Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie Libérale, à France 2, le 17 janvier 1999, sur les conditions de l'élection de la nouvelle présidente de la région Rhône-Alpes, les divisions de la droite et l'éventualité d'une liste UDF conduite par M. Bayrou à l'élection européenne, le modèle fédéral européen, l'éclatement du Front national, l'affaire des déchets nucléaires allemands, la répression de la délinquance juvénile.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Election d'Anne-Marie Comparini (UDF-FD) à la présidence du conseil régional Rhône-Alpes avec l'apport des voix de la gauche plurielle le 9 janvier 1999

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Michèle COTTA
La délinquance des mineurs a augmenté de 11 % en France en 1998. C'est un phénomène d'ailleurs qui existe un peu partout. En Suisse, un délinquant sur cinq est un mineur. Et l'Angleterre vient d'ouvrir les premières prisons pour jeunes, pour jeunes enfants de 12 à 14 ans. La prévention suffit-elle ? Jusqu'où peut-on aller au contraire dans la répression surtout quand il s'agit d'enfants de plus en plus jeunes ? Ce sera le thème de la deuxième partie de cette émission don Alain  MADELIN est le premier invité que nous allons interroger avec Philippe LAPOUSTERLE de RMC. Alain MADELIN, bonjour d'abord.

Alain MADELIN
Bonjour.

Michèle COTTA
Jacques CHIRAC a demandé hier d’écarter les vaines querelles politiques. Est-ce que, après ce qui s'est passé dans la région Rhône-Alpes entre les centristes et vous-même et le RPR de l'autre côté, est ce que vous vous est senti particulièrement visé par la notion de “vaines querelles” ?

Alain MADELIN
Ecoutez, moi, je suis d'accord avec le président de la République. Ce qui approche les différentes familles de l'opposition est beaucoup plus important que ce qui les sépare. Cela fait des années que je travaille à l’union de l'opposition. J'ai des responsabilités en tant que responsable d'une formation politique, celle des libéraux de Démocratie libérale. Ma première responsabilité, c'est de m'opposer à ce que fait le gouvernement, pas systématiquement - lorsque monsieur ALLEGRE fait ou dit de bonnes choses, je le dis - mais quand même par rapport à ce que j’estime dangereux par rapport à mon pays et l'avenir de nos enfants. Donc, m'opposer. Ma deuxième responsabilité, c'est de proposer c'est-à-dire essayer de dessiner un autre avenir, un espoir pour tous les Français. Je crois que l'espoir des modernes, ce sont plutôt les idées libérales. Je ferme la parenthèse.

Michel COTTA
Dans Rhône-Alpes, on n'a pas eu l'impression que tout ça était en cause.

Alain MADELIN
Et puis, ma troisième, j'y arrive, ma troisième responsabilité, c'est de construire le rassemblement le plus large. Pour les élections municipales, pour les élections législatives qui viennent, on a besoin de tout le monde. Donc, construire ce rassemblement si possible avec un grand projet libéral avec toutes les sensibilités, c'est la tâche à laquelle je me consacre et je n'entends pas dans cette affaire me tromper d'adversaire. Les adversaires, ce sont ceux qui, en ce moment, sont en train de gâcher l'avenir de la France et qui sont au gouvernement. Et je n'entends pas, si certains se sont trompés d'alliance, ce ne sera pas mon cas.

Philippe LAPOUSTERLE
Monsieur MADELIN, est ce que vous reconnaissez un rôle au président de la République ? Est-ce qu'il est l'inspirateur de l’opposition ? Parce que, si j'ai bien compris ce que vous avez dit, c'est à sa table finalement qu’a été mise en chantier la stratégie en Rhône-Alpes.

Alain MADELIN
Non, je ne me serais pas permis de dire cela. J'ai dit simplement que les responsables - on va y revenir d'un mot - les responsables de l'opposition, nous nous étions retrouvés à la table du président de la République. Ce n'est pas un mystère. Cela a été dit dans la presse. Et à l’occasion, a été évoqué entre nous devant le président ce que nous allions faire en Rhône-Alpes.

Michèle COTTA
Il faut bien que ça se passe de temps en temps, non…

Alain MADELIN
Et nous étions d'accord parce qu'il y avait une solution qui était évidente. Si vous voulez, mi-alliance avec l'extrême droite, le Front national, mi-alliance, mi-alliance avec la gauche et l'extrême-gauche. Il y avait en Rhône-Alpes une solution.

Michèle COTTA
Théorique.

Alain MADELIN
Non, pas théorique. C'est d'une solution légale, pratique. Il se trouve que, sortie des urnes, c'est un mauvais scrutin. C'est comme ça. Vous aviez 60/60, exacte égalité. Dans ce cas-là, la loi prévoit non pas le benjamin, elle prévoit que la voix prédominante va au doyen. Donc, on se dit, si monsieur MILLON se retire, si les conditions sont réunies etc. dans ce cas-là, nous devrions faire bloc autour du doyen sans…

Philippe LAPOUSTERLE
Tout le monde était d’accord ?

Alain MADELIN
Oui, tout le monde était d'accord sans alliance…

Michèle COTTA
Mais ce n'est pas ce qu’a dit François BAYROU quand même.

Alain MADELIN
Attendez. Au premier tour, il était normal que, tant que monsieur MILLON était candidat etc. il y ait d'autres candidats. Mais s'il avait la possibilité… reconnaissez que c'était notre engagement “pas d'alliance avec l'extrême droite, pas d'alliance avec la gauche et l'extrême-gauche”. Et d'une certaine façon, le cœur des médias qui adore que l'opposition se divise, qui est ravi de voir que…

Philippe LAPOUSTERLE
L'opposition y met du sien.

Alain MADELIN
Non, mais attendez… mais qui souhaite depuis longtemps un front républicain entre une partie de l'opposition et la gauche et l'extrême-gauche. Le seul fait que ce cœur explique que nous avons eu tort m’incite à penser que nous avons eu raison. Notre solution… il y avait une solution en Rhône-Alpes, ni alliance avec l'extrême droite, ni alliance avec l’extrême gauche. Autour du doyen d’âge, c'était la bonne solution. Et je n'accepte pas la campagne de désinformation qu’il y a eu notamment monsieur STRAUSS-KAHN qui a dit “oui, mais monsieur GASCON, c’était comme monsieur MILLON et puis c'était l'alliance avec l’extrême-droite”, non. Monsieur GASCON est déporté à Buchenwald, résistant.

Michel COTTA
Il avait participé à la majorité quand même.

Alain MADELIN
Son père est mort en déportation. Il avait clairement dit qu'il n'y aurait jamais d'alliance avec le Front national. Et Michèle COTTA, je peux vous dire que, si monsieur GASCON avait du devoir son élection aux voix du Front national, il était convenu entre nous qui démissionne. C'est la raison pour laquelle je crois que la solution de bon sens eût été ni alliance avec l’extrême-droite, ni alliance avec la gauche et l'extrême gauche. C'était possible. Je regrette que, dans cette affaire, on est fait une alliance contre nature. Bien, mais cela étant maintenant, aujourd'hui, je n'entends pas me tromper d'adversaire.

Michèle COTTA
Est-ce que ce qui s'est passé à Lyon, est-ce que cela met en cause l’Alliance ? Est-ce que vous êtes prêt à tourner la page ou est-ce que vous pensez que, de manière durable, les centristes ont voulu faire les yeux doux aux socialistes ?

Alain MADELIN
Je ne dirai pas ça. Mais on a dit, vous l'avez dit, d'autres l'ont dit qu'il y avait besoin d'une preuve d'existence de la nouvelle UDF centriste. Je regrette qu’elle se soit faite contre nous et en connivence avec les socialistes plutôt que contre les socialistes. Vous savez, il y a deux écoles. Il y a l'école qui consiste… pour se faire remarquer dans les médias, c'est très simple, vous dites du mal de vos partenaires et du bien de vos adversaires. Moi, je suis resté à l'ancienne école. Je m'oppose au socialiste et aux communistes et j’essaie de dire autant que faire se peut du bien de mes partenaires.

Philippe LAPOUSTERLE
Est-ce que, politiquement, monsieur MADELIN, vous avez une inquiétude sur l’UDF c'est-à-dire qu'elle verse un jour vers la gauche ? Vous avez une vraie inquiétude politique ou bien… ?

Alain MADELIN
Je ne dis pas cela. Je dis simplement qu'il faut faire attention et que là, il y a un message troublé qui a été envoyé et que si les centristes souhaitaient faire une liste dissidente aux élections européennes, en quelque sorte transformer l’erreur, ce serait un nouveau un mauvais coups donnés à l'union de l'opposition. Cela étant, on verra bien. J'ai le sentiment que ce ne sera pas le cas, qu'il y aura après la pagaille retour au bercail et que bon, maintenant, les conditions peuvent être réunies pourvu que chacun y mette un peu du sien pour se retrouver sur l'Europe. Vous savez, moi, sur l'Europe, j'ai une opinion totalement…

Michèle COTTA
Attendez. On va passer à l'Europe. On a juste une question à poser avant.

Philippe LAPOUSTERLE
Est-ce que monsieur MILLON a une place dans l'opposition encore aujourd’hui ?

Alain MADELIN
Monsieur MILLON a suivi un parcours personnel dans cette affaire. Il s'est retirée au profit du doyen d'âge. Ce n'était pas son candidat. Il a dit lui-même “c'était le candidat des appareils etc.”. Je lui en donne acte. Maintenant, l'avenir de monsieur MILLON, c'est ce que monsieur MILLON en fera.

Michèle COTTA
Juste un mot. Hier, il a demandé dans LE FIGARO, il a dénoncé la cohabitation. Alors est-ce que, vous aussi, vous pensez qu'il faut dénoncer la cohabitation ? Et dans ce cas, comment mettre un terme à la cohabitation ? Par la démission du président ou par celle éventuelle du Premier ministre ? Comment on met un terme à la cohabitation ?

Alain MADELIN
C'est un sujet très difficile. Vous savez, la cohabitation, cinq ans de cohabitation, ça va être long. Et on voit déjà aujourd'hui un peu le président de la République et le Premier ministre prendre leurs marques pour l'élection présidentielle. Je crains qu'il y ait là une situation qui ne soit pas bonne, qui paralyse un peu les affaires de la France et qui ne fasse en sorte que les grandes réformes dont on aurait besoin ne soient pas faites. Le président de la République éclaire l'avenir et il dit “voilà ce qu'il faudrait faire”. Et au fond, tout le monde se marque et tout le monde se paralyse. C'est une situation préoccupante pour l'année 1999.

Michèle COTTA
Mais par lequel il faut bien passer.

Alain MADELIN
Je n'ai pas la solution mais cinq ans de cohabitation, ce n'est pas pareil que deux ans de cohabitation, peut-être qu'il faudra…

Philippe LAPOUSTERLE
Les Français applaudissent, les Français aiment ça.

Alain MADELIN
Oui mais jusqu'au moment où on s'apercevra que les vrais problèmes du pays ne sont pas réglés dans cette situation.

Philippe LAPOUSTERLE
L'élection européenne, monsieur MADELIN. Est-ce qu'il est possible, aujourd'hui dimanche à la mi-journée, souhaitable et dispensable que l'opposition aille unie aux élections européennes et une seule liste de l'opposition républicaine parlementaire ?

Alain MADELIN
Moi, je l’ai souhaité.

Philippe LAPOUSTERLE
Vous l'avez souhaité vous la souhaitez ?

Alain MADELIN
Je l'ai souhaité, je le souhaite toujours.

Michèle COTTA
Vous faites bien de préciser.

Alain MADELIN
Les choses sont claires en ce qui nous concerne. Moi, je suis profondément européen. Je crois que l'Europe, c'est vraiment une chance pour la France et pour les Français et que ça renforce la France et que ça ne l'affaiblit pas, que ça donne des chances de prospérité aux Français qu'il n'aurait pas sans l'Europe. Il y a une Europe dont je ne veux pas, c’est l'Europe d'une sorte de super État bureaucratique, technocratique qui imposerait de loin des réglementations arbitraires aux Français.

Michèle COTTA
Personne n'en veut.

Alain MADELIN. –
Oui mais enfin, il y a un risque de dérive et - là, c'est mon opinion - je crois que les projets sociaux-démocrates pour l'Europe vont plutôt dans le sens de ce super Etat bureaucratique. Nous aurons toute une campagne pour en parler. Je veux l'Europe de tous les Européens. Après la chute du mur de Berlin, c'est une formidable chance de nous retrouver tous les Européens. Et je crois que, si nous sommes tous ensemble, l'Europe, elle change de dimension. Ce n'est pas seulement une Europe économique - Elle est pour l'essentiel faite avec l’euro - mais ce sera une Europe politique, de défense et de sécurité commune bien évidemment mais qu'il nous faudra nous donner des institutions qui nous permettent de vivre ensemble dans l'harmonie. Moi, j'appelle ça des institutions fédérales. Je suis un fédéraliste européen. Et puis, il faudra contrôler démocratiquement ces institutions. Vous voyez, sur ce point, je peux être différent, assez différent du RPR ou d'une partie du RPR. Mais je crois que, néanmoins, ce qui peut m'opposer au RPR sur cette affaire-là est moins important que ce qui nous rapproche. La preuve, c'est que, sur l'Europe dans le passé, dans des gouvernements différents, nous avons gouverné ensemble, UDF, libéraux, RPR et nous avons fait progresser l’Europe.

Michèle COTTA
Si l'UDF fait une liste seule, est-ce que vous la mettrez à la porte de l’Alliance ? Est-ce qu'elle sera mise à la porte de l’Alliance ?

Alain MADELIN
Ecoutez, je n’y crois pas.

Michèle COTTA
Vous n'y croyez pas du tout. Pourtant, les sondages font apparaître que François BAYROU seul…

Alain MADELIN
Ecoutez, moi, je suis persuadé que monsieur François BAYROU n'a pas envie de se compter. Il a un mauvais souvenir, sans doute 1989 où les sondages mettaient une liste centriste conduite par Simone VEIL au zénith et puis, plouf, plouf, plouf dans la campagne électorale parce qu'il y a eu un réflexe. Et là, je crois que le même réflexe jouerait c'est-à-dire que beaucoup de gens se diraient “ce que l'on veut faire, c'est voter pour les gens qui sont sérieux à l'intérieur de l'opposition, qui ont une volonté d'union” à savoir le RPR et les libéraux qui, dans ce cas-là, feraient sans doute une liste ensemble. Donc, je ne crois pas cela. Si cela devait arriver, on n'en ferait pas un drame. Je ne veux pas pour autant briser l'union de l'opposition mais on organiserait l’union de l'opposition autrement. Au lieu d'avoir une opposition organisée de façon unitaire comment on voulait le faire avec l'Alliance, si ça ne marche pas, eh bien, il faudra l’organiser de façon plurielle, à la façon dont, aujourd'hui, la majorité est organisée. Donc, vous voyez, cette volonté d'union, elle est pour ma part inoxydable.

Philippe LAPOUSTERLE
Est-ce que monsieur MADELIN, est-ce que la personnalité de monsieur SEGUIN, son discours passe lui permet d'être chef de cette liste, de la mener ? Et est-ce que c'est, si l’UDF demande son départ de la liste pour que la liste soit plus européenne, est-ce que c'est un argument qu'il faut écouter et prendre en compte ?

Alain MADELIN
Moi, j'écoute toujours les arguments des uns et des autres mais à condition qu'ils ne soient pas dirigée contre une personne et par principe. Il me semble que l'on ne doit pas faire de monsieur SEGUIN une sorte de bouc émissaire pour avoir le plaisir de s'affirmer et que monsieur SEGUIN pourrait être, il faudra voir, mais pourrait être le plus grand rassembleur commun. Faire l'Europe, qu'est-ce que c’est ? Faire l’Europe, c'est chercher à rassembler. Si vous voulez faire progresser l'idée européenne, il faut forcément à chaque instant que vous cherchiez à faire le rassemblement le plus grand y compris avec des gens qui ne pensent pas comme vous. En Europe, lorsque l'on veut progresser, on discute avec des chefs d'Etat, avec des pays qui ont des régimes sociaux extrêmement différents. Alors, si l'on n'est pas capable de rassembler dans son propre camp si j’ose dire et de prendre en compte ceux qui peut être avaient une opinion différente au moment de Maastricht, moi, j'ai fait campagne pour le oui à Maastricht, mais si d'autres ont évolué ? Moi, je crois que c'est l'intérêt de tout le monde que d'essayer de faire le rassemblement le plus large possible dès lors que c'est un rassemblement clairement pour la poursuite, sous certaines conditions, de la construction européenne.

Michèle COTTA
Vous parlez de rassemblement. Est-ce que la division du Front national modifie quelque chose dans votre vue du rassemblement ? Est-ce que vous préférez monsieur MEGRET à monsieur LE PEN ?

Alain MADELIN
Non. Non, non j'ai toujours dit que je ne choisirais pas entre les deux. Que le meilleur perde, si j'ose dire ! Et je considère…

Michèle COTTA
Mais ça affaiblit plutôt le FN ou pas ?

Alain MADELIN
Il n’y a d'ailleurs aucune différence idéologique entre les uns les autres. Et je considère que les uns et les autres représentent des valeurs, des idées anti libérales, profondément anti libéral par rapport à ce que je représente. Et je souhaite que l'on tombe le plus tôt possible la page du Front national.

Michèle COTTA
Et est-ce qu’elle se tourne plus facilement ou pas ?

Alain MADELIN
Maintenant, vous me posez une question de savoir si je fais une différence entre l’un et l'autre, je vous dis aucune. Et s'ils se divisent, s'ils se divisent en deux, et puis même en trois, en quatre ou en cinq…

Michèle COTTA
Tant mieux.

Alain MADELIN
Oui, tant mieux.

Philippe LAPOUSTERLE
Un mot sur… un accord franco-allemand extrêmement important prévoyait que la France retraite pendant des années et des années les déchets nucléaires allemands. Et voilà que le changement de majorité, changement de gouvernement en Allemagne, on change de politique. On ne demandera plus à la France de retraiter. C'est un énorme contrat. La France demande des dédommagements. Monsieur SCHRÖDER a dit qu'il n’en accorderait aucun. Est-ce que la France a droit, peut et doit demander des dédommagements ?

Alain MADELIN
Ecoutez, la France le doit parce que nous sommes.

Philippe LAPOUSTERLE
A l’ancien ministre de l'Economie que vous êtes.

Alain MADELIN
Oui, et de l’Industrie.

Philippe LAPOUSTERLE
Et de l’industrie.

Alain MADELIN
Nous sommes engagés, nous sommes engagés ensemble dans cette affaire de retraitement. Et après tout, vous savez, on retraite bien le papier. Ce n'est pas idiot de retraiter le combustible nucléaire. Bien. On s'est engagé ensemble avec les Allemands. Ce que je n'ai pas aimé avant hier, c'est la mine réjouie de madame VOYNET qui avait le sentiment d'avoir fait un bon coup des écologistes verts en Europe contre le gouvernement français et qui se débarrassait avec un sourire ironique de toute idée de demander une indemnisation à nos partenaires allemands. Je crois que ce n'est pas une bonne politique gouvernementale.

Michèle COTTA
Vous, vous demanderiez indemnisation ?

Alain MADELIN
Oui, oui. Ecoutez, le respect du contrat, de la lettre du contrat et de l'esprit du contrat.

Michèle COTTA
On va vite pour les deux dernières questions. On vous voit beaucoup à Paris en ce moment. Vous étiez, je crois, hier dans la circonscription de monsieur CARESCHE qui est là pour nous parler de sécurité. Pourquoi vous faites ça à Paris ? Vous voulez être maire de Paris ?

Alain MADELIN
Non, attendez. Là, si vous me posez une question sur les questions de sécurité, je crois que ça sera la seconde partie de votre débat. C'est une question extrêmement grave.

Michèle COTTA
Répondez-moi sur la Mairie de Paris quand même avant.

Alain MADELIN
Attendez, attendez. Je vais vous expliquer pourquoi je suis à Paris, particulièrement dans l'Est parisien et pourquoi je suis dans la banlieue parisienne autour de Paris, parce que là, j'ai le sentiment - vous savez que nous avons parlé il y a quelques temps de la fracture sociale - j'ai le sentiment que, maintenant, nous avons dépassé le stade de la fracture pour être au stade de la rupture. Et je ne suis pas quelqu'un qui regarde les choses d'en haut, j'essaie d'être quelqu'un qui regarde les choses d'en bas à partir de la réalité de terrain. J'écoute, je me déplace, je vois beaucoup de gens sans tambour, ni trompette, sans presse, sans camera de télévision. Si vous êtes bien informée, tant mieux !

Michèle COTTA
Ce n'est pas de votre faute.

Alain MADELIN
Je n'y suis rigoureusement pour rien et vous le savez. N'y voyez que le souci pour ma part de pratiquer la reconquête de ces territoires délaissés par l'Etat et délaissé aujourd'hui par les politiques.

Michèle COTTA
Vous pourriez le faire auprès de Redon par exemple.

Alain MADELIN
Et j'ai un enracinement provincial dont je suis fier. Je suis très content d'être maire de Redon et j'espère le rester le plus longtemps possible, voilà Michèle COTTA.

Michèle COTTA
Je vous remercie. Nous passons si vous le voulez bien à la deuxième partie de cette émission. Mais, Alain MADELIN, vous restez avec nous.

 

France 2 : 17 janvier 1999

Michèle COTTA
Alors, peut-être un mot de diagnostic sur ce qui se passe en ce moment avec les mineurs. monsieur LE GUENNEC, c'est vous qui êtes sur le terrain. Enfin, vous êtes tous sur le terrain mais enfin, vous l'êtes particulièrement alors quel est le changement ? Comment et pourquoi cette nouvelle application des mineurs et c'est implication sans arrêt croissante ?

Jean-Yves LE GUENNEC
Alors, je ne sais pas si je pourrais vous dire comment et pourquoi. Ce que je peux faire, c'est le constat effectivement en dirigeant à la fois un service à vocation préventive puisque au sein de la Sûreté départementale, je dirige une brigade des mineurs est un service à vocation répressive puisque chargé des problèmes de délinquance disons déjà d’un certain niveau, d'une certaine gravité. Alors, quel est le constat que nous pouvons faire et l’évolution ? Si j'ai affaire à des mineurs victimes dans le cadre de la Brigade des mineurs de plus en plus jeune, par contre, dans le cadre de mes activités…

Michèle COTTA
De plus en plus jeunes, vous voulez dire combien ? Douze ans, quatorze ans comme les Anglais par exemple ?

Jean-Yves LE GUENNEC
Non, c'est beaucoup plus jeune en ce qui concerne les mineurs victimes.

Michèle COTTA
C'est beaucoup plus jeune, oui…

Jean-Yves LE GUENNEC
Les mineurs victimes sont de plus en plus âgés entre cinq à dix ans. Alors, victimes de mauvais traitements, victimes de violences sexuelles en particulier. Ça, c'est une réalité que nous connaissons quotidiennement. Alors, par contre, en ce qui concerne les faits de délinquance déjà d'une certaine gravité, là par contre, je suis confronté davantage à des mineurs entre dix-sept et dix-huit ans ou encore plus souvent des jeunes majeurs. Et ce que je constate, c'est que ces jeunes majeurs sont dans la majorité des cas, des gens, des garçons des filles qui sont, comme l'on dit pudiquement “connus des services de police” mais connu des services de police déjà depuis plusieurs années…

Michèle COTTA
Cela veut dire qu'il y a plusieurs infractions et même plusieurs délits qui n'ont pas été condamné ?

Jean-Yves LE GUENNEC
C'est ça… alors qui n'ont pas été condamné parce que pris individuellement, ces délits n'étaient pas considérés comme des faits d'une extrême gravité et lorsque nous intervenons, nous, c'est-à-dire pour essayer de démontrer l'implication au sein des cités par exemple, il est évident que nous faisons un travail en profondeur, un travail en longueur, on essaie de monter des dossiers et des procédures et à ce moment-là, nous obtenons une répression beaucoup plus sévère de la part des magistrats.

Michèle COTTA
Alors, monsieur BOSCHER, vous, comment est-ce que vous vivez la montée des mineurs dans la délinquance ?

François-Yves BOSCHER
Eh bien, ce qui est constaté au niveau local se revoir parfaitement au niveau national. Tous les ans, dix à douze mille mineurs supplémentaires sont mis en cause par les services de police. Derrière ce chiffre ce que cache la réalité que mon collègue décrit, c'est-à-dire que sur ce grand nombre, il y a deux phénomènes. Les mineurs agissent en groupe. Ils commettent le même délit mais à plusieurs. Premier point. Deuxième point, ces mineurs sont souvent sous l'influence de meneurs et ces meneurs son souvent des mineurs auteurs de fait de récidive.

Michèle COTTA
Des faits de récidive. Tout le monde parle de récidive. Madame BIGOT, monsieur LONGERON, la récidive, pourquoi est-ce qu'il y a tellement de délits donc commis par des mineurs qui sont reproduits, qui se reproduisent ? Pourquoi est-ce qu'on ne les arrête pas tout de suite au fond, Enfin « n'arrête pas »… est-ce qu'on n’arrête pas leurs faits tout de suite, leurs exactions tout de suite ? Qu'est-ce qui se passe monsieur LONGERON ?

Max LONGERON
Alors, sur le plan juridique, c'est plutôt Madame BIGOT qui pourrait répondre parce que ce sont les juges qui jugent et pas la protection judiciaire de la jeunesse qui a une vocation éducative. Mais ce que l'on peut dire d'abord, c'est qu'il y a peu de mineurs récidivistes en fait. Pour être récidiviste, il faut d'abord avoir été jugé et jugé définitivement et avoir recommis un délit. Or, les mineurs sont plutôt des mineurs que l'on appelle « réitérants » c'est à dire qu'ils commettent dans un laps de temps relativement court un nombre de délits relativement important dans la crise d'adolescence notamment… pas seulement… les choses ont évolué avec la crise de l'adolescence et l'inscription de cette crise dans la société actuelle. Mais nous, notre intervention et d'ailleurs les réponses… d'ailleurs quand je vous ai eu au téléphone, vous m'avait dit « dites-nous ce que vous faites concrètement ». Alors, je veux bien dire comment nous prenons en charge ces adolescents qui sont effectivement de tous les âges, dès l’âge de douze ans…

Michèle COTTA
Et qui réitèrent les délits…

Max LONGERON
Et qui réitèrent ou qui ne réitèrent pas. Nous les prenons en charge quels qu'ils soient. Qu'ils soient des primo-délinquants au des mineurs « réitérants », des adolescents qui ont commis plusieurs délits et nous, nous les prenons en charge physiquement sur la durée.

Michèle COTTA
Alors madame BIGOT, on dit qu'il y a des « réitérants » c'est à dire qui ne passent pas devant une justice et puis les récidivistes qui passent devant vous. Alors, comment est-ce que vous… est-ce que vous avez l'impression que c'est bien qu'il y ait des… que l'on peut ne pas juger des jeunes délinquants ? Pourquoi est-ce qu'on ne les juge pas souvent ? Qu'est-ce qui ce passe avec les magistrats ? Qu'est-ce que vous pensez, vous ?

Josiane BIGOT
Il y a beaucoup de faux discours qui sont répandus aujourd'hui et en particulier celui de dire qu'il y a une impunité des mineurs et qu'il y a une absence de réponse rapide. Je crois qu'aujourd'hui, c'est vraiment complètement dépassé et que pour les actes de délinquance commis il y a une réponse très immédiate, très rapide qui est donnée par la justice des mineurs. Alors, la question ensuite, c'est de savoir si…

Michèle COTTA
C’est-à-dire que nos interlocuteurs ici ont l’air de douter un peu de ce que vous dites…

Josiane BIGOT
… Cette justice, si cette réponse convient, et si c'est la réponse effectivement que l'on attend. Et là-dessus, je crois qu'il y a une confusion entre la nécessité de la réponse et la demande de répression que l’on sent très nettement… aujourd'hui et je crois qu'il ne faut pas se tromper de débat.

Michèle COTTA
Madame BIGOT, prenons l'exemple de Strasbourg. Donc, pendant la semaine des vacances, de gros problèmes à Strasbourg. Comment est-ce que vous avez appréhendé les choses ? Qu'est-ce que vous avez fait ?

Josiane BIGOT
Alors, déjà si vous revenez sur la semaine qui s'est passée à Strasbourg autour des fêtes, eh bien, on constate que les vrais auteurs n'ont quasiment pas été arrêtés et que les jeunes qui ont été conduits devant les juridictions, mineurs ou majeurs, sont souvent les lampistes. Alors, il ne faut pas non plus qu'ils servent d'exemple bien entendu mais ça, c'est un fait isolé autour des…

Michèle COTTA
Quand vous dites « non pas été arrêtés », alors…

Josiane BIGOT
…Fête de fin d'année et pendant toute l'année, nous avons un certain nombre de jeunes qui sont arrêtés, qui sont présentés et nous répondons immédiatement. Nous les voyons dans un délai qui est en général soi immédiat soi dans les dix jours puisqu'il y a un système de convocation qui permet de les voir très vite. Mais, et c’est là-dessus, je crois, qu'il faut que le débat porte, nous n'avons pas de réponse adaptée. Réponse adaptée c'est-à-dire que les structures éducatives, qu'elles soient en milieu ouvert ou prise en charge d'une manière continue n'existent pas de manière satisfaisante aujourd'hui dans notre pays.

Michèle COTTA
Philippe MELCHIOR, je vous ai vu être sceptique lorsqu’on dit que les mineurs sont immédiatement confrontés aux tribunaux.

Philippe MELCHIOR
Oui, au-delà de cela, nous sommes en situation d'échec. La réponse publique est en situation d’échec. Alors, la première chose à faire au niveau des acteurs publics, n'est pas de se dire « c'est l'autre qui n'a pas bien fait ». La bonne réponse, c'est de se dire « alors, si tous ensemble nous sommes en situation d'échec, comment nous pouvons faire un peu mieux ? » Et faire un peu mieux pour les victimes mais faire un peu mieux d'abord pour ces gamins qui dérapent et que nous ne devons pas laisser déraper.

Michèle COTTA
C’est-à-dire ?

Philippe MELCHIOR
Je pense que la réponse n'est pas si rapide que cela et d'ailleurs ce n'est pas simple. Toute la philosophie de l'ordonnance de 45, il ne faut pas la perdre quand même…

Michèle COTTA
Donc, c'est l'ordonnance de 45 sur les mineurs qui donc traite les mineurs autrement et avec plus d'indulgence ce que l'on peut comprendre étant donné…

Philippe MELCHIOR
Oui mais, si vous voulez, l’idée, c'est qu'il faut d'abord éduquer et ça, c'est bon, il ne faut pas le changer. On a un peu oublié que la sanction, ce que nous avons tous comme parents, que la sanction peut faire partie de l'éducation. Comme on veut faire une analyse de la situation du mineur, je veux dire, on prend un peu son temps pour bien le faire mais pendant ce temps, le mineur dérape. Je pense donc qu'il faut réfléchir au problème du temps et nous n'avons peut-être pas j’allais dire la possibilité d'une attitude aussi luxueuse.

Michèle COTTA
Monsieur CARESCHE et monsieur MADELIN.

Christophe CARESCHE
Je trouve que Madame BIGOT a bien posé le problème parce qu'il y a réponse. Il y a réponse. Et le problème n'est pas de savoir s’il y a ou il n'y a pas réponse mais c'est de savoir si la réponse est adaptée. Voilà. Il y a réponse, il y a pris en charge à travers effectivement les services notamment de la PJJ… il y a…

Michèle COTTA
Oui, sauf que Madame BIGOT dit que les plus importants des délinquants non pas été arrêtés, alors, il faut quand même aussi…

Christophe CARESCHE
Oui mais la plupart de ces délinquants qui sont multirécidivistes sont déjà passés dans les services de la PJJ, ont pu être placés à un moment et le problème c'est que je crois que la délinquance qu'il devient de plus en plus violente, la délinquance des mineurs, je crois qu'il y a un problème, du fait que cette réponse n'est pas adaptée, n'est pas suffisamment adaptée à certain nombre, à une certaine catégorie de mineurs…

Michèle COTTA
Quelle serait la réponse adaptée ?

Christophe CARESCHE
Eh bien, je pense que l'une des réponses adaptées et je pense que le gouvernement travaille sur cette question, c'est l'éloignement de ces mineurs de cette catégorie de mineurs qui sont les mineurs j'allais dire les plus problématiques dans les quartiers, dans les familles. Et, je crois qu'il faut réfléchir à des mesures d'éloignement qui permettent à ces mineurs de sortir à la fois de la délinquance mais aussi dans ce circuit dans lequel ils sont enfermés entre les services de la PJJ, la famille et il y a une espèce de logique là qui se met en place et qui conduit le délinquant à être encore plus délinquant. Donc, il faut, je crois, le sortir et je crois que c'est dans cette perspective qu'il faut réfléchir.

Michèle COTTA
Alain MADELIN, cela vous suffit ?

Alain MADELIN
Ecoutez, ce qui se passe en ce moment est extrêmement grave. Ce n’est plus la fracture sociale, c’est une rupture sociale et il y a en ce moment non-assistance à toute partie de l’enface en danger. Personne ne peut dire le contraire en ce moment sur ce plateau. Et nous sommes tous responsables des discours, des bla-bla-bla, des commissions, de tout ce que vous voulez… mais d’inaction ! Nous avons pratiqué la politique de l’autruche. Il est absolument nécessaire de mettre fin à cette sorte de complexe de culpabilité qui pendant longtemps a fait dire « c’est la société qui est responsable, c’est la faute à la police qui est provocatrice ». Chaque fois que vous avez une mesure de sécurité « ah, c’est le délire sécuritaire ! » Souvenez-vous Michèle COTTA lorsque certains maires en juillet 1997 avec l’idée de venir en aide à des enfants en danger ont pratiqué le couvre-feu dans un certain nombre de communes, qu’est-ce que nous avons dit et entendu dire, la dénonciation par les ministres du gouvernement, glissement progressif vers le facisme. Alors, il faut dire « je fais la guerre ! » comme CLEMENCEAU, « je fais la guerre à la délinquance, je fais la guerre à la misère ». Et se donner les moyens… les moyens, c’est premièrement, c’est vrai des centres carcéraux pour ces mineurs « réitérants ». C’est extrêmement grave. Le gamin qui avait été arrêté à dix-huit ans après avoir agressé un autobus il y a quelques semaines à Paris, il avait vingt-six dossiers préalables – vingt-six dossiers préalables ! Donc, des centres carcéraux et il ne faut pas simplement dire le principe…

Michèle COTTA
Alain MADELIN, on reste sur les centres carcéraux…

Alain MADELIN
Juste un mot, il faut un véritable programme de construction de centres carcéraux. Il faut, Michèle COTTA, pour ceux qui ne sont pas en situation de délinquance mais où l'autorité parentale ne s'exerce plus, un vrai problème de construction d'internats, faire appel à l'initiative privée, aux mobilisations éducatives pour faire ces internats pour sauver ces gamins. Il faut revoir l'ordonnance de 1945. Aujourd'hui, c'est sitôt arrêté, sitôt relâché.

Michèle COTTA
Attendez, n’abordez pas tous les sujets parce qu'on va revenir sur l'ordonnance de 45… établissements carcéraux pour les jeunes délinquants mineurs, qu'est-ce que vous en pensez monsieur LONGERON, monsieur MELCHIOR ?

Max LONGERON
Premièrement, il faut dire- et ce n'est pas rien - puisque rien qu'en Île-de-France, nous prenons, nous, en charge seulement dans le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse 20 000 jeunes par an. Ce n'est quand même pas rien et sur ses 20 000 jeunes, il y a plus de 65 % de mineurs qui sont effectivement de ces mineurs « réitérants » dont on n’arrête pas de parler, qui ont toujours existé, sauf qu'ils avaient des comportements… ils étaient lisibles d'une autre façon dans les temps passés. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose, c'est que nous envoyons déjà en province un nombre considérable de mineurs de la région parisienne. Cet éloignement est pratiquée depuis toujours et pour des mineurs en danger et pour des mineurs délinquants…

Alain MADELIN
Il n'y a pas assez de places, y a-t-il assez de places ?

Max LONGERON
Attendez, excusez-moi monsieur… non, mais ça… alors nous allons venir sur le problème des moyens ensuite mais sur la pratique même de l'éloignement des mineurs de leur quartier, je peux vous dire que c'est une pratique courante. Il y a environ trois mille jeunes de l'Ile-de-France ils sont en permanence placés dans des endroits de province. Bon, la situation n'est pas de concentrer ces mineurs là dans des endroits où, nous l'avons déjà expérimenté à l'éducation surveillée où nous nous appelions éducation surveillée, nous constituions là de véritables cocotte-minute qui explosaient tous les deux jours et qui ne rendaient pas service ni aux mineurs en question, ni à la société en question. Donc, nous prenons plutôt la diversification des endroits de prise en charge. Il faut individualiser la prise en charge. Il ne faut pas penser en terme de réponse collective dans ces affaires.

Michèle COTTA
Mais est ce que l'on peut individualiser, monsieur MELCHIOR… il y a tellement de gens concernés est tellement de mineurs délinquants ? On a le temps d’individualiser, vous qui parliez du temps tout à l’heure ?

Max LONGERON
Il faut mobiliser plus.

Philippe MELCHIOR
On doit quand même diversifier. Dans certains cas, la prison est nécessaire.

Max LONGERON
Elle existe.

Philippe MELCHIOR
Elle existe d'ailleurs. Simplement, comme elle pose quand même un certain nombre de problèmes, on hésite à y recourir. Donc, il faut avoir une palette de solutions permettant l’éloignement et cet éloignement n'est pas assez permis. Cela dit, quand même, il y a un mot que je voudrais relever et ce n'est pas… peut-être pas le rôle d'un fonctionnaire mais quand même, « je fais la guerre » ce sont nos enfants.

Alain MADELIN
La guerre à la misère, la guerre à la délinquance parce que je dis qu'il y a non-assistance à enfance en danger.

Philippe MELCHIOR
Monsieur le ministre…

Alain MADELIN
C'est une mobilisation ! Mo-bi-li-sa-tion générale pour venir à bout de ce problème et ça… avec de beaux discours que l’on s’en tirera…

Philippe MELCHIOR
Non… il nous faut certainement nous mobiliser et probablement changer un peu nos cultures parce que nous devons répondre aux problèmes d'abord de ces délinquants qu'il faut aider à s'en sortir et aussi des victimes.

Michèle COTTA
Madame BIGOT ?

Josiane BIGOT
Merci à monsieur MELCHIOR d'avoir rappelé que c’est « nos enfants » et qu'il était peut-être indispensable malgré tout que nous nous sentions responsables de ce qui est en train de se passer.

Michèle COTTA
Mais nos enfants aussi sont victimes hein puisqu'on a dit qu'il y avait des enfants de cinq ans…

Josiane BIGOT
Absolument. Nos enfants sont victimes mais nos enfants sont aussi parmi ces enfants en grande souffrance est délinquants. Alors, je crois qu'il faut arrêter de se leurrer et de faire comme si la solution miracle allait venir de cet éloignement. Cela fait depuis 1945 qu'on y songe, cela fait depuis 1945 que l'on dit que des mesures éducatives doivent être mises en œuvre, que l’on dit qu’il faut créer des structures et elles ne le sont jamais. Les gouvernements se sont succédé, les propos ont toujours été les mêmes d’ailleurs avec les mêmes querelles entre le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice et, pour le moment, nous sommes toujours devant le même vide. Alors, ce que je regrette, moi, terriblement, c’est lorsque j’ai un gamin dans mon bureau, pour lequel effectivement un éloignement est nécessaire à cause de son quartier en particulier, eh bien, je ne trouve pas de place pour lui et c’est le cas de tous mes collègues. Alors, arrêtons de nous leurrer, il faut vraiment faire un constat et dire qu’il faut faire des choix budgétaires importants et, si l’on veut effectivement mettre fin à cette espèce d’enrayement.

Michèle COTTA
Alors, monsieur BOSCHER, monsieur LE GUENNEC, est-ce que vous manquez de moyens ? Est-ce que vous pouvez dire ici que vous avez tous les moyens ? On sait que les syndicats… l’avis des syndicats de police qui pensent qu'ils n'ont pas de moyens. Est-ce qu'il vous faut des moyens supplémentaires face à une criminalité en augmentation constante ?

François-Yves BOSCHER
La sécurité publique a besoin de moyens, c'est indiscutable. Elle a besoin de moyens parce qu’elle est confrontée à mener en même temps deux types de missions. Il lui faut apporter une réponse individualisée à ce problème des mineurs mais en même temps, elle est confrontée au problème des violences urbaines dont on n’a pas encore parlé jusqu'à présent dans lesquelles les mineurs ont un certain pourcentage de participation. Donc, confrontés à ces deux problèmes, il faut bien sûr avoir suffisamment de personnel pour pouvoir mener

[manque texte original]

Christophe CARESCHE
C'est ce que vous avez dit…

Alain MADELIN
Je vous ai dit également pour les gamins qui sont en situation de perte d'autorité parentale mais je tiens à rectifier ce que j'appelle des maisons de l'espoir, des maisons de la deuxième chance, des maisons familiales urbaines qui permettent…

Christophe CARESCHE
Ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas la même chose monsieur MADELIN, quand vous parlez de centres carcéraux, vous parlez de prison et moi je parle…

Alain MADELIN
J’ai dit les deux. Il faut les deux et cela a été dit également sur ce plateau. Si vous refusez les deux…si vous refusez les deux, vous ne vous donnez pas les moyens de lutter contre cette délinquance ou contre ces risques de délinquance.

Michèle COTTA
Laissez répondre monsieur CARESCHE…

Christophe CARESCHE
Oui, la réponse, ce n'est pas la prison. Ce n'est pas en tout cas la prison dans l'état actuel des choses car… ce ne sont plus des « sauvageons » dont on va avoir affaire, c’est des véritables bêtes fauves car on sait qu’aujourd'hui les mineurs… les conditions d'incarcération aujourd'hui des mineurs en prison sont véritablement scandaleuses, sont véritablement scandaleuses et mènent ces mineurs à des taux de récidive extrêmement importants. Donc, ce n'est pas la solution. Il faut trouver justement des solutions intermédiaires qui permettent d'éviter la prison. C'est bien cela dont il s'agit. C'est à dire, pour ces mineurs qui sont des mineurs encore une fois les plus lourds qui sont les mineurs récidivistes, il faut effectivement trouver des solutions à travers des centres. Il y en a d'ailleurs, vous l’avez cité tout à l'heure, qui s’appellent les IUER… que l'on peut développer…

Michèle COTTA
Il y en a treize…

Christophe CARESCHE
Il y en a treize, c'est vrai que ça coûte cher, c'est vrai que c'est lourd mais c'est des solutions qui peuvent être intéressantes et qu'il faut examiner. C'est vrai que cela coûte cher mais honnêtement, c'est la sécurité, et monsieur MADELIN a raison, s’il y a nécessité d'une mobilisation, eh bien, il faut aussi y mettre les budgets correspondants. De ce point de vue-là, je réponds à Madame BIGOT pour lui dire que depuis quand même deux ans, le budget de la justice fait partie de la première priorité du gouvernement et même s'il y a encore beaucoup de retard, On peut au moins souligner ce fait.

Michèle COTTA
Monsieur LE GUENNEC, qu'est-ce que vous avez envie de dire à Madame BIGOT ? Qu'est-ce que vous avez envie de lui dire ?

Jean-Yves LE GUENNEC
Je crois à l'importance de la première réponse apportée aux jeunes qui rentrent dans la délinquance. C’est… je veux dire cette réponse est très importante. Il faut qu'il y en ait une c’est-à-dire…

Michèle COTTA
Vous voulez dire qu'au premier délit quelqu'un intervienne ?

Jean-Yves LE GUENNEC
Au premier délit… je veux dire au premier petit fait de délinquance parce que bon, généralement à douze, treize ans, on commence à chaparder dans un magasin mais on est ramené au commissariat, il n'y a aucune réponse. Il est nécessaire, il est indispensable qu’il ait déjà un rappel à la loi qui soit faite officiellement.

Michèle COTTA
Par qui ? Par les juges…

Jean-Yves LE GUENNEC
Et donc, on a mis en place… on a mis en place dans un département comme le mien puisque le magistrat, les magistrats ne peuvent pas recevoir absolument tous ces jeunes qui sont en état de délinquance, nous avons mis en place des délégués des procureurs par exemple. Donc, ce sont ces personnes qui sont chargées officiellement au nom du procureur de rappeler la loi. De rappeler la loi à l'enfant délinquant mais aussi de rappeler la loi à ses parents, de les responsabiliser et je crois que ça, c'est important. Les parents ont besoin d'être responsabilisés et aidés.

Michèle COTTA
Alors, à propos de parents responsabilisés, la suppression des allocations familiales aux parents, vous êtes pour ou vous êtes contre ?

Max LONGERON
S'il vous plaît, avant de passer aux allocations familiales, en terme de réponse, alors, ce qui vient d'être dit est tout à fait exact et c'est un des éléments intéressant mis en place par la justice ces dernier mois voir ces dernières années - mais c'est très récent -c'est la place que prend le Parquet de plus en plus dans ces interventions donc de premier niveau, de premier degré sans faire la confusion d'ailleurs entre ce qui relève de… ce mot un peu magique aujourd'hui des « incivilités » et puis de ce qui est des délits. C'est à dire qu'aujourd'hui, on voudrait faire jouer aussi à la justice toute sorte de choses qui devraient être prises en charge normalement dans les institutions telle que l'Education nationale qui ne relèvent pas les délits, qui sont des incivilités et c’est-à-dire… dans le temps, on disait « un gosse et mal élevé ». Aujourd'hui, on dit « il est coupable d’incivilité ».

Michèle COTTA. –
Les professeurs le font, enfin, ils essaient.

Max LONGERON. –
Sur le mode de la réponse, eh bien, nous, nous avons une réponse en quatre points. Je vais essayer d'être rapide.

Michèle COTTA. –
Rapide, oui !

Max LONGERON. –
Premier point, c’est la prise en charge physique des jeunes. J’ai sur l’Ile-de-France la possibilité d’en accueillir cinq cents dont la plupart sont des mineurs qui relèvent de l’ordonnance de 45 et qui sont primo ou pluridélinquants. La deuxième, c’est les activités de jour. Nous accueillons là les mineurs les plus difficiles, les plus durs dans nos centres de jour qui sont en liaison pour les plus jeunes avec l’Education nationale ou qui sont des systèmes particuliers de formation professionnelle et d’insertion autour du sport, de la culture, nous développons beaucoup ces activités. La troisième, c’est la réparation. On parle… on dit les mineurs, il faut une réponse rapide, lisible et qui fasse le lien à nouveau avec la société. La réparation qui est inscrite dans l’ordonnance de 45, c’est une des mesures qu’il faut absolument développer pour réparer et la victime parce que la victime est présente, est importante, et le jeune lui-même. Et puis, le quatrième point, c’est le suivi de ces mineurs en détention parce qu’il y en a beaucoup. Il y en a mille en Ile-de-France incarcérés dans l’année. Nous avons ce rôle et nous le faisons.

Michèle COTTA. –
Tout ce que vous faites est formidable mais cela n’explique pas que cela continue et que cela monte…
(Brouhaha)
Attendez, monsieur MELCHIOR d’abord, monsieur MADELIN après !

Philippe MELCHIOR. –
Vous voyez bien, cela illustre une réflexion, je crois, que j’avais faite. Vous faites cela et c’est bien et…

Max LONGERON. –
Il faut le dire.

Philippe MELCHIOR. –
Et il faut le dire ! Et manifestement, cela ne suffit pas et il faut éloigner de manière plus ferme. Ça, c’est clair. Je ne crois pas que le problème se ramène à un problème de moyens. C’est aussi un problème de texte et aussi un problème de culture et de pratique. Les services de police et de gendarmerie en France ont par rapport aux autres pays européens des moyens importants et donc, ils ont à bouger. Les parlementaires, me semble-t-il, ont à bouger. Probablement, cher ami, vos services aussi. On ne peut pas toujours dire seulement « je sais faire, donnez-moi de l'argent ».

Michèle COTTA. –
Alain MADELIN ? Nous arrivons au terme de cette émission.

Alain MADELIN. –
Moi, je constate une chose, c'est quels que soient les efforts des uns et des autres - et il sont considérables - il y a énormément de gens qui se déploient sur le terrain, à l’heure actuelle, cela ne marche pas. Il faut changer d'attitude, rompre avec la politique de l'autruche. Dans les esprits, cela vient et je salue ce qui est parfois dit par le gouvernement même si j'ai un peu le sentiment que c'est un peu le gouvernement de PENELOPE, ce qu'un ministre fait, l'autre le défait. Mais, il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, il y a un sentiment d'impunité et en matière de violences urbaines, il fallait y revenir d'un mot, lorsqu'à Toulouse, dans le quartier de la Raynerie (phon) lorsque les voitures sont incendiées, les pompiers n'y vont plus parce que la police a reçu l'ordre de ne pas y aller, les Français ont le sentiment d'être abandonnés. Monsieur CARESCHE, dans votre XVIIIe arrondissement autour de la permanence du Parti socialiste, à partir de vingt et une heures, on vend du crack, de l'héroïne librement…

Christophe CARESCHE. –
C’est faux !

Alain MADELIN. –
Je vous emmènerai dans votre arrondissement...

Christophe CARESCHE. –
… C'est inadmissible ! Vous stigmatisez des quartiers, c'est ça…

Alain MADELIN. –
… Ce n’est pas vrai ! Je prends l'exemple de votre quartier et de la permanence du Parti socialiste.

Christophe CARESCHE. –
C'est un discours de stigmatisation d'un certain nombre de quartier que je trouve inadmissible. Il y a des problèmes dans le XVIIIe, ce n'est pas Chicago ! Ce n'est pas Chicago !

Alain MADELIN. –
Il y a renoncement de faits par rapport à certains nombre d’actes de délinquance ou de pratiques et je parle de la pratique de l'économie souterraine de la drogue. C'est la raison pour laquelle il faut des actes aujourd'hui et dans les actes, il y a besoin, je crois que c'est clair, de centres carcéraux avec mesures éducatives renforcées pour les mineurs, il faut un vrai programme et y mettre des moyens. Il faut des internats pour sauver les gamins qui peuvent l’être. Il faut revoir l'ordonnance de 1945, Michèle COTTA, un exemple, un exemple…

Michèle COTTA. –
Vite, vite, monsieur MADELIN, nous arrivons à la fin.

Alain MADELIN. –
Je me trouvais il y a quelques jours avec un type qui était un peu chef de bande, un peu trafiquant de drogue etc. et qui… j'essayais de comprendre et de me l’expliquer… Il me disait qu'il utilisait son petit frère de douze ans car il sait qu'il y a impunité à utiliser son petit frère de douze ans. Il le sait ! Il l’utilise pour faire le guet quand il vend de la drogue et je lui ai dit « moi, je vais modifier l'ordonnance de 1945. Je vais modifier le texte. Qu'est-ce que tu fais ? » Et, il me répond « eh bien, si tu modifies le texte, bien évidemment, je ne l'utiliserai plus ». Voilà pourquoi la refonte des textes de loi est aujourd'hui quelque chose de nécessaire pour accompagner le travail des éducateurs et de la police.

Max LONGERON
Il faut modifier les textes de loi mais pas celui-là, il faut modifier le texte de loi qui fait que ce majeur-là qui utilise un petit mineur, qui entraîne ce mineur-là dans la délinquance s’en tire bien. C'est ce majeur-là !

Michèle COTTA
Monsieur CARESCHE, une seconde, c'est une question politique, monsieur CARESCHE, est-ce que vous, vous êtes partisans de la modification de l'ordonnance de 45 sur les mineurs ?

Christophe CARESCHE
Non. Non parce que l'on peut très bien sur le plan législatif travailler à partir des ordonnances et avoir une autre pratique comme l'a dit monsieur MELCHIOR, il y a dans l'ordonnance de 1945 tout ce qu'il faut pour avoir des mesures de sanctions efficaces vis-à-vis des mineurs.

Michèle COTTA
Dernier mot, Madame BIGOT ?

Josiane BIGOT.
Absolument, l'ordonnance de 45 permet tout, de la simple mesure éducative jusqu'à l’incarcération et l'on peut incarcérer de treize à seize ans aussi. C'est simplement la question de la détention provisoire qui est interdite. Mais j'aurais voulu, moi, dire un mot des parents peut-être pour avoir eu une notion un petit peu plus optimiste. Les parents ne sont pas du tout aussi démissionnaires qu'on veut bien le dire. Et il y a eu une expérience sur Strasbourg intéressante puisque lors de ces événements de fin d'année, ce sont des parents qui se sont mobilisés dans les quartiers pour essayer de faire en sorte que les jeunes ne se livrent pas à des… actions. Alors, je crois que l'on ne peut plus parler de démission des parents.

Michèle COTTA
Vous voulez dire Madame BIGOT, on est convaincu, que la sécurité effectivement, c'est l'affaire de tout le monde et pas seulement l'affaire de quelques-uns. Pour assister à l'émission, vous tapez 36 15 code France 2. A treize heures, le journal est présenté naturellement par Béatrice SCHONBERG. A la semaine prochaine !