Articles de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 5, 12, 19, 26 janvier 1996, sur les conséquences du conflit social de novembre 1995, le RDS et le blocage des salaires dans la fonction publique.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Date : 5 janvier 1996
Source : Lutte ouvrière

En 1996, mieux encore qu’en 1995

Tous ensemble contre les plans du Gouvernement et des patrons

Avec ses vœux 1996, Chirac a refait des promesses électorales : il va réduire la fracture sociale, relancer la consommation et l’investissement afin de soutenir l’activité et créer des emplois, il ne recourra plus à de nouvelles augmentations d’impôts et de cotisations sociales, etc. etc.

En attendant, l’impôt pour la « dette sociale » entré en vigueur le 1er janvier doit durer treize ans et les milliards volés à la population par la hausse de la TVA, celle des cotisations sociales sur les retraites, dureront plus longtemps que les promesses de Chirac, et Juppé sort une circulaire annonçant, avec un mois de retard il est vrai, que les salaires des entreprises publiques resteront bloqués en 1996.

Chirac nous a dit que c’est « au nom de l’emploi » qu’il veut « aider les petites et moyennes entreprises » à de développer. Chirac ne nous dit pas qu’il veut aider les salariés. Ceux-là, ils n’ont qu’à trimer et faire confiance. Parce que, n’est-ce pas, selon lui, la croissance c’est d’abord la confiance. Nous devons donc lui faire confiance et, bien sûr, faire confiance à nos patrons, au nom de la solidarité.

Ça lui a fait bien plaisir que des millions de salariés aient agi ainsi, à ce représentant des financiers, du patronat, des trusts, qui pillent les fonds publics.

Pour lui, il s’agit de responsabilité et de solidarité envers les patrons. Mais si des millions de salariés ont fait cela, c’est parce qu’ils craignaient pour leur emploi, pour leur paie, tout simplement ! Mais sûrement pas par solidarité avec leur patron et encore moins avec Chirac !

Il a le culot de s’en réjouir et de prendre cela comme un acquiescement à l’exploitation, aux bas salaires et à la morgue patronale qui joue sur le chômage pour essayer de transformer les travailleurs en esclaves. Car c’est de cela qu’il s’agit. Ce ne sont pas les grévistes qui ont imposé des sacrifices à la population, ce sont les pressions des patrons et c’est l’offensive du gouvernement contre ce qui reste du niveau de vie des travailleurs.

Ceux de la fonction publique se sont rebellés et le gouvernement a tremblé. Les travailleurs du privé n’ont pas eu les moyens moraux et matériels de les suivre et ils ont subi la grève d’un côté, les pressions patronales de l’autre. Mais tout aura une fin.

Chirac peut crâner maintenant que sa frayeur est passée, après toutes ces semaines pendant lesquelles il s’est tu, laissant Juppé affronter seul l’impopularité (il est d’ailleurs payé pour cela, lui !). Chirac peut se permettre de crâner et d’injurier les grévistes en parlant de la grève comme de la défense « d’intérêts particuliers ». Il sait bien que ce n’étaient pas des intérêts particuliers que les grévistes défendaient et c’est bien pour cela que le gouvernement a tremblé. Mais maintenant que les grèves sont passées, Chirac respire. Mais pour combien de temps ?

Oh bien sûr, il a des paroles apaisantes, en particulier envers les syndicats. Il a pu mesurer qu’il avait fait une erreur en croyant pouvoir, trop ouvertement, s’en passer, en ne comptant que sur les acclamations de sa majorité électorale faite de gros commerçants, de patrons de PME et de PMI.

Dans son discours, il y a eu en effet un mot pour les syndicats, en disant : « Il faut des interlocuteurs forts et conscients de leurs responsabilités. Des syndicats, des organisations professionnelles, des associations… ».

Des syndicats forts ! Ces derniers lui ont montré qu’ils pouvaient l’être dans certaines circonstances. Alors, Chirac accepte de le reconnaître. Mais il voudrait bien aussi qu’ils pouvaient l’être dans certaines circonstances. Alors, Chirac accepte de le reconnaître. Mais il voudrait bien aussi qu’ils soient « responsables », c’est-à-dire dociles et plus prompts à faire accepter les sacrifices aux travailleurs qu’à les défendre.

Voilà ses vœux. Comme il nous l’a dit : « C’est tous ensemble que nous pouvons faire de 1996 une année décisive… »

« Tous ensemble », c’est ce que criaient les manifestations et tout dépend si ce sont ses vœux ou les nôtres que « tous ensemble » nous ferons s’accomplir.


Date : 12 janvier 1996
Source : Lutte ouvrière

Deux septennats qui ont coûté cher aux travailleurs… et dont les capitalistes ont bien profité

Une mort est toujours tragique, surtout au terme d’une douloureuse maladie affrontée avec courage. Mais la mort ne change pas ce que fut Mitterrand qui a lié les mains des travailleurs pendant des années, les livrant ainsi sans défense aux attaques du patronat et, aujourd’hui, à celles de la droite.

Les travailleurs n’ont pas à pleurer François Mitterrand : il ne fut rien d’autre qu’un homme politique de la bourgeoisie et du patronat.

Sous le masque d’homme de gauche, il a fait beaucoup de mal aux travailleurs. Il est venu au pouvoir en 1981 sur un programme auquel il a immédiatement tourné le dos.

La droite n’aurait pas la puissance qu’elle a aujourd’hui, le patronat non plus, si le terrain n’avait pas été préparé par Mitterrand. Si la droite et le patronat peuvent se permettre d’être offensifs et arrogants, c’est aussi parce qu’on a dit et répété pendant des années aux travailleurs que, pour défendre l’emploi il fallait que les entreprises fassent des bénéfices. C’est ce que dit Chirac aujourd’hui, mais c’est ce qu’a dit aussi Mitterrand pendant quatorze ans. Les bénéfices ont augmenté comme jamais ils ne l’avaient fait auparavant, et le chômage en a fait autant. Et parce qu’il y a des millions de chômeurs aujourd’hui dans le pays, cela empêche les travailleurs de se défendre et cela pèse sur les salaires.

Bien sûr, la droite fait pire encore que la gauche avait fait mais, si elle le peut, c’est parce que le terrain avait été déblayé devant elle.

Homme de la bourgeoisie et du patronat, Mitterrand l’a été toute sa vie, depuis son passé proche de Vichy jusque dans les années d’après-guerre où il avait fondé un petit parti, l’UDSR, plus anticommuniste qu’autre chose. Il avait été maintes fois ministre sous la IVe République, dont ministre de l’Intérieur et garde des Sceaux, l’équivalent de ministre de la Justice.

Le slogan « L’Algérie c’est la France » était de lui car c’était un jusqu’au-boutiste dans la sale guerre d’Algérie. Il était d’ailleurs ministre lorsque fut guillotiné le militant communiste Yveton.

Même à la veille de sa première élection en 1981, il affirmait qu’il se faisait fort de réduire l’audience électorale du Parti Communiste. Pour cela, il a tenu parole et les voix du PC sont passées de 20 % à 8 % des électeurs aujourd’hui.

Le blocage des salaires par un gouvernement socialiste et communiste, c’était sous sa présidence.

La droite n’a eu qu’à poursuivre en l’aggravant la politique de Mitterrand. Elle a pu parfaitement cohabiter, par deux fois, avec la présidence de Mitterrand : avec Chirac comme Premier ministre de 1986 à 1988, et avec Balladur de 1993 à la dernière présidentielle.

Dans ces périodes, Chirac et Balladur n’ont eu qu’à maintenir, en pire au besoin, les mesures prises par les gouvernements dits de gauche. Et de 1988 à 1993 les socialistes revenus au pouvoir ne sont pas revenus sur ces mesures.

Les coups portés par la droite ne peuvent nous faire oublier ceux qui nous ont été portés par des gouvernements socialistes sous la présidence de Mitterrand.

Et puis, durant les deux septennats de Mitterrand, en quatorze ans, à aucun moment les syndicats n’ont déclenché de grève de l’importance de celle que nous venons de vivre. Pourtant les attaques contre la Sécurité sociale avaient été aussi importantes de la part de gouvernements de gauche, de l’augmentation des cotisations sociales payées par les travailleurs à la diminution des remboursements des médicaments, en passant par la création du forfait hospitalier qu’on vient d’augmenter.

Si les syndicats avaient réagi dès cette époque, les travailleurs auraient été bien plus forts qu’ils ne le sont aujourd’hui pour lutter et se défendre. Ils n’auraient pas perdu tout le terrain qui est aujourd’hui à reconquérir.

Alors non, nous ne pleurerons pas François Mitterrand. Laissons les hommes politiques, la bourgeoisie et le patronat le faire. Ils le peuvent car il les a bien servis.


Date : 19 janvier 1996
Source : Lutte ouvrière

Face aux mauvais coups du gouvernement et des patrons

Hausses des impôts ; augmentation du chômage ; précarité ; blocage des salaires

Il faut riposter tous ensemble

La CGT vient de proposer à l’ensemble des salariés, aussi bien du privé que de la fonction publique, d’envisager de reprendre la lutte car, dit-elle à juste titre, le gouvernement et le patronat n’ont pas renoncé à s’en prendre au niveau de vie de l’ensemble des travailleurs.

La CGT propose des journées d’action, le 23 janvier pour la Sécurité sociale et le 25 pour la défense des droits des chômeurs et la titularisation des contrats précaires dans la fonction publique.

Mais surtout, la CGT propose aux autres syndicats une initiative unitaire, « pourquoi pas fin janvier ? » dit son texte.

La CGT propose aux salariés du privé comme du public, de se réunir, sans attendre, en assemblées dans les entreprises, afin d’élaborer leurs revendications et de décider de l’action. Elle propose des revendications sur l’emploi, la durée et les conditions de travail, les salaires, le retour à 37,5 ans de cotisations pour tous, la retraite calculée à nouveau sur les dix meilleures années.

Pourquoi pas en effet !

La nécessité est grande de ne pas laisser le gouvernement reprendre l’offensive. Elle est grande aussi d’imposer au patronat qui, lui, n’a rien cédé, une augmentation générale pour rattraper le blocage des salaires, la diminution de la durée du travail et surtout l’interdiction des licenciements. Il faudrait exiger l’expropriation sans indemnité ni rachat de toutes les entreprises qui voudraient licencier alors qu’elles font des bénéfices.

Il faudrait aussi imposer le contrôle des comptabilités des grandes entreprises et des comptes en banque des grands patrons et de leurs hommes de paille, afin de voir où passent ces bénéfices, où passe l’argent et s’il ne serait pas possible de créer des millions d’emplois avec les centaines de milliards de bénéfices que font les entreprises.

Oui, il faut ce contrôle car alors qu’on nous parle du déficit du budget de l’État et que l’on nous impose des impôts nouveaux, on nous apprend aujourd’hui que la fraude fiscale représentait près de 140 milliards en 1991, l’équivalent du déficit du budget de l’État cette année-là. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, cinq ans après, cette fraude doit bien avoir augmenté de 50 % ! Cette fraude fiscale représente les salaires annuels d’un million de travailleurs.

Et qui fraude ? Les salariés, les retraités ? Non, eux ne le peuvent pas car leurs revenus sont déclarés par les employeurs ou par les caisses.

Ceux qui fraudent, ce sont les bourgeois, petits et grands, c’est le patronat, petit et grand, ce sont les professions libérales.

Oui, il serait temps de réagir contre tout cela et d’imposer de changer les choses à plus long terme pour que les riches soient un peu moins riches et les chômeurs beaucoup moins nombreux.

Alors, oui, la CGT a raison. Bien sûr reprendre un mouvement de grève de la force de celui que nous venons de connaître est peut-être difficile. Et faire une grève atteignant tout le privé, l’industrie, les servies, les banques, le commerce, en plus des services publics est peut-être encore plus difficile.

Pourtant ce serait nécessaire pour pouvoir imposer les justes revendications du monde du travail et pour faire en sorte que, peu à peu, attaque après attaque, impôt après impôt, emplois précaires, diminution des salaires relatifs ou absolus, travail à temps partiel, en un mot que toutes les mesures dont on nous menace ne nous réduisent pas à la misère et à la rue.

On peut regretter que la CGT et les autres centrales syndicales n’aient pas réagi plus tôt, au début du blocage des salaires, sous la présidence de Mitterrand, lorsque le chômage n’avait pas atteint les sommets qu’il a atteints aujourd’hui et qu’il pesait moins sur les capacités de défense des travailleurs. Pourtant, les attaques étaient déjà les mêmes.

Cela dit, il vaut mieux tard que jamais.

Alors oui, pourquoi pas tous ensemble fin janvier ?


Date : 26 janvier 1996
Source : Lutte ouvrière

Juppé recule mais tout n’est pas réglé

En décidant que la fiscalisation des allocations familiales, pourtant inscrite dans son « plan », était reportée à une date ultérieure, sans plus ample précision, Juppé vient de procéder à un nouveau recul. Comme il a reculé sur les modalités de contrôle, par le Parlement, du budget de la Sécurité sociale. Comme, dans un autre domaine, il a dû remettre à plus tard son projet de réforme fiscale.

Cela ne signifie certes pas que le plan Juppé a été entièrement démantelé. Il en reste le RDS, l’augmentation du forfait hospitalier, l’extension de la CSG aux retraites, le projet de réforme hospitalière, toutes mesures qui touchent durement les travailleurs. Mais force est de constater que son plan a subi de nettes retouches.

Juppé est surtout critiqué par ses « amis » de la majorité, balladuriens ou issus de l’UDF. Balladur propose, tout de go, que l’on diffère le paiement du tiers provisionnel, Sarkozy, Léotard, Madelin proposent, eux, de différer le prélèvement du RDS, ou d’en réduire le montant. Simone Veil dénonce – ce qui est la vérité – le fait que le gouvernement Juppé va faire payer par les contribuables deux fois le remboursement de la dette de la Sécurité sociale, puisque le gouvernement Balladur avait déjà entrepris de le faire, en augmentant la CSG. En fait toutes ces bonnes âmes ne se penchent pas sur le sort des travailleurs, mais font de la démagogie « anti-impôts » vis-à-vis de l’électorat qu’ils contestent à Juppé autant qu’à Le Pen. Il ne faut pas oublier qu’ils étaient de ceux qui, en novembre, avaient voté dans l’enthousiasme pour Juppé et son plan, alors qu’il vise surtout les travailleurs, le couvrant de compliments pour « son courage et son audace ».

Le grand patronal, de son côté, reproche à Juppé de réduire la consommation. Il voudrait encore plus de subventions, de dégrèvements fiscaux, d’exonérations de charges sociales, et en même temps des mesures qui préservent le pouvoir d’achat des classes moyennes. Mais il n’est pas question pour ces grands patrons d’augmenter les salaires ou d’investir, ou quoi que ce soit d’autre qui limite les profits. Que le gouvernement se débrouille, c’est son problème. Celui du patronat étant de gagner de l’argent, beaucoup d’argent.

Pendant ce temps, il y a toujours cinq millions de personnes privées de travail et de salaire, le niveau de vie des familles populaires régresse continuellement et les salariés continuent à vivre dans la précarité et la hantise du lendemain, pour eux et leurs enfants.

Certes aujourd’hui, le gouvernement Juppé est affaibli. Affaibli parce qu’il s’est heurté à la riposte d’une fraction importante de la classe ouvrière.

C’est important pour tous les salariés, mais cela réclame une suite. Car un gouvernement affaibli peut être remplacé par un autre. On peut même dire que cela fait partie de sa fonction, celle d’un fusible, d’un bouc émissaire.

Mais que ce soit avec Juppé, ou avec celui qui le remplacera à plus ou moins brève échéance, pour les travailleurs, les comptes sont loin d’être soldés. Il reste les mesures sur lesquelles Juppé n’a pas reculé et aussi celles prises par lui et ses prédécesseurs, y compris les socialistes.

Il faut imposer le retour aux 37,5 annuités de cotisations pour la retraite dans le secteur privé. Il reste à imposer au patronat et à l’État l’augmentation générale des salaires.

Il reste à la classe ouvrière dans son ensemble à imposer, pour réduire immédiatement le chômage, que l’on consacre l’argent de l’État à la création de véritables emplois utiles à la collectivité en réquisitionnant les entreprises, en embauchant dans tous les services publics utiles à la population. Et ce ne sont pas les besoins qui font défaut !

Les Juppé, Balladur et leurs successeurs éventuels et surtout le patronat, qui impose sa loi derrière ces politiciens, n’en sont pas quittes avec les travailleurs.

La deuxième vague de luttes est à préparer. On nous appauvrit de plus en plus, et plus tôt les travailleurs réagiront, mieux ce sera.