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Les Échos : Les socialistes dénoncent la hausse des prélèvements obligatoires, mais pouvait-elle être évitée compte tenu du passif en partie hérité de la période 1991-1993 ?
François Hollande : Le choix du gouvernement en matière de lutte contre les déficits tient en un seul principe : mieux faut augmenter les prélèvements que de changer les mécanismes de dérive de la dépense publique. Cette règle est scrupuleusement appliquée en matière de Sécurité sociale puisqu’il est prévue de relever les cotisations pour réduire les déficits futurs et de créer une nouvelle forme de CSG pour les déficits passés.
Mais, sur ce dernier point, la clarté s’impose : le passif de la période 1991-1993 (17 milliards en 1991) ; 15 milliards en 1992, mais déjà 56 milliards en 1993) avait été apuré par le précédent gouvernement : la dette avait été reprise par l’Etat et le Fonds de solidarité vieillesse avait été chargé de rembourser la charge des annuités et des intérêts avec les recettes procurées par l’augmentation de la CSG décidée en juillet 1993. Bien ou mal, la question avait été somme toute réglée. Aussi la nouvelle opération d’apurement ne devrait-elle porter que sur les deux années 1994 et 1995, soit 120 milliards de déficits cumulés, et non sur 230 milliards, comme le dit le gouvernement. Cela signifie que la nouvelle augmentation de la CSG servira non seulement à rembourser le passif de la gestion de MM. Balladur et Juppé, mais aussi à couvrir les dépenses liées à la création de la prestation autonomie.
Les Échos : La « CSG bis » que le gouvernement veut mettre en place a une assiette plus large que celle qu’avait créée Michel Rocard. Etes-vous favorable à cet élargissement ?
François Hollande : Globalement non. Il ne peut en effet être question d’assujettir les revenus de remplacement qui y échappent aujourd’hui (retraites non imposables à l’impôt sur le revenu), ni même de toucher aux allocations sociales (prestations familiales) ou à l’épargne populaire. De ce point de vue, les modalités de la « contribution Juppé » me paraissent extrêmement choquantes : en élargissant la CSG à tous les revenus, ce sont les plus modestes qui vont être appelés à la « solidarité ».
En revanche, certains revenus financiers, anormalement oubliés lors de la création de la CSG devraient y être assujettis. Je pense aux produits des contrat d’assurance-vie, aux plus-values de cession des valeurs mobilières et aux gains de jeu. Les rendements à atteindre ne seraient pas négligeables : 4 milliards pour une CSG à 2,4 points. C’est-à-dire plus que 10 % du produit de 1 point de CSG.
Les Échos : En matière de santé, le gouvernement se montre de plus en plus déterminé à maîtriser l’évolution des dépenses. Appuierez-vous ses efforts ?
François Hollande : Il serait temps qu’il s’en inquiète au regard du dérapage des honoraires des médecins (+ 5 % depuis le début de l’année) et de la pharmacie (+ 7,2 % sur la même période).
Mais nous porterons un jugement favorable sur tout ce que le gouvernement actuel fera dans le sens de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, dont la démarche a été, rappelons-le, initié par la loi Teulade de janvier 1993, mais dont les sanctions prévues ont été peu à peu oubliées par les responsables de l’application de la convention médicale. Le carnet de santé peut être un instrument utile, mais il doit s’accompagner d’un renforcement du rôle du généraliste et d’un contrôle effectif des dépassements par rapport aux références médicales. Je crains que le gouvernement ne préfère se satisfaire de quelques déclarations de principe plutôt que de modifier les mécanismes eux-mêmes. Le vrai courage serait là et non dans la levée de nouveaux impôts.
Les Échos : Vous critiquez le financement de la prestation autonome par la CSG. Mais quelle autre ressource trouver ?
François Hollande : Il est regrettable que Jacques Chirac et Alain Juppé aient évoqué la prestation autonomie en suscitant beaucoup d’espoir, notamment dans les familles qui affrontent le problème de la grande dépendance, sans jamais préciser son mode de financement. Si bien qu’aujourd’hui il est proposé d’utiliser subrepticement la CSG dans le cadre du Fonds de solidarité vieillesse. En outre, les conseils généraux qui devront supporter la charge non couverte par la CSG son vent debout contre cette réforme. Le mieux serait sans doute d’en différer l’application tant qu’on n’y verra pas plus clair sur son coût et ses modalités (notamment la participation de la famille). Une nouvelle fois, c’est l’improvisation qui l’emporte à travers l’illustration de ce que René Monory appelait il y a peu une « législation à crédit ».
Les Échos : Les fonctionnaires s’inquiètent de l’allongement de la durée de leur cotisation mais cette harmonisation sur le régime commun n’est-elle pas finalement juste ?
François Hollande : L’harmonisation ne peut pas porter que sur la seule durée de cotisation. Elle doit également concerner le salaire de référence pour le calcul de la retraite et le taux de la pension. Or chacun sait que le régime indemnitaire des fonctionnaires ne donne pas lieu à cotisation et que la fonction publique ne comporte pas de régimes complémentaires. Méfions-nous des fausses bonnes idées.
Les Échos : En matière de famille, Jacques Barrot a écarté la piste qui consiste à attribuer les prestations sous condition de ressources. Une fiscalisation de ces prestations ou une réforme du quotient familial sont en revanche envisagées. Qu’en pensez-vous ?
François Hollande : Jacques Barrot a eu tort d’abandonner l’idée de mettre sous conditions de ressources l’ensemble des prestations familiales. Une modulation en fonction du revenu, d’ailleurs logique, compte tenu des avantages fiscaux récemment attribués pour les emplois familiaux et qui peuvent atteindre 40 000 francs par an, aurait permis de dégager les sommes nécessaires à la généralisation des allocations familiales dès le premier enfant.
En revanche, la fiscalisation des prestations familiales serait doublement choquante : socialement, elle aboutirait à faire payer l’impôt sur le revenu à environ 800 000 foyers, aujourd’hui non imposables et, financièrement, elle reviendrait à accroître les recettes de l’Etat d’environ 7 milliards de francs sans bénéfice pour la Sécurité sociale. Je vois l’intérêt du gouvernement à aller dans ce sens ; je perçois moins celui des familles.
Les Échos : La grande réforme de la Sécurité sociale a été souvent annoncée mais jamais réalisée. Pourquoi refuser l’union sacrée sur ce sujet ?
François Hollande : Le plan Barrot sera le vingtième dans l’histoire récente de la Sécurité sociale. Il avait lui-même en 1980 présenté une réforme qui devrait être la dernière du genre. On connaît la suite. Tant que les gouvernements ne boucleront les déficits qu’en augmentant les cotisations et en diminuant les prestations, il est à redouter que progressivement nous ayons à la fois le système le plus cher et le moins efficace. La vraie réforme, la seule qui puisse permettre l’union sacrée des Français, c’est celle qui responsabiliserait une bonne fois les acteurs, c’est-à-dire les ordonnateurs de dépenses, et qui changerait le mode de financement de la Sécurité sociale : il faut fiscaliser ce qui ne relève plus de la seule assurance et élargir l’assiette du prélèvement social à tous les facteurs de production afin de ne plus décourager l’emploi. Nous saurons dans quelques jours dans quels termes le gouvernement a fini par trancher.