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Le Parisien
- Finalement, vous avez atteint votre objectif quantitatif de 150 000 emplois jeunes créés d’ici à la fin de l’année. Après des débuts poussifs, vous avez mis les bouchées doubles ?
Martine Aubry. - Les débuts n'ont pas été poussifs ! Mais la tâche que nous nous étions fixés était ambitieuse : il s'agissait de répondre à des besoins nouveaux. Soit ces besoins étaient complètement nouveaux, ce qui suppose d'inventer les métiers de demain - je pense, notamment, aux métiers de l’environnement, de la sécurité, des services aux personnes - soit ces besoins existaient déjà, étaient connus, mais ne pouvaient être satisfait dans certaines zones - je pense, là, à la culture, au tourisme, à l’accompagnement des jeunes dans les zones rurales. Cela n'était pas simple. Il fallait s'assurer que ces emplois aient une chance de pérennisation au bout de cinq ans, et qu’en même temps ils ne viennent pas concurrencer le secteur privé. Ce n'est donc pas étonnant que les premières semaines aient été consacrées à recenser les besoins et à construire les projets.
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- Vous êtes sure qu'ils ne se substituent pas à des emplois « classiques » ?
Martine Aubry. - Oui, pour la plus grande part. Nous avons, par exemple, donné des consignes très strictes pour que l'on ne retrouve pas des hôtesses d'accueil dans les mairies, qui sont effectivement des emplois publics classiques. Je le répète, ce petit délai, au démarrage, était nécessaire à la crédibilité et à la fiabilité de notre programme. Aujourd’hui, en tout cas, nous sommes à plus de 150 000 emplois créés et 110 000 jeunes effectivement en poste - vous savez qu'il y a un délai technique incompressible entre l'engagement financier d'une collectivité ou d'une association, et l'embauche réelle d'un jeune. D’ici à la fin de l’année, nous aurons dépassé nos objectifs, et il y aura autour de 130 000 embauches réalisées. Peut-être même plus, car le processus s’accélère.
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- Dans l'Éducation nationale, qui est le plus gros employeur de votre programme, les syndicats se plaignent. Ils estiment que les emplois jeunes se substituent à de vrais emplois publics pérennes…
Martine Aubry. - Dans l'Éducation nationale, les emplois jeunes, qui sont gérés en direct par Claude Allègre, apportent des services nouveaux. Il est possible que certains métiers aient vocation à être intégrés au service public. Mais quand un jeune accompagne des jeunes handicapés en milieu scolaire, initie des élèves au théâtre ou à la boxe thaïlandaise, ce n'est pas la vocation de l’école.
Les villes de gauche en font plus
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- On reproche aussi à l'Éducation nationale de ne recruter que des jeunes très diplômés, sur ces postes-là, ce qui explique un fort « turnover » - c'est-à-dire un roulement des effectifs - difficilement gérable pour les établissements concernés…
Martine Aubry. - Mais que ne nous aurait-on reproché si nous avions mis face aux enfants et aux adolescents des jeunes non qualifiés ! Il y a une spécificité de l’Éducation nationale. Quant au turnover, il est quasiment nul dans les associations et les collectivités locales. Presque tous les jeunes qui ont été recrutés en emploi jeune étaient au chômage avant, 73 % étaient inscrits à l’ANPE, et 20 % étaient chômeurs de longue durée.
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- Qu'en est-il des programmes de formation que vous vous étiez engagée à mettre en place ?
Martine Aubry. - La professionnalisation a déjà commencé. Mais là encore, il faut savoir prendre le temps nécessaire. Vous savez, la formation pour la formation, en France, on connaît ! Mais si l'on veut que les emplois jeunes donnent une qualification, débouchent sur un diplôme et donc sur un métier reconnu, il ne faut pas définir les filières à la va-vite. C'est la clé de la pérennisation de ces emplois, qui commence à se développer : un seul exemple dans les HLM, les emplois jeunes évitent des dégradations ou des problèmes. C'est rentable. Les gestionnaires le savent. La rapidité, c'est bien, mais à condition que la rigueur soit là.
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- Est-ce que toutes les collectivités locales ont joué le jeu ? Où y a-t-il encore des clivages politiques ?
Martine Aubry. - Globalement, les grandes villes et les départements s’y sont mis (NDLR : voir ci-contre). Mais les villes de gauche en font plus ! Disons que le nombre d'emplois jeunes par habitant varie de un à cinq. J'en tire une conclusion très positive : il nous en reste encore sous le pied ! Ou si vous préférez : il y a encore de la marge pour 1999 et les années suivantes. Nous allons publier une lettre périodique pour présenter les expériences et donner des idées à ceux qui n'en ont pas encore.
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- Vous voulez leur « forcer la main » ?
Martine Aubry. - Non. Simplement, je constate que les villes qui se sont fortement engagées dans ce programme, comme Sarcelles, Lille, Rouen, Chambéry et beaucoup d’autres, ont vu leur chômage des jeunes baissés de 10 %, voir de 15 %. Cela risque même d'être un enjeu au moment des prochaines élections. L’électeur dira : pourquoi y a-t-il des jeunes qui sécurisent les transports publics dans la ville ou la commune voisine et pas ici ? Les habitants commencent d'ailleurs à interpeller les maires sur le sujet. Pas seulement parce que cela crée des emplois pour les jeunes, mais aussi parce que ces services nouveaux portent une meilleure qualité de vie à la population.
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- Et les 350 000 emplois jeunes dans le privé, qui faisaient partie du programme du candidat Jospin ?
Martine Aubry. - Le contexte a quand même changé : pendant la campagne législative, on détruisait des emplois. Cette année, on en a créé, en net, 300 000. Jamais l'emploi salarié n’a été au plus haut en France. En ce qui concerne les jeunes, 775 000 ont été embauchés cette année dans les entreprises, et plus de 400 000 sont en formation en alternance. On n’avait pas connu cela depuis cinq ans ! Donc, des emplois de jeunes dans le privé, il y en a eu plus de 350 000.
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- Vous abandonnez, alors, l'engagement antérieur ?
Martine Aubry. - Non, je recadre l’objectif. Pour cela, il y a plusieurs pistes. D’abord, il y a des secteurs qui ont des problèmes de pyramide des âges, comme l’automobile. Nous réfléchissons à un accord global incluant le rajeunissement des effectifs et l'embauche de jeunes, la formation, et le temps de travail. L'État peut aider à financer une telle action globale.
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- En voulant durcir le recours à l'intérim et aux CDD (contrats à durée déterminée), vous prenez pourtant de front les constructeurs automobiles ?
Martine Aubry. - Je ne conteste pas le recours au CDD ou au travail temporaire qui sont légitimes pour répondre notamment à un surcroît ponctuel d’activité. Mais il n'est pas normal que certains secteurs aient en permanence 15 % à 20 % de leur effectif en contrats temporaires. Cela devient un mode de fonctionnement permanent. J’ajoute, d’ailleurs, pour l’automobile, que les situations sont très différentes d’un établissement à l’autre. Si l’on choisit ce mode de gestion, alors il faut contribuer au coût que l'on fait supporter à la collectivité.
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- Quelles sont les autres pistes ?
Martine Aubry. - On peut aussi signer des contrats de développement de la formation avec les branches qui ont des besoins de qualifications particulières, chez les jeunes, par exemple dans le bâtiment ou les métiers de bouche. Enfin, on peut aider les entreprises à identifier de nouveaux besoins rentables, dans le domaine, notamment, des services à leurs clients. Vous voyez, il reste encore des pistes pour diminuer le chômage des jeunes.