Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, dans "Le Figaro" le 24 novembre 1998, sur son opposition à la révision constitutionnelle autorisant la ratification du Traité d'Amsterdam.

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Le Figaro. - Après le traité de Maastricht, celui d'Amsterdam. Vous repartez à la bataille ?

Philippe de Villiers. - Oui. Parce qu'avec le traité d'Amsterdam, le peuple français va perdre la maîtrise de son destin, de sa Constitution, de ses lois, et de son territoire. Prenons l'exemple de l'immigration : le traité d'Amsterdam contient dans ce domaine des dispositions extrêmement dangereuses. Ainsi l'abolition de tous les contrôles aux frontières interviendra dès l'application du traité. Conséquence : il suffira d'un seul pays laxiste pour que le laxisme soit généralisé. On peut faire confiance aux Grecs avec leurs six mille îles, aux Italiens avec leurs sans-papiers, aux Verts allemands qui veulent régulariser tous les immigrants, pour que le problème de l'immigration devienne insoluble.

Par ailleurs, à partir de 2003 ce sont les commissaires de Bruxelles qui géreront le territoire européen ainsi unifié. En d'autres termes, c'est la Commission de Bruxelles qui prendra désormais en charge tous les problèmes liés à l'immigration. On peut d'ores et déjà imaginer comment les commissaires régleront nos problèmes de frontières, de drogue et de sécurité. Maastricht, c'était la monnaie unique. Amsterdam, c'est le territoire unique.

Le Figaro. - Vous allez présenter une exception d'irrecevabilité. Quels arguments allez vous développer ?

- « J'expliquerai que notre Constitution donne au Parlement le droit d'exercer la souveraineté, et non celui de l'aliéner. Je montrerais pourquoi le traité d'Amsterdam est violemment anticonstitutionnel. Je retiendrai en particulier deux dispositions qui portent une véritable inversion de tout droit public.

La première concerne le fameux protocole sur la subsidiarité. Celui-ci édicte que toute forme de droit communautaire, même dérivé, sera désormais supérieure à toute forme de droit national, même constitutionnel.

La seconde concerne l'article 7 du traité, qui prévoit qu'un État peut se voir condamné par les autres s'il porte atteinte à « l'État de droit » - notion vague s'il en est. Cela signifie que la France pourra être condamnée à la suspension de ses droits parce qu'elle aura, par exemple, rétabli un contrôle sanitaire sur le poulet chloré en provenance des États-Unis, ou encore parce qu'elle souhaitera rester une puissance nucléaire. Dans ce cas, elle sera déchue de son droit de vote, sans pour autant voir ses obligations financières suspendues. Conclusion : on pourra être mis au ban de l'Europe, en Europe, par l'Europe. »

Le Figaro. - Le gouvernement a choisi la voie parlementaire pour faire ratifier le traité d'Amsterdam. Qu'en pensez-vous ?

- «  Si le peuple français, qui détient le pouvoir constituant, n'était pas consulté, il y aurait trahison de l'esprit de la Ve République. Nous avons une Constitution qui est bonne, et un traité qui est mauvais - la preuve : tout le monde veut l'amender. Or que nous est-il proposé ? Tout simplement de changer de Constitution. Je prétends qu'il vaut mieux rejeter le traité. Les conséquences ne seraient pas du tout apocalyptiques pour l'Europe. Si nous ne ratifions pas ce traité, nous nous retrouverions simplement dans la situation des Anglais et des Danois qui, eux, sont parvenus à obtenir un traitement dérogatoire, et qui ne s'en portent pas plus mal. »

Le Figaro. - Les chevènementistes et les pasquaïens commencent à se mobiliser, « sur les deux rives », contre la ratification de ce traité. Allez-vous élaborer une stratégie commune ?

- « L'important, c'est de se comporter sous le regard des Français comme des gens de conviction. Nous serons plusieurs orateurs de sensibilités diverses à prendre la parole avec une seule stratégie commune : faire échec à ce sinistre traité. »

Le Figaro. - Comment jugez-vous l'évolution du président du RPR sur Maastricht et Amsterdam ?

- « Je ne peux croire un seul instant que Philippe Séguin ait oublié son fameux discours du 5 mai 1992. Je ne peux croire qu'il accepte aujourd'hui l'immense dérive de ce qu'il dénonçait hier, lorsqu'il disait : « La souveraineté ne se partage pas, elle est inaliénable. » Comment peut-on, après avoir été contre Maastricht qui transférait notre souveraineté monétaire, soutenir le traité d'Amsterdam qui transfère notre souveraineté législative ? Si les Français ne font plus confiance aux hommes politiques, c'est précisément parce que ces derniers laissent leurs convictions s'effacer derrière leurs ambitions du moment. »

Le Figaro. - La situation n'a-t-elle pas changé depuis la ratification du traité de Maastricht ?

- « Oui, elle a empiré. Tout nous échappe, on le voit bien, jusqu'à notre vie quotidienne. Écoutez les, tous les apôtres de Maastricht qui, à travers leurs amendements dérisoires, prétendent contrôler le monstre qu'ils ont créé. Écoutez Monsieur Jospin supplier les banquiers de Francfort pour qu'ils baissent les taux d'intérêt, quelques mois seulement après avoir scellé le pacte de stabilité qui garantit l'indépendance de ces derniers. À partir du 1er janvier prochain, la France ne sera plus gouvernée par un Gouvernement, mais par un gouverneur - celui de la Banque centrale. Nous serons alors devenus un protectorat euro-germanique.