Texte intégral
Bernard Le Solleu : La décision de Bonn de mettre fin au retraitement des déchets nucléaires a semblé surprendre Paris ?
Christian Pierret : Nous connaissions évidemment les orientations générales qui lient les sociaux-démocrates et les Verts allemands. Au sommet franco-allemand de Postdam, le 1er décembre, le chancelier Schröder ne nous a pas caché que son gouvernement prendrait dans ce domaine des décisions irréversibles dans les 100 jours. Mais nous pensions que l’annonce serait précédée d’une phase de discussion préalable au sein d’un groupe de travail intergouvernementale formé d’experts de haut niveau. Nous n’avons donc pas été surpris par la décision elle-même, mais par la rapidité de l’annonce.
Bernard Le Solleu : Pour la Hague et son usine de retraitement est-ce un coup mortel ?
Christian Pierret : Si la décision allemande s’applique bien le 1er janvier prochain, la Cogema, pour les contrats prévus jusqu’en 2010, va perdre 30 milliards de francs de chiffres d’affaires. Soit 15 % de celui de son activité retraitement. Pour la Hague, qui compte 6 000 personnes, on ne peut pas établir de relation univoque et automatique entre l’évolution du chiffre d’affaire (– 15 %) et celle de l’emploi. Ce sera peut-être moins, peut-être plus. La décision allemande ne saurait, à mes yeux en tout cas, porter un coup injuste à la filière du retraitement.
Bernard Le Solleu : Le chancelier allemand a semblé pourtant refuser toute indemnisation à la Cogema ?
Christian Pierret : Il s’exprimait en homme politique devant les instances du SPD. Il a dit précisément que pour ce qu’il connaissait des contrats privés liant les électriciens allemands à la Cogema, il n’y avait pas d’indemnités à payer, ni à l’entreprise, ni à l’État français. Je n’entrerai pas dans ce débat de juriste. Par-contre, des accords entre les deux gouvernements ont été signés en 1989 et en 1990. Ces textes ayant valeur de traités prévoient, à mon avis, que les conséquences dommageables de l’arrêt du retraitement doivent être compensées d’une manière ou d’une autre. Je suis convaincu qu’aucun cas de force majeur politique ne saurait nous être opposé, car ce serait alors unilatéralement le fait du prince. Dans ce type de situation, on ne peut être celui qui crée le cas de force majeure, et celui qui en refuse les conséquences. Autrement dit, on ne peut être juge et partie.
Bernard Le Solleu : Le groupe de travail doit prochainement en discuter ?
Christian Pierret : Oui, rapidement. Le gouvernement français défendra les intérêts du pays, de ses entreprises et de leurs salariés, autant qu’il est placé en situation de le faire. Nos intérêts humains, technologiques et financiers, doivent être préservés. Entre les deux gouvernements, la coopération est excellente. Je n’imagine pas que l’Allemagne et la France choisissent ce moment pour altérer une véritable dynamique politique qui fait d’eux le fer de lance de la construction européenne.
Bernard Le Solleu : Vous avez reçu le ministre allemand de l’Environnement M. Trittin. Son engagement à récupérer les déchets déjà retraités sera-t-il tenu et quand ?
Christian Pierret : A ma demande réitérée, il s’y est engagé, 168 conteneurs sont prêts au départ depuis mars 1997. Il a accepté le retour de ce convoi dès 1999. Ensuite, il y aura deux convois par an. Je n’ai aucune raison de ne pas lui faire confiance sur ce point, je note cependant que deux présidents SPD des deux landers où se trouvent les principaux lieux de stockage ont fait savoir qu’ils n’en voulaient pas. Nous ferons appliquer la loi française qui prévoit le retour de tous ces déchets, selon des modalités et calendrier approprié.
Bernard Le Solleu : M. Trittin et Mme Voynet ont évoqué la possibilité pour la Hague de simplement conditionner non plus retraiter les déchets allemands. Qu’en pensez-vous ?
Christian Pierret : Mettons les points sur les i M. Trittin connaît sans doute mal ce sujet. Pour ce conditionnement, il faudrait construire une nouvelle usine, développer de nouvelles applications technologiques, mener de nouvelles enquêtes publiques, obtenir l’autorisation des autorités de sûreté… Cela nécessiterait un délai de 8 à 10 ans pendant lequel les déchets seraient toujours en France. Qui financerait ces investissements nouveaux ? Il est plus simple que nos amis allemands construisent cette usine chez eux.
Bernard Le Solleu : Le projet franco-allemand de réacteur du futur est-il définitivement enterré ?
Christian Pierret : Absolument pas. Vendredi dernier, l’entreprise Siemens a réaffirmé son intention de construire ce réacteur avec Framatome. L’avant-projet détaillé est prêt. Il reste à construire une tête de série prototype qui ne pourra pas être réalisée en Allemagne, on le supposait de longue date. Le sera-t-il en France, je le souhaite. La décision sera arbitrée par le Premier ministre dès que possible, avant le 31 décembre 1999. Ce réacteur est plus sûr, plus économe, plus écologique.
Bernard Le Solleu : Vous affichez ainsi votre détermination à défendre la filière nucléaire ?
Christian Pierret : Je n’ai jamais été partisan du tout nucléaire. Je ne suis pas non plus partisan du tout énergie fossile ou du tout renouvelable. Je suis partisan du « ni tout-ni tout ». La France doit avoir une politique de l’énergie équilibrée. Qui peut nous prédire le prix du baril de pétrole en 2010 ? Aujourd’hui, le calcul du coût énergétique place le nucléaire en tête à 20 centimes le kilowatt-heure. Les Français savent-ils que ce prix comprend le coût du démantèlement des centrales, du retraitement et du stockage ? J’aimerais que pour les énergies fossiles – nous en parlerons à l’Assemblée nationale jeudi – le coût des milliards de tonnes de carbone rejetés dans l’atmosphère soit aussi bien pris en compte.
Bernard Le Solleu : Vous êtes en train de nous dire que nos amis allemands font une grosse bêtise en se privant du nucléaire ?
Christian Pierret : Si les Allemands veulent nous acheter de l’électricité, ils sont en droit de le faire. C’est e que vient de dire le président de la Bavière.
Bernard Le Solleu : Et à votre allié Vert, M. Cohn-Bendit, qui est à la Hague en ce moment, que dites-vous ?
Christian Pierret : Je le félicite d’y être allé. Il a beaucoup à y apprendre.