Texte intégral
Q - « Pourquoi une nouvelle loi sur le sport ?
– La dernière loi, celle d'Edwige Avice, date de 1984. Elle reste très juste dans ses fondements, mais le sport à connu une mutation telle qu'elle ne nous permet plus de faire face aux réalités d'aujourd'hui. Les pratiques sportives se sont transformées. On fait du sport à tout âge, des bébés nageurs aux activités physiques dans les maisons de retraite. Des sports nouveaux apparaissent spontanément, comme le roller ou le foot en salle. La première question est donc : comment le mouvement sportif peut-il répondre à une telle diversité ?
Deuxième changement fondamental : l'arrivée massive – et qui s’accélère – de l'argent. Il faut se donner les moyens de réguler cet afflux, éviter que la seule loi du profit dicte ses règles, et faire en sorte que l'argent irrigue l'ensemble du mouvement sportif.
Enfin, troisième question : Le sport professionnel doit-il rester au sein du mouvement sportif – c'est ma conviction ou bien doit-on le laisser dériver vers l'entreprise de spectacle ? Voilà les enjeux qui justifient la définition d'un nouveau cadre législatif.
Q – Actuellement, les formes juridiques des clubs sportifs interdisent aux éventuels investisseurs de percevoir des bénéfices. Votre projet de loi envisage-t-il la possibilité pour les clubs de se constituer en sociétés anonymes ?
– Nous, avons décidé de donner un rôle moteur à l'association sportive. C'est à partir d'elle que nous prendrons en compte les situations qui se présentent. Le petit club qui, de temps en temps pendant l'année, exerce une activité lucrative parce qu'il a besoin de faire rentrer de l'argent, celui-là, il faut le laisser tranquille dans les structures existantes. Il y a d'autres associations qui ont une activité économiques lucrative permanente. Il faut qu'elles puissent se donner les moyens de gestion appropriés, donc de créer une filiale. Celle-ci pourra prendre la forme d'une société anonyme, qui redistribuera des dividendes. Mais mon intention n'est pas de les pousser systématiquement vers cette solution. Toutes d'ailleurs, ne le souhaitent pas. Nous conserverons la solution SEM (société d'économie mixte) pour ceux qui le souhaitent. Nous cherchons encore à définir une autre solution, intermédiaire, permettant la création d'une filiale qui ne redistribue pas de dividendes. Le projet de loi laisse le choix ouvert.
Q – La SA pourrait-elle entrer en Bourse ?
– Je ne le souhaite pas. Les risques d'OPA plus ou moins sauvages sont trop importants. Il est à craindre aussi que les jeux boursiers influent sur les résultats sportifs ce qui n'est souhaitable pour personne. L'éthique doit prévaloir. C'est pour cela que nous souhaitons imposer un autre garde-fou : interdire à un même entrepreneur de posséder plus d'un club dans une même discipline.
Q – Le refus d'entrée en Bourse est-il irrévocable ?
– Pour moi, il l'est. Quand on regarde à l'étranger les résultats des clubs qui ont franchi le pas, on peut s'interroger. En Grande-Bretagne, les clubs qui s'en sont bien tirés se comptent sur les doigts d'une main.
Q – Pourtant, certains clubs français estiment ne pas avoir les moyens de lutter à armes égales au niveau européen ?
– Quand on regarde les résultats de la ligue des champions ces dernière années, on ne peut pas dire que nos clubs soient pénalisés. Mais il est vrai que les questions du statut des clubs et de la maîtrise de l'argent dans le statut professionnel ne pourront se satisfaire d'une réponse franco-française. Quand on voit certaines dérives dans d'autres pays, on peut effectivement parler de concurrence déloyale. Là, il y a des réponses à trouver au niveau européen, et même au-delà.
Q – Certains patrons de club reprochent déjà au projet de loi d'instiller trop d'État dans le sport…
– C'est tout le contraire. Je veux donner au mouvement sportif les moyens de répondre aux attentes contemporaines dès la pratique sportive. Bien sûr, certains clubs souhaiteraient un visage vers le tout libéral. Ils aimeraient, à la limite, sortir du mouvement sportif. C'est l'idée de la Superligue de football, qui regrouperait les clubs les plus riches. Mais ils ne constituent qu'une infime minorité. Il faut être lucide. Combien de clubs français intéresseraient des actionnaires en bourse ? Quatre ou cinq au maximum, et en encore. La plupart des autres n'auraient plus les moyens de vivre. Il faut conserver la relation entre les collectivités publiques et un mouvement sportif indépendant, sinon, on dit oui tout de suite à la Superligue…
Q – Pensez-vous que la Superligue soit encore actualité ?
– Sous une forme ou sous une autre, oui. Regardez ce qu'est en train de construire l'UEFA. Voyez les accords qui se nouent dans les médias. Le sport est un enjeu majeur dans la construction de ce nouveau paysage médiatique.
Q – La loi Pasqua prévoyait la disparition progressive des subventions aux clubs. Allez-vous les autoriser à nouveau ?
– Oui, nous allons faire en sorte que, dès l'année prochaine, il y ait maintien des subventions publiques. Au-dessous de 2,5 millions de francs de masse salariale, il n'y aura pas de limitation. Ensuite, nous allons prévoir trois tranches, avec un plafonnement échelonné de la subvention des collectivités territoriale. Il sera prévu un conventionnement précis afin que l'argent public ne serve pas, par exemple, à acheter des joueurs. Il doit être utilisé pour le développement de la vie associative des clubs et pour la formation.
Q – Le précédent gouvernement envisageait des mesures fiscales pour inciter les sportifs de haut niveau à rester en France. Poursuivez-vous cette idée ?
– Nous réfléchissons à un aménagement fiscal permettant aux sportifs de se constituer un pécule pour l'avenir. Nous soumettrons une série de proposition en ce sens en conseil interministériel. La situation, c'est vrai, est inquiétante dans certains sports. En tennis, parmi les quinze premiers Français sur la liste ATP, très peu résident encore en France. Il faut imaginer des mesures fiscales qui ne soient pas des cadeaux, mais qui tiennent compte de la durée réduite d'une carrière sportive. On pourtant se rapprocher du statut des artistes.
Q – La France est connue pour la qualité de ses centres de formation. Que faire pour éviter qu'ils ne soient pillés ?
– Pour l'instant, nous travaillons, sur la bonne formule. J'ai deux soucis. D'abord ceux qu'on appelle les « intermédiaires » et qui vivent du transfert des joueurs. Peut-on trouver au niveau de la loi le moyen d'imposer à ces personnes un code de conduite ? Là aussi, la loi française n'aura un sens que s'il y a réflexion au niveau international. Moi, j'ouvre le débat. Deuxième point sensible : les transactions commerciales sur les mineurs. Il convient, et le commissaire européen Oreja en est d'accord que les sportifs et sportives ne fassent pas l'objet d'achats et de ventes. C'est une question qui relève d'une manière générale de la protection de l'enfance.
Q – N'êtes-vous pas tentée de favoriser la pratique sportive populaire au détriment de la compétition de haut niveau ?
– Pas du tout ! Je récuse les discours « bassistes » où il n'aurait que le sport dans le petit club local qui serait sain, noble. Certes, il faut augmenter le nombre de pratiquant et développer l'accès au sport dans certaines zones sous-équipées. La pratique féminine ou celle de personnes handicapées est également bridée dans certaines disciplines. Le haut niveau aura toujours besoin de la pratique amateur : des joueurs comme Zidane et autres ont tous débuté dans de petits clubs gérés par des bénévoles. Mais la pratique amateur a aussi besoin de l'exemple du sport de haut niveau : lorsque des milliers de gamines et de gamins veulent s'inscrire dans le club de foot, c'est parce qu'il y a eu l'exemple de la Coupe du monde. Je ne vois pas vraiment au nom de quoi il faudrait considérer l'esprit de compétition comme quelque chose de honteux…
Q – L'éternelle question du sport à l'école ?
– On l'a bien perçu dans les revendications du mouvement lycéen : il y a une demande de pratique sportive à l'école. Avec le ministère de l'éducation nationale, nous travaillons sur ce dossier. Je crois qu'il y a une volonté commune. De notre coté à la jeunesse et aux sports, nous devons aussi reconsidérer nos formations. Nous avons besoin de formations très qualifiées et en même temps, les clubs, les communes le réclament, plus transversales, qui permettent de répondre à des problèmes nouveaux. Les dérives de la société pénètrent dans le sport : il faut pouvoir y faire face.
Q – Le calendrier législatif du Parlement est actuellement surchargé. L'examen du projet de loi, déjà plusieurs fois reporté, est impatiemment attendu par le monde sportif. Quand espérez-vous aboutir ?
– Je souhaiterais faire une première communication en conseil des ministres en décembre et qu'on puisse commencer le débat parlementaire en 1999. Nous avons encore du travail et beaucoup de concertation à mener. Mais nous avons bien avancé. »