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La Croix : Quelles sont les règles ?
Marc Blondel : Que toutes les cotisations soient effectivement encaissées. Or, certains types de rémunérations échappent à la cotisation et l’État ne rembourse pas, chaque année, 15 milliards d’exonérations de cotisations patronales. Par ailleurs, la dette cumulée des entreprises atteint 90 milliards.
La Croix : Que l’État prenne bien à sa charge tout ce qui relève de la solidarité nationale. Pour la seule assurance maladie, ce sont ainsi 50,3 milliards de francs qui ont été indûment supportés par le régime général en 1994, 83 milliards pour l’ensemble du régime général.
Une clarification des comptes s’impose donc si l’on veut effectivement pérenniser la Sécurité sociale.
Cette clarification devra déboucher sur une clarification des responsabilités permettant aux gestionnaires d’avoir une autonomie plus grande.
Par ailleurs, il appartiendra aux pouvoirs publics (gouvernement et Parlement à de choisir l’impôt à utiliser pour assurer la réaffection au budget de l’État de charges qu’il aurait, soulignons-le, toujours dû supporter. C’est à ce niveau qu’une réforme fiscale s’imposera, qu’une meilleure connaissance des revenus non salariaux est indispensable, que le capital et le travail soient équitablement imposés, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Une telle démarche à un triple mérite :
- mettre chacun devant ses responsabilités ;
- permettre un droit universel à la couverture sociale en permettant aux intéressés (salariés – non-salariés) de pouvoir gérer leurs régimes respectifs ;
- avoir une vision claire du dossier hors des affirmations de principe sur le déficit ou le trou.
À l’opposé, certains proposent une fiscalisation du financement de la Sécurité sociale. L’impôt remplacerait la cotisation.
Motif : la cotisation pénaliserait l’emploi et alourdirait le coût du travail. Cela ne tient pas. Non seulement le coût du travail en France est très compétitif mais on peut constater que les nombreux allégements de cotisations patronales d’ores et déjà mis en place, n’ont pas diminué le chômage. Il n vient pas ailleurs, à personne l’idée selon laquelle, à recette constantes, si les salaires étaient plus élevés, les cotisations pourraient être plus faibles !
Argument : l’impôt serait plus juste car il ferait participer tous les types de revenus.
Cela ne tient pas plus. On voit déjà qu’avec la CSG les revenus directs et différés du travail en supportent l’essentiel, avec 86 %.
Par ailleurs, il faudrait que tous les types de revenus soient effectivement connus. Pour le seul impôt sur le revenu, on évalue la fraude annuelle à 90 milliards de francs. Or, les salariés n’ont pas la possibilité de frauder !
En fait, avec un système fiscalisé, les salariés non seulement verraient leur salaire différé amputé, mais ils paieraient encore plus qu’aujourd’hui.
La cotisation ouvre des droits. L’impôt est un devoir.
Obligation : il faut réduire les déficits publics et sociaux.
À partir du moment où le déficit de l’État est beaucoup plus important que celui présumé de la Sécurité sociale, que l’austérité budgétaire est encore d’actualité, comment croire que l’impôt permettrait, globalement, de maintenir le niveau de la couverture sociale ? Il suffit d’ailleurs, avec le principe de l’annualité budgétaire, que les pouvoirs publics décident d’affecter telle recette fiscale plutôt à la défense nationale qu’à la protection sociale, pour créer des problèmes : rappelons-nous l’histoire de la vignette automobile qui devait être destinées aux personnes âgées.
C’est pourquoi la fiscalisation ne serait, en fait, qu’un préalable à une privatisation, au moins partielle, de la Sécurité sociale par appel aux marchés financiers (banques, assurances).
Déjà, on nous parle, par exemple, de fonds de pension.
En quelque sorte, la fiscalisation est le faux nez de la privatisation, c’est-à-dire du développement des inégalités, des exclusions.
De la même manière que la prime d’assurance automobile varie selon l’âge et la catégorie du véhicule, la prime « santé » variera selon l’âge, le mode de vie, voire les antécédents génétiques.
S’opposer à la fiscalisation de la Sécurité social c’est vouloir maintenir une Sécurité sociale structure de solidarité et d’intégration, c’est la bataille pour la dignité et le respect humain.
Déjà pénalisée par le chômage et de salaires insuffisants, la Sécurité sociale st surtout victime d’une politique économique et sociale d’austérité soi-disant imposée par la libéralisation des marchés financiers.
Et c’est au nom de cette même politique qu’il faudrait fiscaliser la Sécurité sociale
Pour Force ouvrière, c’est là un dossier essentiel.
Il appartient aux générations adultes aujourd’hui de savoir léguer à leurs enfants un système basé sur l’égalité, la solidarité, le progrès et garantissant l’individu par l’existence de droits collectifs : c’est cela la Sécurité sociale.