Texte intégral
Message de Louis Besson - 27 avril 1990 - Journée d'étude de l'UNAF
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
C’est avec beaucoup de regret que Monsieur Louis BESSON, ministre délégué chargé du logement, a dû, pour des raisons de calendrier renoncer à être parmi vous aujourd’hui pour votre journée d’étude.
II m’a chargé de vous dire tout l’intérêt qu’il porte à votre association et m’a demandé de vous lire le message qu’il aurait voulu vous transmettre, tâche dont je m’acquitte avec beaucoup de plaisir.
« Confiance et espoir » c’est le titre que vous avez donné, Monsieur le Président, à votre dernière lettre de I’UNAF consacrée aux problèmes de l‘exclusion.
Moi aussi, Monsieur le Président, j’ai confiance et espoir.
Confiance et espoir parce que beaucoup d’hommes et de femmes s’engagent dans ce pays, de façon individuelle mais aussi très souvent au sein du mouvement associatif comme le vôtre pour lutter, de façon résolue et déterminée contre les comportements qui visent à exclure de la société ceux de nos concitoyens qui sont différents en raison de leurs ressources, de leur condition sociale, de leurs origines, de leur état de santé ou de la couleur de leur peau.
Exclure l‘exclusion est une priorité pour une société évoluée digne de ce nom.
Priorité car l’exclusion génère un extraordinaire gâchis économique.
Priorité car l’exclusion est incompatible avec les valeurs fondamentales de notre démocratie.
Peut-on en effet parler de liberté, d’égalité et de fraternité lorsque certains, de façon momentanée ou de façon plus durable, « ne sont rien parce qu’ils n’ont rien » ?
Ce combat contre l’exclusion, le Gouvernement à la demande du Président de la République, entend bien le mener avec pragmatisme et ténacité.
Et Michel DELEBARRE et moi-même entendons bien y participer dans le domaine de nos compétences.
Les premiers mois d’application des textes relatifs ou revenu minimum d’insertion ont montré que 40 % des allocataires connaissaient des difficultés graves de logement.
Par ailleurs, près de 400 000 de nos concitoyens sont sans abri et près de 2 000 000 de personnes sont mal logées, soit par manque de confort, soit par surpeuplement.
Cette situation, nous le disons clairement, est intolérable.
Donner un toit, donner une adresse, offrir un logement décent et adapté est un préalable à l’insertion.
C’est pourquoi, dès 1989, nous avons décidé de donner un contenu à la notion du « droit au logement pour tous » que le Parlement a décidé d’inscrire dans la loi
Tout d’abord, en donnant un cadre juridique à ces actions dans un texte majeur.
Ensuite, en mettant en place un dispositif réglementaire et financier permettant d’élargir l’offre de logements.
Enfin, en mobilisant l’ensemble des partenaires intervenant dans l’aide aux plus défavorisés.
Sur le premier point dont je sais l’importance que vous y attachez – et je voudrais, Monsieur le Président, vous remercier très sincèrement ainsi que l‘ensemble de votre mouvement pour votre soutien notre action –, j’ai bon espoir, alors que le débat parlementaire va s’achever, que nous pourrons avancer dans la lutte contre les ghettos.
Le problème du logement ne peut être dissocié du problème de la ville.
Au droit au logement pour tous, nous devons ajouter le droit à la ville.
L’actualité récente, dans les pays étrangers voisins de chez nous, nous rappelle si besoin était, l’absolue nécessité de refuser ces concentrations de population fondées sur des critères économiques, sociaux ou ethniques.
Nous connaissons tous ces quartiers où règnent le mal-vivre, parfois même la violence et l’angoisse et qui génèrent vite, si l’on n’y prend garde, des réactions et des comportements xénophobes et racistes.
D’où notre volonté de faire en sorte que l’État, garant de la solidarité nationale, puisse, lorsque la négociation avec les différents partenaires a échoué, imposer à ceux qui le refuseraient de partager cette solidarité.
Mais une bonne loi ne peut, à elle seule, suffire. Encore faut-il se doter des moyens financiers nécessaires.
C’est ce que nous avons fait en maintenant le pouvoir d’achat des aides à la personne et en élargissant le champ des bénéficiaires.
C’est ce que nous avons fait en accroissant de façon significative les aides à la pierre avec une dotation de 20 000 PLA supplémentaires par rapport à 1989 dont 10 000 PLA d’insertion.
C’est enfin ce que nous avons fait en permettant de mobiliser une partie du parc privé ancien vacant estimé aujourd’hui à quelques 2 000 000 de logements dont plus de la moitié dans les zones agglomérées de province.
Tous ces efforts pourraient néanmoins rester vains et c’est le troisième point que je voudrais souligner, sans la mobilisation de tous, plus, bailleurs sociaux, mouvement associatif.
Tous sont très directement concernés.
Les élus dans leurs compétences d’urbanisme, d’aide sociale et de façon plus large de gestion de la ville.
Les bailleurs responsables du logement social.
Et enfin, le mouvement associatif dont le maire de Chambéry comme le ministre du logement apprécie le dévouement, le savoir-faire et la compétence en matière d’accompagnement.
C’est de la capacité à mettre en synergie ces différentes approches au plan local que se gagnera où se perdra la bataille contre les exclusions.
Je sais que I’UNAF saura se mobiliser et répondre à l’attente de nos concitoyens les plus défavorisés.
Et je suis convaincu, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, qu’ensemble, dans un esprit de coopération, l’ambition qui est la nôtre de redonner à ces familles les plus humbles « confiance et espoir » sera demain une réalité.
Lorsque les solidarités se brisent, un pays est en péril.
Faisons-en sorte qu’il n’en soit jamais ainsi.
Date : vendredi 18 mai 1990
Source : Congrès de la Fédération nationale des élus socialistes républicains
Je voudrais vous dire tout d’abord le plaisir que j’ai d’être avec& vous aujourd’hui pour débattre d’un sujet dont chacun sait bien ici l‘extrême importance.
Et l’actualité de ces derniers mois, de ces dernières semaines, de ces derniers jours nous rappelle, si besoin en était, les paroles du Président de la République, il y a à peine un an.
« À grands traits, je vois dans le refus des exclusions le vrai chantier qui nous attend. La République a besoin de compter son monde : les exclus du travail, les exclus du bien-être, les exclus de la dignité, les exclus de la santé, les exclus du logement, les exclus de la culture, doivent disposer de tous leurs droits. L’égalité passe par là, la liberté aussi. II n’est pas de République sans espoir ».
II nous paraît juste et indispensable d’offrir à ceux qui n’ont rien et qui ne sont rien des perspectives nouvelles et de permettre à chacun d’entre eux de retrouver ou de trouver la plénitude de leurs droits et leur dignité.
Nul ne peut accepter la perspective d’une société coupée en deux, ou certains vivraient de mieux en mieux alors que d’autres, pour toutes sortes de raisons, seraient poussés vers la marginalisation.
Exclure l’exclusion est une priorité.
D’abord, pour des raisons de philosophie politique à laquelle nous adhérons tous.
Ensuite, pour des raisons économiques, car l’exclusion engendre un formidable gâchis économique indigne d’une société évoluée et de progrès.
Enfin, parce que les frustrations engendrées par l‘exclusion se transforment de plus en plus en exaspération, et débordent trop souvent, sur le plan politique, au mieux sur la perte de l’espoir de changement et donc sur l’indifférence et l’abstention – au pire sur l’adhésion aux thèses les plus extrémistes.
Le Gouvernement, conscient de cette situation, a pris, depuis le début de la législature, de nombreuses dispositions comme, et la liste n’est pas exhaustive, le revenu minimum d’insertion, le crédit formation et autres mesures en faveur de la formation professionnelle ou celles destinées à prévenir le surendettement des ménages.
De même, l’année dernière, le droit au logement pour tous a été inscrit dans la loi grâce à une initiative du groupe socialiste et à cette session parlementaire vient d’être votée une loi sur la mise en œuvre de ce droit au logement. J’y reviendrai.
Le logement est et reste, malgré les efforts importants faits au cours des décennies précédentes – rappelons-nous qu’en 1950 90 % des résidences principales n’avaient aucun confort sanitaire et 38 % n’avaient pas l’eau courante – un domaine où les inégalités sont à la fois des plus visibles et des plus insupportables.
Ces progrès importants tendent encore plus intolérables les conditions de vie des quelques 400 000 sans-abris et des quelques 2 000 000 de mal-logés.
Mais, notre attention et notre action ne peuvent pas se limiter aux plus défavorisés. À une époque où la mobilité professionnelle est de plus en plus nécessaire et constamment valorisée, on peut comprendre la frustration de ces familles qui se sentent « assignées à résidence » dans des quartiers où règne parfois le mal vivre, voire l’angoisse et qui n’ont ainsi, contrairement à ce que connaissaient des familles ayant les mêmes caractéristiques socio-économiques il y a une quinzaine d’années, aucun véritable espoir de voir changer sérieusement leurs conditions d’existence, notamment par une accession sociale qui intéressait chaque année 200 000 familles et qui n’en concerne plus qu’au mieux 100 000 aujourd’hui.
Au-delà de ces données, je veux souligner devant vous le lien indissociable qui me semble devoir exister entre le droit au logement et le droit à la ville. II n’est pas acceptable qu’un grand nombre de familles modestes se trouvent amenés à choisir entre le droit au logement et le droit à la ville. En accédant à des quartiers d’habitat social, les familles trouvent bien un vrai logement, plus confortable et plus spacieux que les logements dégradés parfois insalubres ou en péril qu’elles sont contraintes de quitter dans les centres villes.
Malheureusement, ces vrais logements sont trop souvent dans des quartiers coupés de la cité. Et leurs occupants perdent, de& fait, leur droit à la ville à ses services, à son animateur... Reconnaître le droit à la ville, le faire progresser dans la réalité,& voilà sans doute un des volets essentiels de la nouvelle étape
sociale unanimement souhaitée.
Mais avant d’y revenir, je tiens à indiquer les orientations que devrait suivre la politique du logement dans le cadre de cette nouvelle étape sociale.
Les avancées réalisées depuis 2 ans sont à conforter et je m’y emploierai avec détermination, mais elles ne sauraient être considérées comme suffisantes. L’effort doit être poursuivi dans deux directions complémentaires.
Première direction : pour faire face à une demande sociale qui reste très importante, il faut encore développer l’offre de logements.
Deuxième direction : il faut mieux assurer la solvavilisation des ménages les plus modestes.
L’objectif est le même dans tous les cas, réduire les inégalités dans le domaine du logement.
L’action sur l’offre de logements est indispensable et je ne veux pas laisser croire que le recentrage social du budget du logement puisse un jour conduire à la négliger. Si l’offre de logements est insuffisante, ce sont bien les plus démunis et les plus fragiles qui en souffrent les premiers, l’expérience montrant que les autres trouvent toujours à se loger, quitte à payer plus cher. La première des inégalités devant le logement est bien liée à l’offre et la mise en œuvre du droit au logement passe donc par un développement de cette offre.
Cette politique est nécessairement globale : le logement social doit y retrouver toute sa place, aussi bien le locatif que l‘accession sociale à la propriété puisque nous savons tous que la chute de l’accession sociale ces dernières années est à l’origine d’une bonne partie des tensions qui se manifestent dans le secteur H.L.M. Mais le logement social ne peut répondre à lui seul à des besoins de logements neufs qui restent très importants – 330.000 logements par an d’ici 1995 d’après I’I.N.S.E.E., et c’est ce qui justifie la reconduction des avantages fiscaux accordés à l’investissement locatif. Locatif et accession, social et privé, la politique du logement doit jouer sur une palette d’instruments diversifiée.
Cette augmentation de l’offre doit passer aussi – et j’insiste sur ce point – par la mobilisation du patrimoine de logements existant, notamment des logements vacants estimés à 2 millions dont la moitié dans les zones agglomérées de province. Ces chiffres, l’équivalent de 30 années de programmation sociale au rythme annuel, montre bien – même s’il est évident que seule une partie est effectivement mobilisable – l’intérêt de développer une politique incitatrice vis-à-vis des propriétaires de ces biens, tant il est vrai que la fluidité du marché dans l’ancien est indispensable pour bien faire apparaître les véritables besoins de logements neufs.
L’offre de logements doit par ailleurs être adaptée aux besoins de catégories spécifiques.
Je pense aux cinq millions de nos concitoyens connaissant, à des degrés divers, un handicap dans les actes de la vie quotidienne.
Je pense aux étudiants et aux jeunes en formation post-scolaire dont il nous faut et vite régler le problème de l’hébergement.
Je pense, aussi, aux personnes âgées même si je constate que des efforts très importants, qu’il nous faudra poursuivre, ont été engagés ces dernières années dans le cadre des exercices de programmation de l’habitat social menés à l‘échelon local.
Augmenter l’offre, l‘adapter aux besoins spécifiques de certaines catégories de la population mais aussi améliorer la qualité.
Nous devons supprimer les bidonvilles dans les D.O.M. ; nous devons tout mettre en œuvre pour atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de réhabiliter en cinq ans un million d’H.L.M. ; nous devons nous assurer que les bailleurs sociaux privilégient bien l’entretien de leur parc afin de casser le cycle dégradation – réhabilitation, cycle onéreux et générateur de mécontentement des locataires. Enfin, nous devons réfléchir& au problème spécifique de l‘habitat privé ancien d’après 1948 non concerné aujourd’hui par les procédures de l’A.N.A.H. et dont une fraction importante connaît un processus de dévalorisation préoccupant.
Le deuxième axe concerne la solvabilisation des ménages.
Un certain nombre de ménages sont encore exclus juridiquement du bénéfice des aides à la personne malgré les efforts faits notamment cette année. II s’agit des personnes isolées de plus de 25 ans et de moins de 2 ans ainsi que des couples sans enfant à charge. II nous apparaît essentiel que la généralisation de l‘allocation-logement soit réalisée le plus rapidement possible et suivant un échéancier précis.
De même, le pouvoir d’achat de ces aides qui n’avait cessé de se dégrader de 1982 à 1989 doit être maintenu et il conviendra sans doute de faire en sorte que ces aides puissent s’adapter rapidement aux cas de changement brutaux de situation.
Enfin, j’attends beaucoup du dispositif prévu dans la loi sur le droit au logement qui vient d’être votée par le Parlement et qui institue les Fonds de solidarité logement dans chaque département.
Voilà quelques pistes de réflexion et quelques mesures possibles dont nous pensons qu’elles seraient de nature à réduire les inégalités sociales que nous constatons.
Mais il nous faut veiller – je le disais au début de mon propos – à ce que nombre de concitoyens ne soient pas obligés d’échanger leur droit au logement contre l‘abandon de leur roit à la ville.
Droit au logement et droit à la ville, à son usage apparaissent de plus en plus indissociables et l’ensemble des mesures relatives au logement restera inopérant si l’on continue à identifier logement social et quartier spécifique quand ce n’est pas logement social et ghetto.
Nous avons été amenés à jouer les « pompiers » ce qui nous a conduit, avec un certain succès et dans de nombreux cas avec& un succès certain, à arrêter des processus de dégradation et à& stopper les effets néfastes des politiques d’habitat social conçus dans les années 60. Yves Dauge ne me contredira pas sur ce point.
Mais, j’ai le sentiment qu’aujourd’hui, grâce aux compétences et aux savoir-faire acquis, il doit être possible d’aller au-delà du traitement des effets et de s’attaquer aux causes.
II nous faut faire des grands ensembles des quartiers comme les autres.
Or un quartier, une ville c’est le contraire de la monotonie, c’est tout sauf l’unicité de fonction, l’unicité de statut, l’unicité du peuplement.
Pour arriver à casser cette uniformité antinomique de la vie, il nous faut tout d’abord de l‘imagination, et, pour concrétiser ces idées qui jailliraient de cette réflexion collective à laquelle nous ne pouvons échapper, ne pas hésiter à prendre les mesures budgétaires, réglementaires, voire législatives s’il le faut.
Je n’ai pas la prétention d’apporter des solutions à un problème bien complexe.
Peut-être oserais-je formuler quelques pistes de réflexion.
Faire de ces grands ensembles des quartiers comme les autres nécessitent, à mon sens, que soit facilitée l’intégration urbaine de ces secteurs de la vile à la cité, que soit diversifiée systématiquement le peuplement de ces quartiers, que soit assurée, afin de rompre avec le tout locatif, la pluralité des statuts d’occupation, que soit pensée autrement l‘architecture.
Ce n’est pas le lieu ici de décliner ces quelques pistes de travail mais il me paraît indispensable que nous accélérions collectivement la réflexion dans ce domaine.
Est-il besoin de dire que nous comptons sur la Fédération nationale des élus socialistes et républicains pour mener à bien ce grand chantier.