Déclaration de M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, sur la nécessaire "refondation du pacte républicain" et sur les principes fondateurs de la République, à l'Assemblée nationale le 2 mai 1996.

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Circonstance : Clôture du colloque de l'Association des démocrates (ADD) à l'Assemblée nationale, Paris le 2 mai 1996

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames,
Messieurs,

Lorsque vous m'avez demandé d'intervenir, devant vous, sur le « Pacte républicain », j'ai, de prime abord, très spontanément accepté tant l'expression et le message qu'elle porte me paraissaient familiers. Puis, dans un second temps, je vous l'avoue, je me suis trouvé quelque peu désorienté et hésitant... Sentiment passager, je vous rassure, mais dont je voudrais au préalable m'expliquer.

Cette réaction peut paraître en effet paradoxale, très paradoxale même…

N'ai-je pas, moi-même, souvent utilisé cette formule ? J'ai même lu ici ou là que j'avais même contribué à l'imposer.

Et pourtant... C'est qu'en vérité, il en va du « Pacte républicain » comme de « l'exclusion » ou de « la fracture sociale ». Ce sont des termes forts, qui expriment des réalités fortes, mais qui, en se diffusant, perdent paradoxalement de leur impact. Galvaudés, repris par les uns, estropiés par les autres, ils finissent par perdre clarté et pertinence. Et par agacer l'opinion, qui, derrière l'idée, ne voit bientôt plus qu'un slogan.

À ce sujet, je pense à ce beau texte de Daniel Halévy, éminent représentant d'une grande dynastie d'intellectuels dont on parle beaucoup, à nouveau, – tant il est vrai que le talent et la lucidité échappent à l'usure du temps –, oui je pense à ces visites aux paysans du centre qui sont comme une enquête au plus profond de l'âme française et de notre culture politique. Rencontrant en 1910, dans sa vieille maison creusoise, l'ancien député socialiste Létang, Daniel Halévy avait recueilli de lui cette amusante, et si juste réflexion : « En France, nous dansons sur les mots comme sur la corde raide. Ça nous amuse. Et puis, dégringolade ! Nous nous cassons la tête. »

Il ne faut donc pas jouer avec les mots quand ils sont à ce point porteur de sens.

C'est pourquoi je suis particulièrement heureux qu'en ce jour, ou, au-delà de nos différences, nous nous retrouvons entre républicains de tradition et de conviction, vous me donniez l'occasion de reformuler un peu cette notion, je dirais même cette grande idée. D'en souligner la vraie force, la vraie réalité, de mettre en lumière son enracinement historique comme sa pertinence et sa portée pour notre démocratie actuelle.

Je remercie donc l'Association des démocrates, et notamment son président, Gérard Israël, pour cette invitation si opportune. Il est vrai que nous sommes là au coeur de vos réflexions et de vos préoccupations. À l'origine de votre premier rassemblement, en 1988, ne trouve-t-on pas le souci de dépasser les divans politiques en suscitant le débat d'idées, en particulier sur tout ce qui touche au sens profond et à l'éthique de notre système républicain, de notre système démocratique ? Et cette volonté d'ouverture et de dialogue que vous incarnez n'exclue pas, loin de là, la vigueur de l'engagement.

Quel meilleur sujet pourrait-on trouver pour illustrer cette exigence du dialogue et du débat, transcendant les barrières partisanes, que le Pacte républicain ? Car celui-ci nous renvoie au fonctionnement même de notre démocratie, au principe même de notre République. Il s'est forgé véritablement dans les dernières décennies du XIXe siècle, après une longue période d'instabilité. Il est notre héritage commun.

Mais au-delà de l'héritage, que signifie pour nous, aujourd'hui, le « Pacte républicain » ? Dans un tout récent ouvrage, Le nouvel âge des inégalités, Jean-Paul Fitoussi et Pierre Rosanvallon abordent indirectement le sujet. Selon eux, l'apparition de nouvelles inégalités, liées au chômage structurel qui affecte notre société, a vidé de leur contenu les principes républicains traditionnels, qui ne parviennent plus à assurer la cohésion du pays. L'égalité des chances est tout spécialement battue en brèche.

Je ne suis pas loin de partager ce point de vue. Je ne suis pas loin de considérer que le chômage massif qui nous frappe depuis vingt ans est non seulement notre défi majeur, mais encore la source de la plupart de nos difficultés actuelles. Ou, pour être plus exact, la cause de notre impuissance à les résoudre.

Mais cela n'implique nullement que les principes fondateurs de la tradition républicaine soient dépassés. Cela n'implique nullement que le Pacte républicain soit compromis ou doive être fondé sur de nouvelles bases. Il faut, au contraire, réaffirmer les valeurs qui forment son socle, son substrat. Mais cela n'est crédible que si nous mettons d'emblée toutes nos forces et toutes nos ressources au service de la lutte contre le chômage. Vous m'aurez compris : je crois moins en la nécessité de former un « nouveau » pacte républicain que dans notre devoir impérieux de refonder celui auquel nous sommes tant attachés.

Le préalable nécessaire, c'est donc de faire le bon diagnostic.

D'admettre, tout d'abord, que la « crise », – pour employer le terme consacré, mais en l'occurrence bien inadapté –, la fameuse crise que nous subissons depuis vingt ans n'est pas un simple malaise conjoncturel, un mauvais passage que le retour hypothétique de la croissance suffira à résoudre, comme par enchantement.

De reconnaître, ensuite, que le chômage est bien un phénomène profond, durable, d'une gravité exceptionnelle, appelant des réponses qui soient à sa mesure.

Car il ne s'agit pas d'un simple chômage de transition, mais bien d'un chômage long, installé et destructeur.

C'est comme une spirale délétère

Il se nourrit lui-même, en détruisant, sournoisement, et peu à peu, le moral de la Nation, en affaiblissant sa capacité de réaction aux difficultés qui se présentent.

Ses effets sont encore plus désastreux au plan individuel. Le chômeur, quel que soit son milieu d'origine, voit ses horizons temporels se réduire. Il perd peu à peu tout sens de l'initiative, et finit par considérer sa précarisation progressive comme le prélude inéluctable à une complète mise à l'écart : ce qu'on désigne, précisément, du terme d'exclusion. Au-delà du chômeur, c'est le cercle de famille, puis l'école, puis l'environnement social au sens large qui sont atteints.

Des situations aussi dramatiques, répétées comme à l'infini, favorisent toutes formes de fuite devant la réalité, qui sont autant de coups portés à la démocratie, régime fondé par essence sur le sentiment de responsabilité individuelle et collective. Je ne décrirai pas tous les visages de cette tragédie humaine, et me limiterai ici à évoquer la crise de l'adhésion à toutes les institutions qui sont, à des titres divers, les supports de cette véritable constitution sociale qu'est pour nous le « pacte républicain » : je pense aux partis politiques, aux syndicats, aux formes collectives de la vie en entreprise, aux organes de la démocratie locale... Je pense aussi, tout simplement, aux actes les plus élémentaires de la vie civique, comme le vote.

L'homme public attaché aux principes républicains ne peut que s'inquiéter : une société dans laquelle un nombre croissant d'individus ne parvient plus à bâtir un projet de vie est une société qui est, à terme, condamnée à la régression, et en particulier à la régression de la démocratie.

C'est comme une réaction en chaîne : les violences urbaines, les tensions liées à l'immigration, l'insécurité, la crise de nos grands services publics – justice, éducation – se situent, à bien des égards, en aval, plus qu'en amont. Ils sont, pour une large part, les produits du chômage et de ses ravages sur le tissu social. Ils sont comme le point de convergence, le précipite de toutes les difficultés.

Je ne m'étendrai pas ici sur les remèdes nécessaires, pas plus que sur les innombrables potions qu'on s'est efforcé d'administrer pour guérir un mal dont on s'était obstiné à méconnaître la vraie nature. Je dirai simplement que le premier effort à produire, c'est d'analyser avec lucidité la situation, et de comprendre que les solutions classiques sont hors de proportion avec le problème posé. Qu'il n'est plus temps d'attendre, de temporiser à l'infini, ou de compter sur une énième révolution industrielle, qui, par nature, ne permettra pas de résorber le formidable niveau d'inactivité qui nous est imposé. L'emploi classique a sans doute vécu, de nouvelles formes d'activité sont certainement à promouvoir, tant il est vrai que le travail, n'en déplaise aux utopistes, est appelé à rester la valeur fondamentale d'intégration dans nos sociétés libres.

Il ne m'appartient pas, ici, de prophétiser. Je préfère m'en tenir à l'expression de deux convictions, que je souhaiterais vous faire partager.

La première est qu'au lieu d'attendre, d'attendre toujours, il nous faut chercher à prévoir, à anticiper, ce qui est une autre façon d'assurer la maîtrise de notre destin collectif – n'est-ce pas là l'ambition légitime, je dirais même substantielle, de toute démocratie Ce qui suppose d'avoir préalablement formulé le bon diagnostic, celui que j'évoquais à l'instant. Nous n'en sommes pas loin, mais nous n'y sommes pas encore...

La seconde, c'est que pour prévoir et anticiper, autrement dit pour décider et pour organiser, il faut une autorité supérieure, capable de transcender les logiques individuelles afin d'imposer la seule logique qui vaille, celle de l'intérêt général : c'est de l'État, bien évidemment, que je veux parler.

Et nous voici ainsi revenus aux sources mêmes du pacte républicain : l'État a toujours été au coeur de son inspiration. Son rôle a pu évoluer, dans la mesure, notamment, ou il a perdu sa puissante dimension jacobine. Avec la décentralisation, de nouveaux équilibres se sont instaurés. On ne saurait dire, d'ailleurs, que les objectifs ambitieux qui ont été assignés à cette vaste mutation aient été pleinement atteints... En tout état de cause, un État fort demeure, aujourd'hui, la condition absolue de la pérennité du pacte républicain, comme le montre l'évolution dramatique de l'emploi dans notre pays. Nous n'inventons rien, mais l'expérience prouve, ô combien, que cette vérité qui est pour nous une évidence gagne à être rappelée sans cesse, et avec quelle vigueur...

Car la grande ambition reste inchangée. Le chômage et le processus d'exclusion qu'il provoque constituent un fléau sans précédent, qu'il nous faut traiter de front, car il obère toute entreprise sérieuse et durable de restauration républicaine.

Plus que bien d'autres facteurs, c'est donc le chômage qui, à mon sens, explique notre impuissance actuelle. Est-ce à dire que nos grands principes républicains aient perdu leur force ou leur pertinence ? Je ne le crois pas. Même si nous allons vers une société organisée différemment de celle que nous avons connue pendant les « Trente Glorieuses », même si nos valeurs économiques et sociales sont appelées à évoluer, les grands objectifs de notre système républicain demeurent. Et si nous devons concentrer, comme je le pense, toutes nos ressources, toutes nos forces sur la lutte contre le chômage, il nous faut parallèlement continuer de combattre pour atteindre nos objectifs de toujours.

Si je dis système républicain et non démocratique, c'est parce que la République ne se confond pas nécessairement avec la démocratie. Et je dis cela au risque de choquer... « L'association des démocrates » ! Le général de Gaulle l'a admirablement formulé lui-même, un jour, pendant les combats de la dernière guerre : « Nous avons choisi la Démocratie et la République ». Car la démocratie renvoie d'abord à un mode de gouvernement. Il existe des républiques qui ne sont pas démocratiques. Et, à l'inverse, il existe des démocraties qui ne sont pas républicaines... Et quand je dis « République », je pense très précisément à son acception française, qui est différente, par exemple, de la conception américaine.

La démocratie, c'est, bien sûr, un ensemble de valeurs, de très hautes et très puissantes valeurs, notamment la garantie des libertés et des droits individuels, le principe de tolérance, le respect de la dignité humaine. Toutes valeurs, tous principes que nous partageons avec les autres grandes démocraties. Ainsi, il serait absurde d'ignorer l'extraordinaire esprit de liberté et les valeurs vigoureuses qui imprègnent la démocratie britannique, et qui, d'ailleurs, ont de tout temps fait l'admiration du monde entier.

Mais la République, telle que nous la concevons, possède une dimension supplémentaire, originale. Plus qu'un système juridique, elle est un projet politique qui nous est propre et dont témoignent tant de luttes passées. Elle est une morale qui a ses codes et ses règles intangibles. Péguy disait même qu'elle était une mystique. « Une et indivisible »... La trilogie fondatrice –liberté, égalité, fraternité – a-t-elle perdu la force qu'elle possédait voici deux siècles ? La liberté qui est, certes toujours, celle des individus, l'égalité qui est l'égalité des chances, la fraternité, enfin et surtout, qui pourrait s'appeler désormais solidarité : ces mots, les valeurs qu'ils portent et dont la puissance tient à leur caractère indissociable, renvoient à une conception de l'homme, de l'État, de la société qui dépasse le seul cadre de l'individu. Les démocraties anglo-saxonnes ont leurs versus et leurs traditions, qui correspondent à leur histoire. Nous avons les nôtres, qui ont leur cohérence propre.

Prenons l'exemple de la laïcité. Elle est la dimension proprement républicaine de cette valeur éminemment démocratique qu'est la tolérance, première vraie source de liberté. On ne saurait dire qu'elle ait perdu sa pertinence, ou, pour parler plus prosaïquement, son « actualité ». Dans un pays comme le nôtre, qui compte désormais plusieurs grandes confessions religieuses, et qui n'est pas à l'abri des dangereuses poussées de l'intégrisme, comment nier que la laïcité reste une composante fondamentale de notre pacte républicain ? Elle est une garantie pour tous, elle est la condition essentielle de la liberté des consciences. (...)

Elle est aussi l'un des plus solides facteurs de notre unité. Il nous faut donc la défendre avec une résolution inentamée.

Mais plus encore que la laïcité, je dirais que le coeur même de l'idéal républicain, c'est l'égalité des chances. Ce sentiment instinctif d'adhésion, ce fameux « vouloir vivre ensemble » dans lequel Renan voyait l'essence même de la Nation, n'a de sens que si chaque individu, au sein de la société, à la conviction qu'il a les mêmes chances que les autres d'accéder à la réussite et au bien-être. Là encore, cela va plus loin que le simple individualisme. Dans la République, il y a l'idée que la société, incarnée dans l'État, a des devoirs envers l'individu.

Et le terrain privilégié ou doit s'incarner cette égalité des chances, c'est bien évidemment l'école. Jules Ferry parlait, lui, de « l'égalité d'éducation ». Sans elle, disait-il, « je vous défie d'avoir jamais l'égalité des droits, non l'égalité théorique, mais l'égalité réelle, et l'égalité des droits est pourtant le fond même et l'essence de la démocratie. » Quoi de plus actuel ? Oui, l'ambition originelle demeure, même si les conditions et les méthodes diffèrent : faire de l'école républicaine la pièce maîtresse du creuset français.

À cet égard, je ne crois pas aveuglément aux vertus des grandes réformes fracassantes de l'éducation nationale. Il me semble que l'on peut procéder de manière très pragmatique et méthodique. Il me semble qu'il faut se donner quelques objectifs de bon sens, et faire en sorte que l'organisation scolaire soit bien, effectivement, au service de l'égalité des chances.

Je pense, tout d'abord, à l'organisation territoriale du service public de l'éducation : l'égalité des chances, c'est d'abord le combat contre les disparités d'une région à l'autre. Tout Français, dès le plus jeune âge, doit avoir les mêmes chances, quelle que soit son origine non seulement sociale, mais aussi régionale. Sinon, quel peut être le sens du « pacte républicain » ?

Je pense, ensuite, à son organisation pédagogique. Ce que nous demandons avant tout à l'école, c'est de former des citoyens. Des citoyens complets. Indépendamment de leurs origines sociales, de leurs conceptions philosophiques ou religieuses. Les maîtres, à cet égard, ne sont pas de simples « prestataires de services de formation » : leur mission est véritablement une mission fondatrice de citoyenneté.

À cet égard, la logique du « bourrage » des programmes ne me paraît pas bonne. C'est en ce sens que Daniel Halévy – toujours lui ! – faisait en son temps reloge, avec quelques longueurs d'avance, du sport, et notamment... du football. Et il dénonçait, pour le coup avec une tonalité critique, « le défaut même et la lacune », disait-il, « de cette civilisation raisonneuse que propagent nos sociétés républicaines. C'est une civilisation courte elle mesure tous les risques, elle offre tous les livres, et tient sa tâche pour accomplie, l'homme pour satisfait. Il s'en faut. Tout le savoir et le prévoir du monde ne suffisent à remplir ni une vie d'hommes, ni la vie d'un ensemble d'hommes. »

On aurait tort de considérer une telle vision comme partielle ou anecdotique. Loin de servir les principes, les grandes envolées n'ont souvent pour résultat que de rebuter et de compromettre le but recherché. Je maintiens qu'il y a beaucoup à faire, à cet égard, et de manière très concrète, dans le domaine de l'aménagement du temps de l'enfant et des rythmes scolaires. L'idée est d'ores et déjà éprouvée – le maire d'Épinal en sait quelque chose –, il reste à la généraliser et à la financer. C'est dans cette optique que l'on pourra utilement conférer une véritable autonomie aux établissements. Mais encore faut-il qu'il y ait une vision d'ensemble, une ligne d'action cohérente, et je ne vois guère que l'État pour l'imprimer.

L'école est donc l'outil essentiel de l'intégration républicaine. Il n'est pas le seul. Je pense, comme vous vous en doutez, au service national. Je me garderai bien de préjuger des conclusions de la mission parlementaire que j'ai l'honneur de présider. Soyons honnêtes, il est certain qu'en tout état de cause, et pour de multiples raisons, le service militaire a perdu depuis longtemps, dans notre pays, sa pleine et entière vertu intégratrice. Mais ce n'est pas parce que le principe a été déformé ou perverti qu'il est devenu intrinsèquement mauvais. Est-ce une raison pour jeter complètement le bébé avec l'eau du bain ? Ne peut-on imaginer des formules qui permettent de maintenir ce lien si précieux entre la Nation et sa jeunesse, et de mobiliser d'utiles énergies au service de la collectivité ? Je me contente, à ce stade, de poser la question.

L'école et le service national ont ceci en commun qu'ils ont toujours été, dans notre pays, les lieux fondateurs de la citoyenneté. D'où leur importance, d'où leur force particulières.

Mais à la base du pacte républicain, nous trouvons aussi d'autres principes, d'autres exigences qui, loin d'avoir perdu leurs vertus, me paraissent des enjeux singulièrement cruciaux dans notre société actuelle. Je pense, en particulier, à notre système de protection sociale, incarnation de nos valeurs de solidarité. Qu'il ait ses défauts, qu'il appelle des réformes, et même des réformes urgentes, n'induit nullement qu'il doive être abandonné ou subrepticement dévalué. Il en va de même pour notre conception française du service public, qu'il est essentiel de préserver au sein de la construction européenne. Et que dire de l'aménagement du territoire, qui n'est autre que la dimension géographique et territoriale de nos grands principes d'égalité des chances et de solidarité ?

Cela fait beaucoup de grandes idées, dira-t-on, beaucoup d'ambitions à maintenir, beaucoup d'objectifs à poursuivre, beaucoup de principes à respecter... Mais cela fait bien un tout, un tout indissoluble, qui n'est rien d'autre que la substance même de notre Nation. Quitte à déplaire aux esprits tièdes, nous faisons notre le mot de Clemenceau : « Nous voulons la République, nous voulons la République tout entière. »

J'espère vous avoir convaincu, au fil de ces quelques réflexions, que le « Pacte républicain » avait bien pour moi une portée essentielle, et que derrière la facilité des mots, il était possible de déceler la puissance du concept.

Le Pacte républicain, c'est d'abord l'héritage de notre tradition républicaine. Reconnaissons-le, quitte à passer pour d'incorrigibles « nostalgiques » aux yeux de ceux qui croient que certaines valeurs n'ont plus cours au simple prétexte que ces valeurs-là ne sont pas des valeurs marchandes...

Le Pacte républicain, c'est aussi le fondement même de notre cohésion sociale. Ce fondement est aujourd'hui menacé, parce que nous n'avons pas su prendre la juste mesure du chômage, générateur de « l'exclusion », autrement dit de ce cercle infernal qui tue par essence l'égalité des chances.

Il n'est que temps de réagir, et d'assumer clairement notre destin collectif, en affirmant les vraies priorités.

Aujourd'hui, le défi qui nous est lancé est de la même dimension que celui qui inspira la grande construction politique républicaine du siècle dernier : il nous faut refonder la République, mais en inversant l'ordre des facteurs, en traitant prioritairement le chômage et ses effets, générateurs du déclin de l'école et de la déréliction de tous les mécanismes d'intégration. Et en faisant tous nos efforts pour que ces mécanismes, si menacés, soient non seulement préservés, mais encore renforcés.

C'est ainsi, et ainsi seulement, que nous maintiendrons notre cohésion. Une cohésion, Mesdames, Messieurs, que nous maintiendrons ensemble, quelles que puissent être nos différences, tant il est vrai que ces valeurs que je viens d'évoquer forment notre bien commun, à nous républicains.

Notre démocratie est confrontée à des évolutions globales qui semblent la dépasser. Nous avons le choix entre deux attitudes – et il n'existe pas, sur ce point, de « troisième voie » : soit subir passivement l'empire des événements et des mutations, soit chercher à les maîtriser. Nous adapter servilement, ou chercher à influencer le cours des choses.

Or, l'acte fondateur du pacte républicain, c'est la volonté, la volonté collective.

Aujourd'hui, pour revenir à ma réflexion initiale, nous avons le sentiment que la République, le Pacte républicain ne sont plus, pour beaucoup de nos compatriotes, que des mots ou des slogans. Il nous appartient de leur redonner un sens.

Et de refonder la République, afin que nous puissions dire : « Oui, la République est fondée, parce qu'elle repose désormais sur le fondement même du pays. Il n'y a pas, en effet, de séparation et d'antagonisme possible ni entre les villes et les campagnes, ni entre ceux qui habitent telle fraction de notre territoire ou telle autre fraction (...) La France est partout semblable à elle-même. »

Ces mots ont plus d'un siècle. Ils sont de Gambetta.

Ce n'est pas un témoignage de nostalgie. C'est une leçon de modernité. Je vous remercie.