Interviews de M. Eric Raoult, ministre délégué à la ville et à l'intégration, dans "Le Monde" du 11 mai 1996, à RMC le 22 mai, dans "L'Express", "Le Parisien" et "Les Échos" du 23 mai, sur les objectifs et le coût de la mise en place des zones franches.

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Texte intégral

Date : 11 mai 1996
Source : Le Monde

Le Monde : Mille créations d’emplois par an dans les futures zones franches. Cette estimation de la délégation interministérielle à la ville (DIV) ne va-t-elle pas provoquer une forte déception ?

Éric Raoult : Mille, c’est le minimum annuel, nous ferons beaucoup mieux. De plus, il faut ramener ces prévisions de 1 000 emplois nouveaux chaque année aux 25 000 emplois qui existent déjà dans les zones franches qui seront créées. Or, il faut d’abord maintenir ces 25 000 emplois, qui se trouvent, pour l’essentiel, dans des boutiques, dans des locaux artisanaux et, pour quelques-uns, dans des zones industrielles. Le nombre de commerces qui ont disparu depuis dix ans a considérablement appauvri certaines cités. Il faut que ceux qui se maintiennent puissent bénéficier d’une bouffée d’oxygène. Alors, rapportés à ces 25 000 emplois, 1 000 créations dans le secteur marchand, c’est tout de même un taux de progression de 4 % par an. Si ce chiffre peut paraître modeste, nous pensons, avec Jean-Claude Gaudin, qu’avant de revitaliser, il faut surtout sauver l’existant.

Le Monde : Êtes-vous convaincu que ces emplois existants sont véritablement menacés ?

Éric Raoult : Des galeries commerciales sont menacées de disparaître. Dans certains quartiers, les ressources de taxe professionnelle se sont effondrées. J’ajoute que, parallèlement au dispositif des zones franches, des emplois de ville viendront appuyer cette revitalisation économique. On peut considérer qu’il y en aura à peu près 5 000 de créés pour les habitants. Donc, 25 000 emplois existants, 5 000 emplois marchands et 5 000 emplois vile, cela fait tout de même 40 % d’emplois supplémentaires. Le taux de chômage devrait être considérablement réduit.

Le Monde : Rapporté aux 500 000 habitants concernés et à un taux de chômage moyen de 22,6 %, cela peut paraître décevant ?

Éric Raoult : Non, réaliste. Il est clair qu’on ne verra pas tout de suite des créations d’emplois multipliées. Mais nous souhaitons d’abord stabiliser la situation, c’est l’objectif des deux premières années. L’année 1997 sera une année de mise en route. Il faudra ensuite reconquérir les rideaux métalliques baissés. Je pense que le chiffre de 1 000 est véritablement un chiffre plancher. Selon les endroits, on peut faire mieux. Avec l’idée que si l’on retrouvait le nombre de commerces qu’il y avait lorsqu’on a fait les grands ensembles, on rétablirait déjà un certain équilibre. Nous ne promettons pas l’Eldorado, nous lançons une bouée de sauvetage !

Le Monde : Le coût des zones franches – 1,2 milliard de francs – vous semble-t-il normal ou élevé ?

Éric Raoult : Ce coût sera celui de plein succès. Les zones franches coûteront si elles réussissent. Le nombre de non-diplômés de ces quartiers, le nombre d’allocataires du RMI, de jeunes chômeurs, les conditions d’impayés de loyers font plonger ces quartiers. Il s’agit de rattraper les secteurs vraiment les plus difficiles de la société française. Si un chômeur coûte 100 000 francs par an, il coûte beaucoup plus en termes de dégradation sociale. La zone franche n’est pas une simple aide à l’emploi, ce n’est pas seulement le code général des impôts, c’est une aide à la revitalisation d’un quartier. Cette idée n’a d’ailleurs pas suscité de débat idéologique. Aujourd’hui, l’approche de tous les maires est : on a essayé les associations intermédiaires, les régies de quartiers, les réhabilitations, les flics, le RMI, mais çà non. Alors essayons-le !

Le Monde : Ce dispositif échappera-il aux coupes budgétaires en préparation ?

Éric Raoult : Si le premier ministre me dit, il faut faire un effort, je le ferai. Nous adapterons notre dispositif. Sur le temps, sur l’espace, sur le nombre. Mais limiter l’expérimentation avant même qu’elle ait commencé, ce serait en réduire automatiquement la portée.

Le Monde : La DIV chiffre à 1,2 milliard le coût du projet la première année. Dans la note adressée à la commission européenne, vous évoquiez la somme de 165 millions de francs. Pourquoi cette différence ?

Éric Raoult : Le chiffrage que nous leur avions finalement transmis était de 300 millions pour 6 000 emplois, ce qui faisait 50 000 francs par emploi. Les périmètres n’ont cessé d’évoluer et de s’étendre, le nombre de zones a augmenté, les études se sont affinées : sur la base de 26 000 emplois et d’un coût d’1,15 milliard, cela fait entre 40 000 et 50 000 francs par poste, à rapprocher du coût d’un chômeur qui est d’environ 100 000 francs. La fourchette demeure la même. Nous n’avons donc pas menti à Bruxelles.

Le Monde : Sur quel précédent vous appuyez-vous pour proposer ces zones franches ?

Éric Raoult : Aucun. Nous innovons avec le « chaînon manquant » de la politique urbaine dont a parlé Jacques Chirac. En France, il y a eu les zones d’entreprises d’Alain Madelin, mais la démarche était exclusivement orientée vers l’industrie. Aux États-Unis, M. Clinton commence tout juste. La Grande-Bretagne est partie de lieux mono-industriels en déclin en y ajoutant les quartiers voisins. Nous faisons l’inverse, puisque nous partons des lieux où les gens dorment pour y réimplanter de l’activité. C’est une démarche spécifique, une nouvelle étape de la politique de la ville. Aujourd’hui, les maires, toutes étiquettes confondues, se disent qu’ils ont tout essayé. Tout sauf ça.

Le Monde : Il y a quelques mois, vous aviez lancé une vive polémique en stigmatisant la culture du RMI. Deux députés de la majorité viennent de dénoncer à leur tour les fraudes aux RMI. Qu’en pensez-vous ?

Éric Raoult : Je pense que le débat sur le RMI, comme celui sur l’immigration, s’adresse à plusieurs publics : à la nation, aux observateurs, mais aussi à des gens qui sont fragiles. L’erreur que j’ai pu commettre est d’avoir oublié cette dernière dimension. On m’a beaucoup écrit. Des RMIstes m’ont envoyé leur feuille en me demandant si je pensais qu’il y avait des abus quand on avait 2 500 francs pour vivre. Je ne me méprends pas sur les risques de fraude, à la marge. Mais je me suis aperçu qu’il était nécessaire d’aborder ce problème avec prudence et modération.

 

Date : Mercredi 22 mai 1996
Source : RMC/Édition du soir

RMC : É. Raoult, vous avez retenu toutes les candidatures en fait, 38 zones franches, et vous n’avez pas fait de sélection ?

É. Raoult : On avait, avec J.-C. Gaudin, et à la demande d’A. Juppé, fait le choix du test. Savoir si les maires étaient intéressés et leur demander de répondre à l’appel d’un projet Les dossiers sont maintenant dépouillés, ils sont concluants, ils jouent le jeu ces maires, et ils souhaitent plutôt la logique du « rab », de périmètre, c’est-à-dire un peu plus de terrain que l’acceptation d’un strict minimum pour être en conformité. C’est pourquoi, nous n’avons pas voulu rompre ce qui n’est pas un consensus, mais ce qui est une approche d’accord en retenant les 38 candidats qui avaient répondu positivement à cet appel à projet.

RMC : Ça veut dire que la facture est plus salée que prévue. Car ça représente, sur une année, plus d’1 milliard de francs, en période de restriction budgétaire.

É. Raoult : Nous avons, pour le moment, une évaluation, une étude d’impact, sur le chiffrage de 25 000 emplois qui sont dans des boutiques, des ateliers artisanaux, dans des PME.

RMC : De moins de 50 salariés.

É. Raoult : Actuellement, ce que nous avons voulu, avec J.-C. Gaudin, c’est maintenir le subsistant. À savoir qu’il faut du courage pour continuer à être médecin dans un quartier, à être boulanger ou à réparer des automobiles. Nous voulons donc maintenir ces 25 000 emplois et nous nous fixons 25 emplois dans des boutiques à créer par an. Vraiment, c’est un plancher minimum. Nous espérons que l’on dépassera très rapidement ce plancher et que nous aurons, parallèlement à ces créations du secteur marchand, dans l’activité économique privée, la création d’emplois de ville. C’est une tentative nouvelle. Le président de la République a utilisé le terme de « chaînon manquant ». Il y a beaucoup de choses qui ont été faites mais pour le moment, on avait fait du social, de l’urbain, et on n’avait pas encore fait de l’économique.

RMC : On entend déjà des critiques, car 1 000 emplois par an pour un coût de 1,2 milliard de francs, c’est beaucoup quand même !

É. Raoult : C’est 1 000 emplois par an pendant 5 ans, mais le maintien de 25 000 emplois. Je suis allé, avec le maire de Vaulx-en-Velin, une fois dans un café et j’ai dit au patron du café : « Si on vous retirait la taxe professionnelle, les charges sociales ? » Il a fait son compte et il a dit : « Peut-être que sur 2 ans, je pourrais créer un emploi ». C’est-à-dire qu’il s’agit d’une défiscalisation mais nous voulons créer une attractivité. Nous maintenons l’activité dans ces quartiers qui sont actuellement des quartiers d’habitat où l’équilibre avec l’emploi a été très fortement dégradé pendant des années. Je pense franchement que tout ce que nous pourrons faire pour la réussite de ces zones franches, avec des mesures de défiscalisation, avec des créations d’emplois de ville, ça permettra, peut-être, de ramener plus d’espoir que d’y envoyer les CRS ou d’y repeindre sans cesse les façades.

RMC : Mais pourquoi les chefs d’entreprises iraient s’implanter dans ces zones alors qu’ils ont déjà un pont d’or partout où ils veulent s’installer, même dans les zones qui ne sont pas en difficultés ?

É. Raoult : Les chefs d’entreprises que nous recherchons, ce sont plutôt des PME, des artisans, des commerçants. Ce que nous souhaitons, ce n’est pas revitaliser autre chose que les bas d’immeubles. Ce que nous voulons, c’est retrouver des rideaux ouverts, voir retirer les parpaings des garages à vélos pour ramener de l’activité. Si J.-C. Gaudin et moi-même présentons ce dossier, c’est en tant que responsables de la vie dans les quartiers. Nous ne sommes pas ministres de l’industrie, du commerce, de l’artisanat ou de l’économie et des finances. C’est une démarche urbaine de revitalisation des quartiers qui n’a jamais encore été, pour le moment, tentée ailleurs que dans des zones d’entreprises qui avaient pu créer des emplois.

RMC : Le gouvernement veut économiser 60 milliards de francs, est-ce que votre plan va en sortir indemne ?

É. Raoult : Le plan n’est pas encore mis en œuvre, ce sera à l’automne. Et il prendra effet à la fin de l’année 1996 pour le dispositif fiscal. Je reviens sur ce que j’ai indiqué : 25 000 emplois à sauvegarder, 5 000 à 7 000 emplois à créer dans ces quartiers, dans des boutiques, dans des ateliers artisanaux. Je crois qu’aujourd’hui, on a beaucoup essayé de procédures, de dispositifs, mais on n’avait pas tenté cela. Un de vos confrères m’a dit : « Est-ce le désespoir pour les maires ? » J’ai répondu : « C’est peut-être le dernier espoir ». Et je suis très heureux de voir qu’au-delà de toutes les tendance politiques, les maires ont répondu à cette attente, car cette invitation à la défiscalisation, ce n’est pas des pages du code général des impôts. Pour nous, c’est une volonté d’implication de la population et des élus.

RMC : C’est un consensus politique qui vous réunit autour de cette grave question des quartiers ?

É. Raoult : Je ne souhaite pas qu’on insiste sur le consensus politique.

RMC : Un maire comme J.-M. Bockel le constate.

É. Raoult : Ce n’est pas parce que J.-M. Bockel souhaite améliorer la vie dans le quartier des Coteaux qu’il approuve l’action du gouvernement. Nous ne lui demandons pas de crier que Juppé est le meilleur Premier ministre ! Si nous lui donnons le dispositif de cette zone franche.

RMC : Avez-vous quand même été surpris de cette adhésion avec aussi une majorité de villes de gauche sur les 38 zones franches ?

É. Raoult : Gaudin et moi, on vit une expérience peu commune, à savoir qu’on est souvent les élus dans des départements qui sont aussi une majorité de villes de gauche sur les 38 zones franches ?
 
É. Raoult : Gaudin et moi on vit une expérience peu commune, à savoir qu’on est souvent les élus dans des départements qui ne nous sont pas acquis. Lui dans les Bouches-du-Rhône et moi dans la Seine-Saint-Denis. Je me suis aperçu depuis longtemps qu’il n’y a pas deux façons, une de gauche et une de droite, d’améliorer la vie dans les quartiers. Mener l’action d’une entreprise d’insertion, essayer de trouver des solutions qui soient différentes de celles de la répression uniquement, rapproche les individus. Je ne dirais pas qu’il y a un « lobby banlieues » mais quand J.-M. Bockel siégeait au Parlement et quand maintenant, il siège au Conseil national des villes, il a bien évidemment une expérience et une compétence qui sont reconnues. Sa remarque sur les départements et sur les régions, sur leur implication, je la partage tout à fait. C’est pourquoi, auprès des départements et des régions, J.-C. Gaudin et moi-même, allons mener une action de sensibilisation. Le cadre de la loi le permet, les 45 % à répartir, de financement local, pourront l’être avec les départements et avec les régions.

RMC : Une question sur le vote des immigrés dont la question agite le PS en ce moment : le PS semble être sur la ligne du refus, en disant que la France n’est pas prête. Votre avis ?

É. Raoult : Ce n’est pas un débat qu’il faut relancer. Il y a la Constitution, la nécessité de réciprocité pour que des ressortissants étrangers puissent se prononcer. Faisons déjà ce qui est dans le pacte de relance pour la ville, à savoir des comités d’initiative et de consultation de quartiers. Approuvons toutes les possibilités de mettre en avant une représentation des jeunes issus de l’immigration et peut-être qu’après, qu’un jour, les esprits auront évolué. Mais je trouve que pour une fois, L. Jospin a été raisonnable.

RMC : Vous aviez tenu, par le passé, des propos assez durs sur les banlieues, sur l’insécurité, sur les jeunes.

É. Raoult : Mea culpa. Quand on est jeune on est parfois un peu con.

Pendant de nombreuses années, nous avons apporté la perfusion sociale. On a fait de la revalorisation du bâti, mais nous n’avions pas encore revitalisé par le commerce, par l’artisanat, par les PME. Alors, il y aura défiscalisation, mais nous voulons surtout qu’il y ait une attractivité humaine, nous voulons faire en sorte que l’on puisse prendre une nouvelle page de la politique de la ville pour aller plus loin.

RMC : Quel sera l’impact humain ?

É. Raoult : Nous pensons à un plancher de mille emplois. Mille emplois par an sur quarante quartiers, ça fait vingt-cinq emplois. C’est raisonnable, c’est réaliste. Nous pensons faire en sorte, bien évidemment, que l’on dépasse rapidement ces mille emplois. Il y aura, en fait, un objectif qui sera bien supérieur à tous les autres. Maintenant, c’est vrai, il faut mobiliser les acteurs économiques, parce que ce n’est pas à Paris, d’un ministère que l’on créera des emplois ou que l’on rouvrira des boutiques. C’est essentiellement maintenant, avec les chambres des métiers, les chambres de commerce, c’est aussi avec la population. Donc, ces zones franches urbaines conduiront demain à faire en sorte que nous développions une implication de la population.


Date : 23 mai 1996
Source : L’Express

L’Express : Cette loi est-elle l’instrument dont vous rêviez ?

Éric Raoult : Avec Jean-Claude Gaudin, nous en sommes satisfaits. Depuis cinq ans que la politique de la ville existe, c’est la première fois qu’on y inscrit un vaste effort national. Il y avait des dispositifs, des plans d’urgence, il y maintenant des impératifs législatifs.

L’Express : Toutes les villes candidates aux zones franches ont été retenues. Pourquoi ?

Éric Raoult : Les commissaires européens souhaitent 35 villes ; nous avions sollicité 38 candidatures, en prévoyant quelques défections. Les maires ont joué le jeu, le test a été réussi par tous, l’expérience doit être menée par tous aussi. Pour qu’il n’y ait pas plus de 1 % de la population nationale concernée par cette mesure, comme l’impose l’Europe, nous allons restreindre le périmètre des quartiers concernés.

L’Express : Cet engouement des maires, c’est l’énergie du désespoir ?

Éric Raoult : Plutôt du dernier espoir. Ils nous ont dit en substance : « On a tout essayé, mais cet outil n’était pas dans la boîte : expliquez-nous comment il marche. »

L’Express : Pourquoi avoir limité l’avantage fiscal et le nombre d’entreprises concernées ?

Éric Raoult : Nous avons fixé nous-mêmes ces restrictions fictives ou les délocalisations. Il faut commencer petit pour être efficace.

L’Express : Les études d’impact prévoient de 5 000 à 7 000 emplois nouveaux dans les zones franches : le jeu en vaut-il la chandelle ?

Éric Raoult : Il faut d’abord maintenir les emplois existants, estimés à 25 000. Nous voulons ensuite provoquer un effet retour, notamment celui des commerces qui ont fermé il y a peu. Puis, il s’agira de changer l’usage de certains lieux, comme cela a été fait à Reims, où des rez-de-chaussée ont été rendus au commerce, ou encore à Chalon-sur-Saône, où des garages à vélos ont été remplacés par de nouvelles entreprises. Enfin, nous espérons l’implantation de PME. De plus, les maires s’engagent à créer un emploi dans ces quartiers difficiles, chaque fois qu’une entreprise de la zone franche fera de même.

L’Express : 1,2 milliard de francs de coût estimé pour les zones franches, n’est-ce pas cher payé ?

Éric Raoult : Nous devrions respecter cette enveloppe : 1,2 milliard, cela représente entre 40 000 et 50 000 francs par emploi sauvé ou créé. Par ailleurs, c’est une mesure qui ne coûtera que si elle réussit, donc, si elle crée des emplois. Enfin, un commerce qui revient, on ne peut chiffrer son intérêt social. Les habitants de ces quartiers ont moins de diplômes, moins d’emplois, etc. Il est temps de donner plus à ceux qui ont eu moins.

 

Date : 23 mai 1996
Source : Le Parisien

 

Le Parisien : Concrètement, quels types d’emplois pourront être créés dans les zones franches ?

Éric Raoult : Ce sont des emplois de proximité urbaine, commerciaux et artisanaux. Nous avons déjà étudié sur le terrain, avec plusieurs élus locaux, la manière dont nous pourrions, dans les quartiers concernés, réutiliser les locaux et commerces vides pour y implanter des PME. De la même façon, dans les grands ensembles, les surfaces disponibles en rez-de-chaussée ou au premier étage des bâtiments pourraient accueillir des professions libérales, médecins ou avocats. Pour renforcer le dispositif, dans le secteur privé, les villes créeront, avec le soutien du gouvernement, des emplois villes. Ceux-ci seront, par exemple, des postes d’agents d’ambiance dans les réseaux de transports en commun, des emplois pour l’aide aux devoirs des enfants, la lutte contre l’échec scolaire, l’encadrement sportif… Ce n’est pas l’Eldorado financier, mais une aide concrète à l’emploi.

Le Parisien : Une étude d’impact réalisée par la délégation interministérielle à la ville estime à 1,2 milliard le coût d’une année de zones franches pour la création d’un pas peu plus de mille emplois seulement ?

Éric Raoult : Cette étude d’impact définit un plancher minimum, pas un plafond espéré. L’estimation de 1 000 à 1 400 emplois créés en un an est une appréciation volontairement modeste de la part du gouvernement. Ce chiffre peut augmenter si des entreprises moyennes et non plus seulement des commerçants et artisans, viennent s’installer dans les zones franches. Quant au coût – 1,2 milliard –, il prend en compte le fait que, dans les quartiers où seront créés des zones franches, 25 000 emplois existent déjà, et que 5 000 à 7 000 emplois marchands devraient y être créés d’ici à cinq ans. Le coût par emploi créé ou sauvegardé est alors de moins de 50 000 francs. De plus, la zone franche ne coûtera que si elle réussit : si c’est cher, c’est que ce sera réussi !

Le Parisien : Qu’est-ce qui différencie votre plan des précédents ?

Éric Raoult : Nous innovons sans récupérer ou supprimer. Nos prédécesseurs avaient souvent comme méthode, de mettre une nouvelle étiquette sur ce qui avait été fait par leurs prédécesseurs. Nous n’avons pas tout arrêté pour recommencer à neuf. Nous avons dit, ce qui a été fait par Delebarre et Mme Veil, on le garde, mais on propose des outils en plus. En clair, tous les contrats de ville sont respectés, l’ensemble des grands projets urbains aussi. Tout ce qui figure dans le budget 1996 est respecté en totalité. Les 5 milliards par an de notre gouvernement, s’ajouteront vraiment aux 8,8 milliards déjà budgétés.

Le Parisien : Au PS, on dit que l’objectif de 100 000 emplois villes est insuffisant par rapport aux besoins…

Éric Raoult : On commence et après on verra ! Obtenir près de deux milliards pour un premier dispositif d’emploi d’utilité sociale, ce n’était jamais arrivé. On ne peut se contenter comme Martine Aubry et Lionel Jospin, de réfléchir aux emplois d’utilité sociale et de faire discours sur discours. Nous, nous le faisons ! Avec Jean-Claude Gaudin, nous parlons moins, nous agissons concret. Une feuille de paie en plus, c’est une détresse en moins.

Le Parisien : Les critiques viennent de fait que le candidat Chirac avait annoncé un plan Marshall. Peut-on réduire la fracture sociale avec des moyens somme toute modestes ?

Éric Raoult : L’idée, c’était de dire : « c’est le grand défi de la société future et on met le paquet ». Pour éviter l’intégrisme, tous les « ismes », le Front national compris, il faut essayer de mobiliser les moyens pour ressusciter l’espoir. Quand Jacques Chirac souligne, à Amiens, que c’est une priorité nationale, c’est toujours l’esprit Marshall. Notre effort financier ne doit pas être sous-estimé, puisque le pacte de relance, c’est vingt fois le plan Tapie, six fois le plan Delebarre. Concernant la fracture sociale, il y aura la loi contre l’exclusion, à la rentrée ; et il y a d’ores et déjà le pacte de relance, qui s’attaque à la fracture urbaine.

Le Parisien : Vous gardez les dispositifs précédents. Est-ce que, pour reprendre une expression d’Alain Juppé, il n’y a pas de « mauvaise graisse » dans certaines aides pour les banlieues ?

Éric Raoult : Non, je ne le crois pas, il y a d’abord l’énergie et la bonne volonté. Si l’on assiste à un foisonnement associatif, il doit se professionnaliser pour être plus efficace. Il est souvent plus facile de trouver 100 000 francs pour une association reconnue que de trouver 10 000 francs pour une association qui fait un travail formidable sur l’aide aux devoirs. Il est sans doute possible de trouver une meilleure efficacité dans l’utilisation des crédits. Mais si l’on doit serrer la ceinture, nous ne le demanderons pas au secteur associatif.


Date : 23 mai 1996
Source : Les Échos

Éric Raoult : « Le Parlement devra respecter l’accord de Bruxelles sur les zones franches »

Le projet de loi d’intégration urbaine, qui prévoit notamment la création de 44 zones franches « dont 6 dans les départements d’outre-mer, après l’ajout in extremis, d’une zone franche à Cayenne », a été adopté hier en conseil des ministres. Jacques Chirac a estimé que le pacte de relance pour la ville, dont ce projet de loi est le fer de lance, était « une bonne approche très concrète – puisqu’il essayait – de retrouver les conditions d’une véritable vie économique dans les quartiers en situation particulièrement grave »

L’ensemble des mesures en faveur des quartiers dégradés, notamment du fait des allégements fiscaux qu’il prévoit dans les zones franches et dans les 350 zones de redynamisation urbaine, coûtera 2,5 milliards de francs par an, a estimé Alain Lamassoure, ministre du budget et porte-parole du gouvernement. Le financement, a encore indiqué celui-ci, sera assuré « par redéploiement ». À elles seules, les zones franches coûteraient 1,2 milliard de francs par an. Le texte, élaboré par Jean-Claude Gaudin, ministre de l’aménagement du territoire et de la ville, et par Éric Raoult, ministre délégué à la ville et à l’intégration, sera soumis, en première lecture au Parlement, dans le courant du moins de juin, pour une adoption définitive cet automne et une entrée en vigueur le 1er janvier 1997.

Au cours de la discussion parlementaire, la marge de manœuvre du gouvernement sera étroite, comme l’évoque Éric Raoult dans l’entretien accordé aux « Échos ». Au moins sur l’essentiel, c’est-à-dire les mesures de défiscalisation, puisque le gouvernement devra faire respecter l’accord négocié avec Bruxelles.

Les Échos : Depuis quelques années, la politique de la ville a été l’objet de nombreuses initiatives gouvernementales. Quelle est, aujourd’hui, la spécificité de votre démarche ?

Éric Raoult : Avec le pacte de relance pour la ville, c’est la première fois qu’un gouvernement ne réagit pas à chaud, n’agit pas en pompier urbain, mais beaucoup plus en architecte et en économiste. Nous avons pris notre temps, écouté les uns et les autres, puis fait une annonce à Marseille, en janvier dernier, et ensuite, élaboré, en des temps record sa traduction législative. N’oublions pas que la loi d’orientation pour la ville, votée en 1991, avait dû attendre dix-huit mois pour voir publier ses premiers décrets d’application.

Par ailleurs, nous apportons un « plus urbain » à ce qui existe déjà en faveur des quartiers défavorisés. Lorsque nous annonçons que nous mettons 15 milliards sur trois ans, ce sont des crédits qui s’ajoutent à l’enveloppe de 8,8 milliards consacrés par l’État cette année à la politique de la ville.

Les Échos : Les zones franches sont au cœur de la loi d’intégration urbaine. La discussion parlementaire est-elle ouverte pour tout ce qui concerne ces sites défiscalisés ou bien l’accord avec Bruxelles a-t-il figé ce volet du texte ?

Éric Raoult : Si nous voulons être respectueux de la démarche que Jean-Claude Gaudin et moi avons eue avec Bruxelles, il faut que nous restons le plus conforme possible à ce que nous avons présenté aux commissaires européens. Pourquoi y aurait-il d’ailleurs des changements ? Le dispositif fiscal est tout de même, pour les zones franches urbaines, très profitable et très large. On ne peut pas l’étendre au-delà, tant au niveau des plafonds d’exonération, des seuils d’effectifs ou de chiffre d’affaires. Sur les zones franches, le texte que nous voulons voir adopter par le Parlement devra être le plus proche possible du texte adopté hier en conseil des ministres.

Les Échos : Vous souhaitez réserver le bénéfice des exonérations aux entreprises qui interviennent sur le marché local. Mais êtes-vous assuré de la constitutionnalité de l’obligation faite aux entreprises de réserver au moins 20 % des emplois aux résidents des quartiers ?

Éric Raoult : Cette disposition est passée au Conseil d’État. Il y a certes la possibilité d’un examen par le Conseil constitutionnel, mais je ne crois pas qu’il y aura beaucoup de parlementaires qui feront un recours sur ce point. Attendons le débat parlementaire.

Tout ce texte a été fait avec beaucoup de modestie, de pragmatisme, mais aussi avec un objectif ambitieux. Sur les seuils, sur les plafonds, sur les créations d’emplois, nous sommes conscients qu’on va démarrer lentement et que l’expérimentation zone franche prendra un an ou deux pour prendre un rythme de croisière.

Les Échos : Pour la réussite de ces zones franches, vous comptez beaucoup sur les mesures d’accompagnement mises en place par les maires concernés. Êtes-vous satisfait de ce qu’ils proposent ?

Éric Raoult : Ils ont tous joué le jeu. Quand nous avons réuni les maires des futures zones franches, avec Jean-Claude Gaudin, nous avons bien vu qu’ils étaient d’abord curieux, puis ensuite clairement intéressés par la démarche de revitalisation économique qui, pour la première fois, est mise en œuvre. Jusqu’à présent, on avait plus fait de la perfusion sociale que de la « vitaminisation » économique.

J’ai d’ailleurs, moi-même, été surpris de la mobilisation des élus, mais aussi du peu de critiques qu’a finalement rencontré notre démarche. Les quartiers que nous avons retenus pour être zones franches, c’est vraiment le « top 38 » des quartiers en difficulté. Et si la ville de Rouen, qui s’en est plainte, n’a pas été retenue, c’est tout simplement parce qu’elle se situe au-dessus de la barre des critères. Nous n’avons pas voulu concentrer nos efforts sur les quartiers qui, à un moment ou à un autre, ont fait parler d’eux par des flambées de violence. Nous avons choisi la logique du territoire plus que celle de l’actualité. Qui a déjà entendu parler d’Octeville, la banlieue de Calais ?

Les Échos : Cette « mobilisation » des élus trouve quand même ses limites, par exemple, en ce qui concerne les emplois-ville. Pour des raisons budgétaires, les maires affichent des ambitions modestes. Réussirez-vous à atteindre votre objectif de création de 100 000 de ces emplois ?

Bien sûr. D’abord ce sont 100 000 emplois à créer sur cinq ans. Et, d’après ce que nous remontent déjà les préfets, nous pouvons être relativement optimistes. C’est vrai, cette annonce n’est pas tombée au meilleur moment, puisque les maires étaient en train de boucler leur budget. Mais la réforme de la dotation de solidarité urbaine a quand même permis de débloquer 750 millions de francs supplémentaires pour les villes concernées.

Les emplois-ville, ce sont les premiers emplois d’utilité sociale sur une longue période jamais mis en place par un gouvernement. Nous allons faire un très gros effort de promotion et d’information parce que les maires ne sont pas les seuls concernés, mais aussi les bailleurs sociaux, les associations ou les délégataires de services publics et les entreprises. Grâce au président de la République et à Alain Juppé, ce pacte donne un nouveau souffle urbain et humain aux villes en difficulté.