Extraits d'une déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, publiés dans "La lettre de la fondation Jean-Jaurès" en décembre 1998, sur la richesse représentée par la diversité culturelle européenne et sur la nécessité de développer les programmes culturels européens, Paris le 14 novembre 1998.

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Circonstance : Rencontres "Europe, la force de la culture" de la Fondation Jean-Jaurès au Palais de l'Unesco, à Paris le 14 novembre 1998

Média : La Lettre de la fondation Jean Jaurès

Texte intégral

L'intitulé de ces rencontres : « L'Europe, la force de la culture », résolument positif, sonne clairement. Permettez-moi de vous dire d'emblée que je partage cet optimisme. Pour ma part, je voudrais insister sur l'importance que j'attache à l'Europe de la diversité culturelle… L'Europe de la diversité culturelle, c'est une Europe riche de la variété de ses patrimoines, de ses langues, de ses créateurs, mais c'est aussi un modèle culturel alternatif. Sous ces deux facettes, l'Europe peut être un modèle puissamment attractif, qu'il convient de défendre et de développer.

* Un modèle culturel alternatif

… Personne, à l'évidence, ne saurait militer en faveur d'une uniformisation des cultures européennes. Ce sont ses différences qui fondent la richesse de l'Europe, dans la variété de ses paysages, de ses climats et des peuples, de ses traditions, de ses approches de la modernité… Il suffit de voyager, de visiter nos musées, de feuilleter nos libres d'histoire : la richesse de la diversité de nos patrimoines est exceptionnelle…

La diversité de nos langues elle-même se révèle de plus en plus un atout et non une charge…

La densité des emplois culturels est l'une des expressions de ce dynamisme. Une récente étude de la Commission européenne établit que les différents secteurs culturels représenteraient 3,5 millions d'emplois directs, soit 2 % des emplois de l'Union européenne, ce qui est plus que le secteur des industries agro-alimentaires…

La diversité culturelle européenne est donc un potentiel exceptionnel dont il faut bien prendre conscience. Nous pouvons certainement encore mieux l'exploiter, sans complexe, sans prétendre gommer nos différences, ou encore moins vouloir imiter d'autres modèles culturels. C'est particulièrement vrai dans le domaine audiovisuel, pour la création de films ou d'émissions de télévision, mais ça l'est tout autant à l'échelle de l'ensemble de notre société.

L'Europe de la diversité culturelle, c'est aussi, je le disais d'emblée, un modèle culturel alternatif… Ce modèle attractif, il convient de savoir le défendre et le développer, en menant une véritable et audacieuse politique culturelle et audiovisuelle européenne, tout en préservant les politiques nationales et européennes conduites dans ce domaine…

* Les premiers balbutiements

Les objectifs d'une politique culturelle européenne forte ne sauraient souffrir d'ambiguïté. Il ne s'agit en aucun cas de raboter les diversités culturelles nationales ou régionales, de tendre vers ce qui serait une uniformisation culturelles européenne. Il s'agit, au contraire, dans le respect de ses diversités, de faire progresser le sentiment commun d'appartenance à l'Union européenne, de multiplier les coopérations et les échanges, de soutenir la création et de renforcer l'accès du public le plus large à la culture.

Or, dans ce domaine, l'Union européenne n'en est encore qu'au stade des premiers balbutiements. Le traité de Rome, on le sait, n'abordait pas le secteur de la culture, et il a fallu attendre le traité de Maastricht pour qu'une compétence européenne soit prévue dans ce secteur. Depuis, trois programmes culturels, faiblement dotés, se sont laborieusement mis en place.

Il devrait néanmoins y avoir une progression sensible par rapport aux programmes actuels et ce nouveau programme-cadre, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2000, devrait en corriger les défauts les plus lourds, en décloisonnant les disciplines, en améliorant les effets structurants et en réduisant la dispersion des financements grâce au soutien apporté à des accords de coopération pluriannuels…

Le développement des réseaux européens d'opérateurs culturels va dans le bon sens, en permettant aux professionnels de plusieurs pays européens de mieux se connaître et de travailler ensemble.

Dans le domaine audiovisuel, la politique européenne, bien qu'un peu plus développée, est également largement insuffisante. Les enjeux sont considérables et la constitution d'un secteur audiovisuel européen, à même de répondre aux défis qui lui sont lancés, nécessite une politique volontariste qui dispose de moyens appropriés.

À la suite de la conférence de Birmingham qui s'est tenue en avril dernier, de nouvelles propositions sont étudiées pour permettre de renforcer les soutiens à la production et à la distribution, tout en préservant le rôle des télévisions publiques et en s'apprêtant à répondre aux conséquences des nouvelles évolutions technologiques.

* La dimension culturelle dans les politiques de l'UE

La demande de programmes et de contenus audiovisuels est en constante progression. Nous devons pouvoir y répondre en mobilisant les moyens nécessaires et en utilisant l'atout majeur que constitue la diversité culturelle européenne.

Comme le prévoient expressément les textes, l'Union européenne doit par ailleurs mieux tenir compte des aspects culturels dans l'élaboration des différentes politiques. C'est particulièrement vrai pour les fonds structurels, qui représentent des sommes considérables, et qui devraient pouvoir davantage être mis au service d'objectifs culturels, comme pour les politiques menées en matière de fiscalité ou de concurrence. Je dois ainsi me battre, avec notamment mes collègues allemand et autrichien, pour que le prix unique du libre ne soit pas remis en cause au nom des règles de la concurrence… L'union européenne a su intégrer dans la plupart de ses politiques l'objectif de la préservation de l'environnement et celui de l'égalité entre les sexes. Dans chacun des programmes qu'elle adopte, elle vérifie que ces deux objectifs sont bien pris en compte dans la mesure du possible. Je voudrais que l'objectif du développement culturel acquière le même statut, et oriente à l'avenir l'ensemble des politiques de l'Europe.

L'Union européenne peut donc, et doit, contribuer à la mise en place de cette Europe de la diversité culturelle que j'appelle de mes voeux. Mais encore faut-il que les politiques mises en place, au niveau culturel comme au niveau européen, ne puissent pas se trouver remises en cause sur le plan international (AMI, OMC…). L'élargissement de l'Union européenne est une chance à saisir pour la progression de l'Europe de la diversité culturelle. Dans quelques mois, mon ministère organisera une grande rencontre sur le thème de « L'Europe et la culture, dix ans après la chute du mur ». Nous aurons alors l'occasion de poursuivre notre réflexion sur les problématiques que nous examinons ensemble aujourd'hui.