Texte intégral
Les Échos : 9 octobre 1995
Montpellier, à la fin de la semaine dernière, le congrès annuel de l'Union des organismes HLM, grand-messe consensuelle, a pris l'allure inhabituelle d'une réunion électorale contradictoire. Le ministre du Logement, Pierre-André Périssol, rappelant pourtant qu'il était encore récemment vice-président de l'Union, a été hué et son discours de clôture interrompu à plusieurs reprises. En fait, le conflit était prévisible (« Les Échos » du 6 octobre). Le budget 96 comporte en effet un prélèvement sur les finances des organismes HLM d'environ 1 milliard de francs. D'une part, le gouvernement entend ponctionner, de façon exceptionnelle, 600 millions sur les produits de leurs placements financiers et, d'autre part, récupérer 400 millions de recettes supplémentaires procurées par l'application des surloyers aux locataires dont les revenus excèdent de 40% le plafond de ressources.
« Il faut redéfinir la mission sociale des HLM (...) et entamer un profond mouvement de rénovation » au sein des HLM, a martelé Pierre-André Périssol, qui inscrit cette rénovation dans la perspective d'une nouvelle politique du logement (dont le prêt accession à taux zéro est la première réalisation). Le ministre projette de faire voter une loi qui comportera notamment une refonte des règles d'attribution des logements, l'application automatique du surloyer et la création d'une formule de logements « encore plus sociaux » destinés aux sans-abri. Une volonté qui risque d'être difficile à concrétiser alors que, par exemple, aujourd'hui encore, la moitié des offices ne connaissent pas l'évolution des revenus de leurs locataires.
D'autres solutions existent
L'Union des HLM a vivement réagi à ce que son président, l'ancien ministre socialiste Roger Quilliot, a qualifié de « projet de taxation des organismes totalement inacceptable et insupportable ». Les gestionnaires invoquent principalement la régression que constituerait le nouveau prélèvement pour les offices qui ont engagé des efforts très importants de redressement. Ils estiment en outre qu'un tiers des organismes deviendrait déficitaire. Et ils menacent, en représailles, de supprimer en 1996 tous les travaux de réparation et d'entretien. En revanche, la plupart des dirigeants d'HLM ne refusent pas l'application des surloyers, d'autant moins que le ministre du Logement a confirmé que les quartiers difficiles en seraient exclus de façon à ne pas compromettre la mixité sociale.
Les élus locaux, qui président les offices, développeront cette contestation, toutes tendances confondues, au cours de la discussion parlementaire. Aussi l'issue de ce bras de fer peut-elle apparaître incertaine.
Certains observateurs privilégiés pensent que le gouvernement pourrait éviter l'affrontement en substituant au prélèvement de 600 millions de francs une légère diminution de la subvention unitaire de l'État à chaque PLA, éventuellement complétée par une contribution supplémentaire des HLM au Fonds de solidarité logement.
En termes strictement budgétaires, le gouvernement y trouverait peut-être son compte. Mais la réforme restera à l'ordre du jour. Les objectifs — droit au logement, mobilité des locataires sociaux, logement des exclus — sont apparemment partagés par tous. Toutefois, les chemins pour les atteindre demeurent en tout cas différents : les uns veulent maintenir le système, les autres le changer.
Le Monde : 30 octobre 1995
Notre arme, c'est le droit
En France, la lutte contre le terrorisme appartient à l'autorité judiciaire, en application des principes de l'Etat de droit. Le Président de la République et le gouvernement sont fondamentalement attachés à cette exigence de la démocratie. Et ce serait une première victoire pour les terroristes s'ils parvenaient à dévoyer le combat que nous menons contre eux. C'est pourquoi, à l'expérience, le gouvernement a voulu que des moyens légaux supplémentaires soient donnés aux magistrats et aux policiers qui traquent les terroristes et s'efforcent d'empêcher leurs exactions et leurs attentats.
Le projet de loi adopté par le conseil des ministres du 25 octobre dernier complète la liste des délits susceptibles de constituer des infractions terroristes et donne aux enquêteurs un moyen de procédure qui leur fait défaut, la faculté de perquisitionner la nuit, dans le cadre du code de procédure pénale, c'est-à-dire sur autorisation du président du tribunal ou du juge d'instruction.
Ces dispositions s'insèrent dans le code pénal et le code de procédure pénale, se réfèrent à la loi de 1986 et ne constituent pas une législation d'exception. Au contraire, il s'agit d'appliquer le code de procédure pénale, de respecter les droits de la défense et la présomption d'innocence face à une criminalité exceptionnelle nécessitant que l’autorité judiciaire dispose de davantage de pouvoir.
En pratique, le rôle de soutien logistique joué autour des terroristes par certaines personnes implique d'incriminer leurs agissements liés à l'entreprise terroriste. Il ne s'agit que d'incriminations normales, s'inscrivant dans la loi antiterroriste avalisée en 1986 par le Conseil constitutionnel.
C'est le cas des groupes de combat, des ligues dissoutes, de la détention d'une arme, etc. C'est au même titre que celui qui aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d'un étranger (délit de l'article 21 de l'ordonnance de 1945) pourra être poursuivi et jugé selon les règles propres à la répression du terrorisme, à condition que ce délit ait été commis « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur » (art. 421-1 du code pénal). Et il faudra le prouver. Dès lors, il n'y a aucun amalgame entre le séjour irrégulier et l'activité terroriste.
Le statut des étrangers de l'ordonnance de 1945 n'est, en outre, en aucune façon modifié.
C'est donc rendre un bien mauvais service à la cause des droits de l'homme que d'intenter un procès d'intention sans fondement à ce sujet, à un moment où chacun doit mesurer ses propos et ses actes avec le plus grand scrupule.
Ce scrupule et cette mesure m'ont, quant à moi, inspiré l'initiative de disjoindre de l'avant-projet un article sur la « complicité involontaire » qui pouvait, dans son principe, se révéler contraire à la règle de l'intentionnalité. De même, j'ai affirmé sans cesse, depuis le 25 juillet, que la situation de la communauté musulmane et des jeunes des banlieues qui en sont issus doit appeler en soi toute notre attention et qu'elle n'a pas de rapport de causalité générale avec les menées terroristes.
Contre le terrorisme aveugle, la démocratie joue son existence; elle doit à tous les citoyens de les défendre victorieusement. L'épreuve est rude. Nous la surmonterons si nous n'oublions jamais que l'État démocratique lutte contre le terrorisme avec des lois et des juges. Des juges auxquels l'État doit l'arme du droit.