Texte intégral
Lionel Jospin
Monsieur le président,
J'ai bien reçu votre plate-forme "Une volonté d'action pour l'encadrement". Elle recoupe sur bien des points mes propositions. Il n'y a pas là un effet électoral ! Vous êtes une organisation syndicale représentative qui privilégie la place de l'homme dans l'économie et dans la société.
Comme vous me le demandez, je veux préciser plusieurs points en suivant le fil de vos propres analyses.
L'emploi doit être à l'évidence un objectif central. Il n'y a pas de réponse unique. La reprise de la croissance doit être d'abord confortée. C'est à l'aune de leur effet sur l'emploi que les dépenses de l'État seront systématiquement évaluées. C'est dire si je partage votre souci de maintenir la qualité du service public. J'attends aussi beaucoup du lancement de grands programmes, pour la reconstruction des banlieues et le développement du logement social, pour la création de services de proximité, d'aide aux personnes, ou encore pour la préservation du patrimoine.
La réduction du temps de travail à 37 heures d'ici à 1997 et selon les modalités négociées entre les partenaires sociaux avec, donc, des situations différenciées, peut aussi contribuer à une diminution du chômage. Elle doit faciliter la mise en œuvre d'une organisation différente du temps de travail. Le "temps choisi" est un thème fort qui doit s'entendre comme un véritable projet de société où le temps du travail, le temps de formation, le temps d'engagement social, se conjuguent pour dessiner une autre conception de la carrière professionnelle, une meilleure articulation de la formation initiale et de la formation continue favorisant la mobilité sociale. Et, bien évidemment, les cadres doivent pleinement bénéficier de ces avancées sociales.
La protection sociale est la clef d'une cohésion sociale qui pourrait être gravement menacée. Pour la maintenir et la développer (ainsi la dépendance des personnes âgées crée un nouveau besoin social et un nouveau droit), nous devons relever les défis qui peuvent la mettre en cause en revenant à l'esprit des fondateurs de 1945. La fermeté suppose de la clarté. Il y a trop de démagogie sur ce domaine dans la campagne électorale. J'ai trois grandes orientations : maîtriser l'évolution des dépenses de santé sans remettre en cause le droit à la santé, en redonnant toute sa place au médecin généraliste au centre du dispositif de soins ; garantir les retraites par répartition, en confortant la solidarité entre générations ; assurer une politique ambitieuse d'aide à la famille et à l'enfance, en modulant les prestations familiales pour les familles à hauts revenus…, afin que les familles les plus modestes puissent être aidées dès le premier enfant. Une solidarité plus efficace suppose en effet une solidarité mieux partagée.
Je connais la préoccupation de la CFE-CGC sur les questions de fiscalité. Votre document énonce des principes que je prends en compte. Il y a un point de désaccord, qui n'est pas nouveau, mais qu'il ne serait pas honnête de ne pas mentionner : je demeure favorable à la non-déductibilité de la CSG pour une raison d'équité sociale. Pour le reste, comme vous, je propose d'étendre la CSG – non de l'augmenter – à l'ensemble des revenus du capital, hormis l'épargne populaire, de mettre plus de clarté et de justice dans l'impôt sur le revenu, en remettant à plat les exonérations, abattements et privilèges divers quand ils ne sont pas justifiés par des objectifs économiques ou sociaux, de réduire les abattements multiples qui amènent les sociétés à payer moins d'impôts que leurs homologues des grands pays de l'Union européenne, de simplifier et de rendre plus justes les impôts locaux.
Vous évoquez la place de l'encadrement dans la vie sociale. Cette préoccupation a mon plein accord. Remettre en mouvement notre société est une de mes cinq priorités. Le renouveau de la vie démocratique suppose des réformes institutionnelles, j'ai proposé la réduction du mandat présidentiel à cinq ans, la limitation du cumul des mandats, la recherche d'un équilibre entre les hommes et les femmes. Plus généralement encore, la citoyenneté s'entend dans l'entreprise, avec le renforcement du rôle des syndicats et l'aide à la vie associative. Les propositions que vous faites notamment la mise en place d'un système de mutualisation, une législation sur la participation des salariés etc. entrent tout à fait dans mes perspectives.
Enfin, vous affirmez la nécessité d'une Union européenne organisée et cohérente. Tout ce que vous dites rejoint mes convictions. Vouloir l'Europe pour la France et pour le monde, telle doit être notre perspective. Nous avons besoin d'une Europe forte, ouverte, mais sachant se protéger contre les agressions extérieures, au service de l'emploi et d'une identité culturelle affirmée. Un meilleur contrôle démocratique des institutions européennes, donc, une Europe plus proche passe par un meilleur partage des souverainetés, par une clarification et une simplification des mécanismes de décision, afin que chaque citoyen d'Europe sache "qui fait quoi" et "qui contrôle qui". Enfin, il est clair que la France doit prendre la tête du combat pour une harmonisation "vers le haut" des législations sociales des pays européens.
Il y a beaucoup plus à dire pour répondre à la richesse de votre projet social. Mais, compte tenu de la place donnée, je vous ai fait part de mes orientations essentielles que les semaines de campagne à venir pourront préciser.
Philippe de Villiers
Monsieur le président,
Je vous remercie très vivement de votre lettre du 21 mars 1995 ainsi que de l'envoi de votre document intitulé "Une volonté d'action pour l'encadrement" qui constitue le projet social de la CFE-CGC.
Je puis vous assurer que j'ai pris connaissance avec la plus grande attention de vos propositions et j'ai été heureux d'y retrouver les thèmes qui me sont chers.
J'ai été notamment sensible à l'idée que vous avancez de valoriser le sens de la responsabilité afin de régler le problème de l'emploi. Je pense, par ailleurs, que vous avez parfaitement raison de retenir comme principe le refus d'une manière globale alors qu'il convient au contraire d'adopter une démarche adaptée aux besoins particuliers de l'entreprise. Vous insistez également à juste titre sur la nécessité de recadrer le champ du bénévolat de façon à ne pas porter atteinte à la création d'emplois. Je note également au passage vos propositions sur une réforme de la fiscalité directe, réforme à laquelle je consacre, et je pense être le seul candidat à le faire, de longs développements.
De même le système de l'aide au logement devrait être remis à plat dans un sens de la simplification et la clarification des textes qui constituent aujourd'hui un maquis inextricable, source de confusion et de gaspillage.
Pour conclure, je ne puis qu'approuver votre proposition d'affirmer l'identité française dans le cadre européen. Mes propositions sur le sujet sont fort connues. Je suis heureux de constater la convergence de nos points de vue sur cette question essentielle.
Édouard Balladur
Monsieur le président,
J'ai bien reçu vos analyses et propositions dont j'ai particulièrement apprécié le caractère très complet et innovant. Permettez-moi de vous faire part de mes réactions pour chacune des grandes orientations que vous avez retenues.
Pour une dimension économique au service de l'homme s'appuyant sur la responsabilité.
Je suis comme vous, persuadé que l'économie doit être au service de l'homme et que la politique en faveur de l'emploi ne peut se résumer au traitement social du chômage. Je suis tout à fait favorable au développement de l'essaimage, à la simplification des procédures de recouvrement et aux développements de conventions de partenariat, et je retiens l'idée d'une intégration d'une aide à la création d'activités comme clause obligatoire dans les plans sociaux.
Je pense, comme vous, que les entreprises et les partenaires sociaux pourraient réfléchir aux conséquences humaines de leurs décisions en matière d'investissement. En revanche, j'estime qu'il serait très difficile de réserver les mécanismes d'allégement du coût du travail aux entreprises qui limitent la progression de la productivité du travail. En effet, je suis partisan d'un allégement général et structurel des charges sociales, qui se traduira par une franchise de 4 000 francs sur les cotisations d'assurance maladie. En outre, il serait à mon sens peu aisé de déterminer, entreprise par entreprise, les causes d'un fléchissement de la productivité du travail. Enfin, un tel dispositif conduirait à faire évoluer la masse salariale "en accordéon", année après année, en fonction des décisions prises par l'entreprise.
Vous évoquez la compensation des exonérations par la Sécurité sociale : pour la première fois, mon gouvernement a fait inscrire dans la loi le principe d'une telle compensation qui clarifie utilement les relations entre l'État et la Sécurité sociale.
Je partage entièrement votre souci de voir examiner par les partenaires sociaux les conséquences qui doivent résulter des allégements de charges, en termes d'investissements, de salaire et d'emploi. Refusant, comme vous, une réduction globale et généralisée du temps choisi et estime que le temps est venu d'une négociation sur l'aménagement du temps de travail. Les partenaires sociaux sont, en effet, les mieux placés pour définir des formules souples qui satisfassent à la fois les aspirations des salariés et celles des entreprises. Notre législation et nos pratiques sociales doivent évoluer ; je propose d'instituer, au profit de tous les salariés qui le souhaitent, un droit à la seconde chance. La vie professionnelle tout entière des salariés ne peut plus être le prolongement d'une formation initiale acquise – ou non acquise – des années plus tôt. J'estime que le droit à la seconde chance est une idée véritablement nouvelle qui favorisera le progrès social et la mobilité professionnelle et sociale. Je veux aussi poursuivre l'effort d'activation des dépenses en faveur de l'emploi. Bien entendu, toute la dépense ne peut être activée : il faut continuer à indemniser correctement les demandeurs d'emploi. J'estime que les calculs qui sont faits, ici ou là, afin de montrer que l'on peut dépenser, à coût nul, des sommes de 100 000 francs par chômeur pour l'aider à retrouver un emploi relèvent de l'exercice d'illusion comptable plus que de la connaissance des réalités sociales.
Vous avez raison d'insister sur le "civisme social" des entreprises, qui doit notamment s'exprimer en direction des salariés âgés de plus de cinquante ans, des chômeurs en fin de droits et des jeunes. Je propose à tout jeune sortant du système scolaire une formation qualifiante, un stage ou un emploi. Je propose aussi d'étendre le mécanisme que nous avons institué au profit des Rmistes chômeurs de plus de deux ans, aux chômeurs en fin de droit et aux Rmistes chômeurs depuis plus d'un an.
J'estime que l'institution d'une aide de cette nature pour toutes les personnes au chômage depuis un an serait particulièrement contre-productive. Non seulement cette mesure aurait un coût exorbitant mais elle aurait également un effet terriblement pervers consistant à créer un "sas" d'un an pour tous les chômeurs. Nombreuses, en effet, seraient les entreprises qui ne recruteraient que des personnes au chômage depuis un an.
Pour une approche plus dynamique de l'organisation sociale
Mon ambition est d'assurer à tous les Français un égal accès aux droits sociaux. Celui-ci sera rendu possible par la maîtrise médicalisée des dépenses de santé et l'extension de ses mécanismes – je pense ici aux références médicales opposables – à l'hôpital public. Je me félicite de l'appréciation que vous portez sur la réforme du 24 juillet 1994 : je veux, à l'avenir aussi, favoriser la clarification des relations entre l'État et les partenaires sociaux et la responsabilisation de tous les acteurs de notre système de protection sociale. Vous le savez, nous avons évité la faillite du système des retraites grâce à la réforme que nous avons engagée. Un bilan de ses effets et les perspectives seront examinés en 1996.
Je partage votre analyse de l'architecture du droit du travail et la création d'un laboratoire de l'innovation sociale m'apparaît judicieuse.
Pour une reconnaissance des catégories intermédiaires
Je veux engager une réforme fiscale inspirée par un souci d'équité et de simplification et d'abaissement du niveau des prélèvements obligatoires. Elle concerne, bien entendu, l'impôt sur le revenu. Je veux simplifier et alléger cet impôt. Cela suppose le réexamen attentif de certaines exonérations sources de complications et d'injustice, l'État s'engageant à diminuer dans les mêmes proportions le montant de l'impôt. Je propose également d'exonérer les petites successions et l'alléger fortement les droits sur les achats d'immeubles. Je propose enfin d'accorder une aide de 60 000 francs pour les premières accessions à la propriété et d'accorder l'allocation parentale d'éducation dès le premier enfant.
Pour une participation active dans la société
Je partage votre souci de renforcer la citoyenneté sociale et de donner aux syndicats les moyens de remplir leur mission. C'est pourquoi je suis favorable au principe de la déductibilité fiscale de la cotisation syndicale et je veux favoriser les mécanismes de participation.
Concernant la citoyenneté politique, je propose d'instituer un quota de représentation des femmes pour les élections se déroulant au scrutin de liste, et j'estime que l'encadrement doit avoir la possibilité de mieux accéder aux fonctions électives.
Pour une France affirmée dans une vision européenne
Je souhaite donner un nouvel élan à l'Europe sociale. Grâce à la présidence française qui s'exerce depuis le 1er janvier 1995, la France s'efforce de donner un contenu à l'Europe sociale. Ainsi, le 30 mars 1995 se tiendra une conférence européenne, à l'initiative de notre pays, sur le thème de l'emploi et des problèmes sociaux.
À la différence de la pratique observée dans les autres pays, j'ai associé les partenaires sociaux à la préparation et au suivi de la présidence française. Ainsi, une consultation est organisée chaque mois avec les partenaires sociaux.
Je suis déterminé à lutter pour une Europe de l'emploi. Mon objectif est d'intégrer un volet social au nouveau traité afin de remédier à l'un des problèmes majeurs que rencontre l'Union Européenne, à savoir des 18 millions de chômeurs. Je suis tout à fait favorable à la participation de la Confédération Européenne des Cadres dans toutes les structures de dialogue social.
Robert Hue
Monsieur le président,
J'ai pris connaissance avec intérêt des réflexions et prises de position de la CFE-CGC sur les questions qui devraient être au centre du débat politique de l'élection présidentielle : la politique économique et l'Europe qui conditionnent l'emploi ; la protection sociale, son devenir et son financement ; la démocratie et les droits des salariés, comme citoyens et dans l'entreprise.
J'ai bien noté votre recherche de solution "en rupture" avec les vieilles recettes qui ont montré leurs limites : ainsi en est-il de ce qu'il est convenu d'appeler le "traitement social du chômage".
Mais, pour m'exprimer dans la clarté, je crains que, vos prémices en matière économique et européenne vous interdisent d'aller bien loin dans la nécessité bien réelle de dépasser des dogmes devenus aujourd'hui totalitaires.
Pour moi, c'est avec le libéralisme qu'il faut rompre ainsi qu'avec son corollaire l'Europe de Maastricht : c'est le sens de toute ma campagne visant à dénoncer le rôle de "l'argent pour l'argent" dans notre société et à proposer une autre utilisation des fonds et des ressources.
Ainsi, vous identifiez la productivité du travail à juste titre comme un des problèmes centraux de la crise de l'emploi, pour souhaiter sortir de l'opposition productivité-emploi. Mais, en acceptant la guerre économique mondiale comme une fatalité – vous dites ne pas contester les contraintes et les réalités de l'organisation économique – vous n'imaginez comme marge de manœuvre que de rechercher les secteurs les moins exposés à la concurrence internationale. On pourrait penser aux services publics : manque de chance, l'Europe et tous les gouvernements qui se sont succédé (socialistes ou de droite) n'ont de cesse de les déréglementer et d'y introduire la concurrence internationale. Enfin, pensez-vous que les secteurs forts utilisateurs de main-d'œuvre locale – le BTP par exemple – soient prêts à renoncer aux gains de productivité apparente dans la mesure où seule la réduction des coûts salariaux (les salaires et l'emploi) est perçue comme moyen d'améliorer la profitabilité des entreprises.
Je pense qu'on ne s'attaquera pas au chômage sans poser des questions, simples mais frontales : par exemple, la productivité du travail doit-elle seulement favoriser l'accumulation des capitaux et la compétitivité dans la guerre économique, ou servir aussi à alléger la peine des hommes – par la réduction du temps de travail sans perte de salaire – ainsi qu'à dégager du temps pour la formation continue considérée comme temps de travail, comme pour l'exercice de droits nouveaux d'information et d'intervention dans l'entreprise, ce qui favoriserait l'efficacité et la recherche d'économies ailleurs que dans les coûts salariaux : dans les coûts matériels et financiers par exemple.
Je note dans ce sens que vous suggérez d'examiner les différents facteurs d'une "productivité globale" tels l'inflation, les matières premières, les taux de change… auxquels j'ajouterais volontiers les gâchis d'investissements et les coûts prohibitifs du crédit.
Vous savez que j'ai proposé de réformer ensemble : les systèmes d'aides aux entreprises, la fiscalité et les assiettes de prélèvements obligatoires sur les entreprises, les critères du crédit pour qu'ils interviennent de manière convergente et incitatives en faveur de l'emploi, favorisant les entreprises créatrices et pénalisant celles qui réduisent leurs effectifs ou substituent systématiquement les équipements aux hommes.
Vous avez, comme moi, le souci des PME. Comme pour les autres entreprises, je ne pense pas que les exonérations de charges soient la meilleure incitation à l'emploi ou la meilleure aide à apporter. J'ai proposé de réformer la taxe professionnelle pour qu'elle pénalise moins l'emploi et les salaires, ainsi qu'une loi assainissent les rapports entre PME sous-traitantes et grandes entreprises donneurs d'ordre, entre PME et banques.
Concernant la protection sociale, je suis pour préserver les systèmes construits sur la solidarité et le paritarisme salariés-employeurs. Je suis – comme vous semble-t-il – contre toute fiscalisation de son financement, de même contre toute évolution vers une protection à deux vitesses : une protection générale ramenée au strict minimum et une protection complémentaire assise sur les assurances individuelles ou une capitalisation qui s'y apparenterait. Dans ce sens, se déclarer pour la CSG "à la condition expresse qu'elles soient défiscalisées" apparaît confusionniste. Je propose de taxer les revenus financiers au même taux que les salaires, ce qui rapporterait 65 milliards par an à la Sécurité sociale ; étant entendu que celle-ci continuerait d'être gérée par les syndicats et les organisations patronales. Mon Parti et moi réfléchissons à une réforme d'assiette des prélèvements sociaux qui, à ressources équivalentes voire revalorisées, aurait la même sélectivité en faveur de l'emploi que les réformes que nous préconisons pour la fiscalité et le crédit.
Je vous confirme enfin ma volonté de voir s'engager des négociations dans les branches, visant à la réforme des grilles de classification et de rémunération, reconnaissant les qualifications et organisant le droit au déroulement de carrières, non seulement comme un acte de justice sociale mais comme un facteur de motivation et donc d'efficacité.
Concernant la démocratie et la citoyenneté sociale, il est connu que les communistes sont pour l'extension des droits des salariés. Mais l'expérience récente montre les limites des droits existants : l'entreprise ne peut plus aujourd'hui s'abstraire des conséquences de ces choix sur la société et sur son environnement. La citoyenneté sociale doit donc concerner l'entreprise. Trois grandes questions sont ainsi posées : les droits d'intervention dans la gestion ; les droits de contrôle de l'utilisation des fonds, notamment public ; les droits d'expression politique dans l'entreprise.
Jacques Chirac
Monsieur le président,
Vous m'avez adressé, dans le cadre de la campagne présidentielle, un courrier qui témoigne de vos préoccupations concernant le rôle des partenaires sociaux et l'avenir du partenariat social dans la résolution des grands problèmes socio-économiques de notre temps. C'est bien volontiers que je vous livre mon analyse et mes réflexions sur ces sujets essentiels.
Vous connaissez l'attachement que je porte au dialogue social dans notre pays et l'idée que je me fais des relations entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux. D'un côté, les pouvoirs publics doivent respecter la place et le rôle des partenaires sociaux. De l'autre, ils ne doivent en aucun cas abdiquer leurs responsabilités dans les domaines de compétence qui sont les leurs.
Les partenaires sociaux, et plus particulièrement notre confédération essentielle à l'amélioration des conditions de travail et au bon fonctionnement de notre système de protection sociale. Je me félicite de voir qu'il existe aujourd'hui une volonté partagée par l'ensemble des organisations syndicales et patronales de relancer le dialogue social. C'est une des conditions premières du progrès de notre économie.
Pour une économie au service de l'homme
Vous avez, en tant que représentants de l'encadrement de nos entreprises, une responsabilité particulière dans l'évolution de nos structures économiques et sociales. L'organisation interne des entreprises, la formation des salariés, la qualité des produits et l'aménagement des conditions et de la durée du travail constituent désormais les facteurs déterminants de la compétitivité de notre économie. Chacun voit bien que votre sens des responsabilités, votre capacité à motiver les hommes, à innover, sont essentielles à l'amélioration de nos performances économiques.
Bien sûr, vous n'assumerez pleinement votre rôle qu'à la condition que notre société récompense, comme ils le méritent, le travail et l'effort. C'est pourquoi, je propose de réformer notre fiscalité personnelle et, plus particulièrement, l'impôt sur le revenu. Il s'agit, notamment, de l'alléger en diminuant le nombre des tranches et d'en renforcer l'équité en réduisant le nombre des déductions possibles. Ces déductions doivent, à l'avenir, correspondre à des priorités de notre politique économique, à savoir l'emploi, le logement et l'investissement des particuliers dans les fonds propres des PME-PMI. Récompenser le travail et l'effort, cela signifie aussi qu'il nous faut poursuivre le transfert au budget de l'État du financement des dépenses de solidarité qui permettra de dégager des marges de manœuvre pour augmenter les salaires directs. L'effort devra porter sur les bas salaires, pour des raisons de solidarité évidentes, mais aussi sur le travail qualifié. Il s'agit là d'un juste retour de la contribution de chacun à l'effort de productivité de l'entreprise.
Il faut enfin susciter des vocations d'entrepreneurs grâce aux dispositifs d'essaimage, à des clauses de retour en entreprise en cas d'échec au profit des cadres créateurs d'entreprises… Tout simplement parce que par rapport aux grands pays industrialisés, nous manquons d'entreprises.
Pour un dialogue social renouvelé
Nos structures économiques et sociales devront être adaptées pour mieux prendre en compte les conséquences de la mondialisation de notre économie et contribuer au nécessaire renforcement de la cohésion sociale de notre pays. Dans cette perspective, le dialogue social jouera un rôle capital.
Il nous faudra lutter plus efficacement contre le chômage, en faisant preuve d'imagination et, surtout, d'ambition. Je partage la vôtre, qui consiste à placer systématiquement l'homme au cœur de nos choix économiques. Il faut tout mettre en œuvre pour combattre le chômage qui touche 3 300 000 de nos compatriotes, dont 1 300 000 le sont depuis plus d'un an.
Vous avez, en tant qu'organisation syndicale, une responsabilité particulière dans ce combat. C'est à vous qu'il appartiendra, par la négociation au plus près du terrain, de faciliter le développement du temps partiel et de donner une réalité au temps choisi. C'est à vous aussi qu'il appartiendra, par la négociation de branches ou d'entreprises, de répartir avec justice les fruits d'une croissance retrouvée. Chacun en convient désormais, la croissance, accompagnée d'un allégement des charges sociales, permettra d'augmenter la rémunération directe des salariés.
Vous êtes mieux placé que quiconque pour savoir qu'il n'existe pas de hausse durable de la productivité qui ne repose sur une juste récompense de l'effort. C'est dans ce même but qu'il vous appartiendra de donner un nouveau souffle à la participation aux résultats, aux bénéfices et aux décisions dans l'entreprise.
Je voudrais enfin évoquer la formation professionnelle continue pour laquelle un important effort devra être entrepris. Vous y êtes légitimement attachés, car vous ressentez plus que d'autres la nécessité d'une adaptation permanente des qualifications. C'est pourquoi j'ai proposé de reconnaître à chacun le droit à un capital formation qui lui permettrait de tenter plusieurs fois sa chance au cours de sa vie active.
Pour une approche plus dynamique de l'organisation sociale
Je ne conçois pas de réforme de notre système de protection sociale sans clarification des responsabilités de l'ensemble des acteurs et sans renforcement de celles des partenaires sociaux.
Clarifier, cela signifie établir la limpidité des comptes. Cela signifie aussi distinguer clairement au sein des dépenses sociales, celles qui relèvent de la solidarité – et dont j'entends accélérer la fiscalisation – de celles qui relèvent d'une logique d'assurance. Un premier pas en ce sens a été franchi avec la création du Fonds de solidarité vieillesse.
Mais j'estime, comme vous, que de nouvelles mesures devront être prises dans les années à venir pour assumer les engagements pris à l'égard de nos aînés. Je pense, en particulier, à ce qu'on appelle la compensation démographique, qui me paraît devoir faire l'objet d'un examen approfondi tant dans ses modalités que dans son financement. La répartition devra rester le fondement de notre système d'assurance-vieillesse ; ce n'est qu'une fois son principe conforté que pourra être mis en place un dispositif d'épargne volontaire obéissant à des règles de gestion très strictes.
Il reviendra au Parlement de s'exprimer sur les dépenses et recettes liées aux dépenses de solidarité, mais je souhaite qu'il le fasse à la lumière des travaux réalisés par les partenaires sociaux au sein d'une conférence de la protection sociale.
Quant aux dépenses d'assurance, financées par les cotisations sociales, les partenaires sociaux doivent redevenir maîtres de leur gestion. Les conseils d'administration des caisses nationales doivent disposer d'un véritable pouvoir de gestion et d'orientation pour cela. C'est aux employeurs et aux salariés d'engager le dialogue afin de rendre les caisses locales plus responsables et leur fonctionnement plus souple.
Cette clarification faite, il faudra s'attacher à améliorer l'efficacité de nos dépenses, notamment de santé, non pas en rationnant mais en gérant de façon plus rationnelle, au plus près du terrain. La réforme hospitalière sera l'élément clé de la réorganisation du système de soins. Je propose de remplacer le système actuel du budget global par un financement contractualisé avec les équipes soignantes qui permettra de mieux valoriser les performances et de faire évoluer l'hôpital en fonction de critères médicaux. Cette contractualisation d'objectifs et de moyens permettra de développer les coopérations entre établissements de nature différente et d'harmoniser les financements pour des prestations identiques.
L'avenir de notre protection sociale passe, j'en suis convaincu, par une clarification des missions et un renforcement des moyens des partenaires de l'État. C'est cette vision dynamique de l'organisation sociale qu'il faut privilégier.
L'encadrement compte parmi les forces vives de notre pays, celles-là mêmes que je veux libérer et encourager, parce qu'elles sont le moteur de notre progrès. De leur engagement dépendra notre capacité à réduire la fracture sociale actuelle et à restaurer la cohésion sociale.