Interviews de M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des PME du commerce et de l'artisanat, dans "Le Journal du dimanche" le 6 août 1995 et "Le Figaro" le 19 septembre, sur le projet de nouvelle règlementation d'urbanisme commercial pour l'implantation de grandes surfaces, à intégrer dans le "plan PME".

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Signature du décret portant création de l'Observatoire national d'équipement commercial (ONEC) le 18 septembre 1995

Média : Le Journal du Dimanche - Le Figaro

Texte intégral

Le Journal du Dimanche : La priorité pour l'emploi décidée par le gouvernement ne va-t-elle pas pénaliser les grandes surfaces ?

Jean-Pierre Raffarin : Dans les semaines qui viennent, nous allons installer l'Observatoire national de l'équipement commercial. Il gérera tout un dispositif d'études d'impact afin de mesurer les effets de création mais aussi de destruction d'emplois que peut entraîner l'ouverture de telle ou telle grande surface. Je souhaite par ailleurs favoriser le dialogue et demander aux distributeurs qu'ils formulent des propositions sur cinq objectifs : l'emploi net (les créations et les destructions), l'aménagement du territoire (les espaces ruraux, les cœurs de ville et les quartiers difficiles), l'environnement (les entrées de villes), le commerce extérieur, et bien sûr, les relations avec les petites et moyennes entreprises. Mais, je pense que la distribution a compris que la politique de changement voulue par le président de la République la concernait au premier chef.

Le Journal du Dimanche : Concrètement, quelles seront les obligations des grandes surfaces ?

Jean-Pierre Raffarin : Pour le moment, nous n'en sommes pas aux obligations, nous cherchons à bâtir un « programme d'intérêt national de maîtrise des surfaces ». Je suis ouvert à toute proposition des professionnels qui irait en particulier dans le sens de la politique de l'emploi et de la lutte contre la fracture sociale. Pour tout projet de centre commercial de redynamisation du centre-ville ou de développement en milieu rural, les effets nets pour l'emploi devront désormais être analysés.

Le Journal du Dimanche : Cela veut-il dire qu'à terme, on diminue le nombre de créations de grandes surfaces ?

Jean-Pierre Raffarin : Cela veut dire qu'à l'avenir, les créations seront très rigoureusement maîtrisées et que notre politique sera une politique de fermeté fondée sur les cinq objectifs prioritaires que je viens de définir. Dans le passé, la légitimité des grandes surfaces a été acquise par la maîtrise des prix. Dorénavant, elle s'obtiendra par la citoyenneté, c'est-à-dire par la conscience de l'intérêt général, et notamment la mobilisation pour l'emploi. Nous souhaitons donc le pluralisme de la fonction commerciale et un meilleur équilibre entre les différentes formes de distribution. Il faut éviter toute dérive qui conduit à des excès de pouvoir et de domination des uns sur les autres. Ainsi, par exemple, les boulangers ont besoin de notre soutien pour défendre l'identité artisanale de leur métier.

Le Journal du Dimanche : Quant aux autorisations d'ouverture de grandes surfaces, une affaire comme celle d'Auchan est-elle encore possible ?

Jean-Pierre Raffarin : Les affaires font référence à une situation qui a été modifiée par la loi du 29 janviers 1993. Grâce à ce texte, les autorisations d'ouverture de grandes surfaces sont désormais accordées par une commission nationale indépendante, la Commission nationale d'équipement commercial. Dans l'avenir, l'Observatoire de l'équipement commercial et le programme d'intérêt national seront des outils d'aide à la décision pour la commission. Chose importante, le pouvoir de recours au ministre a été supprimé. Auparavant, le ministre avait le dernier mot et certains ont même signé des autorisations d'implantation… la veille de leur départ. Maintenant, c'est heureusement impossible.

Le Journal du Dimanche : Les PME-PMI attendent beaucoup du gouvernement, que leur préparez-vous ?

Jean-Pierre Raffarin : Déjà, dans son plan emploi, Alain Juppé a tenu à ce qu'un volet spécifique favorise les PME. Une grande réforme sera présentée mi-novembre : le plan PME et artisanat sera un temps fort de la nouvelle dynamique économique que nous souhaitons impulser pour ce septennat. Un « bonus PME » doit être affirmé avec avantages à la clé. Ma conviction est qu'il n'y a aucune raison que les dispositifs fiscaux, sociaux et légaux des grandes surfaces s'appliquent systématiquement aux petites et moyennes entreprises. Les PME ont besoin d'une reconnaissance nationale du rôle qu'elles jouent pour l'emploi. Grâce aux 800 000 entreprises artisanales françaises de véritables réservoirs d'emplois existent. Ces chefs d'entreprises ont donc besoin de sentir qu'ils ont une place prioritaire et spécifique dans l'économie nationale. Dernier exemple en date du bonus PME : les commerçants qui ont moins de 5 millions de chiffre d'affaires seront dorénavant exonérés de la contribution sociale de solidarité.

Le Journal du Dimanche : Quelles nouveautés encore pour les PME ?

Jean-Pierre Raffarin : Nous avons déjà fait un effort pour l'allégement des charges et l'accès au crédit. Nous allons poursuivre en facilitant la transmission d'entreprise. Nous travaillons ainsi à un meilleur dialogue entre les PME et leurs banquiers. On me signale sur le sujet de nombreuses incompréhensions. Quant à l'allégement des procédures, je vous donne un exemple : au 1er janvier 19965, nous allons supprimer, avec la déclaration sociale unique, 28 millions de formulaires. Actuellement, il y a jusqu'à cinq déclarations sociales à faire par entreprise. Or, dès le début de l'année prochaine, toutes ces informations seront rassemblées dans une seule déclaration. On va ainsi passer de 36 millions de formulaires à 8 millions seulement. L'impôt-formulaire sera ainsi concrètement allégé.


Le Figaro  : 19 septembre 1995

Le Figaro : Comment va s'intégrer le programme de maîtrise des surfaces commerciales par rapport aux deux projets annoncés pour l'automne : le plan PME et la réforme du droit de la concurrence ?

Jean-Pierre Raffarin : Ce plan sera présenté par le Premier ministre courant novembre. Il comportera des dispositions financières, fiscales, sociales et commerciales. Avec nos partenaires, nous discutons de la possibilité d'y intégrer de nouvelles règles d'urbanisme commercial et de relations interentreprises.

Le Figaro : Que préparez-vous comme alternative au quasi-gel des grandes surfaces ?

Jean-Pierre Raffarin : Nous sommes depuis cet été en consultation avec les professionnels. Il n'est pas question de dégel. Nous préparons un programme d'intérêt national pour la maîtrise des surfaces commerciales. Je sais qu'un Livre blanc de la grande distribution est en préparation. Au début de l'année 1996, les règles devront être claires et respectées.

Le Figaro : Sur quel point comptez-vous modifier la règle du jeu ?

Jean-Pierre Raffarin : Dans un premier temps, nous ferons respecter les règles existantes. Par exemple, l'obligation de déposer une demande devant la commission départementale d'équipement commercial lorsque de nouvelles enseignes comptent ouvrir. Le problème se pose aujourd'hui à Toulouse avec Ikea et à Bron avec Décathlon. La profession doit savoir que nous appliquerons dans ce cas les dernières décisions du Conseil d'Etat et la règle du délai maximal de deux ans (au terme duquel une autorisation préalable est à nouveau nécessaire) dans le cas d'une fermeture.

Par ailleurs, j'ai signé hier le décret de création de l'Observatoire national d'équipement commercial (Onec). Installé en octobre, il sera présidé par Dominique de La Martinière, inspecteur général des Finances et élu local. Cette institution a un triple rôle : établir une expertise de l'emploi net dans le commerce (création/destruction) ; donner une vision nationale de l'appareil commercial en harmonisant les expériences départementales d'urbanisme ; enfin, être une force de proposition pour le gouvernement, notamment en ce qui concerne les études d'impact.

Le Figaro : Quel sera son rôle par rapport à l'autre institution nationale spécialisée, la Commission nationale d'équipement commercial (Cnec) ?

Jean-Pierre Raffarin : L'Onec, autorité morale et instance indépendante, éclairera à la fois le gouvernement et la Commission nationale d'équipement commercial qui restera, bien sûr, souveraine sur les décisions des commissions départementales. Ce décret était très attendu des professionnels.

Le Figaro : Quel sera le contenu du programme d'intérêt national de maîtrise des surfaces commerciales ?

Jean-Pierre Raffarin : La discussion est ouverte. Les problèmes du commerce, aujourd'hui, ne se résument pas à la seule question des grandes surfaces. Le moment est venu de faire un « check-up » du commerce français. Le programme d'intérêt national permettra aux professionnels du commerce d'adapter leur stratégie en fonction des cinq priorités nationales proposées par le gouvernement : l'emploi net, les relations avec les PME, l'aménagement du territoire, l'environnement et la balance commerciale. Globalement, il y a deux options : l'une qui consiste à établir une charge d'orientation adoptée de manière solennelle qui guiderait les décideurs de l'urbanisme commercial (Cdec et Cnec) en exposant ce que le gouvernement attend de la distribution. L'autre option, plus exigeante, est de se doter d'un nouveau dispositif législatif qui réformerait la loi Royer, avec par exemple la baisse des seuils, l'élargissement des études d'impact.

Le Figaro : Les réactions du secteur, qui se voit reprocher son excès de performance, expliquent-elles le temps pris à boucler cette réforme ?

Jean-Pierre Raffarin : Non, nous prenons le temps de discuter. Je rejette tout intégrisme et ne souhaite pas opposer les catégories d'entreprises les unes aux autres. Il ne faut pas créer de tensions supplémentaires. La grande distribution sait, quand elle le veut, nouer de bonnes relations commerciales avec les PME au plan local. Je salue ses performances à l'étranger, qu'il s'agisse de Carrefour dans le monde, Leclerc en Pologne ou du Printemps à Shanghai. Je voudrais généraliser les bonnes pratiques et chasser les mauvaises. Par exemple, dans le combat que je mène actuellement avec les boulangers pour promouvoir ce métier, il faut nous attaquer aux prix anormalement bas. Cela concerne aussi bien d'autres professions.

Certaines promotions commerciales ne sont en réalité que des promotions du chômage. Aujourd'hui, notre économie a besoin que la distribution envisage des actions de réforme.

Elle doit mesurer la position de nombreux parlementaires à son égard, savoir que l'aspiration du pays au changement la concerne également. Il s'agit d'engager la distribution dans l'effort national contre la fracture sociale.