Interviews de M. Laurent Fabius, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 9 mai et France 3 le 22 mai 1996, sur la politique gouvernementale notamment en matière sociale et budgétaire, le "style" Jacques Chirac, et sur le problème corse et la polémique entre Jacques Toubon et le PS.

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Intervenant(s) : 
  • Laurent Fabius - président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale

Média : Europe 1 - France 3

Texte intégral


Europe 1 : jeudi 9 mai 1996

Europe 1 : D'abord le football, Paris est magique ?

L. Fabius : C'était formidable. J'ai regardé ça en famille. Le match lui-même n'était pas d'une qualité extraordinaire mais le résultat est là. Et puis, il y avait une joie de voir un match très correct et le PSG qui, en l'occurrence, était la France, a dominé. Donc la victoire est légitime, elle est méritée, on est heureux.

Europe 1 : Un après l'élection de J. Chirac à la présidence de la République, quelle appréciation portez-vous ?

L. Fabius : Ce n'est pas facile en trois mots de résumer les choses. Sur ce qui concerne le plus directement les Français, la partie économique et sociale, le bilan, tel que je le perçois et tel que le perçoivent les Français, est un bilan qui n'est pas bon. Sur le reste, c'est plus contrasté. Il y a aussi l'aspect personnel. J'ai trouvé que dans cette première année, M. Chirac s'est montré sympathique, ça compte, chaleureux. M. Juppé, lui, on le ressent comme arrogant. Mais le tableau d'ensemble, si on pense non pas aux hommes mais aux faits, est un tableau quand même assez médiocre sur l'ensemble.

Europe 1 : Mais vous reprenez la phraséologie de L. Jospin qui a trouvé Chirac plus proche, plus citoyen que Mitterrand dans le deuxième septennat ?

L. Fabius : C'est autre chose. À la fin de sa vie et de son mandat, F. Mitterrand était malade, fatigué, donc il ne pouvait pas avoir le même comportement qu'aujourd'hui. Mais j'ai toujours pensé que Mitterrand sentait très bien la réalité française, donc je ne veux pas comparer les uns aux autres. C'est que Chirac va très souvent, ou en tout cas périodiquement en province, mais Mitterrand le faisait aussi. Je crois que ce qui est vrai, c'est qu'il y a un sentiment de sympathie qui se dégage sur le plan personnel. Mais sur le fond, le bilan économique et social, avec le triple record d'impôt, de déficits, de chômage, est quand même juge sévèrement par une majorité de Français.

Europe 1 : La fracture sociale, qui était l'un des thèmes de la campagne, ne semble pas réduite ?

L. Fabius : Personne ne peut considérer qu'elle soit réduite. Elle s'est plutôt augmentée avec un élément supplémentaire, c'est que les couches moyennes ont été peut-être celles qui se sont le plus précarisées. C'est un élément nouveau. Les gens sont inquiets parce que baisse du pouvoir d'achat, difficulté de la retraite, baisse des possibilités dans l'immobilier, menaces sur les enfants, etc. Donc, les couches moyennes en particulier se sentent très précarisées.

Europe 1 : C'est pour ça que vous ne voulez pas de la fiscalisation des allocations familiales ?

L. Fabius : La fiscalisation des allocations familiales, ça veut dire en fait qu'il y a plus d'impôts à payer. Donc, moi je suis partisan d'un autre système. Je pense qu'à partir d'un certain revenu, assez haut – on peut penser à 40 000 francs par mois – on peut discuter des chiffres, il faudrait qu'il y ait des modulations. Il est normal que des gens qui ont des petites ressources ou moyennes, touchent pleinement les allocations familiales, mais ceux pour qui c'est de l'argent de poche, il vaudrait mieux que cet argent abonde l'ensemble des allocations familiales et permette un versement, par exemple dès le premier enfant.

Europe 1 : Et sur l'emploi, pensez-vous qu'il faille revoir le système des aides à l'emploi ?

L. Fabius : Il y a des choses à faire dans ce domaine en particulier : même la droite reconnaît que le système de CIE, qui devait être le remède miracle selon J. Chirac, ne fonctionne pas. Donc il y a des remises en ordre à faire avec évidemment la clef de tout qu'il ne faut pas oublier : la croissance. Et la croissance ne peut repartir que s'il y a une relance de la demande, donc une certaine baisse des impôts et un certain nombre de distribution de pouvoir d'achat et de salaires.

Europe 1 : Vous estimez que la rigueur préconisée depuis l'hiver dernier a des tonalités balladuriennes finalement ?

L. Fabius : Quand on regarde, J. Chirac a fait sa campagne en partie contre Balladur, mais quand on regarde l'action réelle, il y a beaucoup de balladurisme dans les actes. Ce qui fait que le jugement ne doit pas porter seulement sur un an de présidence J. Chirac mais sur trois ans de droite de majorité de droite à l'Assemblée.

Europe 1 : Un an de Chirac, c'est aussi un an d'opposition à plein temps. Et la majorité enfonce le clou sur le déficit d'opposition.

L. Fabius : C'est toujours un peu injurieux de considérer qu'il n'y a pas d'opposants. C'est vrai que parlementairement, nous sommes peu nombreux, mais je pense que nous faisons notre travail. En plus, le PS a remonté, notamment dans les élections, il a repris son crédit et lorsque, semaine après semaine, il y a des élections partielles, les résultats sont bons et très souvent, la droite est battue. »

Europe 1 : Mais le déficit serait dans le début d'idées ?

L. Fabius : D'abord, on exerce notre tache d'opposants, c'est normal, et ensuite, on a commencé à développer les propositions. Il faut aller incontestablement plus loin parce qu'il y a, en France, aussi un déficit d'espérance. On sent ça très profondément. C'est à la gauche de combler ce déficit d'espérance. On a commencé de le faire sur les questions européennes, on va le faire maintenant sur les questions de démocratie et puis sur les questions économiques et sociales. Mais je crois que, quitte à peut-être passer, le moment venu, la surmultipliée, on remplit notre rôle.

Europe 1 : Il n'y a pas de profil bas du PS ?

L. Fabius : En tout cas, dans mon esprit, pas du tout. Mais il y a quand même un affinement des propositions à faire, mais c'est prévu dans le temps. Les élections sont prévues pour 98, il ne faut pas aller plus vite que la musique.

Europe 1 : Un mot de Jeanne d'Arc puisque J-M Le Pen et J. Chirac ont sacrifié à son culte. À Rouen, vous avez prévu quelque chose ?

L. Fabius : Oui, il y a des cérémonies traditionnelles de fête de Jeanne d'Arc qui ont lieu au début de juin et cette année, le maire de Rouen a invité R. Badinter pour parler avec les gens. Mais sur le fond, je trouve que Chirac à tout à fait raison de dire que Jeanne d'Arc n'appartient pas à tel ou tel. Alors avant c'était Jeanne d'Arc, maintenant on nous dit que c'est Clovis qui serait annexe. Non, il faut prendre les réalités historiques telles qu'elles sont et il n'appartient à personne de se couvrir du drapeau de tel ou tel grande figure historique.


RTL : mercredi 22 mai 1996

RTL : Incident hier entre J. Toubon et les députés socialistes en marge des questions d'actualité à propos de la Corse : J. Toubon a accusé les socialistes d'avoir, en leur temps, négocié avec les terroristes, je le cite : « au grand jour et à valises de billets ouvertes », après 1983.

L. Fabius : La situation en Corse, d'abord, aujourd'hui, sous le gouvernement du jovial Monsieur Juppé : comme aurait dit le Général, « c'est la chienlit ». Il n'y a pas une semaine qui se passe sans qu'il y ait des exactions ; il paraît qu'on n'arrête personne ; quand on interroge le Gouvernement, il nous dit : « j'ai deux principes, le dialogue et la fermeté, on a l'impression que les deux principes sont les cagoules et les pistolets mitrailleurs. »

RTL : Franchement, est-ce nouveau ?

L. Fabius : Cela a toujours été difficile, en Corse. Mais à ce stade-là, ce niveau-là, c'est vraiment, je le répète, la chienlit. Alors, l'opposition, et d'ailleurs pas seulement l'opposition, un certain nombre de groupes de la majorité, interrogent, comme c'est normal, et même interpellent le Gouvernement là-dessus, et nous l'avons fait par la bouche de C. Josselin, qui est un homme extrêmement pondéré, raisonnable, en disant les choses carrément mail raisonnablement. Là-dessus, le ministre de la justice répond par l'invective, il s'emporte – des accusations absolument sans fondement. Moi, je considère que c'est inacceptable. Et tout ministre de la République doit avoir un comportement exemplaire, et en particulier le Garde des sceaux. Quand on veut gouverner la République, il faut d'abord se gouverner soi-même. On ne peut pas accepter ça. »

RTL : Vous allez demander à quoi il faisait allusion ?

L. Fabius : C'est un peu l'inverse qu'il faut faire, et même exactement l'inverse : on ne peut pas accuser les gens comme ça sans preuve et jeter le discrédit sur les uns et les autres. Donc, on va voir en groupe ce matin, puisque je réunis le groupe comme chaque mercredi, ce que nous allons exactement faire. Mais je pense que je vais saisir le Président de la République, après tout, c'est lui qui a nommé le pondéré Monsieur Toubon : ou bien il va dans son sens, ou bien il lui demande des excuses. »

RTL : L'un est jovial, l'autre pondéré : votre ton à l'égard du Gouvernement se fait ironique ?

L. Fabius : Vous ne pensez pas que, sur le fond, ils le sont ?

RTL : Quoi ? Jovial et pondéré ? Ou des critiques plus acerbes ?

L. Fabius : Non. Soyons encore plus carrés : je considère que les propos de J. Toubon sont absolument inacceptables, et je vais saisir J. Chirac.

RTL : La réforme des universités a été discutée hier. Le statut de l'étudiant semble enterré parce que trop coûteux. Mais les socialistes n'ont pas de projets très arrêtés ?

L. Fabius : Ce n'est pas ce que j'ai retenu de ce débat. J'ai retenu d'abord de ce débat que cela fait maintenant plusieurs années, trois ans je crois, que F. Bayrou est en charge de l'ensemble du secteur de l'éducation, et les choses n'avancent pas beaucoup. Il y a d'ailleurs des divergences, d'après ce qu'on comprend, au sein de la droite. Alors hier, F. Bayrou a affirmé un certain nombre de principes, qui d'ailleurs tranchent avec des principes précédemment affirmés par la droite : j'ai entendu avec plaisir qu'on refusait la sélection, et d'autres émois comme ça. Mais la vraie question, elle n'est pas là. La vraie question, c'est qu'on peut avoir toute une série d'intentions, il faut des moyens matériels. J'ai parfaitement le souvenir...

RTL : On ne peut pas redéployer, à l'intérieur de l'éducation nationale ?

L. Fabius : J'ai parfaitement le souvenir que, il y a de cela deux ans, le même ministre nous avait dit : il faut au moins 10 000 emplois dans l'enseignement supérieur. Vous savez certainement que le budget consacré à un étudiant en France est de la moitié de ce qu'il est dans de grands pays très développés. Or, on ne voit pas le début du début de moyens supplémentaires. Et donc, des intentions sans moyens, c'est un peu de la poudre aux yeux. Pour ce qui concerne les socialistes, nous avons réaffirmé nos grandes orientations, et puis tenu notre rôle normal d'opposition.

RTL : La semaine dernière, J. Arthuis a plaidé pour la réduction drastique des déficits, il cherche entre 40 et 60 milliards d'économie. Est-ce possible, souhaitable, nécessaire ?

L. Fabius : Trois remarques brèves. Premièrement : il y a un côté surréaliste dans tout cela. J. Arthuis, A. Juppé, J. Chirac nous disent : on va baisser les impôts. C'est toujours « on va baisser les impôts » au moment où on les augmente. Ils n'ont jamais été aussi hauts qu'aujourd'hui, impôts et cotisations sociales. Donc tout cela est contradictoire. Premier point. Deuxième point : comme souvent avec cette équipe, on s'en prend au social, on s'en prend aux fonctionnaires, la fameuse affaire de la « mauvaise graisse », on s'en prend à tout ce qui est public et c'est une espèce de vision manichéenne des choses. Je ne dis pas, que par définition, tout ce qui est soit bon, mais enfin, il faut regarder les précédents. Et puis troisièmement, et ça c'est quelque chose qu'on va suivre dans les mois qui viennent, pour trouver ces fameux milliards, je sais à quoi pense le Gouvernement. Et je lui ai posé des questions, mais il n'y a aucune réponse. Il y a actuellement à France-Télécom – vous savez que le Gouvernement veut privatiser France-Télécom, nous y sommes opposés…

RTL : Dix milliards qui peuvent entrer ?

L. Fabius : Non, non. Beaucoup plus. France-Télécom, comme c'est normal, a prévu plusieurs dizaines de milliards pour payer les retraites futures des agents de France-Télécom. Et que veut faire le Gouvernement ? Il veut confisquer ces dizaines de milliards et avec, non pas du tout payer les retraites des fonctionnaires, mais payer le fonctionnement courant...

RTL : Vous avez des certitudes là-dessus, ou simplement des interrogations ?

L. Fabius : J'ai plus que des interrogations. Et tous vos collègues de la presse écrite ont remarqué ça. Je me suis donc fait en quelque sorte leur porte-parole. J'ai interrogé plusieurs fois le ministre des finances et d'autres ministres : je n'ai pas de réponse. Alors là, c'est un tour de passe-passe qui serait inacceptable et vraisemblablement sanctionné par le Conseil constitutionnel. Qu'il faille être très rigoureux sur les dépenses, c'est évident. Mais qu'il faille lancer des espèces de mesures démagogiques dans l'air, non.

RTL : Où rechercheriez-vous cette lutte contre les déficits publics ?

L. Fabius : Il y a plusieurs éléments, je vais en donner deux. Premier élément : je crois qu'il y a une meilleure gestion de la dette publique faire, et en particulier en liaison avec la baisse des taux d'intérêt. Deuxième élément, je crois que sur toute une série d'aides aux entreprises – cela représentait 120 milliards dans les dernières années – il y a effectivement des économies à faire. Maintenant, il faudra poser aussi le problème de fond qui est le problème économique : on est déjà dans une économie déprimée, l'Allemagne est en récession, si donc en plus on baisse massivement la dépense publique, vous verrez les résultats en termes de chômage.

RTL : Êtes-vous partisan du vote des immigrés aux élections locales tel que le demande un courant du Parti socialiste et tel que semble le refuser L. Jospin ?

L. Fabius : Cela me paraît difficile à réaliser sur le plan constitutionnel rapidement, pour être très concret.

RTL : Colloque L. Mermaz sur F Mitterrand : votre jugement est-il aussi mitigé que celui de L. Jospin ?

L. Fabius : J'aime bien cette manière de poser les questions d'une façon qui permette que ça coule de source. Combien ? En trente secondes ?

RTL : Non, même pas.

L. Fabius : Vingt secondes ? Ah, ça fait dix de trop. Laissons de côté le jugement de tel ou tel, mais disons les choses plus carrément : c'est difficile de soutenir que F. Mitterrand a été un grand Président, un homme exceptionnel et que ses deux septennats ne valaient pas tripette.


France 3 : mercredi 22 mai 1996

France 3 : Est-ce que plus qu'une démission, ce qu'on entendait tout à l'heure dans l'hémicycle, vous n'espérez pas tout simplement des excuses de la part de J. Toubon ?

L. Fabius : Oui, c'est de ça qu'il s'agit. Je pense effectivement qu'il faut revenir au fond. La situation en Corse est très difficile. Il n'y a pas une semaine qui ne s'écoule sans qu'on voit des attentats, des hommes-cagoules, bref l'ordre républicain n'est absolument pas pratiqué. Alors au lieu de s'occuper de cela et de s'en occuper efficacement, le Gouvernement en fait veut rejeter la responsabilité sur ses prédécesseurs, et hier, le Garde des Sceaux a proféré des accusations qui ne sont pas acceptables. Nous, nous disons, et c'est en ce sens que j'ai saisi M. Chirac, il est normal que le Garde des Sceaux présente ses regrets et ses excuses, on ne peut pas traîner dans la boue les gens comme cela, alors que et je le répète, en Corse, comme le disait le Général de Gaulle, c'est la chienlit : vous ouvrez votre poste de télévision, vous voyez des hommes en cagoules, des fusils mitrailleurs, il n'y a plus d'État dans ces conditions-là !

France 3 : On parle maintenant du fond, si vous le voulez bien. Vous avez, à plusieurs reprises, critiqué la politique du Gouvernement sur le dossier corse, est-ce qu'il n'y a pas pourtant une politique de dialogue qui a été pratiquée par le Gouvernement socialiste notamment en 1988, avec P. Joxe, on s'en souvient très bien ?

L. Fabius : Bien sûr que le dialogue est nécessaire. Il est évident que le dialogue est nécessaire.

France 3 : Mais c'est la méthode que vous contestez alors ?

L. Fabius : Mais d'une part, il faut dialoguer avec des gens qui respectent les règles de l'État républicain, sinon ça ne marche pas, et d'autre part, il faut quand même assurer une certaine fermeté, parce que sinon aucun des principes de la République ne sont admis. Or aujourd'hui, il y a vraisemblablement des tractations secrètes dont on ne nous parle pas. D'autre part, les décisions de justice ne sont pas exécutées, il y a des problèmes avec les gendarmes. Donc, on a le sentiment de ne plus être dans la République française, ce n'est pas possible.

France 3 : Vous dites tractations secrètes. Ce soir, un dirigeant nationaliste vient se joindre à la voix de J. Toubon pour dire qu'effectivement, la gauche a négocié notamment en 88, « en achetant avec complaisance force valises d'argent certain nationalistes ». Cette déclaration est signée de F. Santoni ?

L. Fabius : Encore faut-il établir cela. C'est lui-même un nationaliste, si je comprends bien ?

France 3 : C'est lui-même un nationaliste, bien sûr.

L. Fabius : Moi, je n'ai jamais eu connaissance de tout cela. Donc, on ne peut pas lancer des affirmations sans preuves, uniquement pour salir tel ou tel. La réalité, c'est que la situation est mauvaise, elle n'est pas maîtrisée par le Gouvernement encore, et il essaye de s'en sortir par une espèce de rideau de fumée. Ça ce n'est pas acceptable. Qu'on rétablisse une situation correcte.

France 3 : Il est assez simple de dire : il faut rétablir une situation correcte. Mais que proposez-vous justement, puisque la piste du dialogue engagée par le Gouvernement ne vous convient pas, quelles sont vos propositions ?

L. Fabius : Non, non, attention ! Le dialogue, il est nécessaire. Mais en même temps, il faut qu'il y ait un minimum de respect de l'État républicain, et ce n'est pas le cas. Quand les décisions de justice ne sont pas appliquées, quand vous voyez des mitraillages dans tous les coins, quand... je ne sais pas si vous avez vu ces images ? Mais vous voyez plusieurs centaines de personnes en cagoules venir faire une conférence de presse la télévision, avec des fusils mitrailleurs et qu'on en tire aucune conséquence sur le plan de l'ordre public, on se dit : mais où est-ce qu'on est ? Ça, ce n'est pas possible.

France 3 : Sur un dossier comme celui-ci, vous l'avez répété plusieurs fois ce soir, souvent violent, parfois meurtrier, est-ce que les députés ne pourraient pas un petit peu oublier leurs frontières politiques pour aboutir ou pour tenter d'aboutir à un projet commun ?

L. Fabius : Nous avons toujours fait preuve, vous l'avez sûrement noté, dans ces matières d'un grand esprit de responsabilité. Je n'élève jamais la voix sur ces sujets. Mais il faut que l'esprit de responsabilité soit de part et d'autre. C'est très important. Je pense que quand on veut gouverner la République, il faut d'abord se gouverner soi-même.

France 3 : Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que si vous obtenez des excuses de J. Toubon, par exemple, vous êtes prêts à collaborer à un projet commun ?

L. Fabius : Il faut que la ligne politique soit claire, ce qu'elle n'est pas. Mais si vous voulez discuter avec des gens, ce n'est pas l'injure et l'invective à la bouche. Vous ne le feriez pas dans votre vie personnelle, moi non plus. C'est la même chose dans la vie publique. On est dans un pays civilisé, on ne traite pas les autres de voleurs, de menteurs, et de je ne sais pas quoi.

France 3 : Vous parliez tout et l'heure d'un dialogue possible avec les nationalistes corses, mais pas ceux qui bafouent la loi. Quels sont les nationalistes vers lesquels vous pensez qu'il faut se tourner aujourd'hui pour le dialogue ?

L. Fabius : Il y a des gens qui acceptent tout à fait la légalité républicaine. C'est avec, ceux-là qu'il faut discuter. Mais attention, il faut discuter aussi et d'abord avec ceux qui ont été élus et qui représentent toute une série de forces dans l'île. Je ne conteste pas les mots. Quand on nous dit dialogue et fermeté, évidemment dialogue et fermeté. Mais ce qu'il y a, c'est que ça ne se traduit pas dans les faits. Bon, le dialogue, il y a des aspects très confus, et la fermeté je ne la vois pas. Alors, du coup, comme toujours, quand une politique est pleine de faiblesse, ça ne donne pas de résultat. J'ajoute pour être quand même parfaitement exact, que je suis le premier à reconnaître que la situation est difficile en Corse. On ne peut pas résoudre les problèmes en claquant dans ses doigts. Mais ce n'est pas non plus une solution de rejeter la faute sur les prédécesseurs.