Interview de M. Lionel Jospin, candidat PS à l'élection présidentielle 1995, à France 2 le 3 avril 1995, sur sa personnalité, sa capacité à être président, sa campagne, et sur ses propositions notamment en matière sociale (chômage, exclusion, Sida).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

M. Masure : Bonsoir et merci de suivre avec nous cette 9e édition de « La France en direct » à J - 20 du premier tour.

Invité, ce soir, Lionel Jospin.

Bonsoir.

M. Jospin : Bonsoir.

M. Masure : Votre mère était sage-femme, j'espère que tout va bien se passer, que l'on n'aura pas besoin de forceps pour l'accouchement. À propos de famille, je rappelle, entre autre, votre point commun avec François Mitterrand, – il y en a beaucoup d'autres –, que vous avez un beau-frère comédien, Jean-Marc Thibault.

À propos de famille et de devinette, je voudrais vous poser une toute petite devinette pour un échauffement. Qu'avez-vous, à votre avis, comme point commun avec Jacques Chirac, à part d'avoir fait l'ENA tous les deux ?

M. Jospin : Je ne suis pas comme avec François Mitterrand, nous avons été goal tous les deux. Avec Jacques Chirac, je ne suis pas sûr. Disons que nous avons des tailles à jouer au basket, mais nous n'avons jamais joué ensemble. Nous avons même du mal à jouer l'un contre l'autre, finalement. Vous avez vu qu'il ne vient pas sur le terrain.

M. Masure : Nous allons en reparler.

Vous avez aussi, la réputation tous les deux de détester les dîners en ville. C'est ce que je voulais vous faire dire.

M. Jospin : C'est vrai.

M. Masure : Je rappelle rapidement le dispositif ce soir – pas de dîner en ville, en tout cas pour vous – de cette émission : trois interpellateurs présents sur ce plateau

Jacques Maillot, président de « Nouvelles Frontières ». Vous parlerez emploi, libéralisme.

Michel Barat, responsable de la faculté privée de Nanterre. Vous parierez, bien sûr, du dossier éducation, enseignement

Sonia Rykiel, styliste, avec qui vous parlerez, entre autre, culture.

« La France an direct », c'est par définition en direct avec un certain nombre de Français qui vous questionneront Des Français qui vous écoutent en direct de Toulouse autour d'Antoine Cormery, réunis au café de la Concorde à Toulouse.

Ensuite, débat avec Patrick Devedjian, élu RPR et supporter d'Édouard Balladur.

Et, enfin, vous serez soumis au feu roulant des questions de mes consœurs et confrères politiques.

Très rapidement auparavant, deux-trois questions d'actualité :

Cet après-midi, vous avez rencontré François Mitterrand à l'Élysée, peut-on vous demander ce qui s'est dit ?

M. Jospin : Cela a été un peu rapide. Il allait inaugurer une exposition au Grand Palais d'un très grand peintre qui est un de ses amis, qui vit à Venise. Nous avons parlé un peu de la campagne. Je l'ai trouvé un peu optimiste, plutôt optimiste.

M. Masure : Un peu ?

M. Jospin : Non, non, au bon sens du terme.

M. Masure : À la différence de François Mitterrand, en 81, vous avez annoncé, avant le premier tour, que vous ne voyiez pas d'obstacle à la présence, dans votre éventuel gouvernement, de ministres communistes. N'était-ce pas une façon d'appeler les électeurs de Robert Hue au vote utile dès le premier tour ?

M. Jospin : C'était surtout une façon de répondre à une question qui m'était posée, qui m'a été posée sur une télévision et qui m'a été posée dans un journal. À partir de ce moment-là, j'ai dit que ce n'était pas pour moi une question de principe. Ce n'était pas une proposition et donc, voilà, c'est tout ! J'ai donné cette tonalité, il n'y a guère plus à en dire, compte tenu en plus de ce que j'ai entendu dire à Robert Hue.

M. Masure : Vous avez fait allusion, il y a un instant, à votre passé le sportif, de basketteur. Il y a une métaphore qui est beaucoup utilisée par mes confrères actuellement. On dit que vous vous échauffez sur le banc de touche mais que vous avez beaucoup de mal à rentrer dans le match, un match qui ne se déroulerait en fait qu'entre l'Hôtel de Ville et l'Hôtel Matignon.

M. Jospin : J'ai l'impression surtout que c'est un problème d'éclairage. Le terrain n'est pas assez éclairé. Vous en êtes un peu responsables, vous, les journalistes. Vous avez tendance à éclairer une partie du terrain si bien que, après tout, peut-être marquerai-je mes buts plus tranquillement puisque vous ne semblez regarder que deux d'entre les protagonistes qui, ces jours-ci, semble-t-il, se disputent. Eh bien, moi, j'essaie de faire une campagne positive. Nous verrons, qui débouchera au bout du terrain.

M. Masure : En tout cas, ce soir, vous êtes sous la lumière.

Vous aurez 58 ans le 12 juillet. Vous êtes Cancer, ascendant Poisson. Vous mesurez 1,91 m. Vous êtes le plus grand des candidats puisque vous avez tout juste 2 centimètres de plus que Jacques Chirac, sauf erreur...

M. Jospin : … C'est une erreur.

M. Masure : Ah bon !

M. Jospin : Oui, bien sûr. Je fais 1,81 m Jacques Chirac est plus grand que moi. Il faut au moins lui rendre cet avantage, même si c'est d'une courte tête.

M. Masure : Excusez-moi.

Totem : « langue agile ». J'espère que ce ne sera pas la langue de bois, ce soir. Et, tout de suite, je vous propose de sacrifier une coutume de cette émission, le portrait croisé dessiné par deux de vos plus proches amis. Je vous propose de l'écouter tout de suite.

M. Allègre : Je m'appelle Claude Allègre. Je suis professeur en sciences de la terre à l'université Diderot à Paris.

M. Vallier : Je m'appelle Jacques Vallier. Je suis professeur d'économie à l'université de Paris X Nanterre.

M. Allègre : Nous nous sommes rencontrés lorsque nous étions étudiants à la résidence universitaire d'Antony, dans les années 58-59.

M. Vallier : Au lycée, Lionel Jospin était dans un groupe de chant. Ce groupe de chant, d'ailleurs, a donné un spectacle et, dans ce spectacle, je me souviens qu'il jouait le rôle de Bacchus. Je précise que Bacchus était un dieu grec, particulièrement dissipé, très lié à la luxure, au vin et à la gaieté débridée.

Sa jeunesse

M. Vallier : On voit, ici, Lionel Jospin et, moi, à ses côtés. Nous sommes dans la cour du lycée Jeanson de Sailly, classe de philosophie, durant l'année 1954-1955. Photo de classe traditionnelle.

M. Allègre : La première chose qui m'a lié à Lionel Jospin, c'est la convergence que nous avions pour le basket et pour manifester contre la guerre d'Algérie.

M. Vallier : J'ai le souvenir qu'il aimait beaucoup les westerns.

M. Allègre : Il y a un film vers lequel nous convergeons, c'est le film d'Elia Kazan avec Marion Brando qui s'appelle « Viva Zapata ». Le film sur le grand révolutionnaire mexicain.

Ses qualités 

M. Allègre : Il a toujours un jugement extrêmement argumenté et pondéré sur toutes les situations. C'est quelqu'un qui donne énormément confiance quand on travaille avec lui.

M. Vallier : Je dirai que la qualité principale de Lionel Jospin, c'est d'être généreux et attentionné.

Ses défauts 

M. Vallier : Mauvais joueur, je ne sais pas, il n'aime pas perdre en tous les cas. Je pense que, pour être sûr de ne pas perdre, il est capable, par moment, d'exercer une pression psychologique avant d'assurer le coup.

M. Allègre : À mes yeux, son gros défaut, c'est de ne pas donner en public l'image de ce qu'il est en privé.

Conseils d'amis 

M. Vallier : Il faut qu'il s'appuie peut-être encore davantage sur ses qualités personnelles.

M. Allègre : C'est ce qui lui reste à acquérir, c'est-à-dire d'être naturel dans les médias.

M. Masure : J'espère que vous serez cool pour faire plaisir au moins à votre fille, Eva. Les astrologues qui se sont penchés sur votre thème disent que « votre talon d'Achille, c'est une angoisse latente ». Ressentez-vous cela ?

M. Jospin : Non, pas ce soir, en tout cas.

M. Masure : N'avez-vous pas un le défaut ou la qualité de l'orgueil ? Je me souviens que, lorsque vous deviez avoir rendez-vous avec François Mitterrand, il y a quelques mois, vous refusiez obstinément de faire le premier pas.

M. Jospin : Une certaine fierté mais l'orgueil, non, dans ce qu'il aurait d'ombrageux ou de fermé. Mais une façon de vouloir exister, certainement, dans les situations de pouvoir. Quand il y a un pouvoir supérieur au mien, je tends à affirmer mon indépendance si je me sens dans mon bon droit.

M. Masure : Nous allons tout de suite aborder les questions économiques, sociales : le chômage, l'emploi. Avec, tout de suite, une première intervention en direct de Toulouse avec Antoine Cormery.

M. Cormery : Bonsoir Bruno, bonsoir monsieur Jospin, bonsoir à tous.

« La France en direct » n'en finit pas de faire le tour de France, avant-dernière escale, avant-dernière étape. Nous sommes donc à Toulouse, ce soir. La capitale de Midi-Méditerranée est une ville de 360 000 habitants, la quatrième ville de France et la deuxième pour le nombre d'étudiants avec près de 100 000 au compteur.

Toulouse qui cultive son image de technopôle avec le secteur spatial et les usines d'assemblage des Airbus, mais Toulouse qui, comme partout, connaît le problème du chômage, avec un taux de 12,9 %, sensiblement équivalent à celui de la moyenne nationale.

Les premières questions ont trait à ce domaine. Pour ouvrir la série sur le mode interactif, je vous propose de répondre à Dominique Fame, mère de famille, qui a 42 ans et qui est à la recherche d'un premier emploi.

Mme Fame : Bonsoir.

M. Cormery : Votre question porte sur le chômage, Madame, vous êtes à la recherche d'un emploi.

Mme Fame : Monsieur, vous parlez beaucoup du chômage, vous parlez beaucoup de l'exclusion, des jeunes en particulier. Je n'ai rien contre, étant donné que j'ai moi-même un fils qui a 17 ans et qui va arriver sur le marché du travail. Par contre, je suis seule pour élever trois enfants.

J'ai passé des diplômes. Diplômes en poche, je me suis dit naïvement que j'allais y arriver, que, sans problème, je trouverais du travail et chaque fois, il a été pris quelqu'un de plus jeune ou ayant une expérience professionnelle.

Je voulais vous demander ce que vous pensiez faire pour les gens de mon âge ? Et si vous pensiez, monsieur qu'à mon âge, 42 ans, il était trop tard pour commencer à travailler ?

M. Jospin : Non, je ne crois pas, heureusement. Je pense comme vous qu'il faut penser d'abord à ceux qui sont au chômage depuis plus longtemps parce que plus le chômage dure, plus on risque d'être handicapé pour retrouver un emploi. Première priorité qu'il faudrait mettre lorsqu'on recrée des emplois.

Deuxièmement, je pense qu'il faut s'occuper d'abord du problème des femmes, en particulier des femmes seules parce qu'il y a de plus en plus de familles monoparentales et donc je crois que cela devrait être, là encore, une priorité même si, naturellement, on ne fait pas les choix à la place des entreprises.

En réalité, je crois qu'il faut, pour vous, agir avec une force particulière et pas simplement se préoccuper des jeunes. Je veux dire des jeunes en-dessous de 25 ou 30 ans.

M. Cormery : Une autre question posée par Cyril Brognard, qui est étudiant à l'école supérieure de commerce de Toulouse.

M. Brognard : Monsieur Jospin, bonsoir.

M. Jospin : Bonsoir

M. Brognard : J'ai un ami dont la mère est le seul parent. Elle a été licenciée dernièrement. Cette femme refuse de lui avouer la vérité pour essayer de préserver sa dignité.

Monsieur Jospin, le programme de monsieur Chirac montre que toute mesure permettant d'employer un chômeur à moins de 120 000 francs par an est une bonne mesure car, en effet, un chômeur coûte environ 120 000 francs par an à la collectivité, Cette mesure a au moins le mérite de rendre la dignité à ces personnes. Je voudrais vous demander, vous qui êtes le candidat socialiste, quelles nouvelles mesures votre programme possède pour répondre à ces ambitions et pour atteindre les mêmes objectifs ?

M. Jospin : Tout d'abord, je voudrais dire qu'il ne faut absolument pas que cette personne considère que la situation de chômage porte atteinte à sa dignité. Elle n'est pas coupable du chômage et donc il faut qu'elle l'assume d'une certaine façon.

En ce qui concerne les mesures que vous avez évoquées, celles de monsieur Chirac, le problème, c'est que pour passer d'une dépense passive à une dépense active, encore faut-il que les entreprises veuillent le faire. Donc, cela dépend de la décision des entreprises, Ce n'est pas une action directe.

Ce que je propose moi, c'est d'agir, d'une part, sur l'augmentation des salaires pour relancer la consommation, donc créer des emplois. D'autre part, quatre grands programmes de créations d'emplois sur la base d'une action volontaire de l'État : dans le domaine du logement social, dans le domaine des emplois de proximité, dans le domaine de l'environnement et dans le domaine de l'humanitaire, que ce soit sur le plan extérieur ou sur le plan intérieur.

J'ajoute une troisième mesure qui est la diminution de la durée du temps de travail : 37 heures dès 1997, c'est-à-dire deux ans, pour aller plus loin ensuite. Puis, relance de l'économie à l'échelle européenne, notamment par une politique de « grands travaux ».
En somme, je pense qu'il faut attaquer le chômage non autour d'une seule mesure, qui ne dépendrait que des actions des entreprises, mais autour de plusieurs mesures avec une volonté de l'État.

M. Masure : Monsieur, êtes-vous satisfait de cette réponse ? Ou voulez-vous d'autres précisions ?

M. Brognard : Sur le fait de diminuer le nombre d'heures par semaine, le risque n'est-il pas que le travail au noir se développe un peu plus vis-à-vis de ces personnes, qui est pourtant un des fléaux le plus important du chômage ?

M. Jospin : C'est un risque qui pourrait exister. C'est pourquoi ce que je propose, c'est de fixer un cap. Les pouvoirs publics fixent un cap, mais la négociation aura lieu entre le patronat, les entreprises et les représentants des salariés par branche, par entreprise, dans un cadre contractuel, dans un cadre légal, en quelque sorte, qui doit éviter le travail au noir.

M. Jospin : Je ne sais pas exactement, au moment où nous parlons, quel a été le motif du déclenchement de ce mouvement ? Ce que je peux dire, c'est que, si on se situe sur le terrain des services publics en général, je comprends l'émotion qui existe chez un certain nombre de salariés dans les services publics actuellement. Le Gouvernement n'a pas exercé, à mon avis, sa mission puisqu'il a la tutelle, sur les entreprises publiques par un dialogue social suffisant. Par ailleurs, il y a des inquiétudes parce qu'il y a une volonté de remise en cause des services publics. Or, qu'est-ce que le service public ? C'est l'égalité des chances pour l'usager, d'une part, c'est le service de l'intérêt général d'autre part, et cela doit être préservé, à mon sens.

M. Maillot : Ne croyez-vous pas que la politique, dans le domaine du transport aérien n'est pas une bonne politique ? D'ailleurs, François Mitterrand avait préconisé le « ni, ni » mais, en 1991, la Compagnie UTA a été nationalisée. Donc, le "ni, ni » n'a pas été respecté et, finalement, cela a été une opération positive uniquement pour le Groupe Chargeurs.

S'il y a un malaise actuellement chez Air Inter, c'est parce que la culture de l'entreprise Air Inter n'a rien à voir avec la culture de l'entreprise Air France. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait au contraire dissocier complètement les deux compagnies, qu'Air Inter puisse participer à la concurrence nationale et à la concurrence européenne ? Surtout que le transport aérien appartient à un secteur concurrentiel.

Est-ce que l'État doit intervenir dans des activités du secteur concurrentiel ?

M. Jospin : Je suis favorable, naturellement, à la concurrence, notamment dans le secteur international et dans le secteur aérien, à condition que cette concurrence soit encadrée et que cette concurrence soit maîtrisée.

Je constate que, sous la pression des États-Unis, ce sont des dérégulations sauvages qui ont eu lieu ces dernières années, dans le domaine du transport aérien, avec des conséquences très graves pour un certain nombre de compagnies américaines qui ont d'ailleurs disparu. Je pense à cette prestigieuse compagnie qui était PANAM, par exemple. Avec aussi, parfois, des inquiétudes sur le terrain de la sécurité.

Si on veut être concret, – alors qu'on voit les avions des différentes compagnies se disputer les meilleurs créneaux horaires –, à quoi cela sert-il qu'il y ait, aujourd'hui, un avion toutes les demi-heures pour desservir Paris-Londres si, de toute façon, le délai d'attente moyen pour les avions est d'une demi-heure parce qu'il y a un véritable encombrement du ciel.

J'ai du mal à discuter avec autorité avec un homme aussi compétent que Jacques Maillot en ce qui concerne le transport aérien. J'ai plutôt été l'usager quand j'étais étudiant de son entreprise...

M. Maillot : ... Merci pour votre fidélité.

M. Jospin : Absolument. Le client, que je ne me sens capable d'entrer en compétition avec lui dans ce domaine mais je crois, tout de même, qu'il faut absolument que les dérégulations et que la concurrence soit relativement maîtrisées.

M. Maillot : Une petite question : les accords signés par Jean-Louis Bianco qui étaient de bons accords, en 1990 et en 1992, – Jean-Louis Bianco, à l'époque, ministre des transports a signé des accords de libéralisation-, ne sont pas respectés par monsieur Bosson du Gouvernement Balladur. Il les freine, il fait une politique qu'il appelle de concurrence maîtrisée, c'est-à-dire une politique protectionniste. Est-ce que les accords signés par un ministre de la République, Bianco, seront respectés si vous êtes Président de la République ?

M. Jospin : Jean-Louis Bianco, en 1992, avait négocié effectivement dans le cadre européen une évolution progressive qui, justement, devait être maitrisée. Je pense que le ministre Bosson a hâté, en ce qui concerne les contacts avec les entreprises britanniques, un processus, à mon avis.

Jean-Louis Bianco réfléchissait notamment à l'idée d'une politique du service public à l'échelle européenne. C'est le même Jean-Louis Bianco qui a proposé une charte européenne des services publics. Je crois qu'on va trop vite.

M. Maillot : Sauf le Paris-Toulouse.

M. Masure : On ne va pas faire un débat sur le transport aérien.

M. Jospin : Puis-je terminer d'un mot ? J'accepte la compétition d'un certain nombre d'entreprises privées, notamment étrangères, à condition qu'elles aient comme Air Inter, des obligations de service public et des obligations d'aménagement du territoire. Air inter doit faire fonctionner des lignes qui ne sont pas rentables et les entreprises privées étrangères demandent à venir uniquement sur les lignes juteuses, du genre Paris-Nice, Paris-Toulouse. Ce n'est pas fair-play, puisqu'il s'agit des Britanniques, et donc je le regrette.

M. Masure : Sur le secteur concurrentiel pour prolonger la question et aller au fond : dans le secteur automobile, est-il normal que l'État gère une Régie comme Renault ?

M. Jospin : Il y a toujours eu dans la tradition française qui remonte à la Résistance, qui remonte au général de Gaulle mais à la Gauches au lendemain de la guerre, des entreprises qui sont des entreprises service public administratif et des entreprises qui, tout en étant publiques, se trouvent dans le secteur concurrentiel et sont des services publics industriels et commerciaux.

Cette tradition existe, je pense qu'on peut la faire bouger. Que des entreprises, dans le secteur concurrentiel, fassent évoluer leurs structures, oui. Qu'elles deviennent privées, pas forcément, si elles sont plus efficaces et servent mieux l'intérêt national en restant publiques.

M. Masure : Lionel Jospin, je vous propose de repartir tout de suite pour Toulouse pour une troisième question.

M. Cormery : Avec un thème qui intéresse les jeunes, les garçons en particulier, celui du service national et une question posée par Michel Brunoroux qui est étudiant à l'ISEG, Institut supérieur européen de gestion.

M. Brunoroux : Bonsoir, monsieur Jospin.

Je suis en 4e année à l'ISEG et, d'ici trois mois je vais être amené à partir pour faire l'armée, personnellement, je ne comprends qu'à l'aube du XXIe siècle, on oblige des jeunes étudiants qui ont envie de bouger, qui ont envie d'agir dans la société à partir à l'armée pendant 10 mois, 10 mois d'improductivité, 10 mois qui vont retarder leur intégration au sein de l'entreprise. Concrètement, que comptez-vous faire au niveau national ? L'abolir, le réduire ou êtes-vous pour une armée de métier ?

M. Jospin : Je vous rappelle que vous êtes un jeune étudiant mais vous êtes aussi un jeune Français. Nous appartenons à un pays qui s'appelle la France, à une Nation. Nous avons le devoir de la défendre. Et, pour vous répondre très clairement, je suis contre l'armée de métier. Je pense qu'il reste souhaitable que les jeunes hommes participent potentiellement à la défense de leur pays, en tout cas participent au service militaire. Maintenant, il y a des tas de méthodes pour rendre ce service militaire plus intéressant et plus passionnant.

Vous pouvez le faire soit dans l'armée, et je propose, dans mon programme, une autre façon de faire son service militaire qui peut être un service civil dans un certain nombre de domaines où vos compétences pourraient être utilisées.

Version militaire, version civile mais engagement des jeunes citoyens au service de leur pays. Je vous rappelle que vous n'êtes pas qu'un étudiant, un futur producteur, un futur consommateur, vous êtes un citoyen d'un pays qui s'appelle la France.

M. Masure : Lionel Jospin, avant le service militaire, il y a la Fac ou l'école. Nous allons en parler avec Michel Barat qui est agrégé de philosophie mais également directeur général de l'université Léonard de Vinci à Nanterre, dite fac Pasqua, une fac privée, et également maire d'Herblay.

M. Barat : Bonsoir, monsieur le ministre.

M. Jospin : Bonsoir.

M. Barat : Vous me permettrez d'abord de rectifier quelque chose, mais je crois que cette rectification est importante parce que, par rapport à Léonard de Vinci, il y a une sorte de brume idéologique. Je ne me considère pas comme responsable d'une institution privée et je ne suis pas à Nanterre mais je suis à Courbevoie. Et je crois, là, que les facteurs affectifs et symboliques peuvent jouer beaucoup dans les dénominations qui sont en cause.

Je suis heureux d'être avec vous ce soir pour débattre sur l'ensemble de la question universitaire. Je crois que le véritable problème sur lequel on est confronté, il y a incontestablement une réussite de l'université française, d'État, dans le domaine de la recherche, dans le domaine, je dirais, théorique, mais il y a eu un véritable problème qui est apparu, c'est la formation professionnelle de type universitaire. Je crois que, là, on touche à quelque chose de très important.

Quand on touche à la formation professionnelle de type universitaire, vers quoi se heurte-t-on ? Je crois que l'on se heurte à une réalité française.

Première réalité, séparation entre grandes écoles et universités...

M. Masure : ... S'il vous plaît, puis-je vous demander de poser une question de façon à ce qu'il reste un dialogue rythmé.

M. Barat : De l'autre côté, si vous voulez, une question qui est : du côté universitaire, comment se fait-il que plus de 50 % des étudiants, s'ils ne sont pas sur des filières sélectives, échouent ? C'est-à-dire que nous avons un taux d'échec de personnes qui se trouvent sans rien au bout de trois ans.

M. Jospin : Je regrette, je vous le dis très franchement, – et je suis très heureux de vous avoir en face de moi –, de constater que le conseil général des Hauts-de-Seine et monsieur Pasqua, avec des crédits publics, l'argent des citoyens, au lieu d'aider la très grande université de Nanterre, aient choisi de bâtir à grands frais, 1 milliard 200 millions, une université purement privée avec sélection à l'entrée, – ce qui est le contraire de l'égalité des chances que défendent, théoriquement, et monsieur Balladur et monsieur Chirac quand ils parlent aux étudiants – et, d'autre part, avec des droits universitaires de 20, 30 000 ou plus même quand on monte au troisième cycle, 1 000 francs par an, ce qui est aussi une sélection par l'argent.

C'est tout à fait contraire à ma philosophie de l'enseignement supérieur, à ma conception de l'égalité des chances et à ce quoi j'ai fait quand j'étais ministre de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur.

Il est vrai qu'il y a, dans l'enseignement, un problème de professionnalisation. C'est pourquoi, j'ai doublé en cinq ans le nombre des sections d'IUT, le nombre de sections de techniciens supérieurs. C'est pourquoi j'ai créé aussi à l'université les instituts universitaires professionnalisés pour justement faire en sorte que l'université publique dans l'égalité des chances, sans séparation entre les grandes écoles et l'université, car j'ai travaillé à les rapprochent servent tous les étudiants et forment en même temps les meilleurs.

Je pense qu'on n'a pas besoin d'universités privées, sauf si elles correspondent à une tradition spirituelle, qui est la Catho, par exemple, à Paris, ou telle université protestante ou juive. Cela, je le comprends, si vous voulez. Mais si c'est purement privé, je pense que ce n'est pas notre philosophie et, en tout cas, c'est contraire à l'idée de la République dont certains se réclament ces temps-ci et j'aimerais bien les entendre sur ce projet Pasqua.

M Barat : Il faut tout de même être clair sur cette caractéristique da « privé ». Là, nous touchons un véritable archaïsme parce qu'il ne s'agit ni de la loi d'orientation, ni de la loi Savary, ni même de la loi d'Edgar Faure, il s'agit d'une loi de 1875 qui qualifie de « privé » ce qui n'est pas d'initiative d'État. Le véritable problème auquel on est confronté avec l'initiative du Conseil général des Hauts-de-Seine qui sont tout de même des élus locaux et la question que je me pose, par rapport à votre réaction : Si jamais vous étiez Président de la République, avez-vous l'intention d'intervenir sur l'avis des conseils généraux ?

En plus, derrière cela, il m'a semblé qu'à un certain moment vous n'étiez pas aussi hostile à cela, en particulier dans le cadre de l'Université 2000. Il vous est arrivé de vous poser des questions et de les demander à monsieur Pasqua. Et monsieur Biasini, même lui, s'est posé la question de ce que nous faisons aujourd'hui, de savoir si une université professionnalisante reposant sur un principe d'économie mixte, sur un principe de société d'économie mixte, n'était pas une solution dans ce domaine-là ?

M. Masure : Lionel Jospin, si vous étiez à l'Élysée, quelle serait votre attitude face à cela ?

M. Jospin : Mon attitude serait tout à fait différente de celle qui a été suivie. Je pense que monsieur Pasqua aurait dû aider au développement du plan « Université 2000 », qu'il aurait dû aider la très grande et remarquable université de Nanterre, université publique, comme la quasi-totalité des universités de France, faut-il le rappeler, qui existent dans son département et qui ont des problèmes, des problèmes d'accueil en particulier.

L'enseignement supérieur n'est pas, en principe, de la compétence des conseils généraux, je vous le rappelle, monsieur Barat, c'est de la compétence de l'État ou éventuellement des régions. Effectivement, j'ai pratiqué une politique de travail avec les collectivités locales et c'est ainsi que nous avons pu faire fleurir les universités, les laboratoires, les cités universitaires, les amphis, partout en France, en additionnant l'effort de l'État et l'effort de la collectivité locale : région, département, ville, mais au service de qui ? Pas d'une minorité d'étudiants triés par l'argent, mais de tous les étudiants pour que les meilleurs s'affirment. Ça, c'est la philosophie de la République et c'est l'avenir du pays.

M. Barat : Pourquoi confondre la notion d'orientation des étudiants avec une sélection par l'argent Il faut tout de même être sérieux ! Dans ce pays, quand on voit la différence entre l'université et les grandes écoles, coût de 30 000 à 40 000 francs pour un étudiant jusqu'à près de 300 000 pour un X, nous nous trouvons aujourd'hui dans un système dans lequel c'est effectivement les pauvres qui paient pour les riches.

M. Jospin : Simplement, j'ai besoin de savoir très clairement, ma question ne s'adresse pas à monsieur Barat, elle s'adresse à travers lui à d'autres, savoir si mes deux adversaires principaux, monsieur Balladur et monsieur Chirac, sont pour cette conception du développement universitaire ou sont pour une conception du développement universitaire public sur la base de l'égalité des chances et de l'orientation progressive des étudiants ? Cette question est centrale dans la campagne. J'aimerais bien qu'on en parle et j'aimerais bien connaître leur réponse.

M. Masure : Voilà une question éventuelle pour le futur débat dont nous parlons beaucoup sans le voir venir.

M. Jospin : C'est pourquoi je la lance dès maintenant.

M. Masure : Nous retournons tout de suite à Toulouse avec un invité d'Antoine Cormery.

M. Cormery : On se retrouve à Toulouse pour parler du Sida, 1 052 cas de Sida déclarés en Midi-Méditerranée. Une question posée par Thomas Millet, étudiant à l'Institut européen de négociation à Toulouse.

M. Millet : Bonsoir, monsieur Jospin. Vous allez bien ?

M. Jospin : Bonsoir.

M. Millet : Je connais une personne qui est séropositive et, ce soir, ce que je vais vous raconter, c'est son témoignage. À chaque fois que cette personne se présente à une embauche et que l'on s'aperçoit qu'elle est remboursée à 100 % par la sécurité sociale, soit on lui dit : « Vous ne correspondez pas au poste », d'une manière assez rapide, soit l'employeur commence à poser certaines questions indiscrètes. Et, là, cette personne craque, elle avoue qu'elle est séropositive et, en face d'elle, c'est le mur, l'employeur, la personne en question lui dit : « On ne vous prend pas ».

Ma question est la suivante : Que comptez-vous faire pour éviter que ce genre d'exclusion s'arrête ? Ce n'est pas le fait d'une seule personne sur Toulouse, je pense que c'est vraiment quelque chose qui existe.

M. Jospin : J'ai rencontré samedi dernier à Paris 25 ou 30 grandes organisations qui s'occupent des problèmes du Sida et qui sont au côté des hommes et des femmes séropositifs ou attaqués par la maladie. Aujourd'hui même, il se trouve que j'ai présenté mes propositions en qui concerne la lutte contre cette maladie terrible. Mon attitude est double.

Je crois, d'un côté, que les pouvoirs publics, en s'appuyant sur les associations, sur les structures de soins, doivent déclarer la guerre au Sida, une guerre absolument implacable.

Et en même temps, à l'inverse, j'ai envie de dire que, en ce qui concerne les hommes et les femmes qui sont touchés par cette maladie, c'est, au contraire, de la plus profonde humanité dont nous devons faire preuve. Nous devons être à leurs côtés, pas simplement sur le terrain d'une sorte de compassion ou d'amitié mais sur le terrain matériel pour les aider à se soigner, à avoir les surcroîts de régime alimentaire dont Ils ont besoin, pour les aider à rester dans les lieux lorsqu'un couple se défait à la suite de la mort d'un malade, par exemple, pour les aider à résoudre des problèmes de droits aussi qui permettent de continuer à vivre.

Il faut donc mener une politique systématique de lutte contre le Sida en ciblant sur la base naturellement de dépistages qui doivent rester volontaires, en ciblant des milieux où les risques sont plus grands celui des homosexuels, celui des prisonniers dans les prisons, celui des toxicomanes, sans tabou. Donc, une bataille, une guerre et, en même temps, une espèce de prise en compte par l'ensemble du pays, par les Toulousains aussi, de la dimension humaine et tragique de cette maladie pour que nous soyons proches de ceux qui y sont confrontés. Voilà ce que j'ai envie de vous répondre.

M. Masure : La question très précise posée par ce jeune homme l'exclusion en matière d'emploi. Que peut-on faire très concrètement quand on est au Gouvernement pour éviter ce genre de phénomène qui effectivement, fait tache d'huile ?

M. Jospin : Quand quelqu'un est dans un emploi, s'il peut remplir son métier, sa tâche, il n'y a aucune raison qu'il puisse être sanctionné, qu'il puisse être licencié parce qu'il est atteint d'une maladie et, notamment, d'une maladie comme le Sida, s'il n'est pas naturellement invalidé par cette maladie.

Par ailleurs, je pense qu'il faut essayer de développer des types de travaux, des structures d'accueil pour des femmes et des hommes qui sont confrontés à la maladie et qui ont pourtant la capacité intellectuelle ou technique, si vous voulez, de maîtriser leur propre métier ou de maîtriser un certain nombre de techniques. Donc, il faut agir avec force dans le milieu de l'administration, bien sûr, déjà au premier chef parce qu'on peut peser là-dessus quand on est Président de la République. Et puis aussi dans le milieu des entreprises par la persuasion en montrant qu'il s'agit d'une cause nationale.

M. Masure : Si vous étiez élu Président, porteriez-vous le ruban rouge dans vos fonctions officielles en titre de solidarité, par exemple ?

M. Jospin : Je ne le ferai pas systématiquement. Je l'ai déjà fan en tant que responsable politique à certains moments. Je ne le ferai sans doute pas systématiquement parce qu'il y a aussi d'autres signes, d'autres symboles qu'on peut avoir envie d'arborer à tel ou tel moment Il y a aussi d'autres luttes, d'autres causes. Mais qu'à certains moments je puisse vouloir, oui, l'arborer pour montrer quelque chose, marquer une solidarité, rappeler la lutte nécessaire devant une tragédie, un fléau, oui, sans doute.

M. Masure : Il y a énormément de toxicomanes qui sont touchés par le Sida. Vous avez avoué dans une autre émission que, dans votre jeunesse, vous aviez fumé un pétard. Question très sérieuse : êtes-vous, oui ou non, pour la dépénalisation des drogues douces ?

M. Jospin : Non. Dans la même émission, on m'interrogeait, j'ai dit que j'étais contre. J'ai dit que je pensais qu'il fallait réviser la loi de 70, qu'il fallait faire en sorte que la justice traite de ces problèmes de la même façon, partout, qu'il n'y ait pas des inégalités selon les ressorts judiciaires.

J'ai dit que les toxicomanes devaient avant tout être considérés comme des personnes souffrantes, qui ont besoin d'aide, qui ont besoin de soutien, en même temps qu'il fallait mener une lutte implacable contre les trafiquants et en particulier contre les gros trafiquants. Ce qui implique une action à l'échelle internationale et une action policière beaucoup plus forte.

Mais en ce qui concerne la dépénalisation, non, je ne franchis pas ce pas, pourquoi ? Parce que je ne sais pas, moi, personnellement, comment distinguer ce qui est la dépénalisation et ce qui apparaît comme la légalisation ou l'autorisation. Je ne veux pas que l'État, que les pouvoirs publics se mettent en situation d'autoriser, de légaliser, voire d'encourager.

Je suis contre une attitude de répression pour les consommateurs, pour une attitude de répression très dure pour les trafiquants, en particulier pour les gros trafiquants, pour qu'on modifie la loi de 70, mais non pas pour une dépénalisation qui apparaîtrait comme une autorisation donnée par l'État.

M. Masure : Je vous propose maintenant de répondre aux questions de Sonia Rykiel, styliste de renommée mondiale, qui voudrait vous poser un certain nombre de questions sur la culture.

Mme Rykiel : Monsieur le ministre, vous incarnez les valeurs de la Gauche. Après 14 ans de socialisme, la culture n'a toujours pas ce fameux 1 % du budget de l'État. Je pense que ce 1 % est vraiment un minimum, on ne peut pas faire moins, quand on pense que le degré d'une civilisation se mesure à la culture, que la culture, c'est l'éducation, c'est empêcher la délinquance, c'est empêcher la drogue, c'est empêcher l'exclusion, que la culture, c'est l'éducation et que l'éducation c'est la formation et que la formation, pour un enfant, c'est vraiment l'avenir d'un pays.

Vous, monsieur, qui êtes le candidat citoyen, vous qui êtes assis à côté des gens et non pas au-dessus des gens, – c'est vous qui le dites –, vous qui savez que la culture est une expression du rêve de la Gauche, allez-vous être porteur de ce rêve ? Allez-vous décider, comme le voulait déjà Malraux, que la culture mérite ce 1 % qui lui est vraiment indispensable et non pas ce 0,90, 0,9, 0,92 %, qui est son lot aujourd'hui ? Allez-vous vraiment donner à la culture une priorité ?

M. Jospin : Absolument, Madame Sonia Rykiel. En 1993, le budget de la culture était au-dessus de 1 %, il est passé en-dessous maintenant…

Mme Rykiel : ... Juste en 1992-1993.

M. Jospin : Et, depuis deux ans, il faut bien le dire, avec le Gouvernement actuel, il est descendu à 0,90 %. Mon engagement est très clair, je l'ai affirmé dans mes propositions, il est, de faire passer au-dessus de 1 % le budget de la culture, au sens strict naturellement, l'éducation, c'est autre chose, il y a un budget considérable. Et c'est même de le faire sans tenir compte, par exemple, du coût que représentent l'entretien et le fonctionnement de la Bibliothèque nationale de France qui vient d'être inaugurée dans son premier état par le Président de la République parce qu'on sait que cela peut peser lourdement sur le budget. Donc, c'est 1 % en plus.

C'est un effort, effectivement, très important en faveur de la culture, pour aider aussi les créateurs sous toutes les formes, parce que la culture, ce n'est pas l'État qui la fabrique, il la rend possible, mais ce sont les créateurs qui doivent naturellement être mis en situation de créer, d'agir, de créer la beauté. Et puis c'est aussi la défense de notre culture, de notre identité culturelle à l'échelle internationale.

Cela concerne toutes les discussions face à l'offensive américaine qui tend à considérer la culture comme une marchandise et je me refuse à considérer la culture comme une marchandise ou comme une simple marchandise. C'est quelque chose qui appartient à notre identité et qu'il faut donc préserver par la politique d'exception culturelle, par la politique des quotas de diffusion et de production, par l'aide au cinéma à d'autres formes de la culture que vous illustrez vous-même par votre art.

Mme Rykiel : Si avec vous tout est clair, parlez-nous un petit peu de ces autoroutes de l'information, qui ne sont pas claires du tout pour nous. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?

M. Jospin : D'un mot, je sais bien que c'est une question de cours à l'ENA…

Mme Rykiel : C'est une intrusion, c'est quelque chose d'assez terrible de savoir qu'à l'intérieur de nos maisons, à l'intérieur de notre espace vont rentrer d'un seul coup des tas de choses qui vont faire qu'on va être envahi et on ne sait pas comment. Comment résister à cela ? Comment résister justement aux Américains ? Et qu'est-ce que vous en pensez ?

M. Jospin : Je crois qu'il faut le faire par une politique qui consiste, dans les discussions internationales, à poser la règle que les biens culturels, la production de films, la production de séries télévisées par exemple, ne relèvent pas d'un simple échange de marchandises, comme si on échangeait des locomotives ou des boites de conserves, mais touchent à l'identité, à la culture nationale, à la culture européenne aussi, dans sa diversité.

Il ne s'agit pas du tout d'adopter une attitude de rejet des autres cultures. Le problème, c'est qu'il s'agit de se défendre souvent contre des sous-cultures, des sous-produits culturels qui risquent d'envahir nos médias, parce qu'ils sont fabriqués à très bas coûts sur d'énormes marchés le marché américain, lequel marché américain se protège contre la présence de nos films, de nos séries télévisées, même de qualité.

Donc il faut agir et il faut s'interroger aussi sur le contenu de ces autoroutes de l'information, c'est-à-dire de tous ces tuyaux divers qui amèneront chez nous les informations et il faut veiller à la nature de ces contenus, pour qu'on puisse défendre notre personnalité, notre identité.

M. Masure : Lionel Jospin, je vous propose de refaire un petit tour vers la ville Rose, où nous attend toujours Antoine Cormery et ses invités.

M. Cormery : Oui, Toulouse qui est une ville de culture, qui est aussi une ville où l'on parle politique, une ville centriste dans une région traditionnellement à Gauche : ici, Jean Jaurès a été élu municipal et François Mitterrand y a fait de beaux scores en 88 notamment : 56,6, et en 1981 : 58,5 %, une époque dont se souvient Aude Lumot, qui est étudiante en DEUG de psychologie et membre de l'UNEF.

Mlle Lumot : Bonsoir.

Je me souviens du dîner 1981 lorsqu'à la maison nous avons appris que François Mitterrand était élu Président de la République et je me rappelle que mes parents m'ont expliqué que j'étais une enfant de la Gauche et qu'à présent les choses allaient changer. 14 ans plus tard, le constat que je fais, c'est que le bilan n'est pas positif. Ce n'est pas pour autant que je considère que je vais donner ma voix à l'actuelle Majorité et pour moi les solutions ne se trouvent pas là.

Voilà ma question : comment allez-vous faire pour redonner confiance à ceux qui n'ont pas de logement, à ceux qui sont au chômage, à ceux qui sont actuellement dans les rues, en grève ? Comment allez-vous faire pour redonner confiance aux jeunes des banlieues qui n'ont trouvé pour l'instant de remède à leurs maux que dans la violence ? Et comment allez-vous faire en sorte que les gens croient à nouveau au Parti socialiste et votent pour vous ?

M. Jospin : Sur les grands problèmes concrets que vous avez évoqués, le chômage, j'ai dit : grande politique pour l'emploi, première priorité de ma politique. En ce qui concerne les problèmes de logement, c'est une politique de logement social, avec notamment la volonté de faire en sorte que des hommes et des femmes, souvent de plus en plus jeunes, ne se retrouvent pas la nuit, dans les gares, sous les bâches, dans les caves, dans les squats, mais puissent être logés décemment. Donc un grand programme de logement social.

On me demandait quel serait le premier geste que je ferais si j'étais Président de la République. J'ai dit : « J'aurai envie de poser la première pierre de mes grands travaux à moi, qui seraient justement le plan de logement social pour l'élimination des SDF en deux ans ».

Comment redonner confiance ? Tout simplement en disant ce que je vais faire de façon aussi précise que possible, non pas au niveau du verbe ou des généralités, mais autour de grands projets concrets et ensuite, une fois élu, en faisant ce que j'ai dit. Voilà la démarche que je voudrais proposer aux Français.

M. Masure : Lionel Jospin, avant votre débat avec Patrick Devedjian, je vous propose de revenir sur ce problème des déçus du socialisme, avec un reportage de John-Paul Lepers – un reportage classé X, vous allez comprendre pourquoi dans une seconde – à Narbonne, une région où le socialisme fait partie en quelque sorte des traditions ancestrales, de même que la viticulture ou le rugby. Or dans ce département de l'Aude, en 93; les 3 députés socialistes ont été balayés.

Sur les raisons de ce désamour, reportage.

Reportage.

Journaliste : Et vous, vous êtes plutôt à Gauche ou à Droite.

Intervenant : Pour l'instant, blanc.

Journaliste : Vous aviez 3 députés de Gauche et maintenant vous vous retrouvez avec 3 députés de Droite. Qu'est-ce qui s'est passé dans cette région ?

Intervenant : Cela ne m'intéresse pas. Je ne suis pas pour le sport...

Journaliste : D'accord, mais vous êtes à Narbonne, vous êtes dans l'Aude. Qu'est-ce qui s'est passé ?

Le même : Je ne sais pas, cela ne m'intéresse pas. Franchement, au niveau politique, je trouve que ce n'est que du faux, que du mensonge et ces gens-là ne m'intéressent pas.

Journaliste : Votre déception, elle est où ? Elle se situe où ?

Intervenant : Je crois que, comme tout homme politique, on promet beaucoup et puis, quelque part, le Français moyen reste toujours moyen.

Journaliste : Pourquoi ? On attendait des choses de la Gauche ?

Le même : Les gens ont voulu changer, voir du côté des riches, voir peut-être du côté des riches, pour peut-être rêver aussi.

Journaliste : Rêver à quoi ?

Le même : Rêver à gagner de l'argent, comme les autres...

Journaliste : Et vous, monsieur, vos parents votent quoi ?

Intervenant : Ils ont voté à Gauche, mais je ne pense pas qu'ils revotent à Gauche...

M. Journaliste : Comment se fait-il que la Gauche s'est coupée comme ça de toute une partie de la France, à votre avis ?

Le même : Peut-être par une mauvaise politique... Ils n'appliquaient pas les idées qu'ils défendaient. Ils ont peut-être privilégié des personnes qui n'étaient pas leur électorat.

Intervenant : J'ai dit que ceux qui avaient un petit portefeuille resteraient toujours à galérer et que ceux qui avaient un portefeuille un peu plus large s'en sortiraient très bien.

Intervenant : On a voté socialiste, ils nous ont promis et à la fin...

Journaliste : Ils vous ont promis quoi ?

Le Même : Comme tout le monde, qu'on allait toucher un peu plus de pognon. Ils promettent du boulot, ils promettent tout à tout le monde et à la fin, ils « niquent » tout le monde. Ce n'est pas bien...

Journaliste : Je voudrais vous demander: « Vous êtes de Gauche ? ».

Intervenant : Oui, je suis de Gauche ; sentimentalement je suis de Gauche et je suis de Gauche parce que je suis un ouvrier.

Journaliste : Qu'est-ce qui s'est passé dans la tête des gens ici ?

Le même : Je ne peux pas vous dire ce qui se passe dans la tête des autres, je peux vous dire ce qui se passe dans la mienne.

Journaliste : Alors dans la vôtre ?

Le même : Dans la mienne, disons que je n'ai jamais accepté non plus que les Socialistes fassent la politique de Droite, je vous le dis net et clair.

Journaliste : C'est ça qui s'est passé ? Donc vous avez sanctionné ça ?

Le même : Écoutez, il y a Mitterrand qui est en place depuis 14 ans. Il a fait des promesses et il ne les a jamais tenues. Il y a quelque chose de bon qu'il a fait : la retraite à 60 ans, l'abolition de la peine de mort, mais pour le reste, disons que je ne suis pas d'accord.

Journaliste : Au revoir.

M. Masure : Vous-même, en 1991, vous avez écrit un livre assez critique sur le septennat qui s'appelait « L'invention du possible ». Que répondez-vous à tous ces déçus du Socialisme ?

M. Jospin : Au stade Toulousain, ils me paraissent un peu plus fermes, dans leurs convictions en tout cas, les joueurs que je fréquente. Je fréquente comme on dit quelques « bestiaux », qui ont gardé une sensibilité de Gauche. J'ai beaucoup d'amis, moi, parmi les rugbymen qui sont ainsi. Pourtant Narbonne, c'est un beau style de jeu aussi, en rugby.

M. Masure : Et à ce monsieur qui, dans la gare, disait qu'il avait voté à Gauche et qu'il avait été déçu ?

M. Jospin : Il a quand même lui-même énuméré quelques réformes qui avaient été promises par François Mitterrand et qui ont été réalisées : par exemple, la retraite à 60 ans, l'abolition de la peine de mort. On pourrait en citer d'autres : la 5e semaine de congés payés, la décentralisation, le RMI, l'impôt sur la grande fortune, mais je ne vais pas continuer une litanie parce que monsieur Devedjian arrive.

M. Masure : Avant de lui laisser la parole une dernière question : qu'est-ce que vous dites quand on vous dit que vous êtes en quelque sorte à François Mitterrand ce que Georges Pompidou avait été au Général de Gaulle ?

M. Jospin : Un peu compliqué pour moi.... Nous ne sommes pas de la même génération, Georges Pompidou et moi-même. Je pense que c'est une histoire qui a été très importante, mais c'est l'histoire d'une génération, celle qui était déjà adulte au moment de la guerre, qui a d'ailleurs été confrontée à une période tragique, qu'elle a souvent affrontée avec courage.

Moi j'appartiens à une autre génération, ceux qui sont sortis de la guerre et ce qui me revient maintenant à moi, c'est de tracer des voies pour l'avenir, pas seul, avec d'autres. Donc je ne peux pas uniquement me déterminer par rapport au passé et en regardant nostalgiquement derrière mon épaule. Ma préoccupation, notamment dans cette élection présidentielle, c'est d'essayer de tracer de nouvelles voies, de tirer des leçons de la période récente, d'être fier de ce que nous avons fait quand c'est réussi, d'être capable d'être lucide quand ça l'est moins et puis de dire : « Maintenant, ce que je propose, c'est d'avancer dans telle ou telle direction, à partir de propositions aussi concrètes et réalistes que possible.

M. Masure : Je vous laisse répondre aux questions de Patrick Devedjian, qui est élu et député RPR et qui est un supporter d'Édouard Balladur ; il est important de le préciser en ce moment.

M. Devedjian : On peut peut-être commencer d'ailleurs comme ça, monsieur Jospin, si vous le permettez. Tout à l'heure, en début d'émission, vous avez dit à Bruno Masure, et je crois que vous aviez raison, qu'il fallait que le terrain politique soit davantage éclairé. Je vous crois. Et monsieur Masure, comme France 2, ont proposé qu'il y ait un débat, en particulier entre monsieur Balladur et vous-même.

J'ai vu Édouard Balladur cet après-midi : il est d'accord pour faire un débat avec vous. Et vous, vous êtes d'accord ?

M. Jospin : Je suis d'accord pour faire un débat avec monsieur Balladur et avec monsieur Chirac, séparément si c'est nécessaire, l'un et l'autre, ou ensemble si c'est possible, l'un avec l'autre.

M. Devedjian : Vous admettrez que monsieur Balladur ne peut pas être responsable de l'attitude de monsieur Chirac. Est-ce que vous avez demandé à monsieur Chirac de débattre avec vous ?

M. Jospin : Absolument, j'ai écrit une lettre à l'un et à l'autre, et l'un des deux seulement m'a répondu.

M. Devedjian : Monsieur Balladur vous a répondu...

M. Jospin : C'est exact.

M. Devedjian : Donc vous êtes d'accord pour débattre avec lui séparément ?

M. Jospin : J'ai répondu que j'étais d'accord pour débattre avec monsieur Balladur et avec monsieur Chirac. C'est ma position et elle restera celle-là.

M. Devedjian : Oui, mais vous pensez que cela éclairera le débat quand même ? Il n'y a jamais eu autant d'indécis, si proche de l'élection. Je crois que si on réclame davantage d'éclaircissements, si on demande des précisions et vous avez raison de les demander, parce que les Français ont le droit de savoir ce que les candidats proposent, c'est la démocratie.

M. Jospin : Ce soir déjà, pour commencer, je vais essayer de vous éclairer en répondant à vos questions.

M. Devedjian : C'est très gentil.

Je voulais vous demander aussi : à l'inverse de Jacques Delors, qui soutient votre candidature, pourquoi y a-t-il une différence d'attitude ? Monsieur Delors a renoncé à se présenter en disant qu'il n'y avait pas de majorité possible pour gouverner, pas de majorité parlementaire, et il n'a pas cru, semble-t-il, que son élection qui aurait pu – il avait de bons sondages – créer une dynamique était de nature pourtant à créer cette majorité parlementaire.

Et vous, vous pensez différemment de votre Président de comité de soutien ?

M. Jospin : Les hommes sont libres. Je crois que Jacques Delors ne s'est pas présenté, à mon sens, pour des raisons qui sont essentiellement des raisons personnelles, davantage que pour des raisons politiques.

De même que monsieur Balladur avait dit à une époque, monsieur Chirac l'a rappelé hier, qu'il ne se présenterait pas à l'élection présidentielle s'il était Premier ministre, puisqu'il lui paraissait que ce n'était pas souhaitable, et qu'il a changé d'avis, se présentant à l'élection présidentielle. Je respecte sa liberté. De même, Jacques Delors, qui n'avait jamais dit qu'il serait candidat, mais dont beaucoup le souhaitaient, a finalement décidé en son âme et conscience de ne pas l'être, à mon avis pour des raisons plus personnelles que politiques. En tout cas, son raisonnement lui appartient ; il ne saurait s'appliquer à tout autre. Si moi je suis candidat à l'élection présidentielle, c'est que j'ai l'espoir de la gagner et: la gagnant, de rassembler une majorité.

C'est donc mon état d'esprit et c'est mon raisonnement. C'est à celui-ci que vous devez me confronter et pas au raisonnement qu'a fait Jacques Delors dans une autre circonstance, qui le conduit d'ailleurs à ne pas être dans ce débat public, sauf sous la forme du soutien qu'il m'apporte et j'en suis très heureux, parce que c'est important.

M. Devedjian : Sur le point de la candidature d'Édouard Balladur, je suis là pour vous poser des questions plutôt, que pour le défendre, mais je vous dirai que vous savez très bien qu'Édouard Balladur avait dit qu'il n'était pas convenable qu'un Premier ministre se présente contre un Président sortant. Cela n'aura pas lieu. Donc ne lui faites pas ce procès d'intention que lui font d'autres.

M. Jospin : Vous avez raison, je ne lui fais pas de procès. Je considère qu'il est libre d'être candidat à l'élection présidentielle.

M. Devedjian : Votre Majorité, monsieur Jospin, pouvait comprendre des ministres communistes, vous l'avez déclaré, on en parlait tout à l'heure. Est-ce que vous ne trouvez pas que c'est tout de même un peu archaïque aujourd'hui dans un pays comme la France d'avoir des ministres communistes et que c'est aussi, pardonnez-moi le mot qui ne veut pas être méchant, un peu humiliant de se voir répondre aussi vertement par monsieur Hue que ce n'est pas à l'ordre du jour ?

M. Jospin : C'est-à-dire que les deux arguments ont du mal à être avancés en même temps. Si Robert Hue ne se pose pas la question, la question cesse d'avoir un grand intérêt. On m'a interrogé, j'ai donné ma sensibilité. Je suis un homme de Gauche : les Socialistes, les Communistes, des Radicaux, des personnalités de progrès dirigent ensemble des municipalités. J'ai dit que pour ce qui me concernait il n'y avait pas d'opposition de principe, mais ce n'est pas du tout une proposition que je faisais. Donc nous en restons là.

M. Devedjian : Les Français sont attachés à un État impartial. Est-ce que vous pensez que le Président de la République ou le Premier ministre peuvent être des chefs de parti ?

M. Jospin : Ils peuvent être des chefs de parti à l'origine. Ils cessent de l'être à mon avis lorsqu'ils deviennent Premier ministre ou Président de la République ; c'est en tout cas ce qu'a fait François Mitterrand. Je constate que dans le Gouvernement actuel il y a de nombreux chefs de parti : monsieur Juppé est à la fois ministre des affaires étrangère, il représente la France à l'étranger, et secrétaire général du RPR. Monsieur Méhaignerie était le Président du CDS quand il est rentré au Gouvernement. Vous avez donc multiplié parmi vos ministres les chefs de parti. Cela ne me choque pas, je dois le dire.

Le problème est de savoir comment ces hommes ou ces femmes, remplissent leur mission : est-ce qu'ils le font avec impartialité ? À propos de l'impartialité de l'État, quand j'entends monsieur Chirac dire qu'il y a un État Balladur et quand j'entends monsieur Balladur dire qu'il y a un État RPR, je m'inquiète un peu sur l'impartialité de l'État, parce que comme ils se connaissent bien l'un l'autre, j'ai tendance à croire ce qu'ils disent l'un de l'autre.

M. Devedjian : Vous admettrez que monsieur Balladur n'a pas eu le temps de créer un État RPR ou un État Balladur, et qu'avoir nommé monsieur Blanc dont on parlait tout à l'heure, ou que le CSA ait nommé monsieur Bourges ou monsieur Peyrelevade, ce n'est pas vraiment le signe d'un attachement partisan, tout de même...

M. Jospin : Il m'a semblé que dans des tâches difficiles, celles du Crédit Lyonnais ou celle d'Air France, des hommes de talent, de sensibilité socialiste, étaient des personnes à qui avait songé monsieur Balladur. Je crois que c'était un hommage rendu à leurs talents et peut-être aussi à la difficulté de leurs tâches. Mais quand on voit les noyaux durs dans les entreprises privées, il est clair que ces noyaux durs des entreprises privatisées sont composés souvent d'amis de monsieur Balladur. En tout cas c'est ce que disent monsieur Juppé et monsieur Chirac avec beaucoup de force.

M. Devedjian : Revenons aux privatisations, dont vous ne voulez pas justement. Monsieur Jacques Delors, toujours lui, lorsqu'il a renoncé à être candidat, a dit qu'il fallait privatiser d'urgence France-Télécom. Vous, vous êtes tout à fait hostile à cela. Cela m'étonne qu'il y ait tant de contradiction entre un homme qui est le Président de votre comité de soutien et les positions que vous développez.

M. Jospin : Écoutez, il y a un candidat à l'élection présidentielle et puis il y a un homme qui ne l'est pas. Donc si Jacques Delors avait été candidat, peut-être aurait-il fait des propositions différentes ? Moi j'ai une vision des choses : je considère qu'autant il faut faire évoluer le statut de France-Télécom, et il a d'ailleurs évolué, de façon à ce que ce soit une entreprise performante à l'échelle mondiale, capable d'affronter la bataille économique de la compétition, autant je ne pense pas qu'il faille totalement privatiser cette entreprise, et notamment priver les salariés de cette entreprise des avantages d'un statut public qui peut être compatible avec la bataille économique.

C'est ma vision des choses, je crois au service public qui me paraît, je vous dis, servir l'intérêt général et l'égalité des chances. Voilà ma vision, c'est celle que je défends et on ne peut pas me renvoyer à celle d'autres.

M. Devedjian : Non, mais vous vous y référez quand même, à monsieur Delors ... C'est évidemment tentant de trouver de contradictions.

M. Jospin : Je me réfère au grand président de la Commission de l'Union européenne qu'il a été, je me réfère aussi à une méthode dont je m'inspire, c'est-à-dire l'idée qu'il a que si l'on veut faire bouger la France, si on veut la faire avancer sur un certain nombre de grands projets, tout ne doit pas venir de l'impulsion d'en haut, de l'impulsion de l'État, de l'impulsion du pouvoir politique – bien que j'entendrais donner une impulsion ferme au pays – mais que les acteurs aussi dans la société, les hommes et les femmes dans la société, acteurs de la vie économique, acteurs de la vie sociale, du mouvement associatif, doivent se prendre en mains.

Cette aspiration à la responsabilité, à l'action, ce dialogue qui peut se nouer entre la société et le pouvoir politique, c'est la méthode moderne, à mon avis, pour faire avancer un pays comme le nôtre. Il faut s'éloigner des modèles de commandement hiérarchique auxquels, à mon sens, restent référés les deux candidats du RPR et de l'UDF. C'est la vision que j'ai et sur ce point, absolument central pour l'avenir du pays, et peut-être plus important au sens global que la question du statut de France Télécom, effectivement Jacques Delors et moi avons la même inspiration.

M. Devedjian : Je vous précise qu'il y a deux candidats du RPR, que monsieur Balladur est également un candidat du RPR.

M. Jospin : C'est vrai, c'est vrai que cela complique la tâche...

M. Devedjian : Cela complique la tâche, et puis on lui a reproché précisément sa méthode et, de ce point de vue-là, vous ne devriez pas la critiquer puisque c'est une méthode qui recherche le consensus, la discussion et la concertation. Sur ce point, je ne crois pas que vous soyez très critique.

Je voulais vous parler de l'Europe. Je crois que vous êtes un Européen sincère, mais vous savez, nous avons un rendez-vous important en 1977, celui de la monnaie unique et, pour y arriver, il faut que nous réduisions nos déficits qui sont importants, nos déficits publics. Est-ce que votre politique de relance de la consommation n'est pas de nature à rendre ce rendez-vous particulièrement difficile ?

Et je voulais vous demander : que ferons-nous si en 1997 nous n'avons pas satisfait aux critères de convergence du Traité de Maastricht notamment sur ces déficits publics, et que l'Allemagne, elle y a satisfait ? Que sera la comparaison entre nos deux pays ? De quoi aurons-nous l'air ?

M. Jospin : Il n'est pas certain que le nombre des pays qui satisferont aux critères de Maastricht, qui sont au nombre de 5 et qui ne concernent pas seulement les déficits publics, soit considérable dès 1997. Vous savez d'ailleurs que pour passer à la monnaie unique, il faut qu'il y ait une majorité des membres de l'Union qui satisfassent à ces critères. Je crains que cela ne soit pas le cas. Quand j'examine ce que disent les responsables de gouvernement ou de banque centrale de l'Union européenne, je suis assez sceptique....

Les propositions que je fais visent à réduire les déficits publics de façon à ce qu'on se rapproche de ces critères. Pourra-t-on le faire d'ici 1997 ? Honnêtement, je n'en suis pas sûr et je ne voudrais pas en tout cas que la France le paie d'une déflation, c'est-à-dire d'une pression sur notre possibilité de croissance, parce que je crois que notre objectif central doit être l'emploi. Si nous ne pouvons pas le faire en 1997 j il faudra envisager de le faire en 1999. Voilà ma vision des choses en ce qui concerne l'Europe.

Mais l'Europe, ce n'est pas simplement la monnaie unique. L'Europe, c'est la lutte contre le chômage, c'est la lutte pour la justice sociale, c'est la charte sociale, c'est la défense de l'identité culturelle dont nous parlions tout à l'heure avec Sonia Rykiel, c'est la défense de nos intérêts commerciaux aussi face aux États-Unis, c'est la tentative de bâtir un nouveau système monétaire international contre la spéculation qui affole nos monnaies, qui menace nos politiques économiques et nos emplois. C'est toute cette conception de l'Europe, à la fois ambitieuse mais réaliste, et permettant de défendre les intérêts de la France et les intérêts des Européens que je défends. C'est cela, ma vision de l'Europe : je suis profondément Européen, mais un Européen pour une Europe forte.

M. Devedjian : Mais vous savez bien qu'une Europe forte, c'est aussi une monnaie unique forte et que c'est le seul moyen de lutter contre cette spéculation internationale que vous dénoncez : c'est d'avoir pour nous Européens une monnaie qui nous soutienne. Donc c'est une priorité pour la France, dans sa relation avec l'Allemagne, et pour l'Europe.

M. Jospin : Je suis favorable à la monnaie unique. Ce sera une des façons d'éviter la spéculation contre les monnaies espagnoles, italiennes, françaises, ou allemandes – la spéculation peut se faire à la hausse ou à la baisse. Mais j'ai aussi proposé que l'Union européenne soit une première étape dans la reconstruction d'un système monétaire international, car nous ne pouvons pas laisser, sans risque pour les économies du monde occidental et pour les pays du tiers monde, ce système monétaire et financier totalement désorganisé. Il faut réintroduire de la stabilité dans l'économie mondiale si on veut avoir une chance à terme d'éliminer le chômage qui, je le répète, reste mon objectif central dans mes propositions aux Français.

M. Devedjian : Justement, pour éliminer le chômage, vous proposez la réduction du travail à 37 heures, sans réduction de salaire. En 1981 on avait fait à peu près la même chose, quand vous êtes arrivés ; or cela n'a pas créé d'emplois en 1981. Pourquoi cela pourrait-il en créer aujourd'hui ?

M. Jospin : Cela a créé en 1981, 70 000 à 80 000 emplois, ce qui est peu. Les propositions que j'ai faites viennent d'être chiffrées par des experts indépendants, de l'OFCE, qui ont dit que sur 2 ans cela représenterait 200 000 emplois de plus créés par an et une diminution du nombre des chômeurs. Comme je considère que ces 37 heures en 97 ne sont qu'une étape, qu'on ira plus loin, vers les 35 heures, vers la semaine de 4 jours, à condition qu'il y ait négociation entre les chefs d'entreprise et les représentants des salariés, je pense que nous irons plus loin.

Je préconise par ailleurs un allègement des charges sur les bas salaires qui, là aussi, créera des emplois. Donc la démarche que je propose est créatrice d'emplois dans les années qui viennent, par plusieurs centaines de milliers.

M. Masure : Une dernière question, Patrick Devedjian.

M. Devedjian : Juste une observation en passant : en 1981 vos experts avaient prévu la création de 400 000 emplois et ce n'est pas arrivé. Pourquoi cela arriverait aujourd'hui ?

Je voudrais vous poser juste une dernière question, puisque le temps est mesuré...

M. Jospin : Il ne s'agit pas là de mes experts, il s'agit d'experts indépendants...

M. Devedjian : Des experts du Parti socialiste...

M. Jospin : Non, non, il s'agit...

M. Devedjian : Les experts se sont trompés, monsieur Jospin : ils croyaient à une croissance de + 2,6 en 1993 et on a fait - 1 % ; vous voyez les erreurs des experts... Quand vous êtes au Gouvernement, elles peuvent être très importantes.

M. Masure : Une dernière question...

M. Devedjian : Ma dernière question, c'est : la réduction du temps de travail à 37 heures sans diminution de salaire, pour les entreprises qui font des bénéfices, je le comprends parfaitement. Mais pour celles qui sont en difficulté, est-ce que vous ne pensez pas que cela peut créer de nouveaux chômeurs ?

M. Jospin : Je ne le crois pas. Nous venons d'assister à un accord en Allemagne, dans l'ensemble de la métallurgie...

M. Devedjian : Avec réduction de salaires...

M. Jospin : Non, sans, monsieur Devedjian... Comment pouvez-vous dire cela ?

M. Devedjian : Bien sûr…

M. Jospin : Non, non, non. Il y a une augmentation de salaire sur 2 ans, modérée, mais sur 2 ans. Il n'y a pas du tout de réduction de salaire, et passage aux 35 heures, pas aux 37 heures, dès le 1er octobre. Je crois que les progrès de la productivité, de l'efficacité des machines et du travail, et des hommes aussi, chaque année, permet d'amortir...

M. Devedjian : Quand les entreprises perdent de l'argent...

M. Jospin : Mais les négociations sont faites pour tenir compte aussi des situations différentes des entreprises. Je propose, comme Président de la République – comme candidat à la présidence de la République je me mets dans cette hypothèse – un cap, mais ensuite cela doit être négocié. C'est le rôle de la politique contractuelle et je veux une politique contractuelle, active et vivante, dans mon pays.

M. Masure : Merci Patrick Devedjian, merci Lionel Jospin, d'avoir joué le jeu du ping-pong. Ping-pong que nous allons continuer avec les questions de mes confrères et consœurs politiques. Nous commencerons avec Jean-Luc Mano.

Lionel Jospin, vous nous avez dit, au début de l'émission, que vous avez rencontré François Mitterrand cet après-midi et qu'il était optimiste, vous n'avez pas dit pour qui ?

M. Jospin : S'il était optimiste...

M. Mano : ... c'était pour vous ?

M. Jospin : Vous l'avez compris.

M. Mano : Cette précision étant donnée. Parce qu'on ne sait jamais, on ne voit pas beaucoup François Mitterrand intervenir dans le débat politique et pas énormément vous soutenir.

Lui avez-vous demandé de vous soutenir davantage ou pensez-vous que cela suffit comme cela ? Et « beaucoup » de Mitterrand, c'est très bien pour Lionel Jospin ou « un peu » cela suffit ?

M. Jospin : Je ne lui ai pas demandé, d'abord parce que je considère qu'un candidat quel qu'il soit, fut-il ami du Président de la République, partagerait-il, et c'est le cas, un certain nombre de valeurs et d'idées communes n'a pas à solliciter l'appui du Président de la République. Je ne l'ai donc pas fait. C'est, pour moi, une question de principe.

Et c'est à François Mitterrand lui-même qui, Président de la République, terminant son deuxième mandat, est un citoyen, de déterminer comment il veut se situer, ce qu'il veut dire dans cette élection.

Le général de Gaulle l'a fait à une époque, vous vous souvenez. Valéry Giscard d'Estaing, Président de la République, l'a fait à une autre époque pour un Premier ministre, et il l'a fait aussi pour lui-même puisqu'il était à nouveau candidat.

Là, c'est une situation différente pour François Mitterrand, il n'est plus candidat. Qu'il s'exprime comme il l'entende, dans le respect de sa charge sans doute, dans le respect de ses convictions certainement, et les choses, à mon sens, seront bien. Nous avons eu un échange de vues. Je n'ai rien sollicité. Et il agira comme il le croira juste.

Mme Saint-Cricq : Il y a une certaine demande du Parti socialiste, dont Jack Lang, Henri Emmanuelli ou encore Pierre Mauroy qui trouvent que, dans votre discours, la référence à François Mitterrand n'est pas très présente et qui trouvent que vous vous démarquez trop, que vous êtes ailleurs, pas dans la continuité des deux septennats, que vous ne jouez pas le jeu de la continuité de François Mitterrand. Que leur répondez-vous ?

M. Jospin : Moi, je joue le jeu de la France, c'est-à-dire que, autant je suis heureux que mes amis socialistes s'engagent dans cette campagne et me soutiennent, et ils le font, les uns et les autres, notamment ceux que vous avez souhaités. Mais, ma préoccupation n'est pas d'abord le Parti socialiste en tant que parti. Ma préoccupation est de proposer aux Françaises et aux Français des orientations pour l'avenir. Ce sont eux que je veux rassembler. Naturellement les socialistes sont présents.

Mme Saint-Cricq : Quand Jack Lang dit que « prendre ses distances vis-à-vis de François Mitterrand est politiquement inefficace », c'est-à-dire qu'il vous conseille de vous en rapprocher un peu pour capter un certain nombre de voix, que lui dites-vous ?

M. Jospin : J'écoute toujours avec plaisir Jack Lang et je mène ma campagne.

M. Masure : Franz-Olivier Giesbert du Figaro.

M. Giesbert : Lionel Jospin, tout le, monde l'a compris ce soir : vous êtes sérieux, rigoureux, compétent, honnête – je pourrais vous en jeter encore cela pendant longtemps – ... bon, on va dire : il y a un problème. Vos ennemis diront : il est socialiste, personne n'est parfait

Malgré toutes ces qualités, vous n'arrivez pas à décoller. Que se passe-t-il ? N'est-ce pas parce que vous êtes trop gentil ? Pourquoi vous ne cognez pas, Lionel Jospin, comme les autres ?

M. Jospin : Des deux candidats qui sont en face de moi, je suis quand même celui qui a la carrière sportive la plus solide. Cela passe par la confrontation. Je ne confonds pas, néanmoins, une élection présidentielle, dans un grand pays comme la France, avec une partie de Pancrace, ni même avec un match de rugby, malgré ma culture Sud-Ouest. Et, donc, j'aborde cette élection présidentielle en respectant les citoyens. Mais je n'ai pas l'impression, par ailleurs, d'être particulièrement tendre avec monsieur Chirac ou avec monsieur Balladur. Mais Il est vrai, peut-être, que la façon dont ils se traitent l'un et l'autre me fait dire inconsciemment : est-ce bien nécessaire, ils sont déjà si sévères l'un avec l'autre !

Alors, je vais vous dire très tranquillement : monsieur Balladur, il y a deux mois on lui promettait de gagner l'élection présidentielle sans coup férir. Pour le moment, dans les enquêtes d'opinion, il est quand même derrière moi. Cela me paraît être une première performance. Je serai au deuxième tour de cette élection présidentielle, monsieur Franz-Olivier Giesbert, j'en ai la conviction parce que je vois le mouvement qui est en train de se mettre en place.

Les citoyens, dans notre pays, ne vont pas se contenter longtemps de ce face à face entre les deux hommes d'un même Parti, qui ne sont pas distingués par leur programme, mais par leur conception.

Je crois que la démarche que je propose, moi, de propositions positives en direction du pays, sur les problèmes de l'emploi, sur les problèmes des retraites, sur les problèmes de la diminution de la durée du travail, sur les problèmes de la justice fiscale, sur les problèmes de l'égalité entre les femmes et les hommes. On ne parle pas de ces questions. Je suis le seul à aborder les problèmes de l'égalité professionnelle entre les femmes et las hommes, c'est-à-dire de dire : il n'est pas normal qu'à qualification égale une femme cadre touche 30 % de moins qu'un homme.

Je suis le seul à aborder les problèmes de la liberté qu'ont les femmes de la maîtrise de leur corps, de leur dignité, avec les questions de l'IVG, de la contraception...

M. Giesbert : Lionel Jospin, la Gauche, c'est la révolte. On a le sentiment, en écoutant votre discours, qu'il n'y a pas toujours beaucoup de révolte. Dites-nous ce qui vous révolte, concrètement, dans la société française aujourd'hui ? Concrètement. Pas l'injustice. Pas des mots. Concrètement ? Qu'est-ce qui vous révolte aujourd'hui ?

M. Jospin : Concrètement ? Quand je dis : programme d'action : plus de SDF dans deux ans. Je suis le premier à fixer un objectif volontariste, parce que je ne supporte pas que des jeunes, comme je l'ai dit tout à l'heure, soient dans la rue...

M. Giesbert : Mais ce n'est pas réalisable ?

M. Jospin : Non, non. Ne me contredisez pas. Vous ne pouvez pas à la fois souhaiter que je vous dise quel est l'exemple d'une révolte, et dire, quand je m'exprime, comme je le fais à l'instant, que cela ne vous convient pas.

Moi, cela me convient de dire que quand je dis la guerre au Sida, c'est une révolte que j'exprime. Je n'accepte pas de voir une jeunesse courir le risque d'être dévasté par ce fléau. Je ne l'accepte pas en France, mais je ne l'accepte pas en Afrique non plus. Et c'est pourquoi, dans mes propositions, j'ai proposé un Plan Marshall de lutte contre le Sida.

Je n'accepte pas l'exclusion. Je n'accepte pas que des hommes et des femmes gagnent 4 000, 5 000 frs par mois et que tel ou tel PDG puisse en gagner 1 million lourds et néanmoins faire faire ses travaux de sécurité ou faire réparer sa salle de bains par son entreprise.

Si vous voulez que je vous dise des choses concrètes que je n'accepte pas et qui motive mon engagement dans cette campagne, il y a de nombreuses choses.

Mais, en même temps, mon rôle, finalement, dans l'élection présidentielle, ce n'est pas simplement d'exprimer une révolte, ce n'est pas simplement de pousser un cri, c'est de dire : quelle voie peut-on emprunter pour avancer.

Que peut-on faire contre le chômage ?

Que peut-on faire pour l'égalité femme/homme ?

Que peut-on faire, par exemple, pour les femmes seules, retraitées ?

Quand je pose le problème, par exemple, de l'augmentation de la pension-réversion, j'apporte une réponse concrète à quelque chose qui est l'expression d'une révolte, mais à laquelle je dois donner une réponse qui est une réponse solide, sérieuse, digne des démocraties et digne d'un Gouvernement qu'il aura à former au lendemain d'une élection présidentielle.

M. Masure : Patrick Jarreau du Monde.

M. Jarreau : Monsieur Jospin, je voudrais vous poser, si vous permettez, deux questions à, ce sujet : la première, dans le constat que vous venez de faire de l'état du pays et, disiez-vous, de ce qui vous révolte dans cette situation, quelle est, selon vous, la part de responsabilité de la Gauche ?

Vous avez été le Premier secrétaire du PS pendant 7 ans. Vous avez été ministre pendant 4 ans. Quelle est la part de responsabilité de la Gauche au pouvoir dans la situation du pays aujourd'hui, telle que vous l'avez décrite ?

M. Jospin : Ce qu'on a appelé les « nouveaux pauvres » ou les phénomènes d'exclusion, vous savez que c'est dans un rapport de monsieur Lenoir de 1980 remis à monsieur Giscard d'Estaing que ce diagnostic a été porté pour la première fois.

Il y a eu 20 années de crise, qui ont concerné d'ailleurs le septennat de monsieur Giscard d'Estaing et les deux septennats de François Mitterrand, finalement. Nous sommes peut-être en train d'en sortir.

Nous n'avons pas su ou pu maîtriser le problème du chômage, mais nous avons rendu cette période de crise moins rude, par exemple par le RMI, par exemple par des mesures sociales, par exemple en préservant le système de protection sociale que mes adversaires, à mon sens, mettraient en péril par des politiques de privatisation ...

M. Jarreau : ... donc, d'après vous, la Gauche ne pouvait pas mieux faire ? Vous estimez qu'elle a fait de son mieux ?

M. Jospin : Non. Je pense qu'elle pouvait mieux faire. Ce sont les leçons que j'en ai tiré, et c'est pourquoi, en particulier, je centre mes propositions sur la lutte économique contre le chômage.

Il faut, monsieur Jarreau, que vous compreniez que mon problème aujourd'hui, ce n'est pas simplement de me tourner vers le passé, même si, comme on l'a dit tout à l'heure, j'en ai tiré des leçons...

M. Jarreau : ... mais vos électeurs vous interrogent sur le passé. Vous êtes bien obligé de leur répondre ?

M. Jospin : Je crois que nos électeurs et que les Français nous Interrogent d'abord, en tous cas les candidats à l'élection présidentielle susceptibles de gagner, sur le présent et sur ce qu'ils proposent pour l'avenir.

M. Mano : Monsieur Jospin, quand vous entendez les Français qui vous parlent. On en a entendu quelques-uns, dans cette émission, à l'extérieur, Ils vous interrogent effectivement sur le passé. Et la question est : pourquoi feriez-vous mieux demain... ou pourquoi feriez-vous tout simplement ce que vous n'avez pas fait par le passé ?

Pourquoi ne pas dire tout simplement que vous n'êtes pas le candidat de la continuité du Mitterrandisme ? On a le sentiment que cela vous gêne dans cette campagne ? Êtes-vous le candidat de la continuité ou d'une certaine rupture ? Est-ce pour continuer ce qui a été fait, en mieux, en l'améliorant ? Ou faut-il changer les choses par rapport à ce que vous avez vous-même quand vous étiez au Gouvernement et ce qu'a fait François Mitterrand ?

M. Jospin : Quand je dis : action économique contre le chômage et non pas action sociale contre le chômage, quand je dis : changement dans les méthodes de gouvernement de la France, changement dans les pratiques politiques, réduction du mandat présidentiel, pouvoir plus grand donné au Parlement, gouvernement resserré permettant de débattre, appui sur la réalité associative des citoyens, des hommes et des femmes prenant des responsabilités dans la vie économique et sociale et trouvant des relais et un dialogue avec l'État, politique contractuelle avec les syndicats, je dégage des méthodes qui, à mon sens, sont différentes, à certains égards, de celles qui ont été employées dans le passé .

M. Jarreau : Jacques Chirac ne dit pas autre chose, monsieur Jospin, vous le savez bien ?...

M. Jospin : Et, alors, pourquoi ne lui renvoyez-vous pas ?

M. Jarreau : Lui aussi parle de la dérive monarchique à laquelle il faut mettre fin, lui aussi parle du Pacte Républicain. Il parle de renforcer le rôle du Parlement. Il parle de s'appuyer sur les gens et non plus sur les technocrates et les experts enfermés dans leurs Palais nationaux.

M. Jospin : Monsieur Jarreau, il donne des réponses très différentes de celles que je donne. Parce que la réponse qu'il donne, finalement lui, c'est quoi ? C'est : faites-moi confiance. C'est moi qui, par mon comportement, changerait la pratique.

Moi, je ne dis pas cela. Je fais des propositions concrètes. Je dis le septennat doit devenir un quinquennat.

Je dis le Premier ministre, quand il a la confiance de l'Assemblée nationale, ne peut pas être changé par le Président de la République.

Je dis augmentons le droit pour la Parlement de proposer des propositions de lois, qu'il soit maître, par exemple, de plus d'un tiers de son ordre du jour.

Je dis indépendance de la justice, c'est-à-dire coupure entre le Garde des Sceaux, le ministre de la justice, et les magistrats du Parquet, ceux qui mènent les instructions. C'est-à-dire que je donne à cette pensée nouvelle, à cette pensée moderne, à cette autre façon de diriger, je donne un contenu précis, ce que ne fait nullement celui que vous citiez.

M. Giesbert : Monsieur Jospin, j'ai dit tout à l'heure que vous étiez un homme honnête. On va voir si vous l'êtes tout à fait. Parce que vous êtes un homme de Gauche, authentique, personne n'en doute. Tout le monde sait que vous êtes un homme de Gauche. Mais, parfois, sur certains problèmes, vous ne vous ressentez pas comme un homme de Droite ? Problèmes de sécurité, par exemple ? Il y a toujours un peu de droite et de gauche en chacun de nous, parfois il y a plus de droite, parfois il y a plus de gauche ?

M. Jospin : Je me sens, d'abord, monsieur Giesbert, comme un homme, et pas d'abord comme un homme de Gauche ou comme un homme de Droite.

Je ne me lève pas du pied gauche, si j'ose dire, chaque matin en me structurant et en enfilant mon armure d'homme de Gauche. Je me lève et je vis, et j'aborde les problèmes de la vie tout court, en tant qu'individu, et les problèmes de la société, en tant que responsable politique.

Mais la question de la sécurité, je suis l'un de ceux, justement, à Gauche, si vous voulez, qui ont posé ces problèmes, notamment parce que j'ai été longuement, longtemps l'élu d'un arrondissement très populaire où ces problèmes se posaient.

La sûreté, c'est la première liberté de l'homme que d'être sûr dans sa vie, pas menacé dans son intégrité physique, pas menacé dans ses biens. Donc, je considère que la pensée de Gauche doit intégrer ces problèmes de la sécurité, et je fais d'ailleurs des propositions en ce qui concerne une police de proximité, une police républicaine, mais une police de sécurité.

Si bien que je ne fais pas cette distinction sur un certain nombre de sujets tel que vous l'opérez.

M. Masure : Avant de passer la parole à Madame Saint-Cricq, je vous rappelle à la discipline républicaine, le temps. Je sais bien que « Jospin c'est clair », mais il faut foncer en l'occurrence.

Mme Saint-Cricq : C'est assez proche. Il y a un thème dont on entend très peu parler dans la campagne, c'est le thème de l'immigration. Vous n'en parlez peu. Édouard Balladur et Jacques Chirac également. N'avez-vous pas une responsabilité de laisser un boulevard pour Jean-Marie Le Pen ?

M. Jospin : Je dirai plutôt, c'est un chemin souterrain. Vous avez raison de dire que les candidats parient peu de ces problèmes. Comme si, au fond, ils disaient que cela ne vaut pas la peine. En fait, les inquiétudes continuent à sourdre, je dirai un peu souterrainement dans la conscience des gens et Jean-Marie Le Pen, d'une certaine façon, fait sa pelote avec cela...

Mme Saint-Cricq : Et vous êtes très discret, vous, également.

M. Jospin : Moi, je pense que l'immigration clandestine doit être strictement contenue. Je pense que nous devons mener une politique d'immigration. Vous avez eu ce rapport récent d'un institut très important, en France, qui a montré que cette intégration de la population d'origine étrangère continuait à se faire en France, que ces étrangers soient restés étrangers ou que leurs enfants soient devenus citoyens. Et, donc, personnellement, je suis tout à fait prêt – si vous le souhaitez maintenant – que l'on débatte de ces problèmes. J'en parle dans mes réunions publiques. J'en parle sur le terrain parce que ces problèmes sont posés concrètement par les gens. Sans doute, faudrait-il en parler davantage.

Et pour ce qui me concerne, par exemple, j'ai dit très clairement que, en ce qui concernait les lois Pasqua, il y a toute une série de domaines où lorsqu'elles sont discriminatoires par rapport aux droits de l'Homme, qu'elles menacent les droits de l'Homme, je demanderai au Parlement d'opérer une révision de ces lois.

M. Masure : Par exemple ?

M. Jospin : J'ai dit sur un plan que j'abrogerai l'une des lois Pasqua, c'est celle qui a modifié le code de la nationalité. Je pense qu'il faut revenir à la vaille tradition républicaine française, elle est plus vieille même que la République et qui dit : quand un enfant naît sur le sol de France et qu'il est là depuis 5 ans, il est automatiquement Français.

Je propose de revenir à cette conception du code de la nationalité qui n'a d'ailleurs rien à voir avec l'immigration clandestine.

Sur les contrôles d'identité, pour prendre un exemple : je suis pour des contrôles d'identité, cela me paraît être normal dans un État de droit, si l'on vise notamment la sûreté et la sécurité.

Mais je pense qu'il faut revenir à une conception saine : on fait un contrôle d'identité quand on a des raisons de penser qu'une personne peut représenter un risque, une atteinte à l'ordre public.

Je suis contre la multiplication actuelle des contrôles d'identité qui irritent fabuleusement notre jeunesse et, puis, qui tendent aussi à reposer sur des cibles un peu particulières, ce qui va vers la discrimination. Voilà un exemple concret.

Mme Saint-Cricq : Et sur le droit de vote ?

M. Jospin : Non. Le droit de vote, je ne le pose pas. Je pense que l'opinion n'est pas mûre pour cette évolution et, donc, le droit de vote aux élections locales – il ne s'est jamais agi d'autre chose, parce que l'on n'est pas citoyen – je ne pose pas cette question, donc je ne le propose pas.

M. Mano : Je voudrais revenir un peu à la manière dont vous menez votre campagne. Vous savez qu'il y a une thèse qui est en cours selon laquelle, finalement, les Français considérant qu'il y a relativement peu de chance qu'un candidat de Gauche soit élu à l'élection présidentielle – cela se dit beaucoup –, ils ont plutôt envie de voir la fin du match entre monsieur Balladur et monsieur Chirac.

Ce que je voudrais vous demander : quel argument pourriez-vous leur donner pour expliquer l'importance de la présence de la Gauche au second tour ?

Finalement, on peut se dire qu'il y a eu des moments où la Gauche n'a pas été présente au second tour. C'est arrivé une fois, cela n'a pas été un drame !

M. Masure : En 1969.

M. Jospin : Je crois que cela a contribué à déséquilibrer la vie politique française. Si j'ai envie de voir un match, j'irai voir PSG/Milan. Mais je ne m'efforcerai pas d'identifier l'élection présidentielle de l'une des plus grandes démocraties du monde avec un match.

Et je pense que vous révélez assez la pente un peu naturelle des observateurs. Parce qu'il est plus facile de rendre compte d'une espèce de querelle de guerre entre deux hommes, de ce duel fratricide, qu'il est possible de rendre compte d'un débat d'idées, d'un débat sur les propositions et les options. Mais, c'est pourtant cela qui est digne d'un grand pays.

Au-delà de ce match, moi, Je poursuivrai ma campagne autour de propositions. Et je peux vous dire une chose, monsieur Mano : je suis convaincu que nous aurons au deuxième tour une confrontation entre un des deux candidats conservateurs et le candidat que je suis.

M. Mano : Mais vous ne devriez pas la mener un peu plus « puntching » votre campagne ? Vous n'avez pas envie de monter un peu sur les tables.

M. Jospin : Que monsieur Balladur découvre à 66 ans l'art de l'auto-stop et le plaisir de monter sur une table, c'est révélateur d'une trajectoire... c'est un exercice que j'ai abandonné vers 16, 17 ans. Mais, c'est un choix de vie, en quelque sorte !

M. Jarreau : Monsieur Jospin, n'a-t-on pas l'impression qu'à Gauche, tout le monde, vous, monsieur Hue, Madame Voynet, joue place et ne joue pas gagnant ?

Vous disiez tout à l'heure : je ne suis pas d'abord un homme de Gauche. Je suis d'abord un homme. Mais on a l'impression que vous pariez d'abord à votre « boutique », à votre électorat socialiste que vous voulez absolument rassembler. Mais qu'avez-vous à dire aux autres ?

Au fond, François Mitterrand, en 1981, il avait des réserves du côté des Gaullistes qui ne voulaient pas de Giscard d'Estaing. En 1988, il avait des réserves du côté des centristes qui ne voulaient pas de Chirac. Vous, où sont-elles vos réserves ?

M. Jospin : Je vous trouve un peu « boutique », pour tout dire monsieur Jarreau, parce que ces histoires de centristes, ces histoires de gaullistes ...

M. Jarreau : ... ce sont les réserves qu'il y a dans les placards, vous ne me démentirez pas ?...

M. Jospin : ... mais ce n'est pas ma vision des choses. Moi, je m'adresse aux Français. Je ne les catalogue pas. Je ne les classe pas sur une étagère. Je ne m'occupe de leur étiquette politique. D'ailleurs comment pourriez-vous, vous-même, l'interpréter cette étiquette politique.

Et simplement je dis : voilà mes propositions sur l'emploi. Voilà mes propositions sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Voilà ce que je propose pour préserver notre environnement, nos paysages : un grand plan de reconquête écologique. Voilà la politique européenne que j'ai l'intention de mener.

J'ai l'intention aussi de redonner la priorité à l'éducation, à. la culture et à la recherche. Voilà mes objectifs. Voilà sur quoi je vous appelle à vous rassembler. Voilà la perspective que je trace.

Et je ne m'adresse pas à des « boutiques », ni des « boutiques » proches des miennes, comme vous aviez l'air de dire, ni d'autres « boutiques ». Donc, ce n'est pas ma vision des choses. J'ai une démarche qui s'adresse à l'ensemble. Je pense que cela me conduira au second tour. Et quand nous serons au second tour, que vous serez enfin sorti de ce face à face qui vous fascine, nous aurons un vrai débat et vous verrez que les choses bougeront. Parce que, réfléchissez-bien à une chose : pourquoi, finalement, après que monsieur Balladur ait semblé devoir l'emporter sans coup férir, il a chuté ? Pourquoi dès que monsieur Chirac remonte, il retombe ? C'est tout simplement parce que les Français, finalement, n'ont pas véritablement envie de l'un ou de l'autre. Donc, au deuxième tour, lorsqu'il y aura cette confrontation des approches, des projets, qu'enfin nous aurons ce débat qui, jusqu'à maintenant, n'a pas pu avoir lieu, il se créera des dynamiques qui vous surprendront, monsieur Jarreau, et qui nous entraîneront loin des « boutiques », à l'air libre.

M. Giesbert : Les Français, monsieur Jospin, souhaitent aussi que l'on dépasse le clivage Droite/Gauche. Il y a quelqu'un qui a compris cela, d'ailleurs, c'est Philippe Séguin avec son idée de pacte Républicain, qui est une idée ancienne, qui est une idée, d'ailleurs, mendésiste, il faut bien le dire !

Cette idée, n'est-ce pas vous qui auriez dû l'avoir ? Et cette main que Philippe Séguin vous tend, avez-vous envie, parfois, de temps en temps de la prendre ?

M. Jospin : Mais c'est exactement ce qui s'est produit, Franz-Olivier Giesbert, non pas de prendre ou de ne pas prendre une main, mais le thème du pacte Républicain, le contrat Républicain est l'exacte formule avec laquelle j'ai proposé ma candidature, dans un premier temps, parce que c'était démocratique, aux socialistes. Et ce terme a été repris par Philippe Séguin, de même que le thème de « l'égalité des chances », par exemple, est repris.

M. Giesbert : Mais il tend sa main très loin, très loin, au-delà de la Droite. Il tend sa main à la Gauche ?

M. Jospin : J'ai eu l'occasion de le dire, et je le redirai ici ce soir…

M. Giesbert : Et vous, tendez-vous la main à la Droite, c'était cela le sens de ma question ?

M. Jospin : Moi, je tends la main aux Français. Je leur fais des propositions pour les rassembler. Je ne les enfermer pas dans les étiquettes. D'ailleurs, je constate que ni le candidat du RPR, ni le candidat de l'UDF-RPR ne se réclament des idées de Droite ou n'assument le fait qu'ils soient de Droite. Ce qui prouve d'ailleurs que ces valeurs ne sont pas des valeurs populaires, actuellement. Ils viennent au contraire sur notre terrain. Mais c'est quand on regarde la réalité des projets et des choix, que ce soit sur la sécurité sociale – système à deux vitesses –, ouvert aux fonds privés, fonds de pensions pour la capitalisation, pour le système de retraite, ou université privée Pasqua dans les Hauts-de-Seine, que l'on voit la différence entre l'approche de Gauche et l'approche de Droite, que l'on voit ce que signifie ou ce que ne signifie pas l'égalité des chances.

Donc, c'est moins, si vous le voulez, par rapport à des références idéologiques globales, mais par rapport à des choix concrets devant les problèmes de la vie ou devant les problèmes de la société, que l'on peut classer non pas forcément à Gauche ou à Droite, mais distinguer les projets et offrir un choix aux Français.

M. Giesbert : Excusez-moi, parce que monsieur Jospin n'a pas tout à fait répondu à ma question, et je voudrais la reposer différemment…

M. Masure : Je vous demande des réponses courtes du fait que l'on arrive au terme de l'émission.

M. Giesbert : Cette main que Philippe Séguin vous tend, avec ce pacte Républicain, seriez-vous prêt à la prendre sur certains problèmes uniquement ? Pour régler un certain nombre de problèmes qui se posent aujourd'hui à la France ?

M. Jospin : Mais, ma conviction, c'est que je serai, dans quelques semaines, en position de disputer à l'un ou l'autre, sans doute à monsieur Chirac, mais, en tous cas, à l'un ou l'autre des deux candidats de Droite le suffrage des Français pour savoir qui sera Président de la République.

C'est par rapport à cela que les choses se détermineront. Et qui sait, si ce n'est pas moi qui aurai à poser les problèmes du rassemblement et qui aurai à poser la question de savoir à qui je tendrai la main.

Monsieur Séguin est un homme de talent, mais il n'est, dans cette affaire, qu'un homme estimable, un responsable politique que je respecte, qui soutient la candidature de Jacques Chirac.

Le problème ne se pose pas entre Philippe Séguin et moi-même. Le problème se pose entre les candidats à l'élection présidentielle et le peuple de ce pays.

Mme Saint-Cricq : Monsieur Jospin, je voulais savoir un petit peu si vous ne sentiez pas un peu seul, parce que François Mitterrand n'est pas très présent. Jack Lang fait vraiment le minimum. Michel Rocard considère qu'il était mieux préparé que vous pour l'élection, et Jacques Delors a dit qu'il se réservait pour l'entre-deux tours ? Alors qui vous aide finalement ?

M. Jospin : Vous avez déjà vu une élection présidentielle se faire à 5 ? Un candidat à l'élection présidentielle, c'est un homme qui se présente devant les Français avec des propositions. Il a des soutiens. Je les ai. Mais le problème fondamental, c'est le dialogue qu'il nous avec le peuple, ce sont les propositions qu'il fait et c'est la façon dont elles sont reçues.

Mme Saint-Cricq : Vu l'état de la Gauche, vous auriez peut-être eu besoin quand même de ces soutiens-là ? Jack Lang pour les jeunes. Jacques Delors, pour le Centre-Gauche ?

M. Jospin : Ils sont là. Donc, on ne va pas se répéter.

Jacques Delors est le Président de mon comité de soutien. Je pense que les choses se posent sans problème, et donc l'essentiel, pour moi, est de rassembler autour de ma campagne, et ce n'est pas de me référer à telle ou telle personnalité qui sont engagées derrière moi dans cette affaire.

M. Masure : La dernière question, Jean-Luc Mano.

M. Mano : Quelqu'un vous conseillait, je crois, d'être davantage vous-même.

Je vais vous poser une question dans ce sens. Vous avez dit : Édouard Balladur, c'est Louis-Philippe, Jacques Chirac, c'est Bonaparte. Vous vous êtes qui ?

M. Jospin : Lionel Jospin.

M. Masure : Oui, mais en comparaison historique. Ne faites pas semble de ne pas avoir compris la question.

M. Mano : À moins que vous ne vous preniez déjà pour un personnage historique ?

M. Jospin : Non. Justement. Je suis un homme vivant, en train d'essayer de faire l'histoire.

M. Mano : De qui vous sentez-vous proche. Jules Ferry ?

M. Jospin : Jules Ferry, pour l'école. Jaurès, pour le souffle et l'espoir…

M. Mano : Et Mitterrand ?

M. Jospin : Mendès-France, pour le sens de la République et de l'État. Cela fait déjà beaucoup de références.

Quant à François Mitterrand, pourquoi ne souhaiterais-je pas tout simplement devenir, si le Peuple le veut, son successeur ?

M. Masure : Merci. Juste une question : n'avez-vous pas envie de porter un cierge à Saint Juppé, parce que, s'il vous avait nommé à une bonne ambassade il y a deux, trois ans, vous ne seriez pas là ce soir ?

M. Jospin : Cela n'aurait pas été la tentation de Venise !

M. Masure : Jean-Luc Delarue va prendre l'antenne dans quelques instants. Son magazine « Ça se discute » traite ce soir de la télévision. Alors, juste une question au candidat téléspectateur : êtes-vous content du PAF, tel qu'il est actuellement ? Des informations et des programmes ? Seriez-vous tenté ou non par une renationalisation de TF1 éventuellement ?

M. Jospin : Je l'avais proposée à une époque. Je pense que l'on a déséquilibré le paysage audiovisuel en privatisant la chaîne la plus importante et la chaîne de référence. Cela a été une erreur qui a été faite par monsieur Chirac, à l'époque, et monsieur Balladur. Je la regrette. Il me paraît maintenant difficile de modifier les choses. Mais je pense qu'il faudra revoir un certain nombre d'équilibre en ce qui concerne les chaînes privées. Je l'ai d'ailleurs dit dans mes propositions.

Et puis il faudra surtout veiller au contenu de la télévision, à son niveau, à sa qualité, mais, là, ce n'est plus au pouvoir politique de le faire, et c'est une liberté que nous avons à porter, c'est à des instances de régulation, mais il faut qu'elles assument leurs responsabilités.

M. Masure : Précisément, j'ai lu que vous étiez un petit peu choqué par la violence ou certaines formes de pornographie. Mais, plus concrètement, qu'est-ce que vous souhaiteriez qui soit changé dans le paysage audiovisuel français ?

M. Jospin : Je crois tout simplement que le CSA devrait veiller, effectivement, à ce qu'à un certain nombre d'heures de grande écoute, ce ne soit pas une telle violence qui soit offerte au spectacle des enfants et des jeunes.

Je crois que l'on ne peut pas à la fois vouloir une société plus sûr, on ne peut pas à la fois se plaindre de la violence telle qu'elle existe dans la société et dans la vie, et l'on ne peut pas, ne permanence, l'infliger à certaines heures à nos enfants.

Donc, je souhaiterais que l'on veille à ces questions, parce que l'on déséquilibrera gravement la psychologie d'une partie des jeunes, en tous cas des jeunes enfants, si l'on n'y prend pas garde. Donc, oui, je lance cet appel.

M. Masure : Merci, Lionel Jospin d'avoir participé à cette émission.

Merci à toutes celles et ceux qui ont posé des questions, que ce soit ici ou à Toulouse.

La 10e et dernière émission de La France en Direct, jeudi prochain, jeudi 6, invité, Jacques Chirac.

Merci de nous avoir suivis. Bonsoir.