Interview de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation dans "La Voix du Nord" du 25 mai 1996, sur la position française sur l'affaire de la maladie de la vache folle, l'importation de viande bovine et l'installation des jeunes agriculteurs.

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Média : La Voix du Nord - Presse régionale

Texte intégral

Q - Comment arrêter la course de la « vache folle » ?

« Depuis l'explosion de la crise, il y a deux mois, notre préoccupation est de tout faire pour rassurer le consommateur. D’emblée, à titre conservatoire, on a décrété l'embargo : une décision qui n'a rien de politique ou d'économique mais d'ordre sanitaire. On n'a pas le droit de prendre de risques. C'est en fonction des seules données scientifiques que la situation évoluera. L'embargo ne sera assoupli qu'au fur et à mesure de la levée des incertitudes. Si le consommateur a une défiance permanente à l'égard de la viande bovine, la crise durera. S'il retrouve confiance, le marché reprendra. Dans les semaines qui viennent, on risque de connaître de fortes tensions sur le marché. Cela doit nous amener à davantage insister sur la façon dont nos bêtes sont élevées. Et à toujours mieux identifier la production de viande bovine française… ».  

Q - Cette crise bovine ne repose-t-elle pas sur une hypocrisie britannique ? N'est-elle pas le prétexte à un mauvais coup contre la construction européenne ?

« Hypocrisie, je ne crois pas. Bien sûr, j'ai été étonné par la façon dont les britanniques ont géré cette crise, donnant une curieuse impression de flottement. Du coup, la tension monte dans une Europe tentée d'opposer une certaine raideur à une curieuse brutalité. Il faut faire attention, ne pas laisser se développer la polémique politicienne. Il faut éviter que cette crise ne déborde sur la construction européenne. Il y a des tas de risques. La marge de manoeuvre est étroite. Il faut du sang-froid, de la fermeté, et de l'esprit de conciliation dans les limites du possible. »

Q - Comment concevez-vous votre mission de conciliation ?

« D'abord, parler de « levée de l'embargo » est un abus de langage si on fait croire que cela concerne tous les produits. Il s'agit d'étudier les conditions d'un assouplissement des échanges sur des produits très spécifiques – gélatine et suif – ne présentant aucun danger. Notre rigueur est fondée sur des éléments fournis par l'Organisation mondiale de la Santé et l'on peut admettre une évolution progressive et bien ciblée. Mais autoriser la circulation de ces produits ne signifie pas que le consommateur retrouvera du boeuf dans son assiette. Boycotter notre viande bovine parce qu'on laisserait entrer de la gélatine, ce serait adopter l'attitude de Gribouille. »

Q - Pour un élu du Pas-de-Calais, n'est-il pas gênant de taxer les exportations de céréales ?

« Ce n'est ni l'élu du Pas-de-Calais ni le ministre français qui taxe les céréales. La politique agricole commune a été fondée sur l'idée que le marché céréalier serait excédentaire, qu'il fallait réduire la production et garantir les prix. Or on passe en sens inverse. Le prix du marché mondial est supérieur au prix européen. On a une demande et on réduit la production. Ce paradoxe gène l'élu du Pas-de-Calais, qui trouve qu'on marche sur la tête. C'est ubuesque ! Et je me bats pour une baisse significative du taux de jachère, seul moyen de relancer la production, faire face aux besoins du marché intérieur et aux opportunités du marché mondial. »

Q - Et pour un libéral, les quotas laitiers ne sont-ils pas un paradoxe ?

« Je ne suis pas un libéral au sens où vous l'entendez. Bien sûr, on ne peut nier les nécessités de l'économie de marché. Mais si le socialisme a échoué sur le plan économique, le capitalisme a échoué sur le plan social. Il faut tirer la leçon de ce double échec et concilier le besoin de responsabilité, de concurrence, d'initiative avec celui de solidarité.

En matière agricole, il faut en même temps veiller à la performance et occuper le territoire. Et les quotas laitiers sont faits pour maîtriser le volume de production, garantir les besoins, défendre les prix et sauver les exploitations. »

Q - Est-il vrai que Mme Blandin est plus généreuse que vous dans ses critères d'aide à l'installation des agriculteurs ?

« Les sommes allouées par le Conseil régional à l'agriculture n'ont rien à voir avec celles apportées par l'Etat. C'est une bille par rapport à une planète. La bonne façon de procéder pour la Région, c'est de jouer un effet de levier en s'appuyant sur les politiques agricoles européenne et nationale pour en tirer le meilleur parti sur son territoire. Vouloir faire le contraire, ce n'est pas choisir la voie la plus efficace.

Q - Quel est le problème ?

L'Etat veut favoriser financièrement les installations en fonction de critères permettant d'assurer la réussite durable des projets. Faut-il donner l'argent à qui le demande ? Ou doit-on faire en sorte qu'une installation soit bien préparée ? D'après les sondages, nous avons un taux de réussite exceptionnel de 95% pour les installations aidées. L'argent des contribuables doit être dépensé dans le sens de l'intérêt collectif. S'il s'agit de faire naître des illusions, au risque de faire plus tard des malheureux, des désespérés, c'est nul comme attitude…

Refuser les critères réclamés par la profession pour donner de l'argent à tous relève de la démagogie. Je veux être tout sauf un démagogue. Vouloir tirer l'agriculture vers le bas n'est pas la solution.

Q - Le Boulonnais n'a-t-il pas l'intention de revenir dans sa ville ?

« La question aurait pu se poser en 1989. Je n'habite plus Boulogne mais j'aime cette ville. J'y ai de la famille et des amis. Je m'occupe de la pêche et je discute avec les élus locaux, avec le recul qui permet d'aller dans la bonne direction. Je vis dans le Terncis depuis 1991. J'ai fait le choix de me présenter à la mairie de Saint-Pol où il y a beaucoup à faire. Je suis heureux d'y avoir été élu. Je ne trahirai pas la confiance des électeurs. Je ne me mêlerai plus jamais de la vie politique à Boulogne car elle me laisse un souvenir nauséabond. Mais je suis prêt à aider de toutes mes forces tous les gens qui ont envie d'y faire quelque chose… »

Q - Chacun sait que vous visez la présidence du Conseil régional… Quelles sont vos ambitions dans le Nord-Pas-de-Calais ? Et pour le Nord-Pas-de-Calais ?

« Ma démarche consiste à faire bouger les choses à partir d'une réflexion dépassant le cadre politique. Le jour venu, on fera une liste avec des partis. J'entends jouer un rôle. J'ai envie de m'investir pour la région. Je veux convaincre les gens du Nord-Pas-de-Calais qu'ils ont un destin commun. Il faut fédérer les forces, dépasser les féodalités, prendre de la hauteur. Nous sommes tous dans le même bateau. Il faut se mobiliser, se battre, faire preuve de responsabilité collective. Je n'ai pas envie d'aborder l'élection de 1998 avec une attitude politicienne sur le nombre de listes à bâtir avant de savoir pour quel projet on va se battre. Faire passer de type de calcul avant d'affirmer un projet régional, ce serait ringard. Je ne jette pas la pierre aux politiques. J'en fais partie et j'en suis fier. Mais il est temps que nous dépassions nos petites querelles au profit d'une grande espérance pour notre région… »