Texte intégral
Q. - Vous étiez au Sommet de Potsdam. L'ambiance était aux retrouvailles idylliques entre la France et l'Allemagne. Le chancelier Schroeder a fêté l'anniversaire de Jacques Chirac mais, en dehors de tout ce climat un peu symbolique, y a-t-il des décisions pratiques qui ont été prises ?
R. - J'insiste sur le climat parce que la relation entre la France et l'Allemagne n'est pas une relation simple. Bien sûr, elle a été marquée par les guerres, puis la réconciliation et donc, il y a quand même dans tout cela un aspect affectif, le besoin aussi des personnes de se connaître. C'est très important. C'est important au niveau des chanceliers, les Premiers ministres, du président de la République, c'est important au niveau des gouvernements et je crois que c'était, avant tout, cela. C'était la prise de contact avec une nouvelle équipe qui, reconnaissons-le, a envie de prendre les problèmes différemment, à la fois en ce qui concerne la relation franco-allemande et la construction européenne. Ensuite, nous avons parlé des dossiers pour constater que nous étions d'accord sur beaucoup de choses et, en premier lieu, pour donner un nouvel élan à cette relation franco-allemande, pour faire en sorte qu'elle devienne moins mécanique…
Q. - Alors, concrètement. Vous irez à Vienne dans quelques jours pour…
R. - Là, on change de registre. On ne parle plus du franco-allemand, on parle de l'européen.
Q. - Oui. Attendez, la contribution allemande, cela pose des problèmes à la France aussi. Avez-vous abordé ce terrain ? Y a-t-il des débuts d'entente sur ce sujet ?
R. - Il y a toute une série de sujets sur lesquels nous avons avancé, sur l'idée d'une université franco-allemande qui sera à Sarrebruck, sur l'Europe de la défense sur laquelle nous allons travailler avec les Anglais, sur les institutions européennes sur lesquelles nous allons avancer. Bref, toute une série de sujets sur lesquels nous avons des points d'accord. Il y a aussi ce sujet que vous évoquez, ce qu'on appelle « Agenda 2000 », la réforme des politiques communes en Europe, sujet qui est un sujet très difficile, avec des négociations qui commencent. Personne n'attend qu'elles se concluent à Vienne, et, en même temps, je pense que la France et l'Allemagne ont bien déblayé le terrain. Nous sommes d'accord, par exemple…
Q. - Vous avez mis une date-butoir, mars ?
R. - Absolument. C'est sous la présidence allemande, en mars, que nous voulons terminer avec les Allemands. Nous avons toute une série de points d'accord. Je parle de la stabilisation des dépenses de l'Union européenne. Nous estimons, les uns et les autres, qu'il faut maîtriser le budget européen. Sur la programmation de l'élargissement, il faut, d'un côté, distinguer les dépenses qui sont faites pour les Quinze dans l'Union européenne aujourd'hui et celles qui seront faites demain pour les nouveaux candidats. Nous avons toute une série d'avancées communes et, en même temps, nous avons un sujet sur lequel nous allons beaucoup discuter, c'est la Politique agricole commune au plan national, c'est-à-dire une « relationnisation » partielle. Nous ne l'acceptons absolument pas. Nous le leur avons dit très clairement, mais c'est aussi cela, vous savez, une relation bilatérale, c'est se parler très franchement.
Q. - Vous n'acceptez pas un cofinancement au plan national…
R. - Absolument pas.
Q. - …De la Politique agricole commune. Acceptez-vous et trouvez-vous légitime que l'Allemagne décide, souhaite payer moins au pot communautaire ? Leur avez-vous dit ça ?
R. - Ce n'est pas comme cela qu'on peut réfléchir. Vous savez, en Europe, les ressources…
Q. - Attendez, il y a une question quand même qui est simple, qui est posée de la manière suivante, les Allemands…
R. - Permettez que je m'explique…
Q. - Pour ceux qui nous écoutent, les Allemands disent « On paie trop ».
R. - Pour ceux qui nous écoutent, je pense qu'expliquer est mieux que d'asséner quelque chose qui est une formule. Les ressources de l'Union sont des ressources propres. Aucune ressource n'est nationale, c'est-à-dire que quand un pays dit qu'il paie trop, il n'est pas dans la logique communautaire. Quand l'Angleterre, dans les années 80, disait « I want my money back », je veux mon argent, la théorie du juste retour, je veux un chèque, c'était totalement étranger à la logique communautaire. On a, à l'époque, cédé, on a eu tort. Il ne faut absolument pas généraliser ce type de mécanisme et donc, pour l'Allemagne, il n'y aura pas de mécanisme d’écrêtement des soldes, comme ils le souhaitent. En revanche, ce qui est vrai, c'est qu'il y a un déséquilibre budgétaire en leur défaveur, qu'il faudra corriger par d'autres méthodes, notamment par des économies sur les dépenses.
Q. - Autre sujet que vous avez évoqué à l'instant, celui des institutions. Pensez-vous qu'il y a désormais un accord entre la France et l'Allemagne pour dire : premièrement, pas d'adhésion avant qu'on ne soit prêts, deuxièmement : donc, ne nous pressons pas, et troisièmement : réformons, approfondissons les institutions avant toute nouvelle adhésion ?
R. - Je pense que nous sommes, effectivement, sur l'élargissement beaucoup plus proches maintenant que nous ne l'étions avec le précédent gouvernement. Il y avait une sorte de romantisme de l'élargissement après la chute du mur du Berlin qui était dû aussi à la position centrale en Europe de l'Allemagne. Maintenant, ils se rendent compte que l'élargissement peut être un choc pour les économies de ces pays d'Europe centrale et orientale, qu'il peut être aussi un choc pour nous. Donc, il y a l'idée de maîtriser l'élargissement maintenant, d'y aller plus progressivement et de faire en sorte que ces nouveaux pays viennent – ils sont bienvenus – quand ils seront prêts et seulement quand ils seront prêts, donc de mener des négociations sérieuses. Nous n'articulons plus de date, nous ne disons plus 2000-2002, mais quand ils seront prêts et dès qu'ils seront prêts.
La deuxième chose, c'est que nous sommes tous conscients que l'Europe et les institutions européennes ne fonctionnent plus à quinze. Comment fonctionneraient-elles à vingt ou vingt-cinq, Donc, il faut les réformer avant : la Commission doit être moins nombreuse, le Conseil européen doit mieux marcher et il doit y avoir la pondération des votes au sein de I'Union, pour que les grands États conservent tout de même une place dans une Europe à vingt ou vingt-cinq, ce qui est important pour nous…
R. - Le président de la Banque centrale européenne a fait deux remarques. Il estime qu'il révise à la baisse les prévisions de croissance dans la zone euro et, ensuite, il estime qu'il n'y a pas lieu, aujourd'hui, d'aller plus loin dans les politiques de convergence et de baisse des taux. Qu'en pensez-vous ?
R. - Vous savez, les gouverneurs des banques centrales sont des gens indépendants. Donc, ils admettront aussi que les hommes politiques soient indépendants. En plus, nous ne sommes pas encore solubles dans l'Europe, même si nous sommes très européens. Je crois donc que pour la France, il n'y a aucune raison de réviser notre perspective de croissance. Aujourd'hui, elle est robuste, elle tient compte de tendances qui sont des tendances lourdes et non pas de tel ou tel phénomène qui peut se passer à un moment ou à un autre.
Quant aux taux d'intérêt, c'est la compétence des gouverneurs de banques centrales européennes, mais il y a des choses contradictoires qui se disent ici et là. Ce qui est clair, c'est qu'il faudra bien, un jour, qu'on ait un « policy mix » qui soit adapté à la croissance et nous sommes en train de le définir. (…)./.