Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises du commerce et de l'artisanat, dans "La Lettre des patrons" de septembre 1995, sur le "plan PME" et les mesures d'aide aux PME en faveur de la création d'emploi.

Prononcé le 1er septembre 1995

Intervenant(s) : 

Média : La Lettre des patrons

Texte intégral

Patrons : Considérez-vous que la création d’emplois fasse partie de vos missions ?

Jean-Pierre Raffarin : Bien sûr ! Je vous rappelle l’expression même du Président de la République : l’emploi est la priorité. Il faut ensuite décliner, expliciter cette priorité. Pour moi, elle se traduit en particulier par la notion de « bonus PME », car ce sont les PME qui créent aujourd’hui et créeront demain l’emploi. Et encore une fois, l’emploi est la priorité

Patrons : Les PME-PMI ont été unanimement reconnues comme créatrices d’emplois, surtout durant la campagne présidentielle. Comment comptez-vous aider les patrons à pérenniser leur entreprise, seul moyen de sauvegarder l’emploi ?

Jean-Pierre Raffarin : Comme je viens de le dire, je souhaite que l’on retrouve, dans chaque décision économique, un avantage, un « bonus » pour les PME. Cela a été le cas du plan d’urgence du Premier ministre de juillet dernier et ce sera – a fortiori – le cas du « plan PME et artisanat » qu’Alain Juppé m’a demandé de préparer avec mes collègues du Gouvernement. Ce plan sera présenté en novembre, mais certains éléments doivent figurer dans la loi de finances pour 1996.

Je souhaite que ce plan soit un plan d’envergure, propre à répondre aux soucis des chefs d’entreprises. Il comprendra des mesures concernant la transmission d’entreprises, mais aussi l’accès aux fonds propres et au crédit, ou encore les simplifications administratives. Nous travaillons également sur d’autres sujets comme les aides à l’exportation ou le transfert de technologie.

Patrons : Les fonds propres représentent pour la plupart des adhérents à notre syndicat, une source de préoccupations. Quelles sont les mesures que vous préconisez pour les aider à les reconstituer ? Avec l’aide d’établissements bancaires, ou tout simplement en allégeant les charges ?

Jean-Pierre Raffarin : Les petites et moyennes entreprises françaises souffrent en général d’un manque de fonds propres dont l’importance ne doit être ni surestimée, ni négligée ; c’est un sujet complexe, qui demande une approche qui tienne compte des différents types et vitesse de croissance des PME.

Ce manque relatif de fonds propres dans les petites et moyennes entreprises françaises apparaît en particulier lorsqu’on les compare avec les grandes entreprises ou avec les PME-PMI d’autres pays de l’Union européenne. Ceci tient à divers facteurs : ainsi les petites et moyennes entreprises françaises sont souvent des entreprises familiales qui ont été créés avec peu de capitaux, qui ont été encouragées plutôt à s’endetter qu’à renforcer leurs fonds propres – par exemple par des dispositions fiscales comme la déductibilité des charges d’intérêts et la non déductibilité des dividendes. Je considère, à l’inverse, que l’accroissement de l’autofinancement n’a pas été suffisamment encouragé, soit par la diminution du coût des ressources empruntées, soit par l’allégement des charges.

Je souhaite créer un environnement financier favorable en développant l’épargne de proximité, les dispositifs de cautionnement et la garantie, et des organismes spécifiques de capital-risque. Plusieurs mesures sont à l’étude comme la défiscalisation des bénéfices réinvestis ou le rôle à jouer par les collectivités locales en matière de garanties, etc.

Je rappelle qu’un effort exceptionnel vient d’être engagé avec les mesures du collectif de juin dernier par la baisse des charges pour les salariés embauchés avec un salaire entre 1 et 1,2 SMIC et le nouveau contrat initiative-emploi qui permet d’alléger de 40 % le coût du travail pour un salarié payé au SMIC.

Patrons : Les PME-PMI sont encore considérées comme des entreprises « artisanales », la fragilité des marchés, la contrainte pesante des banques… font que même l’ENA n’envoie pas ses stagiaires en petite et moyenne entreprise. Quelle stratégie adopterez-vous pour réhabiliter l’image ?

Jean-Pierre Raffarin : Permettez-moi de m’étonner de l’association que vous faites entre d’une part, l’image à réhabiliter des PME, et d’autre part, l’entreprise artisanale ! Le ministre des PME, du commerce et de l’artisanat que je suis ne peut que vous confirmez que l’image de l’entreprise artisanale, de la très petite entreprise et très bonne ! La très petite entreprise, en tant que réservoir d’emplois, en tant que gisement d’activité, émerge avec force : son rôle économique constitue une nouvelle donne à un moment où toutes les études prospectives mettent clairement en évidence le fait que les grandes entreprises ne développeront pas d’emplois dans les années à venir. Dans le même temps, le rôle social de la petite entreprise s’affirme, de plus en plus, en tant que vecteur d’aménagement du territoire ou encore comme école de formation et d’insertion.

Le plan « PME et Artisanat » que le Premier ministre présentera en novembre constituera, j’en suis convaincu, une réponse claire du Gouvernement aux questions que se posent les chefs d’entreprises en matière de développement des PME.

On ne peut pas mettre mieux en valeur l’importance que le Gouvernement accorde à celles-ci dans le dispositif général de lutte pour l’emploi. Il appartiendra ensuite aux petites et moyennes entreprises de répondre favorablement aux dispositions présentées dans le Plan. J’espère qu’elles le feront savoir et qu’elles contribueront ainsi à réduire ce déficit de communication et d’image que vous citez.

Patrons : « Plan emploi », « plan logement », « plan PME-PMI ». Ce Gouvernement qui se définit comme libéral ne devrait-il pas laisser « libres » les entreprises, au lieu de leur imposer des oukases gouvernementaux ?

Jean-Pierre Raffarin : Ne vous laisser pas abuser par le mot « plan » ! Il ne s’agit plus d’asséner les « ardentes obligations » du passé de la rue de Martignac ! Le « Plan PME » est dispositif qui vise précisément à simplifier la vie des entreprises en réduisant les contraintes excessives qui pèsent sur leur fonctionnement et en améliorant les services et les procédures destinés à les accompagner dans leur développement : que ce soit au niveau des subventions et formulaires administratifs, que ce soit au niveau de l’allégement des charges ou à celui des conditions de financement, les mesures que nous préconiseront visent toutes à libérer au mieux le dynamisme des petites et moyennes entreprises.

Patrons : Trois millions de chômeurs au moins, et pourtant les patrons de PME-PMI ne trouvent pas de personnel qualifié. Les diplômes « manuels » (CAP…) sont considérablement dévalorisés et difficilement adaptables au marché du travail. Quelle politique allez-vous préconiser pour relever ce défi et faciliter une embauche utile ?

Jean-Pierre Raffarin : Nous touchons là un des problèmes les plus complexes que connaissent nos sociétés industrielles modernes. L’évolution sur la longue durée de l’emploi montre une baisse constante des emplois agricoles et industriels insuffisamment compensés par une hausse également constante des emplois de service (services d’aides à la production au sens large pour 75 %, et services marchands aux particuliers pour 25 %). Cette tendance influe indéniablement sur les jeunes et contribue à les détourner des métiers de l’artisanat et de l’industrie considérés comme « peu porteurs ».

Paradoxalement, nous avons constaté que certains jeunes, bacheliers ou titulaires de DEUG seraient même découragés de réorienter leur formation pour apprendre un métier, du fait même des conditions d’obtention d’un CAP ou d’un brevet professionnel qui supposent une formation d’une durée minimum de trois ans. Il y a là, pour moi, un sujet de discussion avec mes principaux partenaires en matière de formation et en particulier mes collègues François Bayrou pour l’éducation et Jacques Barrot pour la formation professionnelle.