Texte intégral
Date : 8 septembre 1995
Source : La Lettre de la Nation Magazine
La Lettre de la Nation Magazine : Pourquoi Pékin a-t-elle été choisie pour accueillir la conférence des femmes de l’ONU ?
Colette Codaccioni : Chacune des conférences de l’ONU sur les femmes s’est déroulée sur un continent différent : Mexico en 1976, Copenhague en 1980 et Nairobi en 1985. Cette quatrième conférence devait avoir lieu en Asie. Or, la Chine a été la seule candidate. Je suis bien sûr sensible à la situation délicate des droits de l’homme et de la femme en Chine mais je suis convaincue que c’est justement en organisant cette conférence sur ce territoire que l’on peut faire bouger les choses. Cette conférence est une chance pour les Chinoises.
La Lettre de la Nation Magazine : Qu’attendez-vous de cette conférence ?
Colette Codaccioni : Ce genre de conférence mobilise et sensibilise la communauté internationale. Pékin est dans la lignée des conférences mondiales de Vienne en 1993 sur les droits de l’homme, du Caire en 1994 sur la population et le développement ou encore de Copenhague cette année pour le développement social. Ce que je souhaite donc, en premier lieu, c’est qu’il y ait une progression dans l’exigence des résolutions qui sont adoptées à chacune de ces rencontres. Tout retour en arrière est bien sûr à proscrire.
En second lieu, le but de cette conférence de Pékin est de développer la capacité des femmes à se promouvoir. Nous devons nous mettre d’accord sur une plate-forme d’action mais la discussion achoppe pour le moment sur plusieurs points. Je vais donc défendre avec beaucoup d’acharnement les principes qui me paraissent essentiels pour assurer la promotion de la femme.
La Lettre de la Nation Magazine : Quels sont ces principes ?
Colette Codaccioni : Il faut d’abord faire comprendre à tous les pays que le mot égalité s’impose quand il s’agit des droits des hommes et des femmes. En France, cette égalité juridique existe ; dans de nombreux autres pays, elle est laissée de côté au profit de l’équité, qui a bien sûr beaucoup moins de force.
Ensuite, nous devons nous battre pour que la femme puisse choisir en toute liberté son mode de vie, professionnelle comme familiale.
Les femmes doivent également avoir la maîtrise de leur destin. Dans de nombreux pays, elles sont encore considérées comme des mineures. Les droits des femmes sur leur propre corps, la maîtrise de leur fécondité, l’accès au savoir des jeunes filles sont autant d’enjeux primordiaux. J’insisterai particulièrement sur ce dernier point qui m’apparaît essentiel. Dans l’évolution des droits de la femme en France, l’impact de l’éducation a été prodigieux.
Enfin, un vrai partenariat hommes-femmes dans la vie publique ou privée doit être instauré.
Je voudrais souligner que si nombre de pays sont très en retard sur la France, cette dernière a également encore beaucoup de progrès à faire, surtout en termes d’égalité professionnelle ou politique. C’est d’ailleurs pour cette raison que je vais installer en France un Observatoire de la parité hommes-femmes, chargé de mesurer la progression vers l’égalité effective des sexes dans divers domaines.
La participation de Mme Chirac à la conférence est aussi un signe fort de la volonté de la France de faire progresser l’égalité entre les sexes, dans notre pays comme dans le reste du monde.
Date : 26 septembre 1995
Source : Le Figaro
Le Figaro : La création d’un Observatoire de la parité hommes-femmes n’est-elle pas l’aveu de l’échec de l’égalité des sexes ?
Colette Codaccioni : Non seulement ce n’est pas un échec, mais c’est la preuve que nous avançons dans l’application du droit. L’Observatoire de la parité, qui sera composé de dix-huit personnes, hommes et femmes, sera une instance consultative qui complétera fortement le dispositif « Droit des femmes » déjà existant. Lorsque j’étais déléguée régionale à la Condition féminine, en 1986, je pensais que l’idéal serait qu’un ministère à la Condition féminine n’existe plus. Il est vrai que depuis 1985, qui a consacré l’égalité hommes-femmes, les féministes disent que leurs filles ont laissé retomber le soufflé, car elles n’ont plus rien à revendiquer. Aujourd’hui, tout est dans la loi. Il n’y a plus qu’à appliquer les textes.
Le Figaro : Les dernières données du rapport mondial sur le développement humain classent pourtant la France au 31e rang en ce qui concerne la participation des femmes à la vie publique…
Colette Codaccioni : C’est vrai. Nous n’avons que 6 % de parlementaires, et les femmes ont encore des salaires de 15 à 20 % inférieurs à ceux des hommes à poste égal. Mais il y a dix ans on était à 30 % : on progresse lentement. Il s’agit de prendre des mesures concrètes, mais aussi de faire évoluer les mentalités, pour qu’une femme puisse dans un couple accéder à la formation et à des responsabilités politiques. Il y a bien des « décharges » syndicales dans les entreprises, pourquoi pas des « décharges » politiques ? La solution est de prendre des dispositions qui profitent aux deux sexes. Ce peut-être un « contrat pour la mixité de l’emploi », permettant à une entreprise qui compte 80 % d’hommes d’embaucher des femmes en étant exonérée. Ce peut être des modifications ergonomiques concernant des postes typiquement masculins. Alléger un travail physiquement dur profite aux hommes comme aux femmes.
Le Figaro : Lois ou pas, les femmes continuent à assumer au moins deux journées de travail quotidiennement…
Colette Codaccioni : Et même trois, si on leur concède le temps de s’occuper d’elles. On compte que là où un homme travaille 39 heures par semaine professionnellement, plus quelques heures d’aide à la maison, une femme fait 72 heures de besogne effective, maison et carrière confondues. Mais je crois plus à l’évolution des mentalités qu’à la contrainte, comme en Suède où celui des deux conjoints qui n’a pas pris le congé parental à la naissance d’un enfant est légalement obligé de s’arrêter de travailler un mois pour aider l’autre.
Le Figaro : La conférence de Pékin a-t-elle modifié la vision que vous avez de la parité hommes-femmes dans le monde ?
Colette Codaccioni : J’ai été éblouie par le dynamisme des femmes africaines, mais si l’on avait discuté de la parité hommes-femmes à Pékin, ce serait une merveille ! Les pays musulmans, en particulier, n’en sont pas là. Ils parlent d’« équité », qui est une notion très subjective. Ils considèrent par exemple qu’il est équitable que la femme soit considérée comme une incapable mineure.
Le Figaro : La VIIe Journée nationale pour l’enfance maltraitée est un autre gros dossier. Le chiffre de 54 000 enfants en danger en 1994 en France prouve-t-il que plus de détresses sont découvertes ou que plus d’enfants sont maltraités ?
Colette Codaccioni : Depuis que cette journée a été instaurée en 1988, on détecte et prévient beaucoup mieux les cas de violences physique, abus sexuels, négligences lourdes et cruauté mentale dont les enfants sont victimes. Ma conviction est qu’en parler c’est déjà agir. Le plus grand espoir est permis lorsque l’on constate que les enfants appellent massivement au numéro vert d’Allo Enfance maltraitée. Ils savent donc maintenant, grâce aux plaquettes distribuées aux professeurs et intervenants multiples, identifier leur problème et demander de l’aide. On ne peut aller pour l’instant plus loin juridiquement que la loi de 1989 et la Convention des droits de l’enfant. Mais l’expérience que j’ai constatée de mineurs élus à des conseils généraux d’enfants repérant et signalant leurs camarades maltraités est encourageante.
Date : 18 octobre 1995
Source : Le Figaro
Venant presque clore ce XXe siècle, la Conférence mondiale sur les femmes qui s’est tenue à Pékin nous invite à quelques réflexions sur la place des femmes dans la société.
Dans l’espace, c’est l’extrême diversité des situations de droit et de fait, c’est partout une infériorité des femmes par rapport aux hommes. Dans le temps, c’est un progrès considérable mais inégal ; ce sont des luttes et des victoires, mais aussi des retours en arrière ; ce sont des débats, des lois et surtout de formidables évolutions de comportements, mais encore des inégalités, des attentes et peut-être un renouvellement du débat. Ainsi, les guerres ont vu l’arrivée massive de femmes dans les usines, les bureaux. Les après-guerres ont généralement vu le reflux des femmes à la maison. De même, le rôle qu’ont pu avoir les femmes dans les conflits de « libération nationale » a le plus souvent été suivi par un retour au statu quo ante.
De ce constat, une première leçon peut être tirée : il ne suffit pas de prouver par les faits que les femmes peuvent remplir le rôle des hommes pour qu’elles les conservent. Si nécessité fait loi, dans des circonstances « normales » les obstacles juridiques et psychologiques reprennent tout leur poids.
Alors, une deuxième observation est nécessaire : celle de l’importance du rôle des pouvoirs publics qui, loi après loi, ont introduit dans le droit des principes de liberté et d’autonomie, d’égalité et de promotion, de protection et de dignité pour les femmes.
Mais le rôle des pouvoirs publics ne peut être réduit à celui de producteur de normes juridiques.
Au XXe siècle, les femmes ont conquis des nouveaux modes d’exercice de leur liberté. L’égalité, sinon en droit au moins en fait, reste une conquête qui devra gagner le XXIe siècle.
Lorsque, en Inde et en Chine, les femmes n’ont pas le droit de vivre parce qu’elles sont de sexe féminin : lorsque, ailleurs elles n’ont pas droit à l’accès à l’éducation, à la connaissance, au savoir, lorsque la liberté de vivre selon leur choix leur est refusée, lorsque leur vie dépend d’autrui, lorsque la liberté de parole leur est refusée, alors nous, les femmes françaises, nous nous devons d’être solidaires de leur combat.
L’épanouissement des femmes partout dans le monde, non pas sur le mode d’un féminisme sectaire et dépassé, mais dans une vision de toute la dimension, la diversité et la richesse de la femme : femme d’abord, mais aussi épouse, mère, femme travaillant à l’intérieur ou à l’extérieur du foyer, investie dans la vie sociale et politique. C’est le combat qui s’ouvre pour le XXIe siècle.
Loin de laisser Pékin sans conséquence, le gouvernement français a décidé de mettre en place, le 19 octobre, un observatoire de la parité homme-femme.
Pourquoi un nouvel observatoire, va-t-on dire ?
Parce que la situation des femmes en France est à la fois enviable et insatisfaisante. Enviable, parce que la France a désormais un dispositif législatif et réglementaire qui devrait assurer aux femmes une véritable égalité.
Insatisfaisante, parce que la place des femmes dans notre société ne reflète pas le rôle majeur qu’elles y jouent au quotidien.
À Pékin, lors de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, j’ai beaucoup insisté sur la nécessité d’instaurer une véritable égalité entre les hommes et les femmes, non pas en prenant uniquement des mesures spécifiques aux femmes, mais en réorganisant le monde du travail et permettant aux hommes comme aux femmes de concilier vie professionnelle et vie familiale.
L’observatoire aura pour mission de proposer des réponses concrètes à la mise en place d’une vraie égalité des hommes et des femmes dans tous les domaines.
Il faut sortir d’une approche simpliste et idéologique des droits de la femme comme revendications par rapport à l’homme. Nous ne sommes plus dans une logique de conflit et d’opposition. Les femmes, qui sont aujourd’hui entrées massivement dans le monde du travail, dont les lois ont été régies par des hommes, peuvent, par leur regard souvent plus pratique, plus concret que les hommes, apporter des réponses novatrices aux nouveaux enjeux de notre société moderne : la gestion du temps, la lutte contre le chômage, la conciliation entre la vie familiale et privée et la vie professionnelle.
Ce n’est pas par la contrainte, comme par les quotas, que l’on valorisera les femmes, bien au contraire. Toutefois, en valorisant des réalisations concrètes dans les entreprises ou ailleurs, pour améliorer le sort des femmes, c’est aussi la condition des hommes qui en bénéficiera. La société tout entière y gagnera.