Texte intégral
Il est rare, dans la vie d’une nation, qu’on présente l’addition aussi clairement qu’au restaurant. L’impéritie gouvernemental, d’ordinaire, se cache mieux. Cette addition Sécurité sociale, telle qu’elle a été faite par Alain Juppé, est de 230 milliards de francs. Tous les Français la paieront, à raison de 0,5 % de leurs revenus, pendant treize ans !
Souvenons-nous : de 1988 à 1992, le déficit annuel moyen est inférieur à 10 milliards ; Claude Évin, ministre des affaires sociales, et moi-même n’attendons pas qu’il s’aggrave pour attaquer le problème.
C’est par la maladie que nous commençons. Première décision : la création, en avril 1990, de l’Agence nationale d’évaluation médicale. Elle fut accueillie par d’incroyables sarcasmes. C’est pourtant parce qu’elle existe et qu’elle a bien travaillé qu’Alain Juppé dispose des outils nécessaires à une véritable médicalisation de la maîtrise des dépenses.
La seconde piste fut l’ouverture de négociations avec chaque profession médicale ou paramédicale pour parvenir à une enveloppe globale des dépenses qu’elle effectue ou ordonne – tout dépassement devant faire l’objet d’un prélèvement compensateur, et donc se traduire par une baisse proportionnelle des honoraires. Au prix de mille difficultés et de beaucoup de courage du ministre, nous avons mis en place cette technique pour les cliniques privées et les laboratoires d’analyses. Résultat : dans ce dernier cas, d’une croissance de la dépense de 10 %, nous sommes passés à une diminution de 7 %. Les bons ont tenu, les moins bons ont changé de métier. Nul ne se plaint, aujourd’hui, d’une insuffisance des moyens d’analyse médicale en France. Et nous avions commencé le même travail avec les médecins généralistes.
Alain Juppé découvre tardivement les mérites de cette technique que ses amis et lui avaient combattue. Pendant quatre ans, ils en ont retardé l’extension, creusant ainsi le trou que les Français vont devoir combler pendant treize ans. Démagogie et irresponsabilité sont donc clairement chiffrées à 230 milliards ! Mais, tel qu’il est, brutal et unilatéral parce que beaucoup trop tardif, ce plan de réforme de l’assurance-maladie ne pourrait être approuvé que s’il était correctement mis en œuvre. Le Diable se réfugie dans les détails, dit-on. Ne jugeons pas avant de les connaître. Retraites : le livre blanc de 1991 avait ouvert un long dialogue, avec l’intention explicite de régler ce problème par la voie contractuelle, comme la maladie. Au lieu de quoi l’État régalien décide seul, sacrifiant l’espoir de voir renaître un vrai accord intergénérationnel entre les Français. Encourager l’épargne-retraite n’est admissible qu’à la condition impérative que l’on ne menace pas l’équilibre des régimes par répartition d’un effondrement rapide en permettant la déductibilité des primes d’assurance-vie. Là-dessus, Alain Juppé laisse planer le doute. C’est le défaut le plus grave de son plan.
Familles : il eût été plus clair, plus juste et plus simple de mettre les allocations sous condition de ressources plutôt que de les fiscaliser. Nous sommes tellement habitués à l’immobilisme que nous sommes tentés d’applaudir dès que le Gouvernement fait quelque chose. Serait-ce trop demander que le « quelque chose » soit à la fois pertinent et équitable ?
Enfin, le remboursement de la dette sociale. Pourquoi rajouter les 110 milliards de francs déjà traités par Édouard Balladur ? Les 120 de 1994 et 1995 suffisaient, et l’impôt eût été moins lourd. Mais le débat n’eût porté que sur la gestion financière de la droite… En outre, j’ai créé la CSG pour donner à la Sécurité sociale un financement plus juste et moins défavorable à l’emploi. Mais elle est sévère. Pour qu’elle reste juste, il est impératif qu’elle ne progresse qu’en contrepartie de baisses des cotisations salariales. Alain Juppé fait le contraire, et les petites rémunérations resteront surtaxées.
Parce que ce plan est vaste, il est naturel que le bon (la maîtrise des dépenses de santé) voisine avec le mauvais (à peu près tout le reste, malheureusement). Parce que nous ne sommes pas irresponsables, nous ne prônerons pas, comme l’opposition d’hier, la politique du pire. Mais parce que nous avons été échaudés nous ne pouvons pas faire crédit à cette droite et devrons vérifier chacune de ses intentions sur pièces. L’importance du sujet et l’avenir des Français l’exigent.