Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Commissaire,
Monsieur le Directeur,
Mesdames,
Messieurs,
La question posée est passionnante car elle est au coeur même de la responsabilité politique qui est la mienne aux côtés du Ministre Bernard Pons.
Je l'aborde personnellement avec deux convictions fortes : celle que, d'une part, l'Europe est une chance pour les transports et une chance particulière pour les transports français compte tenu de la position géographique et – économique de notre pays, celle que d'autre part l'Europe reste largement à construire par nous tous, et que notamment elle appelle des puissances publiques de divers niveaux de sérieuses adaptations dans leurs modes d'intervention.
L'intervention de la puissance publique, objet de notre débat, les pères fondateurs de l'Europe l'ont trouvée pertinente dès le Traité de Rome, dans une logique qui était déjà celle de la libre circulation des hommes, des biens et des capitaux.
On pourrait alors un peu affiner la question, et se demander si l'intervention de la puissance publique est toujours pertinente dans l'Europe des Transports, aujourd'hui très largement libéralisée.
L'essentiel me paraît être de poser le débat en termes politiques d'objectifs et de moyens : d'abord quels sont les enjeux des transports, en France et en Europe ? Ensuite, dans quelle mesure ces enjeux peuvent-ils être atteints par les seuls mécanismes du marché. Enfin de quels moyens de régulation des marchés les pouvoirs publics disposent-ils au niveau européen et au niveau national.
Les enjeux d'une politique des transports
Les transports se situent, que l'on parle d'infrastructure ou de service, au carrefour de dynamiques très diverses, et au centre d'enjeux complémentaires et parfois contradictoires.
Répondre à une demande croissante de déplacements de voyageurs comme de marchandises.
Cette demande résulte à la fois des libertés individuelles de déplacement, – expression du progrès social –, et de l'organisation des activités économiques, – élément de la compétitivité internationale.
Assurer le développement équilibré du territoire, tant au niveau européen, au niveau régional et inter-régional, et au niveau des déplacements de la vie quotidienne, notamment en inter-urbain.
Les réseaux de transport structurent le territoire. Ils orientent la localisation des activités et le développement urbain. Ils peuvent accentuer les effets de polarisation ou d'exclusion.
Renforcer la compétitivité de l'ensemble des réseaux (chaînes et organismes de transport), au bénéfice de la création d'emplois nouveaux, du développement de nos échanges, de l'essor de notre économie et de notre commerce extérieur.
Prendre en compte les impératifs d'environnement et de développement durable.
Si les transports ont un rôle économique et social éminent, ils n'entraînent pas moins d'importantes nuisances, – bruit, pollution, coupures, ... – dont la suppression ou l'atténuation est un enjeu important pour leur propre efficacité, dans une perspective de développement durable.
L'imbrication de ces approches, celle des modes de transport, des difficiles articulations, des échelles de temps et d'espace font que la politique des transports ne peut être que globale et multimodale.
Ces enjeux ne peuvent pas relever des seuls mécanismes du marché.
Il y a d'abord l'organisation proprement dite des marchés qui n'est pas simple. Comment assurer une concurrence loyale au sein d'un mode de transports ou entre les modes de transports, limiter les situations de monopole, contrôler les abus de position dominante ou les ententes ... mais aussi des risques de dumping ou de concurrence destructrice.
Il y a ensuite la nécessité de faire prévaloir des objectifs d'intérêt général, dont je citerai quelques exemples.
La prise en compte du temps long. Les grandes infrastructures constituent des investissements à long terme, justifiées par leur intérêt économique et social pour la collectivité, mais difficiles à rentabiliser dans la seule logique de financement privé. Exemple : les difficultés financières du tunnel sous la Manche.
L'utilisation du domaine public routier, ferroviaire, de l'espace aérien. Notamment en cas de congestion où de capacité insuffisante, il appartient à l'autorité publique d'organiser l'allocation de ressources plus ou moins rares. Par exemple, réguler la circulation routière, attribuer les sillons de chemin de fer et les créneaux de décollage ou d'atterrissage des avions. Il s'agit là, à mesure que la libéralisation progresse pour le plus grand bénéfice des consommateurs d'assurer l'efficacité des systèmes par l'intermédiaire de disciplines de régulation.
L'aménagement équilibré des territoires. La desserte des zones enclavées à faible densité implique, pour des raisons d'équité territoriale, l'organisation ou le maintien de services de transport qui ne peuvent pas s'équilibrer par les seules ressources tarifaires n'en est de même pour les transports collectifs urbains qui sont indispensables au bon fonctionnement de la ville et bénéficient dans tous les pays d'aides publiques plus ou moins importantes.
La cohésion sociale et l'accès au transport, notamment pour les personnes à faibles revenus ou à mobilité réduite.
On pourrait citer également la protection de l'environnement qui ne peut être assurée dans une seule logique de marché.
Les pouvoirs publics disposent de différents leviers d'intervention
Il est d'abord nécessaire de préciser que l'intervention de la puissance publique ne coïncide pas avec le statut, public ou non, des entreprises de transport, sujet sur lequel la France se trouve parfois « en délicatesse » avec ses partenaires et qui alimente certains malentendus. En réalité les principaux leviers de l'action publique sont les suivants, pour ne citer aux différents niveaux d'intervention publique, – européen, national ou local –, que les plus importants.
L'édiction de règles techniques environnementales et sociales, assorties des contrôles indispensables : les normes techniques de sécurité et de santé, les conditions d'accès à certaines professions, la réglementation du travail.
Les règles économiques de concurrence et d'accès aux marchés, c'est à dire les critères de sélection des opérateurs, – par exemple les aptitudes professionnelles ou les fonds propres exigés –, et surtout l'ouverture plus ou moins large de ces marchés.
Les réglementations plus ou moins restrictives concernent l'accès aux infrastructures, les interdictions de circuler par exemple pour des raison de sécurité, d'environnement ou de régulation du trafic.
Les politiques de tarification, – et notamment les fiscalités routières spécifiques – qui visent à harmoniser les charges, notamment d'infrastructure, et à instituer certaines péréquations entre les services de transport.
Les politiques d'investissements d'infrastructure qui sont toujours du ressort des pouvoirs publics, quels que soient leurs modalités de financement, privé ou public.
À cet égard, et c'est un aspect que l'on ne souligne jamais assez, les méthodes d'évaluation des coûts et des choix d'investissement constituent un instrument majeur de pilotage et de cohérence des différents leviers d'intervention de la puissance publique sur le marché des transport.
Les politiques de recherche pour lesquelles les enjeux industriels, notamment face à la concurrence américaine si l'on pense à l'aéronautique, sont considérables et qui ne peuvent se développer sous l'emprise des seules règles de la concurrence.
Sur ces bases, quel bilan peut-on faire aujourd'hui des politiques de transport conduites par l'Union européenne ? Sur quels leviers d'action se sont-elles appuyées ? Quelles en ont été les conséquences pour notre pays ?
S'il fallait caractériser ce bilan en une phrase, je dirais, de façon un peu lapidaire, que, dans le domaine des transports comme dans bien d'autres domaines, on a construit l'Europe des marchés, mais qu'il reste à réaliser l'Europe des citoyens et de l'intérêt général.
L'Europe des marchés est très avancée
La politique européenne des transport conduite depuis une dizaine d'années s'est appuyée exclusivement sur deux instruments ; l'édiction de règles techniques et l'ouverture des marchés à la concurrence.
L'édiction de règles techniques a permis de donner aux 350 millions de consommateurs européens des garanties de qualité des produits. Pour ne citer qu'un exemple, la réglementation européenne de l'automobile, – essentiellement les normes de construction et le contrôle technique périodique –, apportent des progrès indéniables en matière de sécurité et de pollution. Par exemple, les émissions des véhicules neufs, en application de la nouvelle directive qui entre en vigueur en octobre 1996, seront réduites de 80 % à 90 % pour les principaux polluants, par rapport aux premières directives communautaires.
Compte tenu de la dimension mondiale du marché de l'automobile, il est clair qu'un tel résultat ne pouvait être obtenu qu'à l'échelle de l'Europe. Encore faut-il pour l'économie qu'à cette échelle européenne continue à prévaloir la volonté de promouvoir sur les marchés internationaux la présence des entreprises européennes.
L'ouverture à la concurrence de marchés nationaux, qui étaient jusqu'alors protégés par des règles d'accès nationales et locales ou par des monopoles publics, a constitué l'axe principal de la politique européenne des transports dans les dix dernières années. La libéralisation du transport routier de marchandises s'étendra au cabotage en 1998, celle du transport aérien sera achevée en 1997. Ce sera quelque peu plus long pour le transport ferroviaire dont la directive de 1991 a posé les principes essentiels.
Le gouvernement français s'inscrit clairement dans cette logique de libéralisation qui est bénéfique pour le consommateur et donc créatrice d'activités d'emplois et de progrès économique.
Pour être bénéfique, la libéralisation doit rester progressive et maîtrisée.
Progressive pour permettre aux entreprises d'adapter leur compétitivité à l'ouverture des marchés. Maîtrisée, pour préserver les exigences d'aménagement du territoire, d'environnement et de loyauté de la concurrence. J'en apporte deux illustrations.
Dans le domaine du transport routier, la perspective de l'élargissement pose clairement la question du parallélisme à opérer entre libéralisation et harmonisation. Plus proche encore, le contrat de progrès a réuni l'ensemble des acteurs concernés pour moderniser la profession, placer les relations entre employeurs et salariés dans la transparence et instaurer une concurrence saine et loyale.
Dans le domaine du transport aérien, la création du fonds de péréquation des transports aérien permet de maintenir une solidarité entre les usagers pour subventionner, après mise en concurrence, des lignes d'aménagement du territoire. Par ailleurs, la directive sur l'assistance en escale est un bon équilibre entre libéralisation du marché et objectifs d'intérêt général.
Dans tous les cas, la maîtrise de la libéralisation appelle de la part de la puissance publique des modes d'intervention placés sous le signe de la régulation : il s'agit surtout, en utilisant les divers leviers évoqués plus haut de faire respecter un jeu du marché loyal et intégrant les préoccupations de long terme et de cohérence territoriale et sociale définis au niveau politique.
Mais l'Europe des citoyens n'est pas encore très avancée
La normalisation technique et la libéralisation des marchés ne suffisent pas à fonder une politique répondant, dans la perspective d'un développement durable, aux divers enjeux économiques, sociaux et environnementaux que j'ai rappelé précédemment.
Aujourd'hui, les États membres doivent corriger les imperfections et les limites des marchés du transport que leurs spécificités rendent particulièrement difficiles à maîtriser.
Aussi, il ne me parait pas souhaitable de poursuivre la libéralisation engagée par l'Union européenne tant que des avancées substantielles ne sont pas engagées pour l'Europe des citoyens.
Quels sont alors les domaines sur lesquels progresser ? J'en vois, pour ma part, au moins trois.
D'abord, l'harmonisation des règles sociales, dont le non-respect fausse la concurrence, affaiblit la compétitivité de la profession et conduit à des délocalisations coûteuses pour la collectivité. L'exemple patent actuel est celui du transport routier, comment mettre en oeuvre de façon totalement satisfaisante la libéralisation du cabotage routier si l'on n'avance pas en même temps, dans le domaine de l'harmonisation sociale !
Ensuite, la prise en compte dans le droit communautaire de la notion de service d'intérêt général, cette notion de service public, si importante et si ancrée dans le coeur des Français, notamment dans le domaine des transports. Même si, pour cela, nous devons évidemment moderniser notre conception du service public pour nous rapprocher de celle de nos partenaires européens.
Également, le développement des réseaux transeuropéens prévu par le traité de Maastricht unifiera le territoire européen, facilitera les échanges et rendra l'Europe plus concrète pour les citoyens. Les réseaux européens de transport symbolisent pour moi le sentiment d'appartenance à une communauté de destin, à une véritable union politique et pas seulement à un marché unique.
En conclusion, dans le domaine des transports, on souffre plutôt de « pas assez d'Europe » que de « trop d'Europe » ! C'est-à-dire, sur d'autres plans, d'une Europe conçue seulement comme un marché, une zone de libre-échange, et pas assez comme un mode de développement et finalement, de civilisation.
Il faut rééquilibrer la construction européenne, donner plus d'importance à la cohésion, à la solidarité, à la lutte contre l'exclusion, c'est-à-dire l'Europe Sociale, mais aussi donner plus d'importance au développement durable, à l'aménagement équilibré des territoires.
Je me réjouis de constater que ces voies de progrès sont prises en compte dans le programme de travail de la commission.
Un livre vert de la Commission pour « une tarification équitable et efficace dans les transports propose une imputation des coûts externes dans les systèmes de tarification ou taxation.
La notion de service public a été récemment prise en compte, sous des appellations diverses, – service universel, intérêt général –, dans des textes de droit communautaire et dans l'évolution de la jurisprudence de la Cour de justice.
Enfin, j'ai bon espoir que le financement des grands projets européens prioritaires sera très prochainement débloqué.
Cela montre que la construction européenne peut voir son cours influencé et c'est dans ce sens que le Gouvernement poursuivra ses efforts.