Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "CFDT magazine" de décembre 1998, et présentation le 7 décembre à Lille du rapport d'activité de la CFDT pour le 44ème congrès, sur le bilan de l'action syndicale, la mondialisation, la nécessité de développer une politique sociale européenne, la réduction du temps de travail, la réforme de la Sécurité sociale et l'évolution des relations intersyndicales.

Prononcé le 1er décembre 1998

Intervenant(s) : 

Circonstance : 44ème congrès de la CFDT, à Lille, du 7 au 11 décembre 1998

Média : CFDT Magazine

Texte intégral

CFDT MAGAZINE n° 243 / DECEMBRE 1998

Dans quel état se présente la CFDT aujourd'hui, à la veille de son congrès de Lille ?

Nicole Notat – Je peux affirmer, sans risque de me tromper, que c'est une CFDT en bonne santé qui s'apprête à tenir son congrès. Il y a d'abord une somme de chiffres et de résultats qui le démontre. Avec plus de 723 000 adhérents, nous enregistrons une progression régulière et continue depuis 1988. En dix ans, nous avons progressé de 42 %. Aux élections prud'hommes de 1997, la CFDT a été la seule organisation syndicale à progresser. Toutes les élections professionnelles confirment la montée de notre audience. Tout indique que la CFDT bénéficie d'une bonne image auprès des salariés. Je me réjouis d'ailleurs de constater que cette dynamique CFDT est partagée, portée et profitable à toutes nos organisations. Je vois dans cette performance le témoignage d'une CFDT de mieux en mieux ancrée dans la société française. Nous la représentons dans sa diversité et dans sa complexité. A cet égard, il est révélateur que nous comptions aujourd'hui dans nos rangs 45 % de femmes. Je vois aussi la validation de nos choix, celui d'un syndicalisme qui privilégie le travail de proximité et les pratiques participatives, celui d'un syndicalisme de transformation sociale, valorisant la construction de nouvelles solidarités qui ne se limitent pas à la défense des seuls salariés, celui d'un syndicalisme indépendant du politique.
La bonne santé de la CFDT est loin d'être le fruit du hasard. Les salariés apprécient notre action parce qu'elle est efficace, parce que la CFDT ne se paye pas de mots mais se confronte aux problèmes en proposant sans cesse des solutions.

Parler de la bonne santé de la CFDT, n'est-ce pas pêcher, sinon par arrogance, au moins par excès de confiance ?

Nicole Notat – Certainement pas. Nous n'allons pas nous interdire d'établir des constats positifs quant à l'état de la CFDT. En même temps nous sommes lucides pour les relativiser. Le chiffre de 723 000 adhérents est bon, mais rapporté au nombre de salariés, il montre qu'il reste du chemin à parcourir. Notre progression aux élections des comités d'entreprise ne nous fait pas oublier les nombreux élus non syndiqués, ni toutes ces entreprises qui constituent un désert syndical. Le syndicalisme français n'est pas, loin s'en faut, le plus puissant d'Europe. Bref, la fierté légitime que nous éprouvons ne nous dispense pas de devoir rester lucides. Il reste du chemin à parcourir pour que les salariés soient plus nombreux à franchir le pas de l'adhésion.

Le fait que la CFDT ait le vent en poupe ne risque-t-il pas d'irriter les autres organisations syndicales ?

Nicole Notat – Si c'est le cas, elles ont tort. Affirmer nos positions, les voir gagner du terrain, être plus forts, ce n'est pas vouloir et encore moins souhaiter la disparition des autres. Croire cela est contradictoire avec des évènements récents qui montrent qu'enfin le paysage syndical bouge et que la CFDT ne fait pas son deuil de meilleures relations entre partenaires syndicaux.

L'accord que nous venons de conclure avec l'UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) pour parler d'une seule voix sur l'Europe (lire en pages International), les relations qui s'amorcent avec la CGT, prouvent qu'il est possible, en dépit de divergences, de se parler, voire d'agir ensemble sur un certain nombre de sujets. Nous constatons que la CGT manifeste des signes d'évolution sur le terrain de la réduction du temps de travail, même s'il reste à vérifier que les discours se traduisent en actes.

On le voit bien, la CFDT ne se satisfait pas de l'émiettement syndical et des rivalités entre organisations qui sont néfastes pour tous et d'abord pour les salariés. D'autant que nous sommes conscients que si la perception du syndicalisme s'est singulièrement améliorée ces dernières années, il demeure encore trop de scepticisme.

Vous attribuez la bonne forme de la CFDT à son action. Sur ce plan-là, quel bilan faites-vous des trois dernières années ?

Nicole Notat – Si l'on se projette trois ans en arrière, au moment du dernier congrès, et si l'on regarde les choix qui y avaient été décidés, on peut tous être fiers du chemin parcouru. Notre organisation a vécu une période exceptionnellement riche, marquée par l'obtention de nombreux résultats. Je pense particulièrement à la réforme de la Sécurité sociale, qui semble aujourd'hui mise sur les rails de manière irréversible. Je pense à la lutte contre l'exclusion. Je pense évidemment à la réduction du temps de travail qui enfin voit le jour en grand format. Toutes les revendications que nous portons depuis de nombreuses années touchent à des enjeux essentiels. Grâce notamment à l'action de la CFDT, elles sont désormais au coeur des débats et des défis de la société.

Ce bilan est celui de toute la CFDT. Et je le répète, il est source d'une grande fierté parce que franchement, qui aurait parié voici trois ans sur de telles avancées ?
Au cours de ces trois années, des oppositions internes à la ligne politique de la CFDT se sont manifestées et des débats ont traversé l'organisation. Les différends se sont-ils aplanis ?

Nicole Notat – Il y a des militants qui expriment des désaccords profonds avec la ligne CFDT. Le congrès est là pour que tous les points de vue se fassent entendre et que des orientations soient dégagées. Par ailleurs, nous avons affirmé nos choix dans un contexte difficile qui a placé les militants de la CFDT en première ligne. Un dialogue de grande envergure au sein de la CFDT a permis de prendre en considération les attentes et les demandes exprimées par les militants. Il est apparu un besoin d'éclairage, une envie de réfléchir sur des questions qui les taraudent afin d'être mieux outillés. C'est pourquoi, en janvier 1997, on a décidé de lancer le débat sur plusieurs thèmes : la mondialisation, le rapport de force, la loi et la négociation, le rôle de l'Etat, les inégalités. Les réflexions de ces deux années d'intenses discussions ont servi de base à l'élaboration des textes du congrès. Tout ce processus de réflexion interne est capital pour une organisation comme la nôtre dont l'ambition est de transformer la société vers plus de justice sociale, de solidarité et d'émancipation collective et individuelle.

En dehors de problèmes internes qui peuvent paraître lointains pour beaucoup, quels seront les principaux enjeux du congrès ?

Nicole Notat – Les enjeux du congrès sont inscrits dans nos choix de débat. Nous affirmerons notre volonté de conforter un syndicalisme qui ne se contente pas d'affirmations de principe mais a le souci permanent de leur mise en oeuvre. Les débats sur la mondialisation et la démocratie procèdent de la même volonté de s'approprier des phénomènes complexes mais sur lesquels on peut et doit peser. La CFDT fuit le fatalisme, veut combattre le scepticisme pour mieux transformer le réel. Ce dont il faut se persuader c'est que la CFDT refuse le fatalisme ou la résignation. Notre vocation est d'agir sur les évènements plutôt que de les subir.

Cet objectif passe par des priorités : continuer la réforme de l'assurance maladie, assurer l'avenir des régimes de retraite en pérennisant notre système par répartition, lutter contre le chômage en utilisant la réduction du temps de travail mais aussi la formation professionnelle, l'ARPE (allocation de remplacement pour l'emploi).

Concernant la réduction du temps de travail, la CFDT ne s'impatiente-t-elle pas de certaines lenteurs dans sa mise en place ?

Nicole Notat – On peut d'abord se féliciter que la bataille des idées sur le sujet soit gagnée. Cela n'était pas évident voici trois ans. Reste bien sûr la phase des travaux pratiques qui a commencé avec la loi de Robien. Rappelons que celle-ci a donné lieu à 2 500 accords qui ont concerné 400 000 salariés et permis de créer ou sauvegarder 40 000 emplois. Autrement dit, la démonstration est faite que la réduction du temps de travail pour l'emploi, cela marche.

Maintenant, il s'agit pour la CFDT de se saisir de la loi Aubry pour rendre le mouvement de la RTT irréversible, y compris dans les PME. Je constate que la dynamique se poursuit, que des négociations fleurissent dans de nombreux secteurs professionnels aboutissant à des accords aux contenus très divers, mais s'inscrivant – à l'exception de la métallurgie – dans le sens du mouvement pour l'emploi. Nous devons faire vivre ce mouvement, l'amplifier, l'impulser, le promouvoir. Certes, tout est loin d'être parfait, des risques d'enlisement existent et les opposants n'ont pas abdiqué. Mais comme la vérité appartient au terrain, elle nous appartient aussi. Notre meilleure garantie reste le rapport de forces que nous pouvons créer et nous savons pouvoir compter sur l'adhésion d'une très large majorité de salariés.

Le 12 juin 1998, à Charléty lors du rassemblement de 25 000 militants sur la réduction du temps de travail, vous lanciez un appel aux salariés pour qu'ils soient « les révolutionnaires du possible ». Au-delà de la formule qui fait tilt, est-ce le nouveau slogan de la CFDT ?

Nicole Notat – Dans son esprit, forcément oui. Mais il ne faut pas se méprendre. Ce qu'il faut faire évoluer, désormais, c'est notre représentation du changement qui doit s'enraciner dans la réalité. L'élan de Charléty doit nous permettre de bien rebondir à Lille pour rester plus que jamais ouverts et imaginatifs.


Présentation du rapport d'activité par Nicole Notat

Bienvenue à vous tous et toutes, les délégués de toute la CFDT, réunis ici au nom de ses militants et de ses adhérents.

Bienvenue à tous nos invités, et je salue d'ores et déjà les délégations ici présentes de la CGT, de l'UNSA et de la CGC. Bienvenue aux représentants des organisations syndicales étrangères, bienvenue à nos amis, bienvenue aux observateurs et à tous les journalistes qui vont rendre compte des travaux de ce quarante-quatrième congrès.

Nous voici réunis pour passer cinq jours ensemble, cinq jours de débats, d'échanges et de confrontations. Le congrès est un moment de bilan, d'évaluation du travail accompli, le moment aussi où nous allons décider de nos orientations pour l'avenir. Pendant ces cinq jours, nous allons beaucoup parler de nous, de notre activité, de notre fonctionnement, de nos succès et de nos faiblesses, de nos projets.

Disons le d'emblée, ce congrès n'est pas ordinaire parce que les trois années que nous venons de vivre n'ont pas été banales.

Pas banales d'abord parce que les évènements mondiaux et nationaux se sont enchaînés à un rythme soutenu, presque fou. Et parce que ces évènements nous ont conduits à procéder à la lecture de ce qu'ils sont et de ce qu'ils signifient, à faire le tri entre les vraies et les fausses interprétations, à nous situer pour agir.

Cette fonction de critique sociale exigeante, approfondie, indépendante est, on le sait, depuis toujours à la CFDT un préalable à une action syndicale pertinente. Elle est d'autant plus nécessaire que, dans ce pays, nombreux sont ceux et celles qui sont déroulés par la période, qui sont pétris de doutes, d'inquiétudes, de peurs parfois.

Cette critique sociale est nécessaire pour jouer notre rôle d'organisation syndicale, pour transformer en volonté d'agir les sentiments d'injustice et d'indignation que suscitent trop de réalités intolérables. Elle est nécessaire pour échapper au piège des visions simplificatrices, au piège des discours d'autant plus radicaux qu'ils n'ouvrent aucune voie à une action transformatrice concrète.

Cet enjeu était déjà relevé par Reconstruction en 1952, sous la plume de Marcel Gonin qui écrivait, je cite : « On n'oriente pas le syndicalisme dans l'abstrait, mais dans une situation donnée qu'il faut d'abord analyser… ». Il poursuivait : « … Avoir conscience de l'ensemble de la situation apporte à la démagogie le contre poids le plus efficace sans diminuer en rien, au contraire la volonté d'action. Elle implique l'impossibilité de se contenter de réponses toutes faites, de principes tenus pour définitifs dans leurs formes abstraites… »

Ces propos sont toujours d'actualité, ils sont notre actualité. Durant ces trois dernières années nous avons pu en faire de réels principes d'action.

Ces trois années n'ont pas été banales par la nature, l'ampleur ou l'accélération d'évènements, qui ont été autant de fenêtres de tir pour propulser nos analyses, autant d'occasions à saisir pour agir.

Ainsi en est-il de la mondialisation.

L'évènement le plus récent, c'est la crise financière qui a plongé l'Asie dans une récession sévère, et avec elle des dizaines de millions de personnes dans la misère.

C'est l'Amérique latine menacée, c'est un coup sévère pour l'économie mondiale, c'est un coup de frein probable à la croissance européenne retrouvée, ce sont des entreprises sous la contrainte des fluctuations boursières.

On aurait envie que tels excès, de telles irresponsabilités sanctionnent les responsables cyniques, publics ou privés, de tels résultats.

On se demande s'il était vraiment nécessaire d'en passer par là, pour qu'au royaume planétaire du capitalisme triomphant, on daigne enfin reconnaître que le libéralisme à tout crin, la liberté sans entrave et sans responsabilité n'est plus de mise.

On a envie de croire que les appels des nouveaux convertis à la régulation du système monétaire international et de l'économie de marché ne restent pas lettre morte.

On se prend à espérer qu'une nouvelle phase de la mondialisation s'amorce. Avec un G7 et des institutions internationales qui placent dans leur ligne de mire les fonds spéculatifs et les paradis fiscaux.

On se prend à espérer que la coopération et l'impulsion politiques progressent au même rythme que la globalisation économique, on se prend à espérer que l'impératif social et le développement aient partie liée.

A notre place, avec la CISL et la CES, c'est de cette mondialisation là, maîtrisée et organisée, dont nous voulons être les artisans.

La mondialisation c'est de plus en plus de salariés de France, d'Europe et d'ailleurs, placés devant le phénomène des entreprises qui bougent, qui fusionnent déplaçant ou comprimant travail et emplois.

De Vilvorde à Levis, en passant par Ericsson ou Toyota et tant d'autres, les salariés et les populations concernées sont de plus en plus confrontés à la globalisation des stratégies d'entreprises qui ont fait du monde leur terrain de jeu.

Il ne viendrait pas à l'idée de s'en plaindre quand il s'agit de la bonne nouvelle de l'arrivée d'une entreprise en France.

A l'inverse, les décisions de fermetures d'entreprise sont douloureuses. Elles sont d'autant plus intolérables quand s'y ajoute le mépris du fait accompli.

Les salariés, les syndicalistes mesurent aujourd'hui de manière tangible ce qu'est l'enjeu de l'information et de la consultation de leurs instances de représentation :

– pour connaître les vraies raisons des décisions patronales ;
– pour faire le tri entre les contraintes réelles des entreprises et les arguments cyniques et de circonstance ;
– pour affiner en conséquence les objectifs et la stratégie des actions à conduire, dans l'urgence comme dans le moyen terme.

Cet enracinement de la dimension mondiale dans nos réalités et dans nos pratiques ouvre de nouveaux champs d'action.

Le travail des enfants, le travail forcé, les libertés syndicales étouffées ne relèvent plus de témoignages militants isolés. Ce sont maintenant des réalités visibles, perceptibles, qui déclenchent les ressorts de l'action syndicale contre l'injustice et l'oppression.

La pression s'organise, elle aussi à l'échelle de la planète. Les délégués des syndicats du textile, de l'habillement, des services ne me démentiront pas. Ils ont été les premiers, et cela vaut un coup de chapeau, à s'engager dans la campagne « Libère tes fringues », devenue « Ethique sur l'étiquette ».

La bataille pour le respect des droits sociaux fondamentaux des hommes et des femmes ne concerne plus seulement quelques responsables de l'Organisation internationale du travail, elle est descendue dans la rue, avec la Marche des enfants qui a mobilisé des syndicats et des associations des cinq continents.

Et que dire de la bataille pour la démocratie, qui se heurte si souvent à la violence, à la haine, et même à la barbarie.

A cet égard, et concernant l'Algérie, l'ouverture de ce congrès est un moment d'émotion particulier. On se rappelle en effet que nous avons réservé à Montpellier à Abdelhak Benhamouda, qui a payé du prix de sa vie la recherche du chemin vers la démocratie dans son pays.

Que ce congrès soit l'occasion de réaffirmer à tous ceux qui continuent le travail entrepris dans l'UGTA notre solidarité active et notre amitié.

Et si des assassins sont toujours au pouvoir dans trop de pays du monde, le sort réservé à Pinochet, quelle qu'en soit la suite, en fera réfléchir plus d'un.

Certes le cynisme et la raison d'État ont encore de beaux jours devant eux. Il y aura encore bien des accommodements avec les régimes peu soucieux des libertés. Pourtant, une étincelle, une lueur d'espoir ont jailli. Les dictateurs, les tortionnaires, les assassins n'entreront plus dans l'histoire comme des héros. Et nous nous en réjouissons.

L'Europe aura été omniprésente dans les débats, les controverses, les enjeux qui ont dominé la vie politique et sociale française.

C'est le cas de la réalisation de l'Euro, de son pacte de stabilité monétaire, du lancement d'une politique concertée pour l'emploi, du rendez-vous manqué de la réforme des institutions à Amsterdam.

C'est le cas de la place, du rôle et de l'évolution des entreprises publiques, dans une Europe et un monde concurrentiel. France Télécom hier, EDF-GDF, la SNCF ou encore la Poste aujourd'hui en savent quelque chose.

Tous ces débats ont donné lieu à beaucoup d'ambiguïtés, de confusion aussi, à beaucoup de dérobades de la part de responsables de tous bords. Trop de responsables qui ont trouvé commode de faire assumer par Bruxelles des décisions inconfortables ou impopulaires.

On peut épiloguer longuement sur la priorité historique donnée à l'Union économique et monétaire au détriment de la construction politique et sociale. Il reste que l'Euro, en pleine tourmente financière, aura mis l'Europe à l'abri de secousses monétaires.

Et qu'on le veuille ou non, l'arrivée de l'Euro ne permet plus de différer la coordination des politiques économiques et de l'emploi, l'harmonisation fiscale et la réforme des institutions.

L'Europe entame une nouvelle phase de son Histoire où elle devra combler demain ses carences d'aujourd'hui.

Car l'Europe ne sera pas un géant économique si elle reste un nain politique et si elle néglige son modèle social.

Rien n'est plus urgent en effet que de poser les fondements d'un espace politique européen, que de donner à ses institutions une vraie légitimité démocratique, que de relever le défi de son élargissement.

Rien n'est plus urgent que de construire une puissance politique originale, capable de faire de son modèle social et du développement économique un seul et même enjeu.

Rien n'est plus urgent que cette Europe là fasse figure de référence et joue un rôle moteur dans la construction d'un monde plus solidaire. Tel est le seul, tel est le grand projet européen pour demain.

Ces trois années n'ont pas été ordinaires, pas banales non plus pour la CFDT.

Qui aurait pu se douter à Montpellier que les priorités revendicatives que nous adoptions seraient aussi rapidement confrontées à l'épreuve des faits et de leur mise en oeuvre ? Qui aurait parié que nous aurions si vite quitté le terrain des motions et des résolutions pour aller sur celui de l'action ?

De mémoire de syndicaliste, rares ont été les occasions où nous avons pu à ce point affirmer et assumer nos choix, poser des actes, engranger des résultats significatifs. Comment ne pas s'en réjouir ?

Et s'en réjouir à double titre. D'abord pour les résultats concrets que nous pouvons présenter, ensuite pour la signification et la portée transformatrice qu'ils induisent.

Sur la réduction du temps de travail d'abord, après tant d'années d'enlisement, d'isolement, après tant de rendez-vous manqués et de promesses différées, après tant d'années où tout était attendu du développement de la croissance pour vaincre le chômage, comment ne pas apprécier le chemin parcouru depuis Montpellier ?

À l'heure où je vous parle, plus de 100 négociations de branche sont en cours, 18 sont à ce jour conclues, la CFDT en a signé 15.

2 900 accords de Robien, plus de 800 accords Aubry sont déjà signés dans les entreprises. D'autres se préparent, d'autres enfin vont découler des accords de branche s'inscrivant dans la dynamique de l'emploi. Ce sont plusieurs centaines de milliers de salariés d'ores et déjà concernés par la baisse de leur temps de travail. Ce sont plusieurs dizaines de milliers d'embauches nouvelles ou potentielles. Ce sont plusieurs milliers d'emplois sauvés.

Les résultats, ce sont les négociations annoncées ou engagées à la Poste, à EDF-GDF, à la SNCF, d'autant plus difficiles que les relations professionnelles s'y déroulent sous haute tension et sous surveillance étatique. À la SNCF le climat social est à l'évidence dégradé.

Les énergies de tous ont besoin de se reconcentrer pour réussir la négociation capitale sur l'organisation et la réduction du temps de travail, pour le plus grand intérêt des cheminots, de l'entreprise et du service public.

Dans les bonnes nouvelles, c'est enfin la négociation à l'ordre du jour à la Sécu.

Tout cela est loin d'être négligeable. Mieux, ces premiers résultats sont décisifs.

Pourtant, nous n'ignorons pas que la réduction du temps de travail conserve ses détracteurs et ses saboteurs. L'annulation, à EDF-GDF, de l'accord novateur du 31 janvier 97, en est une illustration. Les accords dans la métallurgie, le bâtiment et les travaux publics, où la CFDT a eu raison de ne pas apporter sa caution à un détournement aussi grossier de l'objectif emploi en sont une démonstration.

Pourtant, nous ne nous résignons pas à la mise à l'écart sournoise, insidieuse, des fonctions publiques du processus désormais engagé dans le secteur privé. Cela s'appelle tout simplement une dérobade de l'État employeur.

Pourtant, nous ne sommes pas naïfs, l'orage n'est pas derrière nous, le chemin n'est pas dégagé de toute embûche. Et nous connaîtrons encore bien des débats, des tâtonnements, des ajustements pour arrêter la meilleure stratégie possible.

Ce que nous vous proposons, c'est de mesurer en quoi les tabous qui sont tombés, le fait que la RTT ait quitté la sphère des idées utopistes pour accéder à celles des réalisations concrètes est une victoire déjà considérable.

Ce que nous vous proposons, c'est de mesurer la force de la démonstration faite, la force de la preuve, comme acquis déterminant dans la création du rapport de force.

Ce que nous vous proposons, c'est de mesurer que le passage de l'affrontement sur le principe de la RTT à la controverse sur la manière de s'en servir, est révélateur d‘un changement de donne décisif.

Ce que nous vous proposons, alors que nous courons du four au moulin, c'est de ne pas perdre de vue que la négociation de la réduction du temps de travail à grande échelle entrouvre la porte vers d'autres transformations sociales.

Le patronat ne s'y est pas trompé, Lucien Rebuffel en tête. Ce président boutefeu de la CGPME n'a-t-il pas exprimé franchement ce que tous les autres pensent tout bas « l'organisation du travail, a-t-il dit, c'est notre affaire, pas celle des syndicats. » ?

Et bien, pas de chance, c'est aussi l'affaire des salariés, et c'est justement pour cela que ça nous intéresse. Parce qu'elle est au coeur de l'organisation du travail, la négociation sur le temps de travail ouvre la voie à un nouveau partage du pouvoir dans l'entreprise. Elle donne le pouvoir d'agir contre la précarité.

Oui, la RTT est l'aiguillon dans l'artisanat, dans les petites et moyennes entreprises du développement de nouveaux rapports sociaux. Et ce n'est pas là le moindre des paradoxes !

La RTT, à travers les aides publiques, c'est aussi l'amorce d'un autre partage des richesses en faveur de l'emploi, des salariés et des chômeurs.

La RTT c'est enfin plus de maîtrise de son temps, plus de liberté pour les salariés. C'est un nouvel équilibre possible entre la vie professionnelle et la vie familiale et privée.

Nouvel équilibre du temps, nouvelle répartition du pouvoir, nouvelle répartition des richesses : ne s'agit-il pas des ingrédients d'une transformation sociale en profondeur ?

L'histoire retiendra aussi des années 95-98 l'accouchement douloureux de la réforme de l'assurance maladie. Là encore, trois années qui n'ont pas été de tout repos pour la CFDT. On peut dire que nous n'avons pas ménagé nos efforts. Ils n'ont pas été vains.

Nos choix étaient clairs. Nous avions la certitude que, de plans en plans, la baisse des remboursements et la hausse régulière des cotisations étaient la plus lourde menace pour notre sécurité sociale.

Nous avions la certitude que seule une réforme profonde dont nous avions posé les bases à Montpellier, don nous avions fait un temps fort de mobilisation réussie à Charléty, pouvait la sauver.

Et puis la surprise est arrivée. Un gouvernement de droite décide d'engager la réforme que nous revendiquions.

Nous savons ici le reste en tête ; l'unité intersyndicale autour du slogan trop global de « défense de la Sécu » vole en éclat, la controverse, les polémiques atteignent des sommets rarement égalés.

Parce que si la réforme a ses farouches partisans, elle a évidemment ses farouches détracteurs.

Parce que les décisions gouvernementales, unilatérales, arbitraires sur les retraites des salariés des régimes spéciaux provoquent colère, réactions et mobilisation légitimes.

Parce que vient s'y mêler un contrat de plan bâclé et contesté à la SNCF.

Le choix du Bureau national a été le refus de se rallier au mot d'ordre amalgame du « non au plan Juppé », qui visait à orienter ainsi la mobilisation des salariés contre une réforme, qui leur était pourtant favorable.

Choix difficiles à assumer. Choix contestés ou incompris jusque dans nos rangs. Choix qui auront à l'évidence et avec le recul, permis que la réforme ne soit pas mort-née. C'est vrai qu'elle n'a pas vu le jour dans les meilleures circonstances, il a fallu, avec le Comité de vigilance, suivre sa réalisation sans relâche.

Et ce n'est pas fini. Il faudra encore manifester nos exigences pour ne pas retarder la mise en place de l'assurance maladie universelle, pour ne pas laisser enterrer la réforme de l'assiette des cotisations patronales, pour remettre en chantier et sur de bons rails la prestation autonomie.

Mais au-delà des alternances de la vie politique et de ses figures imposées, au-delà de notre impatience, de nos craintes, de nos coups de colère pour que le cap soit maintenu, les premiers résultats sont là.

Parmi ceux-ci, mesurons la portée de la réforme engagée du financement de l'assurance maladie. Avec le transfert désormais total de la cotisation maladie des salariés en CSG, avec son élargissement à tous les revenus, à ceux de la propriété du patrimoine et du capital, désormais taxés à hauteur de 10 % rapportant 33 milliards de francs, ce n'est certes pas le grand soir fiscal, mais ce n'est pas rien. Surtout si l'on y ajoute le plafonnement du quotient familial.

Résultats aussi la reconnaissance, au-delà de l'alternance politique, de la responsabilité des professions de santé dans une maîtrise collective des dépenses qui tourne le dos au rationnement des soins.

Résultats encore l'engagement réaffirmé de procéder à la réorganisation, à l'adaptation et à la coordination de l'offre de soins pour en garantir la qualité pour tous.

Résultats enfin, les nouvelles frontières dessinées entre les responsabilités du parlement, du gouvernement et des gestionnaires de la Sécu.

La réforme est loin d'être achevée, au moins dispose-t-elle de bases solides.

Oh tout cela, on le sait, ne vaudra que si la volonté et la détermination de ceux qui sont convaincus restent intactes, si la dynamique du changement lève les résistances et persuade les sceptiques.

Cette réforme porte en elle, et c'est une raison de plus pour la réussir, l'affirmation du modèle social européen, qui refuse de laisser l'individu seul face aux aléas de la vie, qui construit des solidarités collectives qui n'excluent personne.

Je voudrais évoquer devant vous une autre évolution majeure, celle des politiques actives concrétisées par la création des conventions de coopération et de l'ARPE.

Souvenons-nous des oppositions, des critiques que faisaient surgir l'idée même que l'Unedic puisse faire mieux qu'indemniser.

Quand nous suggérions la création d'un fonds paritaire pour l'emploi, quelle levée de boucliers, quelle volée de bois vert avons-nous pris de la part de ceux qui nous accusaient tout simplement de faire dévier l'assurance chômage de ses missions originelles.

Souvenons-nous des voix patronales qui s'élevaient contre l'ARPE, mesure antiéconomique et trop coûteuse. Quand je vois aujourd'hui l'énergie avec laquelle le secrétaire général d'une organisation soeur défend l'ARPE au point d'en revendique la quasi paternité, quand je vois le MEDEF, ce CNPF nouveau, désormais acquis à son maintien et à son élargissement, et bien je me dis tout simplement qu'il ne faut jamais désespérer du genre humain.

Plus sérieusement, je me dis qu'il n'y a que les batailles qu'on n'engage pas qu'on est sûr de perdre. Je me dis que quand plus de 110 000 demandeurs d'emploi, dont deux tiers de moins de 30 ans, ont été embauchés grâce à l'ARPE, je me dis que quand plus de 65 000 chômeurs de longue durée ont été embauchés grâce aux conventions de coopération, dont les deux tiers en contrat à durée indéterminée, quand je vois que l'ensemble des mesures actives ont permis de placer 425 000 personnes dans une dynamique d'emploi, et bien je me dis que ces mesures ne sont pas pour rien dans la baisse du chômage, je me dis qu'elles méritent bien qu'on ne les brise pas en plein vol.

Oh bien sûr, ces mesures apparaissent encore bien inaccessibles à tous ceux qui désespèrent, convaincus qu'ils n'intéressent personne et qu'ils sont condamnés à l'assistance.

Inaccessibles aussi à tous ceux qui, faute d'espoir de pouvoir travailler un jour, expriment une demande grandissante de revenus sociaux plus décents, pour leur permettre de se loger, de vivre dignement avec les leurs.

Plus globalement, les résultats dont je viens de vous présenter les réalités et les enjeux, qu'il s'agisse d'emploi ou d'accès à la protection sociale, n'ont encore qu'un trop faible impact dans l'amélioration concrète de la vie quotidienne des plus démunis. Nous savons que là se trouve la raison profonde qui alimente doutes, désarroi et ouvre la voie aux comportements racistes et extrémistes. Nous savons que là est le terreau sur lequel prospère l'audience du Front national.

C'est justement parce que nous avons conscience de cela que nos priorités revendicatives ont pour dénominateur commun la lutte contre l'exclusion, et notre démarche syndicale pour fil conducteur le parti pris de la solidarité.

C'est justement parce que nous savons le chemin qu'il reste à parcourir que les acquis d'aujourd'hui constituent autant de points d'appui nouveaux à notre action de demain.

Il me faut à ce stade évoquer en quoi ces trois dernières années n'ont pas été banales pour les relations intersyndicales. En 1995 la CFDT est isolée, suspectée de trahison, marginalisée par l'unité retrouvée dans la rue entre les deux CGT. L'avenir ne semblait-il pas appartenir à ceux qui affichaient une radicalité toujours plus radicale et que d'aucuns présentaient comme le sang neuf du syndicalisme.

Nous avons dû, c'est vrai, assumer des positions singulières, pas par goût de l'originalité ou de l'isolement.

Parce que cette période a été puissamment révélatrice de clivages réels, de clivages profonds dans les conceptions et les stratégies syndicales.

Le front du refus a vite montré ses propres limites et son absence de perspectives. Tout cela a contribué durcir les rapports intersyndicaux et à accentuer la dispersion.

C'est pourtant dans ce contexte que l'UNSA, évitant le piège de la création d'une sixième confédération, se risque au regroupement de syndicats et de fédérations autonomes, issus des fonctions et entreprises publiques, avant d'être rejoints par des syndiqués ayant quitté Force Ouvrière.

Pour l'UNSA, les convergences sont évidentes avec l'UFFA ; au niveau confédéral, elles se sont affirmées sur la Sécu, elles viennent de se traduire dans un accord de partenariat pour la prise en charge des questions européennes.

Mais l'évènement de cette fin de 1998 ne se situe à l'évidence pas là. Il serait dans l'annonce d'un tournant historique de la CGT. Il serait dans le rapprochement qu'elle amorce vers la CFDT.

Le contraste entre l'hiver 1995 et l'hiver 1998 est saisissant. Il donnerait presque le tournis !

À lire les documents préparatoires à son congrès, à entendre les propos actuels de son secrétaire général, à suivre l'évolution de son discours sur l'Europe, à observer encore les changements d'optique et de pratique sur la négociation du temps de travail, la CGT exprime l'intention de s'extraire de la culture du refus systématique et du tout protestataire ; elle manifeste des signes de passage à l'acte. Des relations plus naturelles s'amorcent entre elle et nous. Ceci constitue déjà un changement.

Nous sommes, à la CFDT, depuis longtemps conscients des défauts et des faiblesses du syndicalisme français, nous constatons tous les jours les incidences de cette situation sur les fragilités et les insuffisances des rapports sociaux dans ce pays. Nous faisons inlassablement de leur rénovation profonde l'objectif central de notre démarche syndicale.

C'est donc avec lucidité mais avec tout l'intérêt que nous portons à ce qui pourrait accélérer les mutations du syndicalisme français, et en accroître l'efficacité que nous entendons développer nos relations avec les autres organisations syndicales.

Là est notre ligne de conduite en général, là est notre responsabilité. Elle trouvera, si la CGT confirme le choix de son évolution, de nouvelles et souhaitables occasions de s'exercer.

Il me reste, après ce bilan rapide à m'arrêter quelques instants sur notre propre bilan de santé. Ce n'est pas pratiquer la méthode Coué ou le chauvinisme d'organisation que d'exprimer notre fierté.

Fierté parce que la CFDT s'est affirmée franchement dans le paysage syndical et social français.

D'abord en confortant notre place de première organisation syndicale en nombre d'adhérents. Plus de 720 000 adhérents en 97, 21 % de progression depuis Montpellier, 24 % dans le secteur privé. Et je ne prends guère de risque en vous annonçant que le cru 98 ne démentira pas la tendance.

Fiers encore, car ce n'est pas venu tout seul, de compter 45 % de femmes chez nos adhérents, de pénétrer enfin dans les petites et moyennes entreprises.

Fiers encore de constater que l'audience électorale de la CFDT grandit régulièrement. La barre des 25 % est enfin franchie aux Prud'hommes, nous sommes la première organisation dans l'agriculture et l'encadrement, nous nous hissons à la deuxième place dans le commerce.

Dans les Comités d'entreprise, les résultats 96 montrent une CFDT qui accroît son audience dans tous les collèges, faisant régresser les candidats « sans étiquette syndicale ». Une CFDT qui atteint avec 22 % son meilleur score dans le collège des ouvriers et des employés.

Une CFDT qui, en résultats cumulés sur les années 95 et 96 devient première organisation syndicale dans le secteur privé.

Et comment ne pas relever devant vous cette belle progression de plus de 5 points chez les routiers ; oui, relevons-la parce que cela s'est vu, dans l'omniprésence de la CFDT dans les conflits, dans son engagement dans les négociations et sa capacité à conclure. Le déferlement de critiques – ignobles – dont ils ont été l'objet n'est en quelque sorte que la rançon de la gloire !

Fiers, nous le sommes aussi de notre capacité de mobilisation renforcée. Du Charléty sur la Sécu au Charléty sur le temps de travail, en passant par les manifestations pour l'Europe, le 10 juin 97 à Paris, le 20 novembre de la même année à Luxembourg, sans oublier l'engagement CFDT dans les nombreuses actions professionnelles ou territoriales, sans oublier celles des retraités.

D'aucuns relèveront que nous faisons là dans le patriotisme d'organisation, peut-être ! Ces moments-là sont plutôt, et surtout, pour nous, les moments où nous prenons conscience de notre force et des liens qui nous rassemblent. Oui, cela fait du bien et pourquoi ne pas le dire ?

Je voudrais aussi relever ici combien ces trois années nous ont redonné le goût du débat d'idées. Le besoin en avait déjà été pointé à Montpellier, mais c'est surtout votre demande, celle des militants et des militantes, de posséder de bonnes clés de lecture et de compréhension, d'avoir des repères, d'être davantage partie prenante de nos débats et de nos choix collectifs qui s'est exprimée avec force.

Vous vouliez ainsi mieux vous situer dans les confrontations et les controverses qui ont été denses ; vous vouliez être plus assurés, plus forts, plus efficaces dans l'action.

Oh, bien sûr, et vous l'avez autant que moi présent à l'esprit, la fin de l'année 95 aura été un révélateur puissant de cette demande. Cette période, nous le savons maintenant, aura été décisive – quels qu'aient été le sentiment et la position de chacun à l'époque – décisive dans le saut collectif et qualitatif que nous avons opéré dans notre fonctionnement, dans notre réflexion et dans notre action.

C'est ainsi que la mondialisation, le rapport de force, le rôle de la loi et de la négociation, la redéfinition du rôle de l'État, ou encore les inégalités ont été retenus comme des thèmes prioritaires de réflexion.

Ce n'est pas par hasard s'ils sont aujourd'hui au coeur des débats de ce congrès.

Enumérant devant vous nos progrès, notre lucidité et notre vigilance sont intactes tant il reste du chemin à parcourir.

Le taux des abstentions aux élections Prud'hommes est trop élevé ; le taux de syndicalisation en France fait toujours pâle figure comparé à celui de nos voisins européens ; nous n'attirons pas encore assez de jeunes, et l'écart reste important entre le nombre de nos électeurs et celui de nos adhérents.

Il est une autre question, une question d'une autre nature, qui a mis à mal d'une manière inédite notre fonctionnement interne et notre culture démocratique. Je veux parler, et vous l'avez compris, de la création à l'initiative de trois régions, une fédération et quelques syndicats, de cette autre CFDT dans la CFDT, avec son journal « Tous ensemble », son sigle, « CFDT en Lutte » tenant ses propres réunions, son université d'été, ayant couramment recours à l'expression publique, appelant en tant que telle à des manifestations. Son objectif affiché est clair : il faut changer les orientations et les dirigeants de la confédération.

Nous avons, vous avez, les uns et les autres, été confrontés à cette réalité nouvelle à la CFDT. Nous avons mesuré ce brouillage d'image, mesuré les risques d'affaiblissement que ce clivage d'un type nouveau fait courir à la CFDT. Nous savons qu'il s'agit là d'une question qui ne peut être pas éludée à ce congrès.

Il ne s'agit évidemment pas là, le Bureau national l'a résolument affirmé, de fustiger ou de rejeter le droit à la critique ou au désaccord interne, partiel ou plus profond, qui est le fait même de toute organisation démocratique.
Et bien pourtant, cette guérilla interne constante et dévoreuse d'énergies n'a pas altéré nos résultats globaux, n'a pas affecté notre volonté de poser de nouveaux jalons dans le chemin de la transformation sociale. C'est parce que vous l'avez voulu. Nos succès d'aujourd'hui sont vos succès. Vous en avez été les artisans.

Ils sont le fruit du travail de toute l'organisation. Il n'a été possible que par un engagement d'une ampleur exceptionnelle. Engagement dans le syndicalisme d'adhérents, dans le développement de pratiques participatives, d'écoute et d'association de nos adhérents, des salariés aussi.

Engagement dans l'affirmation au quotidien de nos choix revendicatifs, de notre démarche syndicale exigeante et responsable. Engagement dans une aventure sans précédent. Elle n'est pas terminée. Elle nous permet de faire la démonstration que le changement social est possible. Elle met en lumière la force de nos choix et la valeur de nos actes. À vous maintenant d'en parler.