Texte intégral
La France fait face à de très lourds problèmes budgétaires et fiscaux. Ils sont d’une ampleur telle qu’on ne saurait les résoudre d’un seul coup. Une longue continuité y est nécessaire, au service d’une vision cohérente dès le départ.
Or la manière dont le gouvernement s’y prend à ce sujet est inquiétante : il y a un décalage gigantesque entre les intentions annoncées et la traduction qui en est donnée dans l’action quotidienne.
Deux exemples l’illustrent.
Le premier est le poids des déficits publics, soit 6,1 % du produit national brut (PNB) en 1994, un record dans notre histoire récente et un mauvais chiffre en Europe. Il faut diminuer ce déficit, moins parce que le traité de Maastricht l’exige que, surtout, parce que la dette coûte cher. Celle-ci représente aujourd’hui 15 % du budget, si bien que l’on n’augmente les impôts que pour la payer, ce qui est à la fois absurde et inadmissible.
Le gouvernement dit : « Nous allons réduire les déficits à 5 % du PNB en 1995, 4 % en 1996 et 3 % en 1997. » Bravo. Faire plus serait presque hors de portée, faire moins nous amènerait à supporter trop longtemps une dette inacceptable.
Notre PNB avoisine les 8 000 milliards de francs. Le point pour cent est donc de l’ordre de 80 milliards. Réaliser ces économies ou ces réductions, ce n’est pas rien. Il faut y encourager le gouvernement.
1995. On comprime à peine la dépense publique et l’on n’agit pas sur la protection sociale. Nous resterons à 5,2 % ou 5,3 % du PNB en déficits cumulés. Ce n’est pas encore terrible, mais cela complique gravement la suite.
1996. On réduit le déficit de l’Etat de 30 milliards seulement, remettant à janvier les décisions concernant la protection sociale. Sur cette trajectoire, il faudrait réduire le déficit de 50 milliards. C’est infaisable. Un vrai courage politique dans la maîtrise de la dépense permettrait peut-être de réaliser une économie de 30 milliards. Mais on n’y est pas. Il est fort à craindre que le gouvernement ne soit acculé, pour limiter seulement le dommage, à augmenter tout simplement les prélèvements obligatoires.
L’autre exemple est le traitement de la fiscalité. Entre le collectif 1995 et le budget 1996, les prélèvements obligatoires augmentent de 70 milliards en année pleine. C’est un record. Ces augmentations, à travers la TVA, la CSG et la taxe sur l’essence, pèsent principalement sur les petits revenus.
L’alourdissement de l’ISF, pour 400 millions de francs de rentrées, compense peu cette orientation, pas plus que la hausse de l’impôt sur les sociétés. L’impôt sur le revenu est quelque peu allégé, ce qui profite aux plus aisés. Cette politique est socialement inique et pénalise en outre la consommation, donc la croissance, ce dont nous n’avions sûrement pas besoin en ce moment. C’est sur la dépense qu’il fallait serrer davantage, et notamment sur la seule masse de dépenses susceptible d’économies significatives : l’assurance-maladie.
De plus, ces augmentations sont faites à structure constante du système fiscal, ce qui aggrave les défauts de celui-ci.
Et voilà que le ministre des Finances nous promet la grande réforme fiscale qu’il s’est bien gardé d’amorcer dans son budget. Il s’agit d’étendre la CSG à l’ensemble des quelques types de revenus qui lui échappent encore, pour en faire le premier étage d’un impôt d’ensemble sur le revenu dont le deuxième étage serait l’actuel IRPP, mais avec un taux maximal réduit de 56 à 40 %.
En tant que créateur de la CSG, ce dont je tire une certaine fierté, je tiens à émettre ici une solennelle mise en garde. Elle a été créée pour donner à la Sécurité sociale un financement économiquement plus neutre, socialement plus juste, et moins défavorable à l’emploi. Elle ne l’a pas été pour combler le trou de la Sécurité sociale, qui doit l’être par une diminution du rythme de croissance des dépenses maladie, et moins encore pour équilibrer le budget de l’Etat. Proportionnelle, non déductible par souci de justice, et s’appliquant dès le premier franc, elle est douloureuse. Elle a été créée avec suppression concomitante de cotisations salariales pour le montant exact qu’elle rapportait. J’avais pris l’engagement qu’il en serait toujours ainsi, faute de quoi l’injustice retomberait sur les petits salaires. Augmenter la CSG sans diminuer les cotisations salariales, c’est la rendre intolérable. Et si, par surcroît, on soulage les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu, on rend cette politique socialement inacceptable.
Si on laisse la CSG devenir intolérable, elle sera fraudée, déformée ; elle ne pourra ni croître ni servir de base à une réforme d’ensemble des impôts sur les revenus. Ne demandons pas à la fiscalité ce qu’il faut obtenir sur les dépenses.