cette priorité absolue à l'emploi. D'un côté, la lutte contre les déficits publics et, de l'autre côté, des actions d'urgence pour l'emploi.

Mme Sinclair : Lutte contre les déficits, pour l'instant, c'est maintien des déficits dans le chiffre qui était le leur : 322 milliards.

M. Madelin : Il faut peut-être s'expliquer sur ce point parce que les déficits publics sont aujourd'hui les plus grands ennemis de l'emploi. On a trop longtemps vécu au-dessus des moyens des Français. Et quand l'État peut s'endetter à n'importe quel prix, à n'importe quel taux d'intérêt, il fait monter les taux d'intérêt. Et quand l'argent est trop cher, eh bien l'argent n'est pas là pour les petits entrepreneurs, les commerçants, les artisans, les professions indépendantes, pour les aider à stimuler l'activité, à créer des activités nouvelles. Elle n'est pas là non plus pour les consommateurs pour leur permettre de s'endetter. L'argent n'est pas là non plus pour favoriser la construction de logements.

Mme Sinclair : Donc, ces déficits, vous pensez les réduire…

M. Madelin : … Donc réduire les déficits, que les choses soient claires, – ce n'est pas la rigueur pour le plaisir de la rigueur…

Mme Sinclair : … Demain.

M. Madelin : … Réduire les déficits, c'est pour créer les conditions de faire baisser les taux d'intérêt. Or, nous avions formidablement dérivé au cours de ces derniers mois en matière de déficits. On était sur un rythme de plus de 50 milliards – cela ne dit pas grand chose aux Français, mais c'est considérable – de déficits pour 1995. Nous allons faire un effort considérable pour rester à ce qui avait été prévu. 25 milliards de réduction de déficits qui avaient été prévus en un an. Nous allons faire 50 milliards en six mois. C'est-à-dire l'extraordinaire accélération de la vitesse de réduction des déficits.

Et puis il y a surtout toutes les mesures d'urgence. La pensée unique, dont on parlait tout à l'heure, c'est dans un cas de dire : "Tout sur la rigueur budgétaire" ou dans un autre cas de dire : "On dépense et puis advienne que pourra !". Je crois que la pensée du Président de la République et du Premier ministre consiste à dire : "Eh bien, on peut faire les deux à la fois".

Mme Sinclair : Juste une précision : ce plan emploi doit beaucoup, comme on l'a dit, à Jacques Chirac qui a décidé en dernière minute des arbitrages et de l'ampleur de ce plan ?

M. Madelin : Non. J'ai vu une querelle surréaliste apparaitre au travers de la presse. Je peux vous assurer que, depuis le début, avec Alain Juppé…

Mme Sinclair : … Vous étiez déjà sur cette ligne-là.

M. Madelin : L'enveloppe prévue pour les mesures sur l'emploi était yeux fixés et elle n'a pas varié. Priorité à l'emploi et remettre nos finances à l'endroit. Ce sont les deux faces d'une même politique.

Mme Sinclair : On va y venir dans le détail. Mais nous avons interrogé des Français dans la rue pour savoir ce qu'ils pensaient : des approbations, des réserves mais beaucoup de questions et notamment sur la TVA. Écoutez.

M. Bouyer : Monsieur Madelin, bonsoir.

Vous proposez pour lutter contre le chômage une hausse de la TVA de 20,6 %. J'aimerais savoir : si cette lutte contre le chômage n'a pas d'effet, est-ce que la TVA baissera bien en 97, comme c'était prévu ? Ou est-ce que ça va faire comme la vignette automobile qui devait être provisoire et qui est restée définitive ?

Mme Gavalda : Bonjour, Monsieur Madelin.

Je trouve que l'impôt sur la fortune, c'est bien. Cela ne me concerne pas. Par contre, les 2 % sur la TVA touchent les classes moyennes que je représente. Je trouve que cet impôt est injuste et je me demande à quoi ça va servir ?

Mme Sinclair : À quoi ça va servir ? Vous allez nous le dire. Mais il y a donc les deux critiques : 1. Est-ce vraiment provisoire ? Et, apparemment, ce téléspectateur n'y croit pas. 2. C'est injuste. Alors provisoire ?

M. Madelin : Tout d'abord il faut remettre en marche la machine à créer des emplois. Si elle ne fonctionne pas, c'est parce que l'argent est trop cher, donc il faut faire baisser le taux de l'argent. Et si elle ne fonctionne pas, c'est parce que le coût du travail, et particulièrement pour les gens les moins qualifiés, est trop cher, donc il faut faire baisser ce coût du travail.

À quoi va servir cet argent ? Eh bien, précisément, à faire baisser le coût du travail, dans une action extrêmement forte, avec des mesures…

Mme Sinclair : … Ce sont les mesures d'allègement des charges.

M. Madelin : C'est cela. Avec des mesures extrêmement simples  : le contrat initiative emploi, d'un côté, pour ceux qui sont aujourd'hui dans le chômage de longue durée et une baisse de charges sur l'ensemble des bas salaires de façon à stimuler la création d'activité.

Si nous réussissons à remettre ainsi l'économie en marche, à créer des emplois nouveaux, eh bien, à ce moment-là, seront créées les conditions qui permettront de faire ce que je veux faire : la baisse des dépenses publiques – là aussi, il faudra des mesures d'économie – et également la baisse des impôts.

Donc je dis et je confirme aux téléspectateurs : il s'agit bien d'impôt provisoire. Je vais prendre un exemple : comparons-nous avec l'Allemagne. L'Allemagne a eu un énorme problème qui était sa réunification au cours des dernières années. Eh bien nous avons une sorte de réunification française à faire : d'un côté, il y a les 3,5 millions, 4 millions, 5 millions d'exclus à réintégrer dans la communauté nationale ; de l'autre côté, la restructuration. En Allemagne, c'était la restructuration des Landers de l'Est. En France, c'est la restructuration de toute notre économie publique qu'il va falloir faire.

Mme Sinclair : Cette TVA va tout de même vous rapporter 55 milliards. Vous n'allez pas vous en passer si facilement. Comment dire que c'est provisoire ?

M. Madelin : Donc je termine sur l'Allemagne, si vous le voulez bien. Pour dire que, en Allemagne aussi, on a fait un impôt provisoire sur le revenu des ménages et un impôt provisoire sur les bénéfices des sociétés. Trois ans plus tard, l'Allemagne a digéré sa réunification et elle peut commencer à baisser les impôts.

Ce que je demande aux Français, c'est de considérer qu'il ne s'agit pas de remettre de l'argent dans le tonneau des Danaïdes des dépenses de l'État. Il s'agit d'un investissement dans la croissance et l'assainissement financier.

Si nous faisons les efforts nécessaires, et nous ne sommes pas au bout de ces efforts, et si derrière toutes les forces vives se mobilisent dans un mouvement de confiance, alors nous aurons ce retour sur investissement et on pourra baisser les dépenses publiques, on pourra baisser les impôts. Ce qui est mon objectif.

Mme Sinclair : Deuxième critique, vous l'avez entendue, c'est injuste parce que cela va peser sur les petits et moyens revenus. Et c'est vrai qu'un smicard dépense l'essentiel de son revenu en consommation. Ce qui n'est pas toujours le cas des gros revenus.

M. Madelin : On ne va pas faire une étude, mais ce n'est pas tout à fait vrai. 1. Globalement, c'est un effort partagé. 2. La TVA est un impôt proportionnel sur la consommation et, même si vous tenez compte du revenu disponible, c'est un impôt légèrement progressif. Donc, en réalité, ce n'est pas l'impôt injuste que l'on décrit parfois. 3. Ce sera provisoire.

La TVA, on ne peut pas la maintenir longtemps aussi élevée. Nous sommes en Europe. L'Europe est en train d'ouvrir ses frontières. Et tous les pays européens ont un projet d'harmonisation de la TVA. Donc, je suis sûr que la contrainte européenne, si par hasard on ne me croyait pas, sera là pour faire baisser la TVA.

Mme Sinclair : Contrainte européenne un peu contradictoire parce que la contrainte européenne nous impose de baisser des déficits. Or, pour baisser les déficits, vous aurez besoin peut-être de rentrées fiscales.

M. Madelin : Oui, mais pas éternellement.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que, d'un côté, il y a cette action d'urgence. C'est le collectif budgétaire. C'est ce qu'a annoncé Alain Juppé. Des mesures fortes pour l'emploi. Et aussi un effort pour l'assainissement financier. De l'autre côté, vient le moment des réformes de fond, – c'est ce qu'on est en train de préparer en ce moment dans le Budget 1996.

Tous les Français qui nous regardent savent, aujourd'hui, qu'il existe d'énormes gaspillages publics. Eh bien on va attaquer le mal à la racine. Ce n'est pas bêtement en coupant de façon comptable dans les budgets, – parce que, ça, ça ne marche pas –, mais en entreprenant un certain nombre de réformes de fond : la réforme, au fond, de l'État et des systèmes publics.

Les entreprises ont fait de formidables efforts de compétitivité au cours des 10 ou 15 dernières années. Eh bien maintenant, d'ici la fin du siècle, il nous faut faire le même effort pour l'État. Si nous faisons ce même effort, eh bien nous serons payés en retour par les conditions d'une croissance saine, forte et durable, par une baisse des dépenses publiques et par une baisse des prélèvements obligatoires.

Mme Sinclair : Nous allons prendre, si vous le voulez bien, quelques critiques que l'on a entendues ici et là pour que vous puissiez répondre.

Première critique : C'est du Balladur amplifié. Parce que, en effet, cela repose essentiellement sur le coût du travail. Parce que le déficit budgétaire, vous. Souhaitez le réduire mais il n'est pas réduit cette fois-ci. Parce que c'est la logique du franc fort. Que répondez-vous à cela ?

M. Madelin : Je réponds que l'assainissement financier est indispensable. C'est le point de passage obligé. Là où nous avions pris de mauvaises habitudes, nous devons faire un effort sérieux.

Quant aux mesures sur l'emploi, elles sont très fortes. Je crois qu'on n'a jamais vu un tel effort fait sur le coût du travail. Et, heureusement, les chefs d'entreprise l'ont interprété comme cela. Et, derrière ces mesures, il va y avoir la mobilisation des forces vives pour l'emploi. Nous allons essayer de prolonger cela dans des actions d'initiative locale pour la création d'emplois et d'activités nouvelles en mobilisant toutes les entreprises, à commencer par les petites et moyennes entreprises. Car on ne l'a pas dit, vous ne l'avez pas dit : "Mais il existe aussi toute une série de dispositions spécifiques pour favoriser l'investissement des petites et moyennes entreprises dans ce plan".

Mme Sinclair : Vous avez publié, cet hiver, chez Jean-Claude Lattès, cela s'appelait "Programme pour un Président" et vous l'avez appelé, "Chers compatriotes". C'était le fruit de vos réflexions avec les Cercles Idées-Action.

Je l'ai ouvert pour vérifier la continuité de la pensée mais, là, visiblement vous ne croyiez pas vraiment à la baisse des charge sur les bas salaires. Vous dites : "Il est difficile de répondre à un problème particulier par une mesure générale, la baisse des charges sur les bas salaires. C'est pourtant au fil des ans que l'on a cessé de faire, multiplier les différentes exonérations de charges sociales sur les bas salaires ou les emplois les moins qualifiés pour faciliter l'insertion. Mais le constat est clair, il n'y a pas d'effet global sur l'emploi dès lors que cet allègement de charges se fait à dépenses sociales constantes ou croissantes".

En gros, vous disiez là-dedans : "À la fois, cela ne sert pas à grand-chose et en plus c'est ce que tout le monde fait".

M. Madelin : Vous n'avez pas le temps mais si vous le lisez jusqu'au bout…

Mme Sinclair : … Je ne peux pas lire à l'antenne, c'est vrai, tout…

M. Madelin : J'expliquais qu'il fallait cibler l'allègement des charges sociales. Et il fallait qu'il soit suffisamment fort pour avoir un effet d'entraînement.

Lorsque vous faites un abaissement des charges sociales de 100 francs ou de 200 francs par mois sur l'ensemble des salaires, cela n'a aucun effet sur l'emploi. Lorsque vous faites une diminution du coût du travail, comme notamment avec le contrat initiative emploi, de 40 %, eh bien cela signifie qu'un certain nombre d'entrepreneurs peuvent se dire : "Tiens, il y a des activités nouvelles que je n'aurais pas pu faire au coût du travail actuel et que je vais pouvoir entreprendre".

La nouvelle logique pour l'emploi qui est la nôtre, ce n'est pas la logique qui consiste à attendre, comme on nous a souvent invités à le faire, le retour de la croissance et d'une croissance créatrice d'emplois. D'ailleurs, on s'aperçoit…

Mme Sinclair : … Il faut espérer tout de même qu'elle se maintienne.

M. Madelin : Bien sûr. Mais on s'aperçoit que la croissance n'est pas aussi fortement créatrice d'emplois. C'est une inversion de logique. Cela consiste à dire : "Eh bien on va tout faire pour mobiliser les initiatives, abaisser le coût du travail, abaisser le coût du crédit pour faire en sorte de créer des emplois. Et les emplois que l'on va créer vont créer la croissance".

Mme Sinclair : L'état de nos finances publiques a dit le Premier ministre était calamiteux. Tout le monde a repris l'expression mais il a insisté. Est-ce finalement très fair-play de traiter de calamiteuse la gestion d'un Gouvernement auquel, lui ou vous, participiez il y a encore un mois ?

M. Madelin : Ce n'est pas la gestion d'un Gouvernement. C'est le résultat, si vous voulez, des finances publiques…

Mme Sinclair : … Oui, ce n'est pas mieux.

M. Madelin : Après deux septennats-socialistes, c'est un fait. C'est la faute à personne. On ne va pas pleurer sur le lait renversé. Voilà, il faut prendre la situation telle qu'elle est. Mais elle impose, effectivement, un effort assez grand, à la fois d'économie, ce que nous faisons dans ce Budget, et aussi de quelques recettes pour permettre cet assainissement financier.

On a dit aussi dans les critiques que j'ai entendues : "C'est extraordinaire, d'un côté, le Gouvernement donne de l'argent et, de l'autre côté, il le prend".

Mme Sinclair : Oui. Il donne d'une main ce qu'il reprend de l'autre.

M. Madelin : Je suis très content de ce compliment qui est fait au ministre des Finances et au secrétaire d'État au Budget. Cela signifie tout simplement que l'on équilibre les dépenses par des recettes. Et c'est la règle d'une bonne gestion.

Mme Sinclair : Ça, c'est le principe de base.

M. Madelin : L'époque où on dépense plus que ce que l'on a en caisse, soit parce que l'on faisait autrefois marcher la planche à billets, soit parce que l'on s'endettait sans compter, eh bien cette époque est derrière nous.

S'endetter sans compter, cela signifie que, à un certain moment, il y a un moment de vérité, et nous y sommes. Cela signifie que l'on reporte l'impôt sur les générations futures. A-t-on le droit de le faire ? Je crois que nous sommes revenus, avec ce Budget, à des règles très saines au point de vue budgétaire.

Beaucoup de Français ont bien des difficultés en fin de mois. Et quand ils ont des difficultés en fin de mois, ils savent que, à un moment donné, il faut compter. Ils comptent chichement. Et, moi, j'ai parfois honte quand je vois les énormes gaspillages de l'État et de voir que l'on a oublié de compter.

Mme Sinclair : C'est parce qu'ils comptent précisément que certains disent : "C'est vrai qu'on nous augmente le Smic d'un côté mais, deuxièmement, on va nous le reprendre en partie par la TVA et en partie par la suppression de la ristourne sur la CSG". Au fond, n'est-ce pas une somme nulle et que, après tout, on est dupe d'une augmentation ?". C'est cela la critique.

M. Madelin : À l'arrivée, le rôle de l'État, c'est forcément un jeu à somme nulle. Ou alors, c'est le tonneau des Danaïdes et c'est un mauvais État, c'est un mauvais Gouvernement.

Ce qui est important de savoir, c'est que, dans ce plan, ce sont les petits, les plus modestes qui en ont, à mon avis, la plus grande partie. Et si l'on réussit à créer des emplois, c'est l'ensemble de la Société et de la confiance de l'avenir que l'on aura réussi à retrouver.

Mme Sinclair : On va revenir dans un instant sur les réponses à d'autres critiques qu'on a pu vous faire sur ce plan.

On se retrouve dans une minute.

Publicité.

Mme Sinclair : On termine, Alain Madelin, sur le débriefing de ce Plan Emploi dont vous allez présenter le collectif budgétaire cette semaine.

À l'arrivée, c'est-à-dire au bout de 18 mois, cela fera combien de chômeurs de moins ? Est-ce que c'est une question que l'on peut vous poser, qui a un sens ou pas ?

M. Madelin : Alain Juppé a cité le chiffre de 700 000 créations d'emplois.

Mme Sinclair : Cela ne fait pas 700 000 chômeurs de moins cela fait à peu près la moitié de chômeurs de moins.

M. Madelin : Le bon chiffre qu'il faut retenir, c'est celui de la création d'emplois, car c'est le moteur que l'on doit faire repartir dans ce pays, et si on a la création d'emplois, on diminuera le chômage. C'est vraiment le bon indicateur.

J'espère que bien évidemment on va tenir ce chiffre…

Mme Sinclair : À l'heure actuelle, on crée quoi ? 250 000 emplois par an, soit 500 000 sur deux ans ?

M. Madelin : L'expérience historique montre que la France est capable de faire mieux, à condition de savoir miser sur les petits : les petits entrepreneurs, les commerces, les artisans, l'initiative individuelle, l'initiative locale, les associations. On peut faire un travail formidable et on a souvent fait des erreurs en misant un peu trop sur les gros. Je crois que voilà un plan qui est bien conçu, avec toute une série de mesures d'accompagnement. Et maintenant, on va aller mouiller notre chemise sur le terrain, pour essayer d'entraîner les acteurs économiques, les forces vives, pour dire : "Essayons de regarder comment, ensemble, nous pouvons contribuer à créer des activités nouvelles".

On fait baisser le taux d'intérêt, j'espère qu'on va réussir à créer les conditions d'une baisse des taux d'intérêt ; de toutes façons on aide l'investissement des petites et moyennes entreprises. On fait baisser le coût du travail.

Et il y a un autre élément, qui est tout à fait fondamental : c'est la motivation à l'initiative, la motivation à entreprendre, et c'est vrai que les gens attendent la réforme fiscale. La réforme fiscale, cela ne peut pas se faire dans le Collectif budgétaire, mais c'est mon· objectif du Budget 96, qui sera discuté très bientôt, début octobre.

Mme Sinclair : Il y aura une réforme fiscale dans cette échéance ?

M. Madelin : Le grand chantier de la réforme fiscale – cela va prendre plusieurs années – sera engagé à cette occasion…

Mme Sinclair : Quels sont les principes de cette réforme fiscale ?

M. Madelin : Les principes, c'est de mieux récompenser l'initiative, le travail et l'effort, de favoriser la richesse qui se crée par rapport à la richesse qui a été accumulée, sortir de cette économie financière pour revenir au financement d'une économie réelle, diminuer les prélèvements sur le travail, changer complètement l'assiette de nos prélèvements sociaux pour faire en sorte que le travail soit moins taxé et l'initiative moins pénalisée.

Mme Sinclair : Le travail moins taxé, ce qui veut dire…

M. Madelin : Et peut-être même un petit geste sur la taxe professionnelle. C'est la grande réforme de la taxe professionnelle.

Mme Sinclair : Si le travail est moins taxé, qu'est-ce qui le serait plus ? Les successions ? Le capital ? Les sociétés ?

M. Madelin : D'abord, c'est vrai que vous avez à l'intérieur de la fiscalité… J'ai dit tout à l'heure : favoriser la richesse qui se crée par rapport un peu à la richesse qui dort. Et aussi, dans le même temps, on va s'attaquer à cet immense chantier de la réforme de l'État, de façon à dépenser moins en dépensant mieux, en dépensant autrement. Nous avons un surcoût de l'ensemble de nos systèmes publics, par rapport par exemple à nos voisins allemands, que rien ne justifie. Donc il faut s'attaquer à un certain nombre de réformes de structures.

Mme Sinclair : On ne va pas anticiper sur la Loi de Finances, mais par exemple dans quels domaines voyez-vous que vous pourriez couper dans les dépenses publiques ?

M. Madelin : Non, ce n'est pas couper dans les dépenses publiques, parce que couper dans les dépenses publiques, c'est un peu ce qu'on fait au moment du Collectif budgétaire ; ce n'est pas agréable à faire. Non, c'est réformer pour dépenser autrement.

Exemple : par une bonne clarification des prélèvements sociaux, je pense que nous pouvons arriver à une gestion plus responsable des partenaires sociaux, dans un paritarisme rénové. Il y a là un immense chantier, où l'on peut faire, je l'espère, des économies dans la gestion de la protection sociale, sans rationner la protection sociale, ce qu'a très bien dit le Président de la République dans sa campagne.

Mme Sinclair : À ce propos, il y a 60 milliards de déficit de comptes sociaux…

M. Madelin : On fera les comptes à la fin de l'année, oui.

Mme Sinclair : Que faites-vous pour les réduire ? On attend d'autres prélèvements pour boucher ce trou-là ?

M. Madelin : On regardera à la fin de l'année ce que l'on fait, et notamment essayer d'articuler les soldes de comptes du passé avec la réforme dont je viens de tracer très rapidement les grandes lignes.

Mme Sinclair : Dernier mot, très bref  : Jean Gandois, je ne sais pas s'il est le patron des gros ou des petits dont vous parliez tout à l'heure, enfin il est le patron du CNPF, a dit que c'était un plan sérieux et cohérent, mais quand même qu'il ne fallait pas trop demander non plus aux entreprises de manière aveugle Alain Juppé a laissé entendre qu'il pourrait y avoir, j'exagère…, des mesures de rétorsion vis-à-vis d'entreprises qui ne joueraient pas le jeu. Lesquelles ?

M. Madelin : Non, non…

Mme Sinclair : Il a dit : "Il faudra bien qu'ils jouent le jeu, sinon…"

M. Madelin : Non. Moi, je crois à l'entreprise citoyenne et donc je sais que si certaines conditions sont réunies, les entreprises vont jouer le jeu. D'ailleurs, on n'a pas le choix, on est tous vraiment dans le même bateau en ce moment. Je suis tout à fait convaincu que la crise, qui est la crise de la société française, la crise dans le système public, la crise de l'État, est une crise extrêmement profonde et que si nous ne réussissions pas à apporter de solution, ce serait une catastrophe. Ce serait une crise de régime, et ce serait une crise économique dont la France mettrait des décennies à se relever.

Mme Sinclair : Le reste de la semaine : le rugby, Cioran, la fin de la prise d'otages par le commando tchétchène.

Panoramique.
- Au bout de six longs jours d'angoisse, le commando tchétchène relâche les 800 derniers otages de l'hopital de Boudennovsk.
- Il n'y a plus d'otages également en Bosnie : dimanche dernier, les Serbes ont relâché les 15 derniers Casques bleus qu'ils retenaient depuis trois semaines.
- Une belle victoire pour les Écolos : Shell renonce à couler sa plateforme pétrolière dans les eaux de l'Atlantique pour la démanteler à terre.
- 60 000 homosexuels participent à la Gay Lesbian Pride, samedi à Paris, deux fois plus que l'an passé.
- "Précis de décomposition", "Sillogisme de l'amertume", "De l'inconvénient d'être né", les titres des livres d'Emise Cioran résument à eux seuls la pensée de ce moraliste désespéré.
- L'Afrique du Sud en rêvait, les Springboks l'ont fait : ils remportent la première coupe du monde à laquelle ils peuvent participer, en battant à l'arraché leurs rivaux de toujours, les All Black néo-zélandais.

Mme Sinclair : Alain Madelin, on ne va pas parler rugby, mais on va parler course automobile dans un instant. Avant, je voudrais qu'on dise quelques mots de politique.

Mercredi, aura lieu le Conseil National du Parti Républicain dont vous faites partie. François Léotard est candidat à sa présidence, après la démission de Gérard Longuet. Je voudrais savoir : 1. Si vous irez. 2. Si vous comptez vous présenter à la présidence de ce parti ou si vous avez fait votre deuil de diriger le PR.

M. Madelin : Je n'y serai pas et je le regrette, parce que ce Conseil national a été monté par l'appareil du Parti Républicain un peu en dehors de beaucoup de monde. La première date avait été fixée lors du Sommet de Cannes : je ne peux pas être absent du sommet de Cannes. La seconde a été fixée le jour de la présentation du Collectif budgétaire, et s'il est bien un jour dans l'année où je ne suis pas libre, c'est le jour de la présentation du Collectif budgétaire devant le Conseil des ministres et ensuite à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Mme Sinclair : Alors, au-delà du problème de calendrier ?

M. Madelin : Tout ceci prouve que… Je n'ai pas envie de prendre la direction du Parti Républicain, tel qu'il est. Je pense que le moment est venu de faire des choses un peu neuves dans la vie politique. Il y a un besoin de changement fort : ce n'est pas seulement le changement fort de politique, c'est un changement fort aussi de la vie politique.

Vous le savez, j'ai fondé un mouvement qui s'appelle le "Mouvement Idées-Action", mouvement qui se porte bien, c'est tout jeune, il y a un an, où il y avait quelques 200 parlementaires associés UDF-RPR, une douzaine de ministres qui ont participé à Idées-Action ; il y a 168 cercles locaux. En tous cas, on a mis le doigt sur des tas de gens qui ont envie de s'engager dans la vie civique, mais pas dans les partis traditionnels. Et on a beaucoup de gens, des intellectuels, des forces vives dont on parlait tout à l'heure, qui ont envie de faire de la politique autrement.

C'est cela que j'aurais aimé pouvoir faire avec mes amis du Parti Républicain. C'est ce que l'appareil du Parti Républicain ne souhaite pas. Je crains fort que le Parti Républicain suive un mauvais chemin. Mais disons que, vous l'avez peut-être compris tout à l'heure à mon propos, en ce moment, j'ai d'autres préoccupations. Ma préoccupation, c'est la priorité à la bataille pour l'emploi. Mais je ne renonce pas à cette ambition qui consiste à refonder, avec ma famille politique, quelque chose de neuf et j'entends regrouper mes amis.

Mme Sinclair : Vous avez dit : "Je ne suis pas candidat à la présidence du Parti Républicain", François Léotard l'est. Est-ce que vous souhaitez qu'il soit Président de ce Parti Républicain ?

M. Madelin : Ce que je souhaite, c'est qu'il puisse y avoir un minimum de débat et un minimum de démocratie. Les conditions aujourd'hui ne sont pas réunies. J'entends bien continuer à réfléchir et à travailler avec mes amis pour faire quelque chose de neuf, le moment venu.

Mme Sinclair : Hervé de Charette, votre collègue au ministère des Affaires étrangères, et qui souhaite, avec ses Cerces Perspectives et Réalités, fonder lui aussi un mouvement, accuse dans le Journal du Dimanche le Parti Républicain de François Léotard d'être un clan au profit d'intérêts particuliers. Et le Parti Républicain a. répondu ce soir, par un communiqué assez rude, qui dit en gros : "Monsieur de Charette est en charge des Affaires étrangères, qu'il s'occupe de ces affaires". C'est une péripétie ?

M. Madelin : C'est un exemple des tensions inutiles à l'intérieur de cette famille politique et du résultat d'un certain nombre de manœuvres d'appareil. Cela n'intéresse pas les Français. Ce qui les intéresse, c'est ce que fait le Gouvernement dans la bataille de l'emploi.

Mme Sinclair : Un dernier mot peut-être : les affaires ont mis en lumière un financement occulte, dit-on, du Parti Républicain et votre nom est régulièrement associé à celui de Gérard Longuet à propos d'une histoire de compte suisse détenu au bénéfice de vos entourages politiques respectifs. Est-ce que vous dites : 1. "Je n'ai rien à voir avec tout cela", 2. "Ce ne sont plus mes amis", 3. "Cela ne me concerne pas ou ce n'est pas vrai" ?

M. Madelin : Merci en tous cas, Anne Sinclair, de me donner l'occasion de faire une mise au point, parce que je souffre de ces mises en cause.

Je l'ai déjà dit  : ni dans mes fonctions, ni dans les faits, je n'ai été associé au finalement du Parti Républicain, même si je sais que, comme tous les partis, les financements du Parti Républicain, avant 1190, avaient leurs zones d'ombre, ce qui ne veut pas dire forcément leurs zones d'illégalité. Et je n'accepte vraiment pas que l'on puisse insinuer que j'aurais utilisé mes fonctions de ministre de l'Industrie, de 86 à 88, pour participer ou pour couvrir des opérations financières illégales.

C'est le contraire de mon action. Je crois avoir donné l'exemple dans toutes tes fonctions que j'ai exercées, l'exemple d'une extraordinaire rigueur dans la gestion. Et c'est le contraire de mes convictions : je me bats pour un État de droit et je combats l'État de passe-droits.

Mme Sinclair : Voilà la réponse aux différents articles dans les journaux. La justice suit son cours et vous serez peut-être amené à rectifier ou à continuer à publier vos réponses là-dessus.

Je voudrais maintenant qu'on accueille un très grand coureur automobile français, après sa magnifique victoire, il y a quinze jours, dans le Grand Prix du Canada. Voilà : il s'agit de Jean Alesi, au volant de sa Ferrari ; c'était la récompense après 91 Grands Prix, sa première victoire en Formule 1 après six ans de courses. Et dans huit jours, il va courir le Grand Prix de Magny-Cours et nous serons tous, Jean Alési, devant notre téléviseur.

Bonsoir.

M. Alesi : Bonsoir.

Mme Sinclair : Qu'est-ce que cela change pour vous d'être devenu une sorte de héros national, parce qu'au fond c'est cela ?

M. Alesi : C'est très difficile, dans la mesure où l'on avait en France un très grand champion automobile, qui était Alain Prost, qui s'est retiré il y a maintenant trois ans. C'est vraiment difficile de prendre la relève…

Mme Sinclair : La succession.

M. Alesi : Voilà, puisqu'Alain a gagné 51 victoires, il a été 4 fois champion du monde et les Français sont finalement habitués à ce qu'un pilote français gagne des Grands Prix. Malheureusement, c'est très difficile. Je dis malheureusement, parce que cela fait quand même six ans que je coure après cette victoire. Je suis dans un team qui m'aide beaucoup, je suis chouchouté chez Ferrari, mais…

Mme Sinclair : C'est dur de tenir la pression…

M. Alesi : Voilà… Maintenant, ça y est, c'est fait.

Mme Sinclair : Vous courez chez Ferrari, tout le monde le sait. Est-ce que c'est tout à fait un hasard, quand on est fils d'immigrés italiens, d'être très heureux de courir chez Ferrari ou est-ce que ce n'est pas un si grand hasard que ça ?

M. Alesi : Non, c'est un hasard, honnêtement. C'est l'écurie la plus prestigieuse de la Formule 1 et on ne peut pas planifier son entrée chez Ferrari. Quand il a fallu que je prenne une décision et que j'en ai parlé à la maison avec mon père, c'est sûr qu'il était extrêmement heureux, mais le choix à cette époque était simple : Ferrari était en train de gagner le championnat du monde des pilotes avec Alain Prost, le team était préparé pour me faire rentrer en tant que nouveau pilote et en tant qu'élève aux côtés d'Alain. Malheureusement, il y a eu beaucoup de problèmes l'année d'après, mais c'était difficile de planifier.

Mme Sinclair : On dit de vous que vous avez un tempérament de feu. Est-ce que c'est un danger dans une course, c'est prendre des risques, ou au contraire est-ce que cela accroît la performance ? Ou est-ce que vous vous méfiez de vous ?

M. Alesi : On prend toujours des risques ; même quand on pense ne pas en prendre, on est tout le temps à la limite, on est tout le temps au volant d'une voiture rapide, une voiture qui peut à tout moment quitter la piste. Je ne pense pas que vraiment on puisse être foufou ou calculer d'une manière différente que de conduire en tant que professionnel et être tout le temps conscient qu'on peut éventuellement quitter la piste.

Mme Sinclair : Vous m'avez dit : "À Magny-Cours, donc au Grand Prix de France, il y a un risque pour moi : c'est d'être trop porté par le public".

M. Alesi : Oui, parce que c'est quelque chose qui me rend très sensible. J'adore voir les spectateurs agiter les drapeaux, manifester de la joie quand ils me voient passer. Comme je sais que dimanche il va y avoir autour de moi beaucoup de pression parce qu'on a vraiment envie que je gagne dimanche, il ne faudra peut-être pas tomber dans ce piège et faire très attention de mener le Grand Prix comme un autre. Le championnat est à ma portée finalement, j'ai une voiture qui marche très bien. On n'est pas encore à la moitié du championnat du monde, je peux…

Mme Sinclair : Cela se termine au mois de novembre, en Australie ?

M. Alesi : Oui, c'est ça, il y a encore une dizaine de Grands Prix.

Mme Sinclair : C'est-à-dire qu'en fait les Français focalisent beaucoup sur le Grand Prix de France, parce que cela se passe ici, bien sûr, mais vous dites : "Moi, j'ai à gérer une période qui va jusqu'au mois de novembre".

M. Alesi : Vendredi matin, je saurai exactement où ma voiture se situera et il ne faut pas que j'essaie de passer mes limites. Il faut que je reste calme pour le dimanche soir, pour essayer d'avoir ou la victoire ou un podium.

Mme Sinclair : Avant l'émission, on parlait tous les trois, avec Alain Madelin, et on se demandait ce qui se passe dans l'heure qui précède un Grand Prix : le trac bien sûr de la course, et la peur. La peur, cela existe ou vous refusez de l'envisager pour qu'elle ne vous submerge pas ? Vous avez eu un accident très grave, vous avez été très gravement blessé…

M. Alesi : Oui.

Mme Sinclair : Vous avez souffert douloureusement de la mort d'Ayrton Senna. Est-ce que la peur est présente ou pas ?

M. Alesi : La peur, bien sûr qu'elle est présente, mais d'une manière complètement différente de ce que les gens peuvent penser. Quand on conduit, on est très concentré, on pense seulement à aller de plus en plus vite. De temps en temps, vous pouvez avoir un choc, du style un drapeau rouge, c'est-à-dire une suspension de la course parce qu'il y a eu un accident ; là vous êtes paniqué parce que vous ne savez pas exactement ce qui est en train de se passer, vous ne savez pas si un de vos collègues est blessé, éventuellement mort. Ce sont des moments très difficiles.

Mme Sinclair : Alain Madelin, vous aimez bien les courses automobiles. Vous avez parlé de Idées-Action tout à l'heure, vous avez dit que vous n'aviez pas d'anciens coureurs.

M. Madelin : On a beaucoup de sportifs et on travaille pas mal avec Beltoise, avec Jacques Laffitte, avec Jabouille, avec Alliot, avec Pescarolo, pour réfléchir sur des tas de sujets qui tiennent au sport, au sport de haut niveau. Et j'ai une passion, c'est vrai, pour le sport automobile parce que c'est à la fois du sport de haut niveau et aussi l'industrie de haute technologie : et c'est une école de responsabilité. Surtout quand je vois Alési, et c'est un peu comme Prost ou comme Beltoise, quelle formidable ascension sociale ! Je crois vraiment que le sport est une école de responsabilité, où on ne regarde pas la couleur de la peau ni l'origine sociale.

Mme Sinclair : Vous seriez tenté, vous, par l'action politique ou… ? Vous m'avez fait une réponse tout à l'heure.

M. Alesi : Pour le moment, c'est impossible, parce que Je suis en activité…

Mme Sinclair : Tant que vous pilotez, non, mais après ?

M. Alesi : Après, je ne sais pas ce qui se passera, mais en tous cas en ce moment c'est exclu.

Mme Sinclair : Vous êtes d'Avignon, toute votre famille est installée à Avignon, une des grandes villes du sud et c'est dans les grandes villes du sud qu'on a vu cette poussée du Front National dont on parlait tout à l'heure. Qu'avez-vous ressenti ? Comment réagissez-vous ? Est-ce que cela vous concerne ?

M. Alesi : Pour en parler avec précision, il faut être souvent dans sa région. Quand je rentre en Avignon, c'est surtout pour être avec mes parents et pour passer un peu de vacances.

Mais il est clair que dans le sud et dans notre région, il y a un gros problème qui est l'insécurité. Les gens maintenant ont peur, les gens sont de plus en plus sensibles à des plans de force finalement, pour essayer de faire un peu de…

Mme Sinclair : Pour diminuer l'insécurité ?

M. Alesi : Voilà, pour nettoyer les points à risque. Il y a des endroits, par exemple à Avignon, où une voiture de police ne peut pas rentrer parce qu'elle se ferait lapider ou il pourrait y avoir de gros problèmes. Ce sont peut-être des problèmes que n'importe quel maire, de n'importe quel bord, peut prendre au sérieux, sans que pour cela on vote Front National.

Mme Sinclair : Dimanche prochain, à l'heure de cette émission, on saura et vous saurez… Ça se court à 13 heures ?

M. Alesi : C'est ça, ce sera à 13 heures et normalement…

Mme Sinclair : Vous êtes sur des charbons ardents dès le matin, à midi, la veille, dès maintenant ?

M. Alesi : Dès maintenant, parce que je pars en Italie ou Je vais faire trois jours d'essais pour préparer le Grand Prix. Ce qui est certain, c'est que je serai fidèle au rendez-vous.

Mme Sinclair : Merci, Jean Alesi, nous serons fidèles aussi et nous serons là pour vous encourager, même si ce n'est pas très efficace.

Merci, Alain Madelin.

Dimanche prochain, je recevrai Lionel Jospin, dont ce sera la première grande intervention depuis l'élection présidentielle.

Dans un instant, le Journal de 20 heures de Claire Chazal.

Merci à tous. Bonsoir.