Déclaration de M. Jacques Toubon, ministre de la justice, sur le rôle et l'action de l'autorité judiciaire en matière de lutte contre le banditisme en Corse, à l'Assemblée nationale le 28 mai 1996.

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Circonstance : Débat sur l'avenir de la Corse à l'Assemblée nationale le 28 mai 1996

Texte intégral

Alors que l'immense majorité des habitants de l'île réaffirme son attachement au débat démocratique, le seul légitime, je tiens à exprimer une nouvelle fois que la justice entend bien y contribuer pleinement. Son action, ferme, équilibrée, humaine, doit permettre de conforter tous ceux qui souhaitent sincèrement s'inscrire dans la légalité et œuvrer dans l'intérêt de tous.

C'est bien là le rôle et l'action de l'autorité judiciaire dont les résultats en matière de lutte contre le banditisme et la grande criminalité méritent d'être particulièrement soulignés dès lors que l'on veut bien analyser objectivement les faits.

Ainsi, le nombre de crimes et de délits constatés a connu une importante diminution, atteignant même de 1995 par rapport à 1994, 40 % de moins pour les vols et tentatives de vol à main armée.

Parallèlement, les taux d'élucidation des infractions ont également connu une évolution variable mais généralement positive.

Je soulignerai en particulier :
      – que les unités de gendarmerie de la Corse ont élucidé près de la moitié des faits qu'elles ont été amenées à constater ;
      – que la police judiciaire d'Ajaccio a réalisé des résultats supérieurs à la moyenne nationale : près des deux tiers des affaires qui lui ont été confiées ont abouti.

Pour ne prendre que quelques exemples, j'évoquerai également :
      – la fusillade du palais de justice d'Ajaccio : les auteurs de ces faits, immédiatement poursuivis par les forces de police, ont été interpellés. Ils devraient très prochainement être jugés ;
      – le meurtre du président du tribunal administratif de Bastia : là encore, l'auteur de ces faits odieux, rapidement identifié, a été déféré à la justice.
      – enfin, je ferai état d'une procédure récente qui, bien que n'ayant pas défrayé la chronique, me paraît exemplaire de la réalité de l'action menée sur le terrain par les services de police judiciaire, sous l'autorité des magistrats. Le 13 mai 1996, à Bastia, un véhicule suspect était signalé aux services de police. Lors du contrôle qui s'en est immédiatement suivi, ses deux passagers ont cherché à s'enfuir en faisant usage de leurs armes. L'un deux a été blessé et interpellé, avant d'être présenté à la justice. L'enquête poursuit son cours actuellement. Un exemple de violence, parmi d'autres, qui n'est pas resté sans réponse.
      
N'oublions pas, aussi, que le champ d'intervention de l'institution judiciaire ne se limite pas à la répression, ô combien nécessaire, du grand banditisme et du terrorisme, mais s'étend à bien d'autres situations qui peuvent être également très douloureuses. Je pense bien sûr au drame de Furiani, qui a bouleversé toute la communauté nationale, et dont la procédure judiciaire a pu être examinée dans les meilleures conditions de sérénité possible grâce aux efforts et à la dignité de tous, et en particulier des victimes auxquelles je rends une nouvelle fois hommage ici.

Je saisis également l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour exprimer ma profonde considération à tous ceux qui concourent à l'œuvre de justice avec dévouement et parfois au prix de dénigrements ou d'actes inacceptables, exercés sur leur propre personne ou sur celles de leur famille. Ce week-end encore, le comportement professionnel d'un haut magistrat en fonction dans l'île a été mis en cause, par voie de presse, dans des conditions que je ne peux admettre. Je ne resterai pas sans réaction devant de tels comportements que j'entends dénoncer fermement, sans préjudice des suites judiciaires susceptibles de leur être réservées. Il est de mon devoir de Garde des sceaux d'assurer le respect de l'institution judiciaire et des hommes et des femmes qui la composent. Je l'assumerai pleinement, en toutes circonstances et sans me laisser fléchir par des polémiques lancées à des fins purement politiciennes, parfois avec irresponsabilité.

Je redis de même très nettement aux magistrats, officiers de police judiciaire, fonctionnaires de justice et bien évidemment aux membres de cette Assemblée qu'il n'y a pas de délinquant intouchable. J'indique de même qu'en ce qui concerne certaines déclarations faites dans une période récente, invitant certains à transgresser la loi pour faire obstacle, par la violence, au bon déroulement des investigations, j'entends n'exclure aucune suite judiciaire à de tels propos, contraires au plus élémentaire respect de notre État de droit.

J'ai pour ma part, avant tout, dans mes fibres, dans mon esprit, le sens de l'État, et je crois savoir, après une assez longue carrière à la fois administrative et publique, distinguer où se trouve le sens du devoir et l'intérêt général.

C'est dans cet esprit que la justice doit permettre à chacun d'agir, de s'exprimer ouvertement et librement, dans le cadre des lois de la République.

En effet, je rappelle qu'il n'y a pas de violence justifiée, qu'il n'y a que des violations de la liberté de chacun, qu'il n'y a pas non plus de violence banale ou de seuil de tolérance dans ce domaine et que la moindre dérive vers ce qui pourrait apparaître comme une accoutumance à la violence ordinaire doit être dénoncée. Il n'y a pas de violence réservée et il va de soi que les lois s'appliquent sur l'ensemble du territoire de la République.

C'est ainsi que, lorsque sont réunies les conditions fixées par la loi en vue de répondre au mieux à la légitime protection des intérêts de la Nation et de ses citoyens, les procédures qui en découlent sont mises en œuvre sous le contrôle souverain et naturel des instances judiciaires, jusqu'au degré le plus élevé : la Cour de cassation. En conséquence, et conformément aux dispositions de l'article 706-18 du code de procédure pénale, le parquet a requis le dessaisissement de huit procédures relatives à des assassinats et tentatives d'assassinat.

Ces requêtes, fondées – comme il se doit en matière judiciaire – sur une analyse au cas par cas, tendent à assurer le meilleur déroulement possible des procédures et à leur donner leur pleine efficacité, en application des textes en vigueur et eu égard à l'expérience et aux moyens dont dispose la juridiction spécialisée parisienne. L'application de la loi pénale est un élément incontournable dans le processus de retour à une situation durablement stable.

Gardons toujours présent à l'esprit que l'État, c'est avant tout la loi et la justice. N'utilisons jamais celle-ci à des fins partisanes. Évitons de critiquer aujourd'hui des options que l'on réclamait hier. Laissons la justice, telle qu'elle est organisée par nos lois, jouer pleinement et sereinement son rôle.

Ne perdons pas de vue, également, que la justice n'est pas uniquement celle qui punit ; elle est aussi celle qui répare et qui réintègre chacun dans l'exercice de ses droits.

La justice, c'est donc l'impartialité, la neutralité, l'égalité entre tous. La justice, c'est enfin et surtout la paix, la paix civique, la paix sociale.

Son action doit permettre de répondre à tous ceux, de tous bords, qui entendent au grand jour et dans le respect de nos lois, inscrire les actes de leur vie dans la voie apaisée que les Corses, comme l'ensemble de nos concitoyens, souhaitent et que le Gouvernement propose.

Cette justice est – ai-je besoin de le souligner – au cœur de mon action. J'entends mener celle-ci dans le respect des règles de notre Constitution et de nos lois qui sont les valeurs de la République. Elles seules peuvent nous rassembler.