Texte intégral
J'ai eu l'occasion en mai dernier d'exposer au conseil des ministres les grandes lignes de la réforme de la transfusion sanguine et tout ce que nous avons entrepris pour que le mot "transfusion" redevienne synonyme de vies sauvées – ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être.
Au-delà des erreurs collectives et des fautes graves de quelques-uns, qui ont effacé dans l'esprit de beaucoup de Français l'œuvre accomplie sur plusieurs décennies par la médecine de transfusion, le drame de la contamination des hémophiles et des transfusés a révélé les carences d'un dispositif restant trop à l'écart de l'organisation générale de notre système de santé et échappant au contrôle des autorités sanitaires responsables.
La pensée des victimes a constamment été présente dans l'action que nous avons conduite depuis deux ans pour mettre en place les conditions d'une véritable maîtrise de la transfusion sanguine.
Je reviendrai brièvement sur les principes de la réforme et sur les conditions de la sécurité transfusionnelle, une sécurité désormais consolidée.
1. En juin dernier, nous avons séparé la préparation du sang pour la transfusion et la fabrication des médicaments dérivés du sang, afin que le service public de la transfusion ne soit plus jamais tributaire de stratégies industrielles.
La fabrication des médicaments dérivés du sang est désormais confiée à un organisme à but non lucratif dans lequel l'État est majoritaire : le laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies. Cet établissement, qui regroupe les quelques grands centres de transfusion qui avaient développé une activité pharmaceutique à partir du sang, est placé sous le contrôle de l'Agence du médicament, qui en a autorisé l'ouverture et qui délivre, après évaluation des produits, des autorisations de mise sur le marché, exactement comme pour l'industrie pharmaceutique.
L'Agence française du sang exerce pour sa part le contrôle des centres de transfusion – actuellement associations ou services hospitaliers. Ces établissements assurent la collecte du sang, ainsi que la préparation et la distribution des produits sanguins de base, qu'ils soient destinés à la transfusion ou à la fabrication de médicaments.
2. Nous allons procéder maintenant dans la transfusion, sous l'impulsion de l'Agence française du sang, à d'importants regroupements.
La démarche de regroupement va suivre les orientations de schémas régionaux dont l'élaboration a été longuement concertée. Nous venons d'approuver la majeure partie de ces schémas. Les autres seront signés avant le 15 mars.
La réorganisation est conduite sur des bases claires :
- aucun centre ne sera fermé ;
- les activités faisant appel aux technologies les plus complexes seront regroupées ;
- les structures gestionnaires actuelles seront fédérées au sein de nouvelles structures publiques.
Je reviendrai un instant sur chacun de ces points.
Le maintien de tous les centres existants est une nécessité pour les activités de collecte des dons du sang, de distribution des produits sanguins aux hôpitaux et aux cliniques, et pour certaines opérations simples qui font partie de la préparation des produits.
Les associations de donneurs de sang et les établissements de santé, qui tiennent à juste titre au maintien de structures transfusionnelles de proximité, peuvent être rassurés.
Nous voulons nous aussi garantir l'indispensable proximité de la transfusion à l'égard des malades comme des donneurs. Pour une grande part de l'activité transfusionnelle, la proximité est en effet une condition de la sécurité.
À l'inverse, s'agissant d'autres activités, plus délicates et souvent plus coûteuses, une certaine concentration des moyens est nécessaire.
Une part croissante des fonctions d'analyse, de dépistage, de séparation des composants du sang et de préparation des produits, qui met en jeu des technologies complexes, exige en effet des moyens importants et fait appel à des qualifications spécifiques. On ne le sait pas toujours, le sang des donneurs n'est pas destiné à être transfusé tel quel : les différents éléments qui le composent -globules rouges, globules blancs, plaquettes et plasma, lui-même constitué de diverses protéines-doivent être séparés et classés pour ne donner à chaque malade que ce dont il a besoin. Cette activité, de même que l'examen des poches de sang pour éliminer par les méthodes les plus modernes celles qui ne seraient pas bonnes pour la transfusion, impose d'être très vigilant sur la capacité des établissements à appliquer des normes techniques particulièrement rigoureuses. Le nombre aujourd'hui excessif des "plateaux techniques" sera donc réduit de plus de la moitié, afin de garantir leur totale adéquation aux impératifs de sécurité présents et futurs.
Il faut savoir que dans d'autres pays d'Europe, les plateaux techniques sont déjà infiniment moins nombreux qu'en France : une quinzaine seulement en Grande-Bretagne, bientôt réduits à 10. Nous avions donc un important retard à rattraper pour donner à la transfusion, lorsqu'elle fait appel à des technologies pointues, la surface nécessaire à la sécurité de haut niveau que nous exigeons.
En même temps que les plateaux techniques seront regroupés, les structures gestionnaires seront, comme je l'indiquais à l'instant fédérées par des groupements d'intérêt public réunissant les associations de la loi de 1901 et les hôpitaux qui géraient jusqu'à présent la transfusion.
Ces nouvelles structures seront garantes d'une organisation rationnelle de la transfusion, et de son adaptation aux besoins des établissements de soins.
En juin prochain, les collectivités gestionnaires ne seront pas plus de 40 au lieu de près de 150 à l'heure actuelle. On sera passé d'une gestion encore largement associative, comme aux premiers temps de la transfusion, à une gestion de service public plus rigoureuse, fondée sur la coopération entre hôpitaux concernés.
Le véritable réseau de service public qui aura été ainsi constitué sera doté d'instruments de fonctionnement homogènes :
- un schéma directeur informatique permettra les liaisons nécessaires entre établissements de transfusion sanguine et établissements de santé ;
- une nouvelle comptabilité générale et analytique sera appliquée ;
- enfin, l'harmonisation des conditions d'emploi des personnels, si longtemps différée, est aujourd'hui concrètement engagée en vue de mieux reconnaître les qualifications acquises par les agents.
3. Cette réorganisation en profondeur permettra de mettre en œuvre dans de bonnes conditions les nouvelles normes de sécurité qui ont été fixées par l'Agence française du sang. Il s'agit des "bonnes pratiques" de transfusion.
Leur définition est une innovation fondamentale en santé publique. Elles constituent un cadre obligatoire pour la mise en œuvre d'une activité qui reste médicale, mais dont les risques, si réduits soient-ils aujourd'hui, n'en appellent pas moins le respect de normes rigoureuses. Bien sûr, les bonnes pratiques ne sont pas fixées une fois pour toutes. Elles doivent évoluer au rythme des acquis de la recherche médicale. Le rôle de l'Agence est d'ailleurs aussi de stimuler les innovations et de veiller à leur diffusion rapide par une adaptation continue des bonnes pratiques.
Il y a plusieurs grandes catégories de bonnes pratiques :
a) Les bonnes pratiques de prélèvement, qui organisent le renforcement de l'entretien médical, pour écarter les donneurs susceptibles d'être porteurs d'un risque infectieux ; elles réaffirment aussi l'interdiction de la collecte de sang dans les lieux à forte prévalence des maladies transmissibles.
b) Les bonnes pratiques de préparation, pour les procédés de fabrication et le contrôle de qualité.
c) Les bonnes pratiques de qualification biologique des dons, qui précisent de façon minutieuse les conditions de réalisation et de contrôle des analyses biologiques et des tests de dépistage obligatoirement appliqués, avec des réactifs toujours plus performants contrôlés par l'Agence du médicament.
d) Ou encore, les bonnes pratiques de distribution pour assurer le contrôle du cheminement des produits du centre de transfusion jusqu'au lit du malade, grâce à une collaboration renforcée entre l'hôpital et l'établissement de transfusion sanguine.
Le travail considérable accompli par l'Agence française du sang pour définir ces bonnes pratiques, homologuées par la direction générale de la santé, a permis de prendre en novembre dernier un décret subordonnant l'agrément des établissements à des conditions sanitaires précises.
4. À cette réorganisation s'ajoute la mise en place effective de l'hémovigilance, notre système national d'alerte sur tout accident ou incident observé en transfusion, quel que soit son degré de gravité.
Si une personne transfusée est victime d'une contamination microbienne ou virale ou, plus généralement, si une quelconque anomalie apparaît à l'occasion d'une transfusion, il est indispensable :
- de pouvoir retrouver l'origine de la poche de produit sanguin ;
- de pouvoir faire procéder à des analyses sur le sang du donneur ;
- de se pencher sur les conditions dans lesquelles le produit a été préparé ;
- de pouvoir identifier les personnes qui, le cas échéant, ont reçu un produit sanguin de même origine ;
- de pouvoir retirer de la distribution tout produit sur lequel pèserait une suspicion du fait de cet incident ;
- et de prendre, s'il y a lieu, des mesures correctives pour améliorer les procédés d'analyse ou le mode de préparation des produits, localement ou au plan national.
Cela passe par une organisation dans laquelle chaque professionnel doit se sentir responsable non seulement des malades qu'il soigne, mais aussi d'autres personnes dont la sécurité repose en partie sur sa vigilance. C'est l'organisation que nous avons mise en place sous le nom d'"hémovigilance".
En cas d'incident, le réseau d'hémovigilance permet de retrouver l'origine du produit sanguin, de remonter du malade au donneur et de redescendre du donneur aux autres receveurs éventuels. Ce réseau, dont nous venons de parachever la constitution par la nomination de coordonnateurs régionaux placés auprès des DRASS, repose sur la participation de correspondants désignés au sein de chaque hôpital ou clinique.
Il repose aussi sur l'utilisation d'un certain nombre d'instruments, tels que le numéro d'identification de chaque poche de produit sanguin, la fiche d'incident transfusionnel et, demain, les liaisons informatiques entre centres de transfusion et établissement de santé. Mais il doit s'appuyer plus généralement sur la sensibilisation et l'implication de tous les médecins et de l'ensemble des personnels soignants, dont le professionnalisme est le principal garant de la sécurité de l'acte transfusionnel.
5. Je dirai enfin un mot des contrôles.
L'Agence française du sang, avec le concours des médecins inspecteurs de santé publique, a diligenté depuis l'automne 1993 plus de 90 contrôles médico-techniques dans les établissements de transfusion sanguine, indépendamment des quelques audits administratifs et financiers approfondis qu'elle a réalisés.
J'ai par ailleurs confié à l'inspection générale des affaires sociales plusieurs missions qui ont concerné depuis mars 1993 les centres de Lille, Reims et Besançon, après celui de Montpellier en 1992. Le rapport public de l'Inspection en rendra compte et exposera les mesures prises à la suite de ces missions.
L'activité transfusion ne lie est donc aujourd'hui une activité étroitement suivie par les autorités sanitaires. Le contrôle externe des établissements est un gage de sécurité. Mais, bien entendu, c'est d'abord à la compétence et à la rigueur des professionnels eux-mêmes qu'il faut faire appel pour organiser le développement de l'évaluation en transfusion sanguine. À cet égard, le renforcement et la généralisation des démarches d'assurance-qualité sont en cours sous l'impulsion de l'Agence.
Je tenais, Mesdames et Messieurs, à vous réunir aujourd'hui pour vous permettre de mesurer l'importance du travail accompli pour la rénovation de notre système de transfusion sanguine, grâce aux efforts non seulement de l'Agence française de sang et des autres services placés sous mon autorité, mais aussi des centres de transfusion des établissements de soins, et en particulier de leurs personnels, qui se sont engagés dans cette démarche exigeante mais indispensable. L'essentiel repose bien évidemment sur eux, et nous veillons à ce que la réforme permette de mieux reconnaître leurs qualifications, de renforcer leur formation, d'harmoniser progressivement leurs conditions de travail, et de préserver leur avenir au sein de la transfusion ou du système de soins.
Mon dernier mot sera pour les donneurs de sang : la pérennité de la transfusion repose sur leur générosité et sur leur appui constant, qui ne se sont jamais démentis au milieu des tempêtes, et qui permettront à la transfusion de répondre longtemps encore aux besoins des malades.
Ceux-ci pourront désormais compter sur un service public transfusionnel qui justifie leur confiance retrouvée, et qui le justifiera d'autant plus qu'il saura s'orienter vers une médecine toujours plus réceptive aux progrès de la recherche et des technologies. C'est de cela que monsieur Douste-Blazy souhaite vous parler maintenant.