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Eurogrève. Le terme a claqué dans l'actualité sociale de ces derniers jours à l'occasion de l'action unitaire des cheminots, de leurs organisations syndicales, dans plusieurs pays de l'Union européenne, impulsée par la fédération syndicale des transports, une branche de la Confédération européenne des syndicats.
Ce n'est pas la première du genre dans la profession ; par conséquent, là n'est pas l'événement.
Par contre, le moment, le sens et les modalités de cette initiative concertée illustrent, oh combien !, que s'il veut s'en donner les moyens, le syndicalisme, demain, n'est pas condamné à subir les événements, mais peut intervenir efficacement sur des enjeux sociaux considérables.
Dans une Europe d'essence d'abord libérale, comme espace où devraient circuler librement « capitaux, biens et marchandises », c'est le besoin de cohésion, mais aussi de progrès social qui vient de s'exprimer avec plus de force et d'urgence.
À la volonté de la Commission de Bruxelles, de mettre en concurrence les salariés pour l'exploitation des réseaux de chemin de fer, les cheminots répondent : service public, acquis sociaux.
Au dogme de la privatisation, qui aurait toutes les vertus pour développer le transport ferroviaire, la réponse syndicale oppose le développement des coopérations techniques, professionnelles, commerciales qui sont compatibles avec la variété des modes d'exploitation et de statut des personnels choisis par chaque pays.
Là, comme ailleurs, il faut, pour être réellement efficace, savoir contrer des projets ou des décisions que la CGT juge néfastes et, dans le même temps, construire un large rapport de force unitaire où les salariés s'emparent des propositions alternatives donnant un sens et un contenu au progrès social qui doit rester l'ambition de toute société moderne.
Nous sommes à la veille de la mise en place de l'euro que le patronat attend aussi comme instrument pouvant favoriser et généraliser sa stratégie de mise en concurrence des uns contre les autres dans une Europe libérée des « contraintes sociales ».
Nous sommes au moment où, en France, la procédure de ratification du traité d'Amsterdam relance à nouveau les débats sur la nature de la construction européenne qui intéresse chaque citoyen.
Nous sommes dans cette phase où le projet européen, balafré par 18 millions de chômeurs et plus de 50 millions de personnes reconnues comme vivant en-dessous du seuil de pauvreté, perdrait toute légitimité s'il ne satisfaisait pas les exigences sociales dont nous sommes porteurs.
L'eurogrève du 23 novembre démontre, une nouvelle fois, que les organisations syndicales – dans leur propre pays comme en Europe – au-delà de ce qui peut les diviser dans leurs pratiques ou leurs analyses, ont les capacités de peser ensemble, en se respectant mutuellement, dès lors que c'est l'intérêt des salariés qui guide les comportements et non l'esprit de chapelle.
Il ne faut pas ériger cet événement en modèle qu'il faudrait copier : chaque situation appelle des réponses appropriées et, en même temps, convergentes et solidaires.
Cela étant, je pense que les cheminots européens viennent de faire une nouvelle expérience qui devrait utilement inspirer nos discussions préparatoires au 46e congrès confédéral.