Texte intégral
Europe 1 - 21 juin 1996
Europe 1 : Quelle est votre première réaction, maintenant que vous savez ce qu’il s’est passé au Somment européen de Florence, sur ce dossier de la « vache folle »,
L. Guyau : Je dirais : enfin les Anglais commencent à comprendre que la santé des consommateurs, comme le disait le président de la République, passe avant tout. Et si vraiment ils respectent les engagements qu’ils ont pris, avec toutes les sécurités qui sont prises, peut-être pourrons-nous, progressivement, retrouver la situation normale en ce qui concerne la consommation de viande. Ceci dit, bien sûr, à condition que l’on permette aux producteurs de pouvoir continuer d’exploiter.
Europe 1 : Pour les producteurs, il y a des aides européennes, un peu plus que prévu, et la France va pouvoir aider également ses éleveurs.
L. Guyau : Bien sûr, la revalorisation des aides est une bonne chose, mais il faut surtout que ces aides ne soient pas solde de tout compte. C’est-à-dire que la crise n’est pas terminée. Il ne faudrait surtout pas qu’on dise : on vous a donné, on ne vous donnera plus, parce que la situation peut être encore catastrophique, en particulier pour toute la région du Massif central. Mais il est déjà important qu’elles soient revalorisées, même si elles ne seront pas à la hauteur. La deuxième décision de permettre aux Etats, et en particulier à la France, de soutenir leurs éleveurs, est pour nous quelque chose d’indispensable, et cela permettra de donner aux pouvoirs public le moyen d’aider leurs éleveurs en supplément de ce qui est fait au niveau européen. Car la situation catastrophique au niveau du revenu et de l’avenir de ces producteurs a montré, notamment par les manifestations d’aujourd’hui, que le désarroi est très grand dans les campagnes. Il faut répondre vite, très vite.
Europe 1 : Il est question aussi, L. Guyau, que la France propose une maîtrise de la production de viande bovine. Alors, disons les choses franchement : maîtrise de la production, ça veut dire diminuer la production. Est-ce que vous êtes d’accord pour diminuer la production de viande de bœuf, comme il y a douze ans, on a diminué la production laitière ?
L. Guyau : Je crois que là-dessus il faut réfléchir très clairement. Même avant la crise de la « vache folle » nous avions déjà commencé à réfléchir à comment être plus en relation directe avec le marché, compte tenu d’une légère baisse de consommation de la viande bovine. Aujourd’hui, avec cette crise, cette discussion sur la maîtrise est encore plus importante. Et nous avons déjà fait des propositions et discuté avec les pouvoirs publics pour que des moyens soient mis en œuvre pour limiter sans doute le nombre d’animaux, le poids des carcasses, et peut-être aussi avoir des exploitations qui soient de type plus expansif, c’est-à-dire qui assurent malgré tout – parce qu’il faut quand même l’assurer – le revenu des producteurs, tout en assurant l’équilibre du territoire. Mais la meilleure façon de maîtriser l’équilibre du marché, c’est aussi de relancer la consommation. Alors tout doit être fait pour redonner la confiance aux consommateurs sur des viandes identifiées : suivre l’animal à la trace je dirais, savoir ce qu’ils consomment, savoir quelles sont les qualités de viandes qu’ils souhaitent, et faire de la promotion – je n’allais pas dire tous azimuts – mais pour que vraiment le consommateur puisse choisir. Ça c’est notre souci. Et puis il nous faut aussi, avec la filière transformation et distribution, savoir un peu comment sont mieux réparties les marges pour que chacun s’y retrouve de façon durable.
Europe 1 : Vous aviez prévu de manifester demain. Vous allez le faire ?
L. Guyau : Tout à fait, parce que les décisions qui ont été prises doivent être confirmées de façon définitive lundi, à Luxembourg. Mais surtout aussi, nous attendons des pouvoirs publics qu’ils passent l’acte aujourd’hui, puisqu’aujourd’hui ils ont dit qu’ils allaient mettre un plan en place. C’était un plan d’intention, maintenant nous attendons que ces intentions se transforment, et que des décisions précises soient prises. Alors nous dirons aussi, à l’opinion publique et aux pouvoirs publics, que nous attendons des décisions rapides.
RTL : Vendredi 21 juin 1996
RTL : Qu’attendez-vous de cette réunion de Luxembourg après le sommet de Florence qui finalement n’a pas tout réglé ?
L. Guyau : Nous attendons surtout des décisions concrètes pour indemniser les éleveurs français et européens victimes de cette crise de la « vache folle » sans en être responsables, pour qu’ils puissent espérer aussi pour l’avenir. Des mesures ont été annoncées, proposées, elles seront bien sûr insuffisantes compte tenu de l’ampleur de cette crise. Il faut des décisions rapides pour redonner espoir.
RTL : Êtes-vous satisfait de la détermination sur ce sujet de P. Vasseur ?
L. Guyau : Satisfaits, nous le serons au retour car nous attendons les décisions. Il nous a promis de s’engager au maximum. Déjà les mesures ont été un peu revalorisées dans leurs propositions. Je tiens à dire ici, haut et clair, que cette crise nul ne sait quand elle sera finie. Et donc même les mesures qui seront prises aujourd’hui ou demain, devront être revues dans les mois qui viennent pour accompagner les éleveurs victimes de cette crise. Aujourd’hui ce sont plus particulièrement les engraisseurs, ceux qui vendent de la viande directement pour la boucherie, qui sont concernés. Mais demain les naisseurs, particulièrement dans le Massif central, vont prendre cette crise de plein fouet, et il faudra, là aussi, des mesures pour subvenir à leurs besoins et leur permettre d’espérer.
RTL : En fait à Florence c’est le cadre politique pour sortir de la crise, mais ce n’est pas la vraie sortie de crise ?
L. Guyau : Je ne crois pas que l’on soit sorti de la crise. Tout dépend des mesures qui seront prises, mais aussi de l’attitude des Anglais. Aujourd’hui, ces derniers ont fait, semble-t-il, quelques pas pour comprendre qu’il faut sortir de cette crise. Nous jugeons sur pièce et nous attendons rapidement des mesures et des propositions claires de la part des Anglais.
RTL : Vous estimez que l’élargissement de leur décision d’abattre le bétail n’est pas suffisant, ou bien que le programme anglais tel qu’il a été présenté à Florence est maintenant satisfaisant ?
L. Guyau : Avec les Anglais vous savez ! Ils nous ont appris à être très vigilants sur leur attitude. Dire quelque chose un jour et faire le contraire le lendemain. Nous jugeons sur pièce les propositions qui ont été faites.
RTL : Aujourd’hui pour les éleveurs, la perte à gagner est évaluée à combien ?
L. Guyau : C’est très difficile à dire car les agriculteurs subissent une perte de revenus dans leurs revenus immédiats, mais aussi dans leur capital et dans leur exploitation. Et compte tenu du fait que cette crise n’est pas finie, on ne peut pas faire le bilan définitif. D’ores et déjà, on peut estimer que, pour les agriculteurs français, en pertes de revenus immédiats, nous avons déjà dépassé les 2 milliards de francs depuis de début de cette crise. Si elle continue jusqu’à la fin de l’année, ce sont d’autres milliards qui vont s’envoler et qui vont mettre à plat beaucoup d’agriculteurs, et toute l’économie locale dans beaucoup de cas, si des mesures concrètes au niveau européen et national, ne sont pas prises très rapidement.
RTL : Pour la « tremblante » du mouton, les mesures annoncées avec la destruction des troupeaux ou des bêtes atteintes, c’est une décision qui va dans le bon sens ?
L. Guyau : Dans la mesure où le ministère déclare « la tremblante » du mouton comme une maladie qu’il faut éradiquer et mettre les animaux de côté, il est indispensable que les éleveurs de ces animaux qui seraient touchés par cette maladie, se voient indemnisés complètement. C’est ainsi que l’on a limité très fortement la maladie en Europe, surtout en France, en abattant systématiquement et en indemnisant les cheptels contaminés. Cela a permis d’éviter une augmentation forte de cette maladie par rapport à l’Angleterre. Si les Anglais avaient eu la même attitude que les Français, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
RTL : N’est-ce pas, à terme, la nécessaire réforme de tout un système d’élevage ?
L. Guyau : Ce n’est pas une réforme totale, mais sans doute des adaptations que nous avons déjà commencées, bien avant la crise de la « vache folle ». Il faut dire aussi clairement aux Français, que les agriculteurs souhaitent pouvoir produire toujours un produit de meilleure qualité, et que le consommateur puisse contrôler d’un bout à l’autre de la chaîne. Si les consommateurs veulent demain, comme certains le disent, revenir complètement à des façons traditionnelles de production, il faut qu’ils comprennent bien que cela ne pourra pas se faire dans certaines situations au point de vue de l’économie. Et qu’à ce moment-là il faudra revaloriser, voire multiplier par deux ou trois le prix de certains produits. La qualité de nos produits, en France, est satisfaisante. Mais là aussi nous avons tout un travail de communication à faire.
Europe 1 : Mercredi 26 juin 1996
Europe 1 : Vous découvrez avec nous l’accord signé cette nuit à Luxembourg par les quinze ministres de l’Agriculture dans l’affaire de la « vache folle ». Etes-vous satisfait ?
L. Guyau : Pas tout à fait, parce que, malheureusement, je ne considère cela que comme un acompte. Pourquoi un acompte ? Parce que nous connaissons les dégâts de cette crise pour les mois passés, mais nous ne savons pas encore les dégâts pour les mois futurs. Et il faudra sans doute, avant la fin de l’année, y revenir, en particulier sur les producteurs qui auront les crises au cours de l’été, puisque, aujourd’hui, ce sont les bovins gras qui ont des difficultés particulières ; demain, ce seront encore les bovins gras et les bovins maigres. Donc, malheureusement, la crise n’est pas terminée.
Europe 1 : Mais, globalement, la France a le quart du cheptel bovin européen, elle obtient le quart de l’aide. Là-dessus, il n’y a rien à redire, non ?
L. Guyau : Non, il n’y a rien à redire sur la répartition, c’est clair. Mais en ce qui concerne le montant – nous l’avons dit et redit à plusieurs reprises au ministre de l’Agriculture, mais aussi aux ministres de l’Agriculture européens –, les montants qui sont proposés par l’Union européenne, même revalorisés, ne sont pas à la hauteur de la crise profonde que connaît l’élevage bovin. Alors, bien sûr, il pourra y avoir des mesures nationales qui compenseront peut-être cette différence. Il nous faudra faire les calculs très rapidement dans les jours qui viennent. Mais je tiens à le redire : malheureusement, il nous faudra encore, d’ici la fin de l’année, pourvoir soutenir les éleveurs.
Europe 1 : Comme vous l’avez déjà dit deux fois, on va commencer à la comprendre. Donc, je reviens à l’accord de cette nuit. P. Vasseur a obtenu qu’en plus de ce qui a été décidé à Luxembourg, les Etats puissent accorder des aides nationales complémentaires. Ces aides nationales, c’est bien ce qui a été décidé la semaine dernière en conseil des ministres ? Pour vous, ce n’est pas plus ?
L. Guyau : Non. Je crois qu’il ne faut pas se tromper dans toutes ces décisions-là. Il y a les décisions européennes qui sont prises, dont la France à sa part. Ensuite, la France doit pouvoir y rajouter quelques aides nationales, soit par des allégements fiscaux, des allégements sociaux ou des allégements financiers, ce qui sera fait, je l’espère dans la semaine, et ainsi nous pourrons faire le compte définitif.
Europe 1 : Donc, vous nous dites : au cas où la consommation de viande continuerait à diminuer, vous réclamez dès ce matin de nouvelles aides ?
L. Guyau : Je ne demande pas directement de nouvelles aides, mais je dis qu’il faudra accompagner la situation de détresse que connaissent les éleveurs. C’est très compliqué pour l’opinion publique de l’expliquer. Mais la production de viande bovine est sur toute l’année. Et tous les agriculteurs ne sont pas dans la même situation au même moment. Aujourd’hui, les producteurs de bovins gras, qui font dont la viande sur les marchés français ou sur les marchés étrangers, ont connu une crise considérable pour les trois mois passés. Mais pour faire des élevages-là, d’autres éleveurs fournissent des animaux plus jeunes, qui vont arriver sur le marché dans les mois qui viennent. Et ceux-là vont avoir aussi la même perte parce que, fatalement, le marché ne va pas leur permettre de le vendre de façon satisfaisante. Ce que je veux dire, c’est que ce qui a été obtenu va dans le bon sens, ça n’est pas négligeable. Il faut le prendre comme tel. Mais, malheureusement, il faudra pouvoir y revenir pour le reste.
Europe 1 : Vous ne dites pas : bravo, P. Vasseur ?
L. Guyau : Je ne dis pas bravo parce que le syndicalisme n’a pas à dire bravo tous les matins et, surtout, il doit s’assurer que ces mesures soient prises réellement en France, mais aussi rapidement.
Europe 1 : Mais entendez-vous ce que commencent à dire les gens ? Ils disent : il n’y a pas que les éleveurs qui vivent du commerce de la viande ; on n’entend parler que d’eux. Etes-vous conscient de ce problème-là ? Pourquoi pas des aides pour les bouchers, par exemple ?
L. Guyau : Nous sommes d’autant plus conscients que nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises : il faut sauver non pas uniquement les producteurs, mais bien l’ensemble de la filière. Les producteurs seuls, sans une filière qui pourrait abattre, transformer, vendre et avoir des bouchers à l’étal, ne pourraient pas non plus continuer à produire. Et donc, nous sommes bien solidaires sur l’ensemble de cette filière. Quelques mesures ont été prises dans le cadre de ses entreprises-là, mais certainement qu’il faudra, là aussi, en fonction de l’évolution de la consommation et du marché, voir comment on peut subvenir aux difficultés que connaissent certaines entreprises, parce qu’il y a des entreprises qui sont vraiment en difficulté.
Europe 1 : Autre chose : V. Parizot annonçait hier matin dans ses « Confidentielles » que le Gouvernement envisageait d’interdire toutes les farines animales pour toutes sortes de bétail.
L. Guyau : Il faut faire très, très attention. Pas de panique, surtout pas de panique. Ce qui importe, c’est la santé du consommateur. S’il y a des risques qui sont avérés dans le cadre scientifique, il faudra prendre les mesures qui s’imposent.
Europe 1 : Si les scientifiques faisaient part de doutes, vous ne protesteriez pas contre cette mesure ? Vous l’accepteriez ?
L. Guyau : Nous l’accepterions, contraints et forcés, certes, mais il faudrait que, dans le même temps, nos gouvernements, français et européens, comprennent bien que nous ne pouvons pas, à cette occasion, devenir plus dépendants des pays étrangers, en particulier des pays nord-américains. Ce qui veut dire que si demain, les farines de viandes étaient complètement interdites dans toutes les alimentations animales autres que bovines – puisque c’est déjà interdit depuis 1989, je le rappelle –, il faudrait absolument que l’Europe négocie au niveau international la possibilité de produire des protéines de façon plus substantielles sur le territoire européen. Autrement, nous serions encore pieds et mains liés avec les Américains.
Europe 1 : Mais en entendant que les négociations aboutissent, il faudra prendre des mesures. Vous les accepterez immédiatement ?
L. Guyau : Nous l’avons toujours dit : dans cette crise, la santé du consommateur d’abord. S’il y a des risques, il faut prendre les mesures qui s’imposent. Et d’ailleurs, j’ai redit la semaine dernière aussi que s’il y a eu des fraudes, il faut que les fraudeurs soient aussi sanctionnés et punis, quels qu’ils soient, hommes politiques, fonctionnaires, entreprises privées, coopératives ou agriculteurs. Nous ne pouvons pas tolérer que l’on joue avec la santé des consommateurs.
Europe 1 : Vous reconnaissez que vous portez votre part de responsabilités dans cette affaire de la « vache folle ». Plutôt que faire de l’élevage intensif, vous pourriez, par exemple, songer à diminuer le nombre de bovins.
L. Guyau : Mais nous l’avons déjà fait, mais n’oublions pas que si les agriculteurs ont fait de l’élevage plutôt intensif, ça a été d’abord pour répondre à la demande du consommateur qui a voulu avoir des prix de viande moins chers, des produits moins chers. Les agriculteurs ont dû répondre à cette demande. Ils l’ont fait contraints et forcés pour pouvoir assurer leur pérennité. Aujourd’hui, on leur demande de s’adapter : ils sont prêts à le faire, ils l’ont déjà fait, ils identifient leurs animaux. Il faudra bien que le consommateur comprenne que dans ce cadre-là, il faudra peut-être avoir un coût de l’alimentation qui sera un peu supérieur.
Europe 1 : Trouvez-vous normal que, chez le boucher, la viande soit aussi chère alors que l’on dit que les cours s’effondrent ?
L. Guyau : Justement les agriculteurs ont du mal à bien comprendre tout cela, mais on essaye d’analyser la situation. De quoi on se rend compte ? On se rend compte que la désorganisation du marché avec les échanges entre les différents pays fait que les produits de viandes bovines de bas de gamme auraient tendance à baisser, mais tout ce qui est de haut de gamme à tendance à augmenter. Il faut remettre tout cela en ordre.
Europe 1 : Toute petite dernière question, ôtez-nous d’un doute : lorsque l’on aura fini de parler de la « vache folle », est-ce que les agriculteurs ne se mettront pas à réclamer un impôt sécheresse ?
L. Guyau : Certainement pas, mais je tiens quand même à vos dire que s’il y a sécheresse demain, il faudra que la solidarité joue parce que ce ne sont pas que les intérêts des agriculteurs, mais ceux de l’ensemble de la nation.