Interviews de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, dans "Sud-Ouest" le 20 février 1999 et dans "La Nouvelle République du Centre Ouest" du 23, sur les négociations au niveau européen sur la réforme du financement de la PAC, les revenus et des prix agricoles.

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Média : La Nouvelle République du Centre Ouest - Sud Ouest

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Sud Ouest : 20 février 1999

« Sud-Ouest ». Le coup d’arrêt de la France à la marche vers le compromis sur la PAC vous donne-t-il satisfaction ?

Luc Guyau. Nous n’avons jamais été attachés à un calendrier ni à une date-butoir. Ce que nous voulons, c’est obtenir une réforme qui assure l’avenir de l’agriculture française. Alors si, pour y parvenir, il faut négocier un peu plus longtemps que prévu, il ne faut pas hésiter. Mais si nous avons solennellement interpellé le ministre de l’agriculture, c’est parce que les agriculteurs sont aujourd’hui très inquiets sur l’issue de cette négociation et parce que nous voulons que les pouvoirs publics tiennent bon jusqu’à ce qu’on parvienne à un accord acceptable pour nous. C’est le sens de toutes les manifestations qui ont eu lieu dans les départements depuis deux mois. Plus de 100 000 agriculteurs ont déjà manifesté, ce qui montre bien le degré de mobilisation. C’est pour cela aussi que nombre d’entre eux se retrouveront lundi à Bruxelles.

« S.-O. ». Ne craignez-vous pas que les divergences franco-allemandes aient de lourdes conséquences sur l’avenir de l’Europe verte ?

Luc Guyon. Le couple franco-allemand a jusqu’à présent toujours été le moteur de l’Europe, et rien de solide n’a pu se conclure en agriculture sans l’accord des deux principaux pays agricoles. Aujourd’hui, les Allemands souhaitent réduire leur financement au budget de l’Union. La France a fait des propositions qui visent à réduire les dépenses, mais il faudra que tout le monde fasse des efforts. La négociation doit être globale et il faut tout mettre sur la table : la demande allemande qui doit être réduite, le chèque anglais, les fonds de cohésion de l’Espagne et du Portugal. C’est pour cela que nous exigeons d’avoir un accord sur le budget avant de conclure sur la réforme de la PAC. Car il serait injuste de faire supporter par la seule agriculture tout le poids des économies budgétaires. Je rappelle que le meilleur moyen de faire des économies, c’est d’éviter de créer des dépenses supplémentaires, et, à ce sujet, on peut tout de suite faire des économies en ne réformant pas la politique laitière, qui, aujourd’hui, donne satisfaction et ne coûte pas cher au budget de l’Union. Or, la réforme proposée par le commissaire Fischler doublerait d’un coup le budget consacré au lait sans aucune justification économique.

« S.-O. ». 30 000 agriculteurs sont attendus lundi à Bruxelles. La solidarité entre les agriculteurs n’est-elle pas meilleure que celle des gouvernements ?

Luc Guyon. Malgré la diversité de leurs productions, de leurs exploitations ou de leurs situations climatiques, les agriculteurs européens ont en commun quelque chose de très fort qui les unit, c’est l’appartenance à une même identité, un rapport très particulier à la société européenne, qui fonde ce que nous appelons le modèle agricole européen. En effet, l’agriculteur européen, d’où qu’il soit, ne se contente pas de produire des aliments de base à bas prix, la société lui demande en plus des produits sains, de qualité et en quantité régulière. Elle lui demande aussi d’animer et de tenir le territoire, de préserver l’environnement, les paysages et les ressources naturelles. C’est pour défendre ce modèle que les agriculteurs européens du COPA défileront lundi à Bruxelles. Pas un seul pays ne manquera à l’appel, et nous espérons ainsi fléchir la commission pour qu’elle abandonne sa logique de comptable pour bâtir une réforme qui préserve cette originalité européenne et assure la survie de la PAC.

 

La Nouvelle République du Centre-Ouest : Mardi 23 février 1999

Le texte de l’agenda 2000 indiquant l’orientation de la réforme de la PAC est sur la table depuis juillet 1997. N’est-il pas trop tard de manifester votre désapprobation à la veille de décisions ?

Luc Guyau. « Il n’est jamais trop tard. Cependant, il faut savoir que nous sommes intervenues à Bruxelles, depuis près de deux ans déjà, auprès de la commission, qui est malheureusement restée sourde, à l’exemple de son commissaire agricole. Aujourd’hui, la décision se retrouve entre les mains des chefs d’État et des ministres concernés. Le moment n’est donc pas inopportun de s’adresser à eux ainsi qu’à l’opinion publique. »

Est-il possible de défendre une certaine idée de l’agriculture, comme par le passé, alors que les règles économiques ont déjà fortement modifié cette activité ?

Luc Guyau. « Quand on s’attaque aux aspects complexes de la politique agricole commune, l’une des difficultés réside dans l’explication. Comment faire comprendre l’option de la Commission, qui entend réduire les dépenses européennes et propose en même temps d’augmenter les aides directes ? Il est évident que les agriculteurs préféreraient de loin garder le schéma antérieur, avec une vérité des prix liée au marché. Nos démarches à Bruxelles ont abouti à retenir un modèle agricole européen que nous entendons défendre. Il a été approuvé l’an dernier par les chefs d’État à Luxembourg.

Le moment nous paraît bon aujourd’hui de le leur rappeler. Ce modèle d’une agriculture, retenu à l’unanimité par les Européens, doit se développer en réponse aux besoins exprimés par la société. Les sondages montrent que les Français ont, certes, un avis globalement favorable vis-à-vis des agriculteurs. Ce n’est pas le cas de tous les pays. »

À la façon dont ont réagi les céréaliers, l’autre semaine, ne peut-on pas craindre que ce lobby finisse par arracher une décision en sa faveur au détriment d’autres productions ?

Luc Guyau. « Ce dérapage, on l’a désapprouvé. Depuis, il y a eu des actions syndicales dans une quarantaine de départements, où des agriculteurs se sont retrouvés au coude à coude avant la manifestation de Bruxelles. Chaque production a, certes, tendance à défendre ses intérêts. La FNSEA a, quant à elle, pour mission de maintenir la cohésion entre les productions. Ce que nous faisons en refusant la baisse systématique des prix ou la renationalisation rampante des politiques agricoles dans les Etats membres. Vouloir détruire la PAC, qui a été l’une des bases de la fondation de l’Europe, ce serait une aberration. »

Dans des départements comme le Loir-et-Cher, récemment, les syndicalistes s’inquiètent de ne plus être que 3 000 agriculteurs dans les cinq ans. Ne craignez-vous pas que Bruxelles porte un nouveau coup dur à l’emploi ?

Luc Guyau. « Au moment ou l’on tente de mieux préciser les missions de l’agriculture vis-à-vis de la société, en soulignant le besoin d’équilibre entre les hommes, les territoires et les activités agricoles, il paraît curieux de vouloir réduire le revenu. Sur ce problème, il est vrai que l’on rencontre souvent une incompréhension de nos dirigeants. Il est clair pourtant que l’on ne pourra maintenir l’équilibre sur les territoires que si leurs occupants vivent de leur métier. On se demande bien dès lors pourquoi il faudrait baisser les prix agricoles, d’autant que le consommateur n’en tirera aucun avantage. Sur la question de la baisse de l’emploi, il est évident que dans de nombreuses régions un seuil a été atteint, au-delà duquel l’équilibre sera forcément remis en cause. C’est pourquoi, il nous paraît hors de question de laisser filer le revenu. »

Vous étiez dans l’Indre la semaine dernière. Qu’avez-vous dit aux agriculteurs très préoccupés des mesures annoncées sur les oléagineux et la viande bovine ?

Luc Guyau. « Si, dans la réforme, il n’y a pas d’avancée sur ces deux points, les conséquences seront catastrophiques pour de telles régions. Il n’est pas acceptable que l’Europe banalise la politique développée jusqu’ici en faveur des oléagineux. L’élevage allaitant, il faut aussi le maintenir. Ces deux questions, avec celle posée autour de la remise en cause des quotas laitiers, comptent parmi les plus difficiles à résoudre. Notre position en faveur de l’élevage allaitant, par exemple, n’est pas simple, parce que chaque pays ne défend pas le même type d’élevage et qu’un débat entre le mode de production extensif et l’intensif existe entre Européens. Pour la question laitière, voilà une production qui marche bien et qui ne coûte pas cher à l’Europe. Si on remet en cause les quotas, on va déstabiliser un système et les producteurs vont se mettre à faire davantage de viande bovine. »

Quelles que soient les décisions prises à Bruxelles, vous ne remettrez pas votre mandat en cause lors des prochaines élections à la FNSEA ?

Luc Guyau. « L’un n’est pas lié avec l’autre. Quel que soit l’accord, l’action syndicale devra se poursuivre. Il faudra notamment se retourner vers le gouvernement français pour qu’il accompagne les décisions en prenant des mesures. »