Interview de M. Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, à France-Inter le 22 mai 1996, notamment sur le problème Corse, la politique de l'éducation de M. Bayrou, la politique budgétaire du gouvernement et la réforme de l'armée.

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Média : Emission Objections - France Inter

Texte intégral

M. Denoyan : Bonsoir.

Comment exister sans se faire entendre ? Comment être opposant sans s'opposer ? Comment retrouver une Majorité sans promesses démagogiques ? C'est le triptyque de la stratégie du Premier Secrétaire du Parti Socialiste, dit-on, pour atterrir à l'Hôtel Matignon après les législatives de 1998.

Un an de silence ou presque, souvent reproché, pour laisser son vainqueur mettre en œuvre son action politique. Une autre pour formuler les contours d'une nouvelle démocratie à l'aube du 3ème millénaire. Et puis enfin convaincre l'opinion de la validité d'une autre politique économique et sociale.

Voilà les objectifs. Reste à définir l'esprit, le contenu et la méthode.

Invité d'OBJECTIONS, ce soir, Monsieur Lionel Jospin, Premier Secrétaire du Parti Socialiste.

Monsieur Jospin, bonsoir.

M. Jospin : Bonsoir.

M. Denoyan : Vous êtes notre invité à un moment où démarre sans doute une autre phase de votre démarche de reconquête du Pouvoir. Nous allons vous interroger sur ce contenu, sur la méthode aussi, sur l'actualité, avec :
    – Annette Ardisson, Dominique Brocard de France Inter,
    – Fabien Roland-Lévy, Jean-Michel Aphatie du Parisien Aujourd'hui.

Peut-être sur l'actualité d'abord avec l'incident relativement sérieux qui s'est passé cet après-midi à l'Assemblée nationale où, interrogé par le Groupe Socialiste, le Premier ministre a répondu, à propos de l'affaire des valises pleines d'argent corse, que les anciens gouvernements socialistes auraient promené de l'autre côté de l'Île de Beauté peur avoir la paix avec les mouvements autonomistes. Les socialistes ont quitté l'hémicycle alors que le Premier ministre proposait un dialogue et un débat.

Cela veut-il dire que, sur cette affaire corse, il y a 1) une agressivité très forte du Parti Socialiste en réponse à des accusations qui ne l'étaient pas moins et 2) que vous refusez ce dialogue avec le Gouvernement ? 
M. Jospin : Je trouve honnêtement, Gilbert Denoyan, que votre présentation des choses est surprenante.

M. Denoyan :  Faites la vôtre.

M. Jospin : Dans le cadre des questions d'actualité, les socialistes, et notamment un parlementaire socialiste, Charles Josselin, interroge le Premier ministre, c'est le Garde des Sceaux qui répond, sur la politique en Corse. S'inquiète, comme nous nous inquiétons tous, de voir les attentats terroristes se multiplier. Une Force avec laquelle le Gouvernement est, paraît-il, en discussion, faire pression sur ce même Gouvernement en disant : « Vous donnez à vos juges, à vos préfets, à vos policiers, des instructions pour qu'ils cessent de provoquer nos militants », des mitraillages qui se poursuivent et, au milieu de tout ça, l'annonce confirmée par des magistrats en Corse, par la presse, par la gendarmerie autour d'elle, que l'on a demandé au niveau du Gouvernement à des juges ou plutôt à des forces de Police chargées de soutenir des démarches des juges sur des affaires de droit commun de ne pas intervenir, comme nous tous et toute la presse est pleine de ces interrogations. Et j'ai entendu des responsables de l'UDF dire que l'État de droit n'était plus respecté en Corse.

Nous posons ces questions et le Garde des Sceaux répond par une véritable provocation, par une attaque brutale, prétendant que tel ou tel, qu'il ne nomme pas, aurait, je ne sais quoi, transporté – on ne sait pas quand – des valises de billets pour discuter avec des nationalistes. Et donc, nos partenaires, légitimement, agressés, scandalisés, somment le ministre, Garde des Sceaux, le ministre de la Justice, d'apporter le moindre commencement de preuves et s'il ne peut pas en apporter, de s'excuser.

Alors pardonnez-nous, mais nous avons posé des questions légitimes que d'autres parlementaires posent et nous ne sommes nullement dans une attitude, nous, de provocation ou de refus de dialogue. Mais il faut que Monsieur Toubon, après avoir été un député opposant, brutal et violent, comprenne qu'il est non seulement ministre mais Garde des Sceaux. Il doit garder les sceaux, c'est-à-dire les symboles de la Justice et il doit peut-être d'abord garder ses nerfs.

La deuxième chose plus grave, c'est que derrière cette provocation politique à laquelle nous avons légitimement répondu, c'est la situation qui se produit en Corse. Et, là, je dis : « Nous comprenons la complexité du problème corse. Nous y avons été confrontés. Nous sommes d'accord avec l'idée qu'il faille négocier, discuter. Mais on ne peut pas, au nom d'arguments politiques, traiter des crimes de droit commun, des assassinats ou des viols collectifs comme des actes politiques, sinon l'État se déconsidère ».

Ce sont ces problèmes que nous soulevons, mais nous ne sommes pas les seuls.

M. Aphatie : Discuter avec, aussi, les interlocuteurs nationalistes qui, visiblement, semblent être partie prenante aujourd'hui de discussions avec le Gouvernement. Ce fait-là, nationaliste, dont on ne sait plus trop s'ils agissent légalement ou illégalement – tout cela est difficile à appréhender d'ici – mais discuter avec qui, en Corse ?

M. Jospin : Discuter avec l'ensemble des forces politiques qui sont représentées dans les assemblées, discuter sans favoriser une force plus qu'une autre, mais le faire en n'acceptant pas la pression, en n'acceptant pas le chantage et en faisant en sorte que l'état de droit soit respecté. Voilà ce qui est important. Et donc le Gouvernement ne peut pas se faire l'instrument d'une déstabilisation des institutions judiciaires en Corse en demandant à, par exemple, la gendarmerie de ne pas procéder aux enquêtes auxquelles il doit être procédé. Sinon c'est la corruption même de la République qui est en cause et c'est extraordinairement dangereux pour le Gouvernement lui-même.

Quant au mouvement nationaliste, il est très diversifié et il est malheureusement, je le constate, engagé dans des affrontements meurtriers. Et, moi, je trouve terrible de voir qu'une jeunesse corse, y compris des militants qui se sont engagés, j'imagine, sincèrement dans ce mouvement, puissent tomber victimes de ces affrontements. Mais encore faut-il que l'État représente-là une source de droit, une source d'équilibre pour que l'on retrouve en Corse la sérénité nécessaire.

S'il s'agit du mouvement nationaliste, moi, je me souviens d'une époque où les tenants de ce mouvement dans sa diversité défendaient en Corse l'idée de la lutte contre les tendances mafieuses. Ils dénonçaient les clans, ils voulaient assainir le système électoral, demandaient qu'on revoit les listes électorales, et Pierre Joxe, par exemple, l'a fait.

Alors, je m'adresse aux responsables, dans leur diversité de ce mouvement nationaliste, en leur disant qu'ils doivent être dignes, eux-mêmes, des exigences de la lutte qui les a portés et que s'il y a des brebis galeuses parmi eux, s'il y a des gens qui se livrent à des actes délictueux de droit commun et à des crimes – je ne vise personne parce que, moi, je n'ai pas à établir ces choses, c'est à la Justice de le faire – eh bien, il ne faut pas qu'ils s'égarent au point de les soutenir.

M. Roland-Levy : Au-delà de l'incident et des critiques que vous venez d'apporter, Alain Juppé propose un débat au Parlement et il dit que, quand il regarde, quand il écoute, il ne voit pas d'idées nouvelles. La semaine prochaine, lorsque ce débat aura lieu, allez-vous apporter des idées pour le règlement du problème corse ? Est-ce que, par exemple, la zone franche prévue par le Gouvernement vous convient ou pas ? Que pouvez-vous dire sur le fond du règlement du dossier ?

M. Jospin : Nous ne sommes pas favorables aux zones franches en général et le Gouvernement annonce d'autres zones franches, d'ailleurs, dans le cadre de la politique des banlieues. Et nous ne sommes particulièrement pas favorables à une zone franche en Corse. Nous pensons que, dans les conditions actuelles de la vie de l'Île, cela risque de contribuer à un certain nombre de dérives que nous ne souhaitons pas. Par contre, nous pensons qu'il y a deux axes à une politique en Corse qui sont, d'abord, un projet de développement économique, et il faut que la France consacre à cette île un effort suffisant, et puis il faut prendre en compte la personnalité corse. Moi, je l'avais fait quand j'étais ministre de l'Éducation nationale, non seulement à la demande de Pierre Joxe mais aussi parce que c'était une revendication légitime des Corses, et pas seulement du mouvement nationaliste, j'avais, par exemple, fait un effort pour le développement de la langue corse, à l'école primaire, dans le secondaire, j'avais créé un CAPES de corse aussi.

Donc, il faut prendre en compte cette réalité corse, y compris sur le plan statutaire et nous l'avons fait. Peut-être peut-on aller plus loin ? Mais il faut bien comprendre que ce n'est pas la définition à la limite d'une politique en Corse qui est en cause, mais plutôt les moyens de cette politique. Actuellement, l'État se laisse aller, par cynisme, par faiblesse, à une dérive dangereuse. Il ne peut aider à trouver une solution, y compris avec les négociateurs qu'il se cherche, que si, en même temps, sur des questions fondamentales, il dit : « On ne peut pas toucher à l'état de droit. On ne peut pas transformer en politique ce qui est crime ou crapulerie ».

M. Denoyan :  Mais vous êtes prêts, vous, socialistes, à débattre avec le Gouvernement sur cette question ? Vous allez répondre à la proposition d'Alain Juppé ?

M. Jospin : Mais la question ne se pose même pas. Ce que je veux dire simplement au Premier ministre, c'est que j'espère que si nous nous exprimons dans ce débat et que si nous ne sommes pas, au cours de ce débat, constamment en train de tresser des couronnes à l'intention du Gouvernement parce que nous sommes un parti d'opposition et que nous désapprouvons un certain nombre de ces méthodes, on puisse le faire sans être insultés par le Garde des Sceaux. Il faut que Monsieur Toubon cesse. C'est la troisième fois qu'il le fait à l'Assemblée nationale.

Il le fait par provocation politique ou il le fait parce qu'il ne garde pas ses nerfs. Il l'a fait en accusant, sans la moindre preuve, et au contraire le contraire a été démontré, que les socialistes dans l'affaire de l'Arc auraient participé de ces financements. Il l'a fait à nouveau en attaquant directement Henri Emmanuelli, alors que toute la presse bruisse des affaires qui concernent le financement du CDS, le financement du RPR. Et il le refait à nouveau à propos de la Corse.

M. Roland-Levy : Comme vos amis, vous demandez sa démission ? vos amis députés.

M. Jospin : Je pense en tout cas que tel qu'il se comporte, Monsieur Toubon n'est certainement pas digne d'être un ministre de la République.

M. Brocard : S'il n'a pas de preuves, pourquoi ne l'attaquez-vous pas en justice, au fond ?

M. Jospin : Nous nous sommes posés cette question. Simplement, d'après ce que je sais, aujourd'hui, les propos tenus dans l'hémicycle, dans le cadre d'un débat politique, d'après une loi de 1881, relèvent de l'immunité et ne peuvent permettre une citation en justice. S'il en était différemment, je vous prie de croire que je le ferais dès demain.

M. Denoyan :  On voit par le ton que vous employez ce soir qu'on n'est plus du tout dans la première période que j'évoquais tout à l'heure ...

M. Jospin : ... Cela n'a rien à voir, Monsieur Denoyan. Il faut que vous compreniez. Vous voulez rationaliser quelque chose qui n'a pas à l'être. Cela n'a rien à voir avec des périodes.

M. Denoyan :  D'accord, mais j'essaie aussi d'avancer dans l'émission.

M. Jospin : Bien sûr, avançons dans l'émission. Si c'est une transition, alors prenons-la comme une transition, mais ne la prenez pas comme une conclusion du débat qu'on vient d'avoir.

M. Denoyan :  Ah ! non, pas du tout.

M. Jospin : Pourquoi ? Parce que je voudrais vous rappeler que, à propos des accusations de Monsieur Toubon sur l'Arc, j'ai écrit, il y a trois mois de cela, au Président de la République pour lui demander de veiller à la façon dont se comportait déjà le Garde des Sceaux. Donc, vous disiez qu'à cette époque je ne m'exprimais pas ou je ne m'opposais pas, que ce serait une nouvelle période. Regardez, c'était il y a trois mois et je l'ai déjà fait. C'est la troisième fois que nous prenons Monsieur Toubon en flagrant délit de se comporter. Mais ce qui est plus grave que l'attitude de Monsieur Toubon, c'est la politique du Gouvernement en Corse et l'une vise peut-être à masquer l'autre.

M. Denoyan :  Je voulais simplement indiquer que, à travers le ton que vous employez ce soir, vous avez cessé d'être un opposant, je dirais, comme vous lisez beaucoup la presse, un peu pâle. On vous a reproché de n'être pas assez offensif vis-à-vis de la politique de Monsieur Chirac ...

M. Jospin : ... J'ai cessé de correspondre à l'idée que vous vous faisiez de moi.

M. Denoyan :  Qui êtes-vous maintenant ?

M. Jospin : Je suis le leader d'un Parti socialiste qui, lorsque je regarde les autres forces politiques françaises et notamment celles de la Majorité, peut se dire qu'il dirige une formation politique qui est en paix avec elle-même, qui est une formation politique qui travaille, qui réfléchit, qui, cette année, va achever un travail de réflexion, l'année prochaine va proposer, en 1997, un contrat aux Français et, en 1998, proposera aux Français également un choix.

Si je regarde la situation à l'UDF : discussions, disputes, problème de Monsieur Madelin. Si je regarde la situation au RPR ou dans la Majorité, par exemple, sur le dossier éducatif, là aussi, une Majorité qui s'empoigne.

M. Denoyan : C'est un point qui vous rapproche de Monsieur Chirac, c'est que vous n'aimez pas Monsieur Bayrou, semble-t-il ?

M. Jospin : Si nous parlons maintenant des problèmes d'éducation, je pense que Monsieur Bayrou est là depuis trois ans et qu'il en est encore à esquisser les démarches de ce que sera demain sa politique. Moi, au bout de trois ans, à l'Éducation nationale, dans l'enseignement supérieur, j'avais lancé le projet « Université 2000 », les universités commençaient à fleurir, j'avais réformé le système de formation des enseignants supérieurs, j'avais revalorisé la condition des enseignants du supérieur, pour ne parler que de l'enseignement supérieur. J'avais amorcé toute une série de réformes concrètes, j'avais changé le statut social des étudiants. Au bout de trois ans, Monsieur Bayrou est toujours devant la définition d'une politique.

Le choix qui est proposé à la communauté éducative et aux étudiants, c'est le choix entre l'immobilisme de Monsieur Bayrou ou les menaces qui existent dans le projet qu'on prête au RPR. Alors, je comprends que l'alternative ne soit pas très heureuse.

Mme Ardisson : Justement, qu'auriez-vous souhaité à la place de la part du ministre en place ? Qu'il continue purement et simplement votre politique, celle que vous aviez entamée ? Ou bien qu'il essaie, compte tenu de l'évolution de la Société qui bouge en même temps que l'université, puisqu'il s'agit de l'université, qu'il aille plus loin et dans quel sens ?

M. Jospin : On ne peut pas, d'abord, faire non pas une réforme de l'Éducation, mais continuer à faire évoluer le système éducatif français et notamment l'enseignement supérieur sans moyens. Vous savez que le nombre des étudiants a considérablement augmenté au cours des dernières années. Et, moi, j'ai pu amorcer un certain nombre de réformes parce que, en même temps, l'enseignement supérieur était la première priorité, à l'intérieur d'une priorité gouvernementale qui, par ailleurs, allait à l'Éducation nationale tout entière.

À partir du moment où Monsieur Bayrou ne peut pas obtenir de son Gouvernement les moyens nécessaires à une réforme, il ne peut pas avancer.

Mme Ardisson : C'est peut-être pour cela qu'il va lentement ?

M. Jospin : Il est immobile et donc les problèmes ne sont pas résolus. Ce qui m'inquiète, en outre dans ce que je sais des projets de la Majorité, c'est qu'elle veut spécialiser une filière professionnelle dans l'université, c'est-à-dire mettre à part une filière technologique et je pense que c'est une faute majeure. Le problème n'est pas d'isoler une filière technologique par rapport au monde universitaire, le problème est d'introduire des formations professionnalisées dans l'ensemble des disciplines universitaires. C'était ce que j'avais fait moi-même en mettant en place les instituts universitaires professionnalisés qui étaient au cœur de l'université.

Alors, manque de moyens, pas de véritable vision de ce que doit être l'enseignement supérieur, je crois qu'on peut comprendre qu'une partie de la jeunesse étudiante soit désorientée.

Mme Ardisson : Et l'idée de simplifier le premier cycle universitaire, le DEUG, pour que le passage du lycée à l'université soit plus facile, est-ce que cette idée vous séduit ? ou considérez-vous au contraire que c'est un recul ?

M. Jospin : Elle ne me gêne pas parce qu'elle est reprise des projets de réforme des premiers cycles universitaires que j'avais engagés en 1992 et que je n'ai pas pu achever puisque je ne suis pas resté au Gouvernement, comme vous le savez. Donc, l'idée d'avoir des troncs communs plus larges pour les premiers cycles universitaires, c'est-à-dire d'éviter des spécialisations précoces, l'idée de faciliter les passages du monde du lycée au monde de l'université, notamment en travaillant sur l'orientation, d'introduire du tutorat dans les premiers cycles, toutes ces idées sont reprises des éléments de réforme que j'avais mis en place ou proposés en 1992. Mais on ne peut pas le faire sans moyens.

Je vais donner un exemple : vous savez que le RPR parle, paraît-il, d'une allocation pour les étudiants. Il faut que vous sachiez que 3 000 francs par étudiant, cela représente 60 milliards.

M. Aphatie : L'allocation, c'est 30 000 ...

Mme Ardisson : ... Cela dépend si c'est par mois ou par an.

M. Aphatie : L'allocation est de 30 000 francs par étudiant ...

Mme Ardisson : ... Soit 3 000 francs par mois.

M. Jospin : Oui, 3 000 francs par mois. 3 000 francs par mois, ça représente 60 milliards. 60 milliards, c'est exactement ce que Monsieur Juppé a annoncé qu'il voulait couper dans les dépenses publiques dans les semaines qui viennent. Alors, quelle est la cohérence de ce Gouvernement ? Nous sommes face à un Gouvernement énervé, on l'a montré, et incertain.

M. Aphatie : Vous mesurez sans doute mieux que d'autres, puisque vous avez passé quatre ans à la tête du Ministère de l'Éducation nationale, l'ampleur des réformes qu'il faudrait faire pour rééquilibrer ce système qui va tout de même très mal. Le Président de la République, pendant sa campagne électorale, avait proposé cette question du referendum, ce qui est un moyen d'associer le peuple et peut-être de faire franchir un pas qualitatif important à l'institution de l'Éducation nationale, en associant justement les citoyens par referendum et pourtant vous avez toujours semblé hostile à cette idée ?

M. Jospin : Bien sûr, parce que vous les associez à quoi ?

M. Aphatie : À la définition d'un projet qu'une campagne électorale qui précède le scrutin explique. On l'a bien fait pour l'Europe, ce n'était pas un projet simple.

M. Jospin : Je ne crois pas que les problèmes de l'Éducation nationale et de l'enseignement supérieur se règlent par referendum.

M. Aphatie : Pourquoi ?

M. Jospin : Parce que ce sont des questions complexes, importantes, qui doivent être négociées avec les acteurs de la vie du système. Le propre du referendum, sauf si vous faisiez un referendum auquel vous pourriez apporter 15 réponses à 15 questions, est de répondre par « oui » ou par « non ».

M. Aphatie : Les acteurs du système apparaissent souvent conservateurs.

M. Jospin : Les acteurs du système sont divers. Ils ne sont pas simplement les enseignants, ils ne sont pas simplement les étudiants, ils sont aussi les parents d'élèves. Ils sont aussi les collectivités locales associées souvent au financement des constructions universitaires. Ils peuvent être les laboratoires scientifiques associées à l'enseignement supérieur. Ils peuvent être les entreprises qui, dans la formation par alternance, jouent un rôle essentiel. Donc, ces acteurs peuvent être extraordinairement divers. Mais vous répondez à un referendum par « oui » ou par « non ». Êtes-vous favorable au Traité de Maastricht ? Ou êtes-vous contre le Traité de Maastricht ? Vous ne pouvez pas répondre par « oui » ou par « non » à un projet de réforme de l'Éducation nationale. Je ne le crois pas.

M. Brocard : Vous parliez tout à l'heure des 60 milliards d'économie que le Gouvernement veut faire. Quand on a une situation financière comme connaît la France actuellement, si vous étiez aux commandes ne chercheriez-vous pas à faire des économies aussi ?

M. Jospin : Je ne serais pas aux commandes un an après le Gouvernement Juppé. Moi, j'ai, dans la campagne présidentielle, proposé d'autres approches et d'autres démarches. Pendant la campagne présidentielle, je n'ai pas dit comme Monsieur Chirac qu'on pouvait à la fois diminuer les dépenses, ce que le Gouvernement Juppé n'a pas fait, diminuer les impôts, le Gouvernement Juppé a fait le contraire au point d'atteindre un record dans les prélèvements obligatoires, et en même temps relancer l'activité économique.

Moi, je proposais des choix différents. Je proposais sur le chômage une autre approche que celle de Monsieur Chirac.

M. Brocard : Mais sur les finances proprement dites.

M. Jospin : Sur les finances proprement dites, je proposais un certain nombre de financements nouveaux, je préconisais un certain nombre de moyens fiscaux supplémentaires et je préconisais aussi des ...

M. Brocard : ... Vous auriez augmenté les impôts, alors ?

M. Jospin : Je n'aurais pas augmenté le RDS, je n'aurais pas augmenté la TVA. J'avais fait des propositions précises qui concernaient une augmentation des impôts sur le capital.

M. Brocard : Donc, au fond, quel que soit le gouvernement, il aurait augmenté les impôts ?

M. Jospin : Oui. Mais pas pour les mêmes C'est souvent ce qui fait la différence entre deux gouvernements.

M. Roland-Levy : Pour essayer de clarifier les choses, êtes-vous d'accord avec les raisonnements macro-économiques qu'on entend de la part du Gouvernement ? Par exemple êtes-vous d'accord avec le constat que fait la majorité, quelles que soient les nuances qui peuvent intervenir à l'intérieur de cette majorité – mais les gens sont d'accord pour dire qu'il y a des sureffectifs dans la Fonction Publique par exemple – ou, alors, le postulat selon lequel il faut réduire les dépenses publiques ? Est-ce des choses avec lesquelles les Socialistes sont d'accord ?

M. Jospin : Pas de façon générale. D'abord en ce qui concerne les effectifs dans la Fonction Publique, depuis 1984 et malgré l'augmentation des postes dans l'Éducation Nationale entre 1988 et 1993, c'est-à-dire pour l'essentiel pendant la période où j'ai été ministre et où j'ai accompagné l'accroissement des effectifs dans les lycées, puis dans l'enseignement supérieur, malgré cette progression des effectifs de plusieurs dizaines de milliers dans l'Éducation Nationale, les effectifs de la Fonction Publique sont restés à peu près constants depuis plus de 10 ans, 1984, à un niveau de 1 600 000 ....

Mme Ardisson : ... pardonnez-moi, je n'ai pas les chiffres en tête, mais on n'arrête pas de dire, au contraire, que malgré la décentralisation, le nombre des fonctionnaires d'État a augmenté ....

M. Jospin : Je dis le contraire !
Mme Ardisson : Il y a un problème, là !

M. Jospin : Oui, il y a sûrement un problème ! Mais, vous savez, on peut répéter un certain nombre de choses sans qu'elles soient vraies. Monsieur Juppé a dit à l'Assemblée Nationale que les Socialistes avaient triplé l'endettement entre 1988 et 1993, c'était tout simplement faux. Donc, il y a un certain nombre d'affirmations qu'il faut regarder de près.

M. Roland-Levy : Les sureffectifs, il y en a ou il n'y en a pas dans la Fonction Publique, en général, aujourd'hui ?

M. Jospin : Il n'y a pas dans l'Éducation Nationale ....

M. Roland-Levy : ... non, bien sûr ! mais globalement ?

M. Jospin : Je ne réponds pas à des questions générales. Il n'en a pas dans la Fonction, il n'y en a pas dans l'Enseignement, il n'y en a pas dans la Police, il n'y en a pas dans la Justice, il y a une insuffisance des effectifs. Il n'y en a pas dans le domaine de la Santé ou de l'hôpital. Bien. Alors, c'est quoi ?

Il faut que vous sachiez quand même que l'Éducation Nationale, cela fait plus de la moitié des effectifs de la Fonction Publique.

Alors, je demande au gouvernement où il va toucher ? D'ailleurs il s'est bien gardé de le dire !

On nous annonce une réduction de 50 000 fonctionnaires sur 5 ans, mais nous n'avons pas encore la moindre indication pour savoir où seraient retirés ces fonctionnaires.

OBJECTIONS

M. Denoyan :  Objections de Monsieur Pierre Mazeaud, député RPR de Savoie. Bonsoir, Monsieur.

M. Mazeaud : Bonsoir.

M. Denoyan :  Vous êtes donc l'objecteur de Lionel Jospin. Je pense que vous avez savouré le ton de Monsieur Jospin, qui est un ton très offensif concernant l'action du gouvernement ?

M. Mazeaud : Je vais vous dire Monsieur Gilbert Denoyan, quand vous avez ouvert votre débat en vous adressant à Monsieur Jospin, vous avez dit : « Comment exister sans se faire entendre ? »

Je vais vous apporter la réponse : « Le Parti Socialiste n'existe pas, car il ne propose rien ».

Je vais prendre deux exemples : vous avez parlé tout à l'heure longuement de la Corse. J'entends le Parti Socialiste dénoncer, mais j'ignore encore quelles sont ses propositions ! Sauf peut-être, comme le dit Monsieur Jospin lui-même, à dire qu'il faut prendre en compte la réalité corse, peut-être revenir sur la notion de peuple corse, chère à François Mitterrand et à Monsieur Joxe, que j'avais d'ailleurs fait tomber devant le Conseil Constitutionnel.

Alors je lui demande : quelles solutions apporter ?

Deuxièmement, vous avez parlé de l'université, j'ai suivi de très près le débat hier à l'Assemblée Nationale – on veut bien reconnaître que je suis assez présent –, là aussi je n'ai entendu de la part des orateurs socialistes aucune proposition.

Alors je dis tout simplement : « Dans la mesure où l'on dénonce mais sans rie, proposer, on n'existe pas ». Alors j'aimerais connaître de Monsieur Jospin quelles sont les solutions pour la Corse qu'il propose ? Et quelles sont les solutions pour l'université ?

M. Denoyan :  Monsieur Jospin va vous répondre.

M. Jospin : On existait apparemment dimanche auprès des électeurs où nous avens gagné une nouvelle élection législative partielle. Je voudrais vous rappeler que, dimanche après dimanche, dans des élections législatives ou dans des élections cantonales, les électeurs, de toutes tendances, mesurent que nous existons et vous prouvent que nous existons, c'est qu'ils ont l'impression, effectivement, que nous avons une identité, un langage et des propositions.

En ce qui concerne la Corse, je veux bien répondre, mais c'est déjà un débat que nous avons eu longuement, donc c'est à vous de décider. Gilbert Denoyan, sur ce que vous voulez faire !

M. Denoyan :  Vous répondez en quelques mots.

M. Jospin : Moi, je dis : projet économique, effort de développement. Pas de zone franche, je suis contre cette proposition.

Je dis : prise en compte des problèmes culturelles, linguistiques et de personnalité de la Corse.

Je dis : continuer l'effort qui a été fait en faveur du développement, de la formation des jeunes et des élites sur place.

L'université de Corte, Monsieur Mazeaud, c'est moi qui l'ai formée ...

M. Mazeaud : Non, non ...

M. Jospin : ... plutôt, c'est Alain Savary ...

M. Mazeaud : ... elle existait avant. Elle existait avant que vous ne soyez ministre, permettez-moi de vous le dire !

M. Jospin : Je corrige. Ce n'est pas cela que je voulais dire C'est Alain Savary qui l'a créée ...

M. Mazeaud : Voilà !

M. Jospin : ... ministre socialiste. Je lui ai donné un développement. Et je me souviens que la première fois où, en tant que ministre, j'ai été à l'Université de Corte, j'étais accompagné d'un certain nombre de personnalités du RPR, dirigeants des collectivités locales, et qui m'ont avoué : « On est content de venir avec vous parce que c'est la première fois que l'on vient à l'Université de Corte ». Ils n'avaient jamais osé venir devant les étudiants qui étaient effectivement un peu vifs et parfois sensibles au thème nationaliste.

Alors, un effort sur ce plan et, puis, une certaine évolution politique. Mais je pense que le gouvernement lui-même, sans qu'il nous dise à quoi il pense, laisse entendre qu'il peut envisager une nouvelle évolution du statut. Après tout, on entend bien parler de statut d'Outre-Mer !

En ce qui concerne l'Université, Monsieur Mazeaud ...

M. Mazeaud : ... évolution du statut dans quel sens ?

M. Jospin : ... Pour l'université ?

M. Mazeaud : Non. Du statut... Je ne parle pas simplement de l'université, c'est vous qui parlez de l'évolution du statut et vous comparez avec l'Outre-Mer. Qu'est-ce que vous entendez par l'évolution du statut ? Et également par la reconnaissance de la personnalité, ou mieux, c'est votre expression, de la réalité corse ?

Je répète : vous voulez sans doute qu'on reparle du peuple corse, mais là le Conseil Constitutionnel vous a donné tort. Alors, vous allez parler d'autre chose ?

M. Jospin : Comme je n'en parle pas, cela doit avoir un sens, Monsieur Mazeaud, et c'est vous qui en reparlez pour la deuxième fois, mais certainement pas moi.

Je constate simplement que cette demande du statut de territoire d'Outre-Mer a été formulée par le mouvement nationaliste et je ne sais pas quelle est la position du gouvernement sur ce plan ! C'est-à-dire a­t-il l'intention de dire oui ou a-t-il l'intention de dire non ? En bonne démocratie il faudrait quand même connaître les positions du gouvernement ...

M. Mazeaud : Dans la Constitution de 1958, dans les articles 73 et suivants ... Qu'est-ce que vous me dites que ce sont les Nationalistes ou Untel ou Untel ! Les statuts sont dans la Constitution. Il y a effectivement des dispositions particulières pour les départements, plus exactement pour les territoires d'Outre-Mer, d'ailleurs ! Rectifions les choses !

M. Jospin : J'ai dit « territoires » ...

M. Mazeaud : Eh bien, alors ? Vous voulez également une évolution du statut – je dis bien le statut de la Corse – identique à ce que nous connaissons par exemple pour les territoires d'Outre-Mer ? Puisque je vous demande des propositions.

Ce que vous me dites en ce qui concerne l'Université, en ce qui concerne la formation, j'allais presque dire que nous sommes d'accord, sauf qu'elle existe déjà l'université de Corte ! sauf que la formation, elle existe aussi ! Sans doute de façon insuffisante, je vous l'accorde. Mais qu'entendez-vous par évolution du statut ? Je veux des propositions.

M. Jospin : Vous êtes un membre de la majorité, vous êtes au gouvernement, vous êtes chargé de cette affaire, et vous sollicitez de l'opposition qu'elle fasse des propositions que vous n'êtes pas capable de formuler vous-même ? Quelle est la position du gouvernement que vous défendez, Monsieur Mazeaud, sur la Corse ?

M. Mazeaud : Je vous en prie ! Je vais parier à mon tour...

M. Jospin : ... fait-il une proposition de changement du statut ?

M. Mazeaud : ... en vous disant que c'est bien joli tout ce que vous dites, mais j'estime qu'un Parti d'opposition doit aussi ...

M. Jospin : ... je considère que non !

M. Mazeaud : ... faire des propositions ! Parce que s'il ne fait pas de propositions, il n'existe pas ! Et ce n'est pas parce qu'il y a ici ou là une élection partielle qui résulte peut-être d'un certain nombre de mécontentements que vous existez pour autant, il ne faut quand même pas exagérer ! L'élection générale prouvera oui ou non votre existence. Mais d'ici là, si j'ai un conseil à vous donner, c'est précisément de faire des propositions pour que les Françaises et les Français connaissent ce que vous leur promettez pour demain !

M. Denoyan :  On va essayer de faire avancer Monsieur Jospin pour vos propositions ...

M. Jospin : C'est une singulière conception de l'existence des Partis que seule l'élection leur donne droit de naissance, quand même !

M. Aphatie : On va changer de sujet : demain va se dérouler une manifestation dont on mesurera l'importance concernant la réduction du temps de travail. Dans les rangs socialistes, Michel Rocard a un projet tout prêt, qu'il soumet à tout le monde et qu'il propose très souvent, qui, en quelques mots, prévoit de réduire les charges sociales pour les entreprises qui feront travailler leurs salariés moins de 32 heures.

Quand vous entendez Michel Rocard proposer son projet, vous dites que vous pourriez le faire vôtre ou vous y trouvez des obstacles ?

M. Jospin : D'abord je constate une chose, c'est que le débat sur le plan social maintenant porte, en partie, il y a d'autres sujets de préoccupations qui mobilisent les gens au cours de cette semaine, notamment les attaques contre la Fonction Publique, les menaces de coupe dans le budget de l'État, tes privatisations, te blocage des salaires, les ponctions fiscales qui progressent. Il y a tout un climat d'inquiétude et de protestation chez tes salariés en France.

En ce qui concerne cette question de la diminution de la durée du travail, je me réjouis quand même de constater que la discussion porte autour des thèmes et des propositions que j'avais formulés dans la campagne présidentielle – si Monsieur Mazeau m'écoute encore ! – parce que, à l'époque et notamment dans le débat que j'ai eu avec Jacques Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle, il traitait par le mépris le thème de la diminution de la durée du travail.

Alors, ce ralliement est un ralliement, en réalité, verbal, car il n'y a pas d'impulsion donnée par le gouvernement qui donnerait un sens et qui permettrait de cadrer des négociations de branches ou de secteurs entre le patronat et les syndicats sur des accords de diminution de la durée du travail.

Mais au moins je constate que cette question qui paraissait saugrenue, elle est celle qui mobilise l'attention du mouvement social aujourd'hui. Alors, je suis favorable à des mesures en mixant, comme je l'ai toujours dit, deux approches :
    – une approche législative d'une part, c'est-à-dire que le gouvernement a la responsabilité de donner un élan de fixer des perspectives, de proposer des étapes pour progresser dans la diminution de la durée du travail ;
    – et par ailleurs une démarche contractuelle, c'est-à-dire que les partenaires sociaux discutent ensemble pour aboutir à ces objectifs.

Je suis naturellement tout à fait favorable à ce que des initiatives soient prises par les partenaires sociaux, sans intervention de l'État par ailleurs ! Il y a eu un excellent accord qui a été signé, il y a maintenant presque un an, sur le fait que pourraient partir, avant l'âge de la retraite, des hommes ou des femmes, surtout des hommes, ayant eu leurs 40 années de cotisations à la Sécurité Sociale, à condition qu'on embauche. C'était une des mesures de mon programme présidentiel. Je suis heureux de voir qu'elle a concrétisé un accord. Par contre, je ne suis pas favorable à l'accord récent qui est intervenu dans la Métallurgie parce que cet accord ne crée pas d'emplois.

Par rapport à la question sur Michel Rocard, je pense que cette démarche est intéressante. Je ne crois pas, a priori, à une formule unique. Je pense que cette double méthode, contrat, contractualisation entre les partenaires sociaux, impulsion du gouvernement, c'est la démarche fondamentale. On peut utiliser la méthode Rocard, pourquoi pas ! Il faudra la tester en tout cas.

M. Aphatie : Qui en supporte le coût ?

M. Jospin : Compte tenu de la situation des salaires en France, compte tenu de la réduction de la part des salaires dans le revenu national, dont vous savez qu'elle est nette au cours des dernières années, de ce qu'est la consommation en France, l'insuffisance de la demande, cela n'a pas de sens que de demander aux salariés de l'assumer.

M. Aphatie : Les entreprises peuvent l'assumer ?

M. Jospin : Oui. Elles peuvent l'assumer dans le temps. Elles peuvent l'assumer par une amélioration de leur productivité. Elles peuvent l'assumer si, avec l'accord des salariés, il y a d'autres formes d'organisation du travail, si l'on fait tourner mieux les équipements. Mais cela doit se faire sans diminution de salaire, à mon avis.

Mme Ardisson : Et si l'État donne un coup de pouce ?

M. Jospin : Bien sûr ! l'État peut le faire. Après tout on nous annonce qu'on va tailler dans les aides à l'emploi, ce qui est un peu curieux pour un gouvernement qui avait dit que sa priorité était l'emploi. Mais si l'on décide de revoir tel ou tel dispositif, alors pourquoi pas, éventuellement, envisager des financements pour favoriser des accords de diminution de la durée du travail.

M. Denoyan :  Annette Ardisson, d'autres questions ?

Mme Ardisson : Sur la qualité des relations sociales comme sur la réussite économique et industrielle pendant les deux septennats de François Mitterrand, on a eu l'œil rivé sur l'Allemagne. Or, ce n'est pas seulement un hasard du calendrier, il se trouve que l'Allemagne aussi, maintenant, connaît des difficultés. Même si elle récuse le terme de récession, les Allemands doivent se serrer la ceinture comme les Néerlandais. Est-ce que cela ne change pas un petit peu votre vision de l'Europe ?

M. Jospin : D'un côté cela peut favoriser le mouvement vers la monnaie unique, parce que je pense que les difficultés économiques de l'Allemagne, sa récession relative, les problèmes aussi du Mark peuvent amener un certain nombre de milieux, économiques, dirigeants, en Allemagne, à ne pas avoir du Mark la même vision intense qui existait avant.

De l'autre côté ce qui me préoccupe, et cela nous ramène au choix de politique gouvernementale actuelle, de politique économique gouvernementale, c'est qu'on a une croissance faible dans l'Europe. L'OCDE a revu à la baisse, le « Club des pays riches », Européens, Américains, Japonais, Canadiens, les perspectives de croissance pour 1996. Je craindrais qu'une série de politiques récessionnistes ou déflationnistes dans les différents pays d'Europe provoque une nouvelle baisse de la croissance, alors que nous aurions besoin, au contraire, d'avoir des politiques concertées de relance.

La politique actuelle du gouvernement qui vise à rogner dans les dépenses publiques, dans les dépenses d'emploi, dans les dépenses pour le logement par exemple, dans les marges de manœuvre de l'État, va dans ce sens et donc me préoccupe.

M. Roland-Levy : Je ne crois pas que le Parti Socialiste ait arrêté une position précise sur le service national, sur la réforme du service national. Or les parlementaires, le gouvernement s'achemine vers une solution qui consisterait à instaurer un rendez-vous du citoyen d'une à quatre semaines où les jeunes se présenteraient. Il serait obligatoire pour les garçons.

Je voudrais savoir quelle est votre position sur ce pré-projet ou en avez-vous d'autres ?

M. Jospin : Si Monsieur Mazeaud nous écoute, il saura que c'est le type de proposition que je fais ! Je veux dire par là que j'ai proposé ...

M. Denoyan :  Je vais le rappeler si vous continuez !

M. Jospin : Non. Non. C'est un effet de rhétorique. Mais c'est pour montrer que j'écoute ce qu'il me dit.

Les Socialistes sont attachés, philosophiquement, à la conscription. En même temps la professionnalisation de I' Armée en raison d'une réduction des effectifs nécessaires, de l'évolution de la menace pesant ou ne pesant pas sur la France actuellement... cela peut bouger d'ici 10, 15 ans, mais, enfin, pour le moment !... la réduction aussi des coûts, des dépenses militaires dans lesquelles sont engagés tous les pays et dans lesquelles nous nous engageons à notre tour, tout cela justifie un format de nos armées plus faible et une professionnalisation de l'Armée.

Comme nous sommes attachés à la conscription, personnellement je propose qu'il y ait effectivement un rendez-vous avec l'Armée, c'est-à-dire une conscription qui subsiste.

Qu'est-ce que la conscription ? C'est le fait d'enregistrer l'ensemble des jeunes, notamment des jeunes hommes susceptibles de faire leur service militaire, qu'on les connaisse, que ceux-ci viennent effectivement dans un rendez-vous qui peut durer – alors, là, ce n'est pas défini encore – quelques semaines avec l'Armée, de façon à ce que dans une autre situation, que je ne souhaite pas bien sûr ! – nous sommes en paix avec nos voisins et nos voisins sont en paix avec leurs voisins – où la menace bougerait, après tout on ne sait pas ce qui peut se produire, dans la Russie par exemple ! dans une autre situation l'Armée professionnalisée, c'est-à-dire de militaires de carrière et de volontaires, service long, puisse encadrer à nouveau une masse de jeunes plus grande si c'était nécessaire, par exemple pour la défense de notre territoire parce que ce serait cela qui serait en cause.

M. Denoyan :  Lionel Jospin, il nous reste très peu de temps avant la fin de l'émission. J'aimerais vous poser deux questions sur une actualité plus chaude, une actualité qui fait la Une de nos confrères de la presse écrite déjà depuis quelques jours :
    – ce qui se passe dans le Service Public, notamment à France 2, est-ce que la manière dont fonctionne le Service Public de la télévision vous inquiète ? Est-ce que là aussi, comme dirait Monsieur Mazeaud, vous auriez des propositions à formuler ?
    – deuxièmement, il y a aujourd'hui, vous l'avez entendu tout à l'heure dans le journal de Patrice Bertin, l'engagement de Forces françaises en Centrafrique parce qu'il y a une mutinerie contre le Président Patassé.

Sur ces deux questions, pouvez-vous me répondre, Monsieur Jospin ?

M. Jospin : Oui, bien sûr. Elles sont très différentes en même temps ...

M. Denoyan :  Tout à fait différentes. Peut-être d'abord la télévision ?

M. Jospin : La première, le Service Public. Je pense que le Service Public tout en partageant bien sûr avec les autres chaînes de télévision, y compris avec les chaînes de télévision privées, a une mission qui est différente : la vision de l'éducation, de la culture, le traitement des sujets, le rapport à la culture, au théâtre, à la création, doivent être différents.

Le souci de l'audience, de l'audimat, surtout tel qu'il est défini actuellement, ne doit pas être le même, ne doit pas être aussi prégnant, cela veut dire donc une autre conception.

Le traitement des personnels doit être différent, et de ce point de vue il y a eu des dérives qui sont tout à fait anormales en ce qui concerne le sous-traitement à des sociétés de production, pour des sommes considérables, de prestations qui auraient pu être rendues par des personnels même de la chaîne. Donc, je désapprouve tout à fait cette tendance.

Mais pour que cela soit possible, cela veut dire aussi que les sources de financement doivent être différentes et que l'équilibre actuel entre les ressources privées venant de la publicité et les ressources publiques, redevance, éventuellement dotation de l'État, doivent être rééquilibrées au profit des ressources publiques.

Et les ressources publiques qui sont actuellement à 50/50, devraient certainement se rapprocher des 2/3 ou de 75 % pour que cette haute conception de la télévision soit effectivement possible.

M. Denoyan : Très rapidement, cela mériterait de prendre du temps l'intervention des Forces françaises à Bangui ?

M. Jospin : Bien sûr, c'est encore en cours. Cette situation n'est pas encore résolue. Il est difficile de s'exprimer à chaud. Et en plus, je veux, sur ces sujets qui engagent la présence de la France, qui peuvent mettre en péril certains de nos ressortissants, nos soldats, m'exprimer de façon tout à fait responsable et ne pas utiliser de façon politicienne ce thème.

Je me demande – mais je ne suis pas sûr – si l'on n'a pas un peu tardé, puisque l'on devait envoyer nos troupes, celles présentes sur place et d'autres, pour intervenir. Et je me demande si l'on n'aurait pas pu, dès le début, étouffer dans l'œuf cette mutinerie telle qu'elle s'est produite.

Je mets en garde, bien sûr le gouvernement Patassé est un gouvernement qui a été élu démocratiquement en 1993, en même temps on sait qu'il y a une tendance un peu autoritaire qui s'est développée ces derniers mois aussi, des problèmes de soldes à l'évidence (soldes des armées), problème du budget de Centrafrique, cela met aussi en cause le Ministère des Finances français. On sait ces choses !

Je ne voudrais pas en même temps que nos soldats soient une espèce de Force d'occupation ou de règlement de la situation politique en Centrafrique.

Donc le gouvernement a à faire preuve de sang-froid et de doigté dans ce domaine. Nous l'aiderons, surtout s'il fait des choix intelligents.

M. Denoyan :  Lionel Jospin, je vous remercie.

OBJECTIONS est terminé pour ce soir.